Les Hébreux avaient trois sortes de semaines :
1° Des semailles de jours, qui se comptaient d’un sabbat à l’autre ;
2° Des semaines d’années, qui se comptaient d’une année sabbatique à l’autre, et qui étaient de sept années ;
3° Enfin des semaines de sept fois sept années, ou de quarante-neuf ans, qui se comptaient d’un Jubilé à l’autre.
Tout cela se voit dans Moïse, et dans la pratique des Juifs. Voyez notre dissertation sur la Chronologie des Hébreux, imprimée à la tête du Commentaire sur la Genèse.
Semaines de Daniel.
On convient que les fameuses semaines de Daniel sont des semailles d’années, et non des semaines de jours. Mais les uns les ont faites de soixante et dix ans ; en sorte que les septante semaines, feraient quatre mille neuf cents ans. Quelques rabbins les font de quarante-neuf ans, ou d’un Jubilé à un autre ; en sorte qu’elles feraient trois mille quatre cent trente ans. D’autres les font de cent ans ; ainsi les septante semaines seraient de sept mille ans. Mais la plupart les font de sept années lunaires ou hébraïques ; et à ce compte les septante semaines font quatre cent quatre-vingt-dix ans.
L’ange Gabriel dit à Daniel (Daniel 9.24-27) : Septante semaines déterminées s’écouleront sur votre peuple et sur la ville sainte, jusqu’à ce que la prévarication soit abolie…, et que la justice éternelle vienne sur la terre, que les visions soient accomplies, et que le Saint des saints soit oint. Depuis l’ordre qui sera donné pour le rétablissement de Jérusalem jusqu’au Christ chef de mon peuple, il s’écoulera sept semaines, et soixante et deux semaines, et les murailles de la ville seront rebdties pendant des temps fâcheux et difficiles ; et après soixante et deux semaines, le Christ sera mis à mort, et le peuple qui le doit renoncer, ne sera plus son peuple. La nation qui doit venir détruira la ville et le Sanctuaire. La ruine sera entière, et la désolation prédite arrivera après cette guerre. Il consommera son alliance avec plusieurs dans une semaine ; et à la moitié de la semaine, les hosties et les sacrifices seront abolis. L’abomination de la désolation sera dans le temple, et la désolation durera jusqu’à la fin.
Il y a plusieurs différents systèmes sur le commencement et sur la fin des septante semaines de Daniel, même parmi les auteurs chrétiens qui croient que ce prophète a voulu marquer le temps de la naissance et de la mort de Jésus-Christ. Les uns les commencent à la première année de Darius le Mède, qui est l’époque de la prophétie de Daniel, et les unissent à la profanation du temple, arrivée sous la persécution d’Antiochus Épiphane. Les autres les commencent à la première année de Cyrus à Babylone, et en mettent la fin à la destruction du temple par les Romains. D’autres en fixent le commencement à la première année de Darius le Mède, dans laquelle cette révélation fut faite à Daniel (Daniel 9.1), et mettent la fin à la naissance de Jésus-Christ. Jules Africain commençait les septante semaines à la seconde année d’Artaxerxès, qui renvoya en Judée Néhémie, avec pouvoir de rebâtir les murs de Jérusalem (Néhémie 1.1 ; 2.5) ; et il les terminait à la mort du Messie arrivée, selon lui, la quinzième année de Tibère. Ce système paraît le meilleur de tous ceux qui ont été proposés par les anciens, et il est suivi par la plupart des commentateurs.
Les anciens Juifs, au rapport de saint Jérôme commençaient les septante semaines de Daniel à Darius le Mède, et les finissaient à la destruction de Jérusalem. Les huit semaines qui restaient se terminaient à l’entière dispersion de leur nation sous l’empereur Adrien. Les Juifs modernes ne s’accordent pas entre eux, dans la crainte qu’on ne les convainque par cette prophétie, que la Messie est venu, et que c’est en vain qu’ils l’attendent. Les uns prononcent malédiction contre ceux qui supputent les temps ; ils disent qu’en vain on attend le Messie, qu’il est venu il y a longtemps. D’autres croient qu’il n’est pas venu ; mais qu’il le serait il y a longtems, si les péchés des Juifs ne l’en empêchaient. D’autres placent le commencement des septante semaines à la ruine du premier temple par Nabuchodonosor, et la fin à la destruction du second temple par Tite. Entre ces deux événements, ils ne mettent que quatre cent quatre-vingt-dix ans ; ce qui est une preuve de leur ignorance en fait de chronologie. Ils croient que la désolation de Jérusalem doit durer jusqu’à la guerre de Gog et de Magog, qui seront exterminés par le Messie. C’est ainsi que l’entendent Jarchi et Abrabanel avec les principaux rabbins.
Notre dessein n’est pas de rapporter ici tous les différents sentiments des Pères, des interprètes et des chronologistes sur cette matière, ni de réfuter les systèmes qui nous paraissent dangereux ou défectueux. Ceux qui veulent s’instruire à fond sur cela peuvent consulter les auteurs qui en ont traité en particulier et à dessein. Nous nous contenterons d’exposer l’hypothèse qui nous paraît la plus suivie et la plus probable. C’est celle de Jules Africain, qui est aujourd’hui fort à la mode, et qui est adoptée, à quelques petites choses près, par la plupart des interprètes et des chronologistes, tant catholiques que protestants. Elle met la première année des septante semaines à la vingtième année du roi Artaxerxès à la longue main, qui donna à Néhémie le décret, ou la permission de rebâtir les murs de Jérusalem. De là jusqu’à la dernière semaine dans laquelle Jésus-Christ, l’Oint du Seigneur, fut immolé et mis à mort, on compte soixante et dix semaines ou quatre cent quatre-ving-dix années lunaires.
Il y a quelques variétés sur le calcul de ces années. Les chronologistes diffèrent entre eux de quelques années ; mais la grande différence ne va qu’à neuf ou dix ans. Le Père Pétau, qui a écrit sur cela dans son douzième livre, de Docirina Temporum, concilie toutes ces difficultés, en faisant voir que ces mots de la prophétie de Daniel, Ab exitu semonis, ut iterum oedificetur Jerusalem, doivent s’entendre de l’entière exécution de l’ordre de rebâtir Jérusalem, qui ne fut exécuté que par Néhémie. Il montre aussi que la vingtième année d’Artaxerxès, marquée (Néhémie 1.1), doit s’expliquer, non de la vingtième année du règne d’Artaxerxès seul, mais de sa vingtième année, à commencer lorsque son père l’associa à l’empire dix ans avant sa mort. Ces dix ans soustraits de la somme des années qui se sont écoulées depuis l’édit d’Artaxerxès donné à Néhémie, jusqu’à la mort de Jésus-Christ, débarrassent les chronologistes, et font évanouir les difficultés qu’on, formait sur ce qu’il se trouvait dix années de trop dans leur calcul des quatre cent quatre-vingt-dix ans que donnent les septante semaines de Daniel.
Ce prophète ajoute qu’après la mort du Christ, le peuple qui l’a renoncé ne subsistera plus ; que le temple sera ruiné par le chef et le peuple étranger ; que cette guerre sera suivie de l’abomination de la désolation. Tout cela marque clairement la rupture de l’alliance entre Dieu et les Juifs incrédules et meurtriers de Jésus-Christ, la destruction de Jérusalem et du temple, et la dispersion du peuple Juif par les Romains. L’abomination de la désolation marque la ruine, le saccagement, la profanation du temple, et les aigles romaines placées dans le lieu saint. Pendant cette dernière semaine, l’alliance sera confirmée à l’égard de plusieurs. Jésus-Christ est mort au milieu de la soixante et dixième semaine, et par sa mort il a affermi et scellé son alliance à l’égard de plusieurs, à l’égard de ceux qui ont cru en lui. Au milieu de la semaine, les hosties et les sacrifices cesseront ; non qu’ils aient cessé réellement au moment de la mort du Sauveur, mais ils devinrent inutiles. Enfin on verra dans le temple l’abomination de la désolation, et cette désolation durera jusqu’à la fin.
La ruine du temple et l’abomination de la désolation n’arriva que quarante ans après la mort du Sauveur ; mais elle était résolue, et en quelque sorte commencée dès le moment de sa mort. La ruine des Juifs fut suspendue pour quelques années, afin de leur donner le temps de retourner à Dieu par la pénitence. Depuis ce dernier malheur, leur nation n’a jamais pu se rétablir, et ne se rétablira jamais. La désolation subsistera jusqu’à la fin ; en sorte toutefois qu’il y aura toujours des Juifs dispersés dans le monde, pour rendre témoignage à la vérité des Écritures et des prophéties, et pour servir de monument à la vengeance de Dieu contre une nation ingrate et infidèle. On peut voir Pérérius sur Daniel, M. Basnage, Dissertation sur les septante semaines ; le P. Hardouin, Dissertation sur le même sujet, contre le R. P. Lamy de l’Oratoire ; notre Dissertation sur la même matière, imprimée à la tête de Daniel ; et celle de J. Frischmuth dans le Thesaurus Dissertalionum, à la fin des Grands Critiques etc.