Ce terme vient du grec proselytos, qui signifie étranger, celui qui vient de dehors, ou d’ailleurs. L’Hébreu ger ou necher, Necher, a la même signification. On appelle de ce nom, dans le langage des Juifs, ceux qui demeurent dans leur pays, ou qui ont embrassé leur religion, quoiqu’ils ne soient pas Juifs d’origine. Dans le Nouveau Testament, on les appelle quelquefois prosélytes, et quelquefois gentils craignant Dieu, ou pieux (Actes 2.5 10.2 13.16-50).
Les Hébreux distinguent deux espèces de prosélytes. Les uns sont les prosélytes de la porte, et les autres les prosélytes de justice. Les premiers sont ceux qui demeuraient dans le pays d’Israël, ou même hors de ce pays, et qui, sans s’obliger ni à la circoncision, ni à aucune autre cérémonie de la loi, craignaient et adoraient le vrai Dieu, observant les préceptes imposés aux enfants de Noé, et dont lions avons donné le dénombrement ci-devant sous l’article des Noachides. De ce nombre étaient Naaman le Syrien, Nabuzardan, général de l’armée de Nabuchodonosor, le centenier Corneille, l’eunuque de la reine Candace, et quelques autres, dont il est parlé dans les Actes des Apôtres.
Les rabbins enseignent que pour faire un prosélyte de domicile ou de la porte, il faut que celui qui veut entrer dans cet engagement, promette avec serment, en présence de trois témoins, de garder les sept préceptes des noachides ; c’est-à-dire, selon eux, le droit naturel, auquel toutes les nations du monde sont obligées, et dont l’observation peut les conduire au salut éternel. Les Juifs disent que les prosélytes de la porte ont cessé dans lsrael, depuis qu’on n’y a plus observé le Jubilé, et que les tribus de Gad, de Ruben et de Manassé demeurant au delà du Jourdain, furent emmenées captives par Théglathphalassar. Mais ces remarques ne sont point justes, puisque nous voyons quantité de prosélytes du temps de Jésus-Christ, et que le Sauveur reproche aux pharisiens (Matthieu 23.15) de courir la mer et la terre pour faire un prosélyte, et après cela, de le rendre plus grand pécheur qu’il n’était auparavant. Et saint Luc dans les Actes, d’un grand nombre de prosélytes (Actes 2.11) et de craignants Dieu, qui étaient à Jérusalem lorsque le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres ; je veux croire que la plupart de ces gens étaient prosélytes de justice ; mais on ne peut nier que plusieurs autres ne fussent prosélytes de la porte.
Les priviléges des prosélytes de la porte étaient premièrement que, par l’observation des préceptes de la justice naturelle, et par l’exemption de l’idolâtrie, du blasphème, de l’inceste, de l’adultère et de l’homicide, ils pouvaient prétendre à la vie éternelle 2° Ils pouvaient demeurer dans la terre d’Israël, et avoir part au bonheur extérieur du peuple de Dieu. On dit qu’ils ne demeuraient pas dans les villes, mais seulement dans les faubourgs ou dans les villages. Mais il est certain que trop souvent les Juifs ont souffert volontairement dans leurs villes, non-seulement des prosélytes de domicile, mais aussi des Gentils et des idolâtres, comme il paraît par les reproches qu’on leur en fait dans toute l’Écriture. Du temps de Salomon, il y en avait dans Israël cent cinquante-trois mille six cents (2 Chroniques 2.17-18), que ce prince obligea de couper les bois, de tirer et de tailler les pierres, et de porter les fardeaux pour le bâtiment du temple. Ces prosélytes étaient des chananéens, qui étaient demeurés dans le pays depuis Josué. Moïse (Deutéronome 14.21) veut que les Israélites vendent aux prosélytes qui demeurent dans leurs villes les animaux morts d’eux-mêmes, ou étouffés, dont le sang n’avait pas été épuré.
Les prosélytes de justice sont ceux qui se convertissent au judaïsme, et qui s’engagent à recevoir la circoncision, et à observer toutes les lois de Moïse. Aussi avaient-ils part-à toutes les prérogatives du peuple du Seigneur tant dans cette vie que dans l’autre. Les rabbins enseignent qu’avant que de leur donner la circoncision, et de les admettre dans la religion des Hébreux, on les interrogeait sur les motifs de leur conversion, pour savoir s’ils ne changeaient point d’état par des raisons d’intérêt, de crainte, d’ambition, ou autres semblables. Maimonide assure que sous les règnes heureux de David et de Salomon, on ne recevait aucun prosélyte de justice, parce qu’on avait sujet de craindre que ce ne fût plutôt la prospérité de ces princes, que l’amour de la religion, qui les attirât au judaïsme. Les talmudistes disent que les prosélytes sont comme l’ulcère et la rouille d’Israël, et qu’on ne saurait prendre trop de précaution pour ne les pas admettre avec trop de facilité.
Quand le prosélyte était bien éprouvé et bien instruit, on lui donnait la circoncision ; et lorsque la plaie de sa circoncision était guérie, on lui donnait le baptême, en le plongeant tout le corps dans un grand bassin d’eau par une seule immersion. Cette cérémonie étant un acte judiciaire, se devait faire en présence de trois juges, et ne se pouvait faire un jour de fête. Le prosélyte faisait aussi donner la circoncision et le baptême à ses esclaves qui n’avaient pas encore treize ans accomplis ; mais ceux qui avaient cet âge, ou qui étaient plus âgés, il ne pouvait les y contraindre ; mais il devait les vendre à d’autres, s’ils s’obstinaient à ne vouloir pas embrasser la religion des Juifs. Pour les femmes esclaves, on leur donnait simplement le baptême, au cas qu’elles voulussent se convertir, sinon, ou les vendait à d’autres. Le baptême qu’avait reçu un prosélyte, ne se réitérait jamais, ni dans la personne du prosélyte, quand même il aurait apostasié depuis, ni dans celle de ses enfants, qui lui naissaient depuis son baptême, à moins qu’ils ne naquissent d’une femme païenne, auquel cas on les baptisait comme païens, parce qu’ils suivaient la condition de leur mère : Partus sequitur ventrem.
Les garçons qui n’avaient pas l’âge de douze ans accomplis, et les filles qui n’avaient pas celui de treize ans accomplis, ne pouvaient devenir prosélytes, qu’ils n’eussent auparavant obtenu le consentement de leurs parents, ou, en cas de refus, celui des gens de justice. Le baptême avait sur les filles le même effet que la circoncision sur les garçons. Par là les uns et les autres renaissaient de nouveau ; de manière que ceux qui avant cela étaient leurs parents, n’étaient plus censés l’être après cette cérémonie ; ceux qui étaient esclaves, devenaient affranchis ; les enfants nés avant la conversion de leur père, n’héritaient point. Si un prosélyte mourait sans avoir eu d’enfants depuis sa conversion, ses biens étaient au premier saisissant, et non pas au fisc. Les prosélytes en devenant Juifs, recevaient du ciel une âme nouvelle, et une nouvelle forme substantielle. Voilà ce qu’enseignent les rabbins sur les prosélytes de justice.
Ils veulent trois choses pour un parfait prosélyte ; savoir, le baptême, la circoncision et le sacrifice ; et pour les femmes, le baptême et le sacrifice seulement. On croit que Notre-Seigneur (Jean 3.5-10) faisait allusion au baptême des prosélytes, lorsqu’il disait à Nicodème qu’il fallait que ceux qui voulaient suivre sa loi reçussent une nouvelle naissance : Celui qui ne renaît pas par l’eau et le Saint-Esprit ne peut entrer dans le royaume des cieux. Et comme Nicodème paraissait surpris de cette doctrine, le Sauveur lui dit : Vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses ? Comme s’il lui voulait insinuer que ce qu’il lui disait n’avait rien de fort extraordinaire, puisque le baptême des prosélytes se pratiquait tous les jours dans Israël.
Moïse, dans le Deutéronome (Deutéronome 23.1-3), exclut des prérogatives du peuple d’Israël, ou, comme il parle, de l’assemblée du Seigneur, certaines personnes ; les unes pour toujours, et les autres pour un certain temps. Il en exclut pour toujours les eunuques, de quelque manière qu’ils soient eunuques. Il n’y admet les bâtards, ou les enfants illégitimes, qu’après la dixième génération. Il met dans le même rang les Moabites elles Ammonites. Il y reçoit aussi les Égyptiens et les Iduméens, après la deuxième génération. Il était permis à ces personnes de se convertir au Seigneur et de devenir prosélytes, quand elles voulaient. La porte de la conversion leur a toujours été ouverte. Jean Hircan, prince des Juifs, contraignit les Iduméens à se faire circoncire et à embrasser la loi de Moïse ; et depuis ce temps, dit Josèphe, ils furent regardés comme Juifs. Achior, prince des Ammonites (Judith 14.6), se fit aussi Juif, sans aucune autre préparation que de se faire instruire de ce qu’il fallait croire et observer dans cette religion. L’on n’ôtait donc pas à ces nations le pouvoir de se convertir ; mais on ne les admettait aux charges, aux emplois aux dignités, aux prérogatives extérieures du peuple de Dieu, qu’après un certain temps, lorsqu’elles avaient donné des preuves de leur persévérance dans la vraie religion.
Les Hébreux croient que la menue populace d’Égypte, qui suivit les Israélites lorsqu’ils sortirent de ce pays (Exode 12.38), était toute convertie et prosélyte de justice. Ils veulent que Jétbro, beau-père de Moïse, ait aussi embrassé leur religion (Exode 18.10-12). Jacob reçut les Sichemites pour prosélytes (Genèse 24.14-15), en leur demandant simplement qu’ils reçussent la circoncision. Quelques rabbins enseignent que, du temps de Salomon, l’on recevait les Gentils au judaïsme par le seul baptême, à cause du grand nombre de ceux qui se convertissaient. Mais d’autres veulent, comme nous l’avons déjà remarqué, qu’alors on ne reçût point de prosélytes dans Israël. Si celui qui se présentait pour être admis au changement de religion avait déj àété circoncis, on se contentait d’ouvrir la cicatrice de la circoncision et d’en tirer quelques gouttes de sang. Quant aux sacrifices que devait offrir le prosélyte, je remarque que Jéthro, beau-père de Moïse, Offrait des holocaustes et des hosties pacifiques au Seigneur (Exode 18.12). On dit qu’anciennement les prosélytes offraient en holocauste une hostie de gros bétail, ou deux tourterelles, ou deux jeunes pigeons. Mais comme depuis longtemps les Juifs n’ont plus de temples ni d’autels, ils n’obligent plus les prosélytes à offrir des sacrifices.