Juge d’Israël, succéda à Othoniel, et eut pour successeur Samgar. Eglon, roi des Moabites, ayant opprimé les Israélites pendant dix-huit ans, Dieu leur suscita un libérateur en la personne d’Aod, ou Ehud, comme le prononcent les Juifs, ou Ajoth, comme lisent quelques exemplaires des Septante, on Judé, comme lit Josèphe. Aod était fils de Géra, de la tribu de Benjamin [Voyez Ahod] ; et il était ambidextre, se servant de la main gauche comme de la main droite (Juges 3.15-16). Les Israélites le choisirent pour envoyer des présents, ou peur porter les tributs qu’ils devaient à Eglon ; car dans l’Écriture, on entend souvent les tributs sous le nom de présents. Aod [plein d’audace et d’adresse, avait jugé l’occasion favorable pour délivrer sa patrie ; car comprenant bien que, « contre un vainqueur vigilant et habile, une guerre régulière était impossible, il conçut un de ces projets que notre admiration est accoutumée à louer dans les héros païens, et qui trouve ici sa raison dans l’injuste violence de la tyrannie et dans la volonté de Dieu. » En conséquence, il s’était fait faire une dague à deux tranchants, qui avait une garde de la longueur de la paume de la main, et il la mit sous sa casaque à son côté droit. Il vint donc ainsi offrir ses présents à Eglon. Or, ce prince était extrêmement gras ; et quand Aod eut fait sa commission, il renvoya ceux qui l’avaient accompagné.
Et comme il venait de Galgal, où il y avait des figures superstitieuses, apparemment à l’usage des Moabites, il feignit d’avoir reçu en cet endroit quelques oracles importants, et il dit au roi qu’il avait un mot à lui dire en secret. Aussitôt le roi fit retirer tous ceux qui étaient dans sa chambre ; et Aod s’étant approché, lui dit : J’ai une parole à vous dire de la part de Dieu. Alors le roi se leva de son trône par respect, et Aod ayant porté la main gauche à la dague qu’il avait à son côté droit, la tira et la lui enfonça si avant dans le ventre, qu’elle y demeura enfermée tout entière. Aod, sans retirer sa dague, sortit incontinent, ferma les portes sur le roi, et passa au travers du pérystile, sans que personne l’arrêtât, ni sans qu’on se défiât de lui, parce qu’on croyait que le roi avait fait fermer ses portes pour satisfaire à quelques besoins naturels. Cependant, après avoir attendu longtemps, ils prirent la clef, et ayant ouvert, ils trouvèrent le roi étendu mort sur la place.
Pendant le trouble où ils étaient, Aod s’avança jusqu’à Sarath, vers le canton d’Éphraïm ; et ayant sonné de la trompette, il amassa une grosse armée, avec laquelle il se saisit des gués du Jourdain. Les Hébreux ne laissèrent passer aucun Moabite, mais ils en tuèrent environ dix mille. En ce jour-là Moab fut humilié sous la main d’Israël, et le pays demeura en paix pendant quatre-vingts ans, depuis l’an du monde 2619, jusqu’en 2759 avant Jésus-Christ 1241, avant l’ère vulgaire 1245.