Ou Senhedria, mot corrompu, et formé sur le grec synédrion, qui signifie assemblée, comme celles des parlements et des cours souveraines, où plusieurs juges et plusieurs conseillers s’assemblent pour juger les grandes affaires. Les Juifs nomment sanhédrin, ou Beth-din, maison du jugement, une compagnie de soixante et dix, sénateurs qui s’assemblaient dans une salle du temple de Jérusalem et qui y décidaient les plus importantes affaires de la nation. Le chef de cette assemblée était appelé Nasi, ou prince ; son lieutenant, Ab-bethdin, père de la maison du jugement, et son sous-lieutenant, Chacam, c’est-à-dire, sage. Les autres se nommaient anciens, ou sénateurs. La salle où ils s’assemblaient était sphérique. La moitié était bâtie au dedans du temple, et l’autre moitié au dehors ; c’est-à-dire, qu’il y avait un demi-cercle de la salle qui était au dedans de l’enceinte du temple, et comme il n’était jamais permis de s’asseoir dans le temple, ils disent-que c’est là où les parties demeuraient debout. L’autre moitié ou l’autre demi-cercle de la salle s’étendait hors du lieu saint, et c’est là où les juges étaient assis.
Le Nasi ou prince était sur un trône au fond de la salle, ayant le lieutenant à sa droite et son sous-lieutenant à sa gauche. Les autres sénateurs étaient rangés de suite à ses deux côtés. Cette salle était appelée Liscath-haggazith, la salle au pavé de pierres, et quelques-uns croient que c’est elle qui est nommée dans saint Jean (Jean 19.13) lithostatos, pavée de pierres. Ils supposent, ce qui ne me paraît nullement probable, que les Juifs accusateurs de Jésus-Christ, n’ayant pas voulu entrer dans le prétoire, de peur de se souiller, Pilate eut la, complaisance de se transporter au sanhédrin pour écouter leurs accusations contre le Sauveur.
Les rabbins prétendent que le sanhédrin, a toujours subsisté dans leur nation depuis Moïse jusqu’après la ruine du temple par les Romains. Ils en trouvent l’établissement dans ce qui arriva dans le désert, quelque temps après que le peuple fut parti de Sinaï (Nombres 11.16). Moïse, rebuté par les murmures continuels des Israélites, s’adressa à Dieu, pour le prier de le décharger au moins d’une partie du poids du gouvernement. Alors le Seigneur lui dit : Assemblez-moi soixante et dix des anciens d'Israël ; vous les mènerez l’entrée du tabernacle, je vous y apparaîtrai, et je prendrai de l’esprit qui est en vous pour le leur communiquer, afin qu’ils vous aident à porter le poids du gouvernement. Le Seigneur répandit donc de son esprit sur ces hommes, qui commencèrent dès lors à prophétiser, et qui ne cessèrent plus depuis ce temps-là. Le sanhédrin était composé de soixante et dix conseillers, six de chaque tribu, et Moïse, comme président, faisait le soixante et onzième. Pour montrer une succession non interrompue des juges du sanhédrin, il n’y a rien que ses partisans ne mettent en œuvre. Ils le trouvent où d’autres n’en voient pas même l’ombre et l’apparence. On peut voir Grotius en plusieurs endroits de ses commentaires sur l’Écriture, et dans son premier livre de Jure belli et pacis, et Selden dans son grand ouvrage divisé en trois volumes, où il traite de Synedriis veterum Hebrœorum. Enfin on peut voir notre Dissertation sur la police des anciens Hébreux, imprimée à la tête de notre Commentaire sur les Nombres.
Quant aux qualités personnelles des juges de cette compagnie, leur naissance devait être pure. Souvent on les prenait de la race des prêtres ou des lévites, ou du nombre des juges inférieurs, ou du petit sanhédrin, qui n’était que de vingt-trois juges (Voyez l’article Juges). Ils devaient être savants dans la jurisprudence de la loi écrite et non écrite. Ils étaient obligés d’étudier la magie, la divination, les sortilèges, la médecine, l’astrologie, l’arithmétique et les langues. Les Juifs disent qu’ils devaient savoir jusqu’à soixante et dix langues ; c’est-à-dire, qu’ils les devaient savoir toutes ; car les Hébreux n’en reconnaissaient que soixante et dix, et peut-être en admettaient-ils un trop grand nombre. On excluait du sanhédrin les eunuques, à cause de leur cruauté ; les usuriers, les décrépits, les joueurs de jeu de hasard, ceux qui avaient des difformités corporelles, ceux qui dressaient des pigeons à en appeler d’autres dans les colombiers, et ceux qui faisaient trafic de fruits dans l’année sabbatique. Quelques-uns en excluent aussi le grand prêtre et le roi, à cause de leur trop grand pouvoir ; mais d’autres veulent que les rois y aient toujours présidé, tandis qu’il y en eut dans Israël. Enfin on voulait que les membres du sanhédrin fussent d’un âge mûr, riches et bien faits de corps et de visage. Nous parlons suivant l’idée des rabbins, sans prétendre garantir leurs sentiments. Nous nous en sommes assez expliqués dans la dissertation ci-devant citée.
L’autorité du grand sanhédrin était immense. Cette compagnie jugeait des grandes causes qui lui étaient portées par appel des tribunaux inférieurs. Le roi, le grand prêtre, les prophètes, y étaient soumis. Si le roi péchait contre la loi, par exemple, s’il épousait plus de dix-huit femmes, s’il avait trop de chevaux, s’il amassait trop d’or ou d’argent, le sanhédrin le faisait dépouiller et fouetter en sa présence. Mais la peine du fouet n’était pas, dit-on, ignominieuse parmi les Hébreux et le roi prenait ce châtiment par forme de pénitence, et choisissait lui-même celui qui devait lui donner les coups. Les affaires générales de la nation étaient aussi portées au sanhédrin. Le droit de juger à mort était réservé à cette compagnie, et ce jugement ne pouvait se prononcer ailleurs que dans la salle nommée Laschat-Haggazith ; d’où vient que les Juifs quittèrent cette salle, dès que le droit de vie et de mort leur fut ôté, quarante ans avant la destruction de leur temple, et trois ans avant la mort de Jésus-Christ.
Du temps de Moïse, cette assemblée se tenait à la porte du tabernacle du Témoignage. Depuis que le peuple fut en possession de la terre promise, le sanhédrin suivit le tabernacte. On le vit successivement à Galgal, à Silo, à Cariathïarim, à Nobé, à Gabaon, dans la maison d’Obédédoni ; et enfin il fut fixe à Jérusalem jusqu’à la captivité de Babylone. Durant la captivité, il subsista à Babylone. Au retour de Babylone, il demeura à Jérusalem jusqu’au temps des sicaires ou des assassins. Alors voyant que ces malheureux, dont le nombre se multipliait tous les jours, évitaient quelquefois la mort par la faveur du président ou des juges, on le transporta à Hanoth, qui était certaines demeures situées, disent les rabbins, la montagne du Temple. De là il descendit dans la ville de Jérusalem, en s’éloignant toujours petit à petit du temple. Après il alla à Jamnia, et successivement à Jéricho, à Usa, à Sép, liarvaïm, à Bethsanim, à Séphoris, et enfin à Tibériade, où il demeura jusqu’à son entière extinction. Voilà à-peu-près ce que les Juifs nous apprennent du sanhédrin.
Mais les savants ne conviennent pas de tout cela. Le père Pétau ne fixe le commencement du sanhédrin que sous Gainnius, gouverneur [lisez procurateur] de la Judée, qui établit des tribunaux dans les cinq principales villes de Judée ; à Jérusalem, à Gadare, à Arnathus, à Jéricho et à Séphora ou Séphoris, ville de Galilée. Grotius en met le commencement sous Moïse avec les rabbins ; mais il en fixe la fin au commencement du règne d’Hérode. M. Basnage dans son Histoire des Juifs, avait d’abord cru que le sanhédrin avait commencé sous Gabinius ; mais ensuite il le mit sous Judas Machabée, ou sous son frère Jonathas (1 Machabées 12.6). En effet, sous Jonathas Machabée, en 3860, nous voyons le sénat avec le grand prêtre qui envoient des ambassadeurs aux Romains. Les rabbins disent qu’Alexandre Jannée, roi des Juifs, de la race des Asmonéens, comparut devant le sanhédrin et voulut s’y asseoir malgré les sénateurs. Josèphe nous apprend qu’Hérode, n’étant encore que gouverneur de Galilée, fut cité devant le sénat et y comparut. Il faut donc avouer que le sanhédrin subsistait avant le règne d’Hérode. Il subsista encore depuis, ainsi qu’on le voit dans l’Évangile et dans les Actes. Jésus-Christ, dans saint Matthieu (Matthieu 5.22), distingue deux tribunaux : Celui qui se mettra en colère contre son frère sera coupable du jugement (c’est, dit-on, le tribunal des vingt-trois juges) ; et celui qui lui dira raca sera jugé devant le conseil, devant le grand sanhédrin, qui avait droit de vie et de mort, au moins ordinairement et avant qu’il lui eût été ôté par les Romains. Il y en a qui croient que le conseil des vingt-trois juges avait aussi ce droit ; mais il est certain que le sanhédrin était au-dessus de ce tribunal de vingt-trois juges. Voyez aussi saint Marc (Marc 23.9 ; 14.55 ; 15.1), et saint Luc (Luc 22.52-66) ; saint Jean (Jean 11 ; Actes 4.15 5.21), où il est parlé du synédrion.
De tout cela on peut conclure que l’origine du sanhédrin n’est nullement certaine ; car les soixante et dix anciens établis par Moïse n’étaient pas proprement ce que les Hébreux entendent sous ce nom. De plus on ne voit pas que cet établissement ait subsisté ni sous Josué, ni sous les juges, ni sous les rois. On n’en trouve rien après la captivité, jusqu’au temps de Jonathas Machabée. [Voyez Anciens d’Israël]. Les tribunaux établis par Gabinius étaient encore fort différents du sanhédrin. Celui-ci devait être unique et fixé à Jérusalem. Gabinius en établit cinq dans cinq villes différentes, et ces tribunaux ne paraissent pas avoir été subordonnés les uns aux autres. Enfin il est certain que ce sénat subsistait du temps de Jésus-Christ, et lorsque saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean écrivaient, puisqu’ils en parlent dans leurs écrits : mais les Juifs nous apprennent eux-mêmes (Jean 18.31) qu’alors ils n’avaient plus le droit de vie et de mort. Voyez les auteurs que nous avons cités auparavant sur cette matière.