Quand nous parlons de Canon et de Canonicité, nous employons des termes qui, jusqu’au IVe siècle de l’ère chrétienne, n’avaient pas reçu le sens que nous leur attribuons aujourd’hui. « Canon » est un mot grec, signifiant baguette ou règle de charpentier, et qui, par extension, a pris le sens général de « règle » ; par exemple, dans Galates 6.16 : « Paix sur tous ceux qui suivront cette règle » (grec canon). Finalement, ce mot a désigné une liste ou un catalogue de livres représentant cette règle et que l’autorité a déclaré être la sainte Écriture. Toutefois, bien que les mots canon et canonicité n’aient été pris dans leur sens moderne qu’à une époque récente, la chose existait depuis longtemps. Quatre siècles environ avant Jésus-Christ, la Thora (loi du Pentateuque) était reconnue, mais d’une façon que nous ne pouvons appeler canonique, pour cette seule raison qu’il y aurait là un anachronisme. Deux siècles avant Jésus-Christ, les prophètes avaient obtenu semblable « reconnaissance » ; tous les livres de l’Ancien Testament étaient probablement composés un siècle avant l’ère chrétienne, et la plupart, sinon la totalité, sont déjà reconnus dans le Nouveau Testament comme Écriture sainte.
Lorsque nous entreprenons l’histoire du canon de l’Ancien Testament, il existe extrêmement peu de témoignages extérieurs dignes de foi pour nous guider. Tous les passages qui jettent quelque lumière sur le problème peuvent être imprimés en six ou sept pages. C’est pourquoi nous sommes ramenés à l’Ancien Testament lui-même et à quelques allusions éparses, encore que significatives, qui se rencontrent dans des sources hébraïques ou grecques.
Il nous faudra commencer par la Bible hébraïque et non par la Bible française ; car l’ordonnance de cette dernière est inspirée par celle de la Vulgate, qui elle-même avait subi l’influence de la version grecque connue sous le nom des Septante (LXX), dans laquelle certains faits de haute importance sont déjà altérés. Par exemple, les livres de l’Ancien Testament hébraïque sont divisés en trois parties, dénommées : « la Loi, les Prophètes et les Écrits ». La Bible française ignore cette division ; en outre, les noms et l’ordre de ses livres ne sont pas ceux de la Bible hébraïque, mais ceux de la Version des LXX : les prophètes, par exemple, sont relégués à la fin, tandis que Ruth apparaît après les Juges, les Lamentations après Jérémie, alors que, dans la Bible hébraïque, ces deux livres font partie de la dernière section, les « Écrits ». Dans l’ordre grec, suivi par les versions modernes, la critique a déjà été à l’œuvre, en arrangeant librement les matériaux, surtout d’après les sujets, ce que la table de Segond ou de la Version Synodale met en évidence : « les livres historiques, les livres poétiques, les prophètes ». Mais cette disposition voile le fait, suggéré par l’ordre hébraïque, que certains livres, comme les Chroniques, furent écrits plus tard que d’autres, tels que les Rois, avec lesquels ils voisinent, et ont été introduits dans le Canon postérieurement à ceux-ci.
La division de la Bible hébraïque en trois parties a été expliquée de diverses manières : une explication, par exemple, est que ces trois parties impliquent différents degrés d’inspiration, la Thora étant regardée comme inspirée au plus haut degré et les Écrits au moindre ; mais l’explication véritable est probablement celle-ci, que les divisions marquent des stages successifs dans ce que nous pouvons appeler la reconnaissance canonique de la littérature sacrée. La Loi a reçu d’abord cette reconnaissance, vers 400 avant Jésus-Christ ; les Prophètes ont eu leur tour vers 200 et les Écrits cent ans environ avant Jésus-Christ. L’unité de l’ensemble, en dépit de sa division tripartite, a été entièrement reconnue, ce que prouve avec évidence le Nouveau Testament, qui l’appelle « les Écritures » (Matthieu 22.29) ou « les saintes Écritures » (Romains 1.2 ; 2 Timothée 3.15). Par contre, il est incontestable que le nom d’« Ancien Testament », par son contraste avec le « Nouveau Testament », apporté par Christ (cf. 2 Corinthiens 3.6 ; 2 Corinthiens 3.14), n’est pas juif, mais chrétien.
À l’intérieur de cette division en trois parties existent toutefois des subdivisions. Non pour la Thora : elle restait toujours elle-même, une et indivisible, et était regardée comme la base de tout. Mais les « prophètes » ont été partagés par les Massorètes en « prophètes antérieurs », comprenant les quatre livres historiques : Josué, Juges, Samuel et les Rois (chacun des deux derniers considéré comme un seul livre) et les « prophètes postérieurs », au nombre de quatre aussi : Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et les douze (connus sous le nom de « petits prophètes » et réunis en un livre). Ici se posent deux questions :
Ces derniers sont les prophètes proprement dits : Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et les Douze. Le Talmud les place dans l’ordre suivant : Jérémie, Ézéchiel, Ésaïe et les Douze. Cela tient, a-t-on supposé, au fait que la dernière partie d’Ésaïe datait du temps de l’exil. On appelait ces prophètes « postérieurs », probablement parce que leur recueil a été fermé plus tard que la collection des livres historiques, en d’autres termes parce qu’ils ont atteint plus tard la « canonicité ». L’exil marque une très réelle coupure dans l’histoire d’Israël, et il semble avoir été une période d’activité littéraire considérable. C’est alors que les matériaux historiques qui ont servi de base aux livres des Juges, Samuel et Rois ont été rédigés par des hommes qui, écrivant sous l’influence du Deutéronome, découvert en 621 avant Jésus-Christ, cherchaient à pénétrer leurs contemporains des solennelles leçons renfermées dans ce grand livre et, pour cela, présentaient l’histoire de façon à faire ressortir ces leçons : sagesse de l’obéissance à la volonté de Dieu, folie et châtiment de la désobéissance. Cette collection des livres historiques a probablement précédé celle des livres prophétiques. Mais les écrivains y trouvaient un stimulant de plus à rassembler et à conserver les précieuses paroles des prophètes, si pleines d’enseignements, d’avertissements et d’inspiration. Beaucoup de ces paroles existaient déjà sous une forme écrite ; (cf. Ésaïe 30.8 ; Jérémie 36.32) mais comme la voix du prophète vivant pouvait encore se faire entendre jusqu’à Malachie (450 avant Jésus-Christ) et peut-être au delà, il est évident qu’une collection étendue des prophéties n’a pu exister que bien plus tard, et la date à laquelle elles ont atteint la dignité canonique a été postérieure encore.
La subdivision en « antérieurs » et « postérieurs », à laquelle a été ajoutée la mention de « petits » prophètes, réapparaît dans la troisième section de l’Ancien Testament, appelée « les Écrits ».
La liste ainsi formée donne corps à cette vérité, que les « Écrits antérieurs » contiennent beaucoup de matériaux primitifs, tandis que les « Écrits postérieurs » sont regardés par la critique moderne comme ayant une origine beaucoup plus récente et appartenant aux IIIe et IIe siècles avant Jésus-Christ. Une autre subdivision, plus généralement acceptée, de la troisième section est :
Il est clair, d’après Matthieu 23.35, que les Chroniques étaient le dernier livre de l’Ancien Testament familier à notre Seigneur (cf. 2 Chroniques 24.20 et suivant), tout comme il est le dernier livre de l’Ancien Testament hébraïque.
Avant d’aborder la discussion de la formation du Canon, considérons ce que ce nom implique. Un Canon n’est pas une apparition soudaine, mais une croissance graduelle ; comme tel, il représente :
Une Église a besoin de soutiens pour sa vie religieuse. Elle peut en trouver dans la coutume, la tradition, les institutions et les voix de ses prêtres ou prophètes. Mais, à la longue, elle éprouve le besoin d’une autorité permanente, représentative de la volonté divine. Un Canon implique une Église, une communauté de croyants, que leurs besoins religieux stimulent à rassembler et conserver des écrits qui ont déjà fait la preuve de leur puissance. L’Église a adopté et sanctionné certains livres, parce qu’ils répondaient à ses besoins.
Un Canon implique une littérature dans laquelle l’Église fait une sélection. Les Hébreux ont dû avoir, à une certaine époque, une littérature bien plus considérable que celle de l’Ancien Testament. Ce dernier lui-même y fait des allusions qui ne sont pas rares. Elle comprenait des hymnes de mariage, comme le Psaume 45, des chants d’amour tels que le Cantique des Cantiques, et des complaintes pour les morts. Si la littérature hébraïque qui subsiste est inspirée par un but religieux, ce fait est dû, non seulement à l’inclination religieuse du génie hébreu, mais à la circonspection avec laquelle elle a été sélectionnée pour atteindre ce but. Nous trouvons de très bonne heure la trace d’un esprit préoccupé de retenir tout ce qui favorisait et développait la vie religieuse du peuple : cela est évident pour la poésie et les lois primitives, et plus tard il en fut de même pour les livres historiques et prophétiques.
Nous voyons encore des preuves de ce fait, d’une part dans le Décalogue et le Livre de l’Alliance (Exode 20, Exode 21 ; Exode 22 ; Exode 23), enchâssés dans le Pentateuque, d’autre part dans le chant de Débora (Juges 5) ; ce dernier est une ballade de guerre, mais aussi un hymne religieux : son but est indiqué par le verset 11 : « célèbrent les bienfaits de l’Éternel » ; et sans aucun doute, cet hymne est le plus remarquable parmi bien d’autres semblables. Au surplus nous trouvons plus d’une allusion à deux collections de chants analogues : l’une est le livre du Yachar (Josué 10.12 et suivant, 2 Samuel 1.18) ou du Juste (voir ce mot), qui semble avoir été un recueil de poèmes relatant les exploits ou la vie de quelques-uns des grands hommes des temps anciens ; l’autre est le « Livre des guerres de Jéhovah », dont nous possédons un court extrait dans Nombres 21.14. Telle était la littérature primitive dans laquelle Israël put faire un choix, quand le temps fut venu de choisir. Il est évident aussi que des documents importants étaient soigneusement conservés (Deutéronome 31.26 ; 1 Samuel 10.25), tout comme plus tard on garda précieusement les Proverbes (cf. Proverbes 25.1) et les prophéties. Zacharie, par exemple, parle nettement des « premiers prophètes », c’est-à-dire de ceux d’avant l’exil (Zacharie 1.4 ; Zacharie 7.7-12) ; et le livre des Rois est rempli d’allusions à des histoires, depuis longtemps disparues, des rois d’Israël et de Juda.
Il est incontestable que la Thora, c’est-à-dire le Pentateuque, fut la première partie de l’Ancien Testament qui reçut la canonicité. Les Juifs la regardaient comme le Saint des saints, et elle fut traduite en grec avant le reste de l’Ancien Testament Toutefois, la Thora se compose de différents éléments, soit historiques, soit relatifs aux lois, et certains d’entre eux devinrent, pourrait-on dire, canoniques de fait avant les autres. Le premier pas dans la direction d’une canonicité définitive de la Thora est représenté, en 621 avant Jésus-Christ, par l’acceptation publique du Deutéronome comme loi religieuse de la vie nationale. En cette année-là, un livre fut découvert qui est désigné non seulement comme le Livre de la Loi (2 Rois 22.8), mais comme le Livre de l’Alliance (2 Rois 23.2) et que la plupart des critiques modernes supposent être le livre du Deutéronome (voir ce mot), sûrement dans une forme plus abrégée que celle que nous possédons. Il est inutile d’entrer ici dans les raisons qui militent en faveur de cette opinion ; il suffit de constater que la réformation de Josias semble avoir été fondée, point par point, sur ce livre. Pour nous, le fait important c’est que le peuple s’engagea à obéir de tout son cœur aux préceptes du Livre (2 Rois 23.3). On peut donc affirmer qu’à ce moment, dans l’Église juive, l’idée de canonicité était née. Les mots d’« Église » et de « canonicité » peuvent sans doute paraître peu appropriés ; mais ce que nous voulons établir, c’est que les vrais adorateurs de Jéhovah se sont placés eux-mêmes, de façon positive et solennelle, dans l’obligation de se conformer aux ordonnances d’un livre. Par cet acte, le principe de canonicité est implicitement établi. Le peuple avait fait le premier pas pour devenir « le peuple du Livre », et il l’avait fait parce que le Livre faisait appel à sa conscience, et qu’en ce Livre il voyait la Parole de Dieu.
C’est, comme nous l’avons vu, dans l’esprit du Deutéronome que fut rédigée durant l’exil l’histoire comprise entre les premiers temps des Juges et la chute de la monarchie en 586 (Juges-2 Rois) ; aussi le Deutéronome imprima-t-il une marque ineffaçable, non seulement sur la vie des Hébreux, mais sur leur littérature. Il est difficile de ne pas voir dans l’apparition de ce livre une preuve frappante de la grâce providentielle, s’exerçant exactement une génération avant que le peuple, emmené en exil, fût violemment séparé de tous les appuis extérieurs de sa foi. La grâce divine voulut que lui fût apporté un livre capable tout ensemble : de nourrir sa vie spirituelle dans le pays païen où il devait séjourner un demi-siècle, de constituer un centre de ralliement pour la conscience nationale, et de conserver au peuple son individualité religieuse, à un moment où elle était sérieusement en péril. Il perdit son royaume terrestre, mais il gagna une Bible qui, avec le temps, lui valut un royaume éternel.
Le deuxième degré dans l’évolution de la Thora vers la canonicité fut franchi quand Esdras « vint de Babylone avec la Loi de Dieu dans les mains » (Esdras 7.6 ; Esdras 7.14), en l’an 458 ou 397 avant Jésus-Christ (ce point est incertain), et qu’il lut et expliqua cette Loi (apparemment les lois sacerdotales du Pentateuque), dans une grande assemblée qui dura une semaine (Néhémie 8.18). Comme autrefois, au temps de Josias, le peuple s’engagea à observer cette Loi (Néhémie 10.29) ; et cet engagement équivaut à une ratification canonique de la Thora, c’est-à-dire du Pentateuque, qui bientôt après dut exister en substance sous sa forme actuelle.
Il est significatif, pour toute l’histoire subséquente du judaïsme, que la Loi fut la première partie de l’Ancien Testament à devenir canonique. Mais il convient de se rappeler que cela n’impliquait point, à l’origine, asservissement à la lettre ; car, même en 250 avant Jésus-Christ, quand la Thora fut traduite en grec, le texte de Exode 35 à Exode 40 n’était pas encore absolument fixé. Il ne faut pas oublier non plus que, précisément dans cette période de légalisme grandissant, furent écrits les livres généreux de Jonas et de Ruth, et sans nul doute aussi quelques-uns des Psaumes les plus universalistes et de la plus haute valeur spirituelle. Néanmoins la Loi conservait sa prépondérance, et son influence était telle que, même au temps du Nouveau Testament, elle donnait son nom à la totalité de l’Ancien Testament, et d’autres parties de l’Ancien Testament sont citées comme « la Loi » (cf. Jean 10.34 ; Jean 15.25 ; 1 Corinthiens 14.21)
La section de l’Ancien Testament connue sous ce nom ne devint canonique que plus tard. La date exacte en est difficile à déterminer, mais elle doit être voisine de 200 avant Jésus-Christ. La collection prophétique semble présupposée par l’allusion de Daniel 9.8 (165 avant Jésus-Christ) aux « Livres » qui contenaient une prophétie de Jérémie. Cette opinion est corroborée par le fait suivant — que nous découvrons dans le prologue à la traduction de l’Ecclésiastique par le petit-fils de l’auteur (Jésus, fils de Sirach) — : déjà au moment où il écrivait (132 avant Jésus-Christ), il existait une traduction grecque des livres prophétiques. Suivant une tradition qui peut renfermer un noyau de vérité, Néhémie fonda une bibliothèque où il réunit « les livres concernant les prophètes » (2 Macchabées 2.13) ; en ce cas, le début de la collection prophétique remonterait à environ 450 avant Jésus-Christ, date qui est aussi approximativement celle de Malachie, l’un des derniers prophètes. L’exil avait prouvé la justesse des avertissements menaçants donnés par les premiers prophètes ; il renforçait la notion de leur valeur et la nécessité de rassembler ces avertissements. En outre, la disette de prophètes vivants développait le sentiment que les grands jours de la prophétie étaient passés, bien qu’on pût conserver un espoir de leur retour (Malachie 4.5 et suivant, 1 Macchabées 4.46 9). C’est ainsi que les grands messages des prophètes disparus prenaient toujours plus de prix, surtout pour des hommes vivant sous le règne de la Loi et du rite, et éprouvant le besoin d’une autre nourriture spirituelle.
Trois puissants motifs ont donc concouru à la formation du recueil prophétique :
À trois reprises, le Prologue de l’Ecclésiastique fait allusion à la division tripartite de l’Ancien Testament, mais de façon à faire penser que la troisième division (les Écrits) n’était pas encore tout à fait aussi fixée que les deux autres, car il mentionne « la Loi et les prophètes » (ou prophéties) et « les autres livres (ou le reste des livres) de nos pères ». Et le passage, déjà cité, de 2 Macchabées 2.13, laisse entendre que la bibliothèque fondée par Néhémie contenait « les poèmes de David » (allusion probable au Psautier) et des « lettres de rois concernant des dons sacrés » (peut-être référence à Esdras et Néhémie). Une telle collection a dû être enrichie de beaucoup d’autres livres (Prov., Job, etc.) au cours des trois siècles suivants, et il y a sans doute du vrai dans cette affirmation, que « Judas a rassemblé toutes les Écritures que notre guerre avait dispersées » (2 Macchabées 2.14). Ainsi la persécution d’Antiochus (168 avant Jésus-Christ) a pu stimuler les Juifs à compléter la collection des trésors littéraires de leur religion, et « les Écrits » auraient été la contre-partie littéraire de la révolte des Macchabées. Une collection comprenant Daniel, écrit en 165 avant Jésus-Christ, n’a guère pu être close avant 140 ; mais, presque à coup sûr, vers 100 avant Jésus-Christ, la collection des « Écrits » a dû recevoir l’autorité canonique.
En cette occurrence, le témoignage du Nouveau Testament est d’une importance extrême. La référence, dans Luc 24.44, à « la Loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes », ne prouve pas absolument que la troisième section, « les Écrits », fût dans son entier regardée comme livres saints ; mais l’allusion de Jésus, dans Matthieu 23.35, au sort de Zacharie (qui est relaté dans 2 Chroniques 24.21), semble indiquer que sa Bible, comme la Bible hébraïque d’aujourd’hui, se terminait aux Chroniques et que, de son temps, les Écrits dans leur totalité étaient regardés comme canoniques. Ce fait est confirmé par les citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament, où apparaissent tous les livres de l’Ancien Testament, sauf Esther, l’Ecclésiaste, le Cantique, Esdras, Néhémie, Abdias, Nahum et Sophonie ; mais les cinq dernières exceptions sont sans importance, car Esdras et Néhémie vont avec les Chroniques, et les trois derniers noms appartiennent au recueil des petits prophètes, qu’on regardait comme un seul livre, et dont d’autres parties sont fréquemment citées. Par ailleurs, il y a dans le Nouveau Testament des citations de livres apocryphes ou apocalyptiques, ou des allusions à ces livres (cf. 2 Timothée 3.8 ; 1 Corinthiens 2.9 ; Jude 1.9 ; Jude 1.14). Quelques-uns en ont déduit que la troisième division n’était pas encore fixée au temps du Christ. Le plus probable est que, sans être encore officiellement fixée, elle était bien reconnue tacitement comme telle dans l’opinion publique. Cette conclusion est suggérée par la manière dont le Nouveau Testament se réfère à l’Ancien comme « l’Écriture », « les Écritures », ou « les saintes Écritures » (cf. Galates 3.8). Plus tard Josèphe (vers 100 après Jésus-Christ), dont le Canon est le même que le nôtre, dit que « bien qu’un temps si considérable ait passé, personne n’a jamais osé se permettre d’ajouter ou de retrancher ou de modifier une syllabe » ; le contexte donne à penser qu’il regardait le Canon comme fermé depuis près de quatre siècles. Nous pouvons donc sans crainte dire que « les Écrits » étaient pratiquement un recueil canonique au temps du Christ, et probablement une centaine d’années auparavant.
Mais la canonisation pratique n’est pas identique à la canonisation officielle. Celle-ci ne semble avoir eu lieu que deux siècles plus tard, au Synode de Jamnia (90 ou 118 après Jésus-Christ). Il y avait alors de bonnes raisons pour prendre la décision officielle : Jérusalem était tombée, le temple en ruines, le judaïsme en péril. Et à nouveau, comme il l’avait fait à deux reprises, le judaïsme sauva son existence en sauvant ses Écritures. À la faveur de la langue grecque, le christianisme s’étendait rapidement ; religion nouvelle, il était regardé comme un ennemi dangereux, qu’il fallait combattre énergiquement, et, avec l’extraordinaire vitalité qui n’a jamais fait défaut au judaïsme, il se montra à la hauteur des circonstances. Une Écriture dont sa vie dépendait devait être un recueil aux limites arrêtées, et au texte fixé, sans aucun doute possible. Ainsi, comme l’a dit Cornill, « l’établissement et la fermeture du Canon furent un acte nécessaire et conscient du judaïsme pour assurer sa propre conservation ; mais il ne faut pas oublier que les scribes ont seulement sanctionné le Canon, que ce n’est pas eux qui l’ont fait ». Les livres sur lesquels le sceau canonique fut finalement apposé avaient déjà, depuis des siècles, établi leur pouvoir en soutenant et en inspirant la foi du peuple hébreu et en nourrissant par d’innombrables voies sa vie religieuse. Même longtemps après cette date, des doutes s’élevèrent à propos de certains livres, en particulier l’Ecclésiaste, Esther et le Cantique ; mais ces doutes, qui souvent reposaient sur des motifs sans valeur, étaient surtout académiques et n’eurent pas assez d’influence pour ébranler l’autorité canonique de la collection dans son ensemble.
L’Ancien Testament grec comprenait, outre des matériaux légendaires, quelques livres, comme les Macchabées et l’Ecclésiastique, qui sembleraient mériter de trouver place dans le Canon. Luther, par exemple, en jugeait ainsi pour les Macchabées. Mais les Juifs de Palestine, plus stricts que les Juifs alexandrins de langue grecque, semblent avoir été guidés par des principes sûrs en excluant les livres connus comme apocryphes. Pour être admis dans le Canon, un livre devait :
L’esprit moderne ne s’accommoderait certainement pas de ces critères ; mais le résultat de leur application a été, en somme, entièrement satisfaisant. Les Apocryphes servent souvent à donner du relief à l’Ancien Testament et nous aident à comprendre à quel point l’instinct juif a été sûr, qui a limité ses livres religieux à la littérature de l’Ancien Testament. Le principe en vertu duquel les Juifs de langue grecque admettaient les Apocryphes était sans nul doute l’édification, et ce fut aussi la pensée essentielle qui présida à la formation du Canon palestinien et produisit l’Ancien Testament tel que nous le connaissons dans l’Église protestante. Ses livres ont été, durant des siècles, l’appui incontesté et précieux de la vie religieuse hébraïque. Ils ont vécu, parce qu’ils avaient le droit de vivre. Ils avaient aidé leurs lecteurs à vivre. Mis à l’épreuve, ils n’avaient pas été trouvés en défaut.
J.-E. et McF.
Numérisation : Yves Petrakian