Dans les communautés chrétiennes du Ier siècle, les besoins de la propagande entraînèrent la fixation par écrit des souvenirs de la vie de Jésus ; dès la première génération chrétienne, ce travail fut amorcé, et il prit rapidement une grande extension (cf. Luc 1.1 ; Luc 1.4). Les recueils les plus anciens sont à la base de nos trois Évangiles, synoptiques (voir article). Dans le quatrième Évangile, on distingue des éléments analogues, augmentés de traditions plus évoluées (voir Jean, Évangile de). Mais au IIe siècle, beaucoup d’autres ouvrages du même genre, dont certains ont disparu ou dont le titre seul nous est encore connu par les mentions qu’en font divers écrivains ecclésiastiques de l’antiquité chrétienne, s’étaient également constitués, les uns dans l’Église même, les autres à côté d’elle, spécialement parmi les Gnostiques. Les détails de leur apparition restent impossibles à reconstituer avec précision ; de même on ne détermine pas au juste l’étendue des milieux où ils se répandirent, En tout cas, aucun de ces Évangiles, n’a jamais pénétré dans l’ensemble du monde chrétien des premiers siècles. D’après les éléments conservés de cette abondante littérature, on peut définir à grands traits leur genèse en tenant compte de trois principaux facteurs :
Comparés aux Évangiles canoniques, les apocryphes apparaissent d’emblée comme secondaires et inférieurs, à la fois au point de vue de la valeur littéraire et en ce qui concerne le contenu lui-même. Le surnaturel, souvent grossier, y prend des proportions démesurées. À l’exception de rares sentences, qu’on remarque surtout dans l’Évangile des Hébreux, l’imagination échevelée règne d’un bout à l’autre ; sur les sobres et vivantes pages de la tradition première, s’échafaudent en zigzags capricieux des développements aussi luxuriants que dépourvus de substance profonde. Si l’historien peut y trouver le reflet de tendances à l’œuvre dans les milieux chrétiens en voie de catholicisation, il ne saurait mettre ces documents en parallèle avec les recueils évangéliques du canon, pour reconstituer quoi que ce soit de la vie et de l’œuvre de Jésus lui-même.
En effet, sur tous les points où les apocryphes font état de traditions attestées également par les quatre évangélistes bibliques, on constate des remaniements déterminés par une intention particulière d’ordre doctrinal. Il n’est pas jusqu’au folklore du monde païen qui, revêtu d’un mince coloris chrétien, n’ait fourni sa contribution à certaines de leurs légendes, spécialement dans les pages, fantaisistes et confuses entre toutes, qui veulent retracer l’enfance de Jésus ou la vie entière de Joseph et de Marie.
(ou : selon les Hébreux) fut le produit le plus remarquable de toute cette littérature. Malheureusement, de ce grand ouvrage (presque aussi long que l’Évangile de Matthieu, dit Nicéphore de Constantinople au IXe siècle), nous ne connaissons plus que quelques courts fragments, par les citations qu’en ont extraites Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe et Jérôme. Il est certain que cet Évangile, provient d’un milieu judéo-chrétien. Jérôme dit qu’un exemplaire lui en fut prêté par les judéo-chrétiens de Bérée, qu’il en existait un autre dans la bibliothèque de Pamphile à Césarée, et que lui-même en fit une traduction grecque et latine (Encore n’est-il pas établi que Jérôme désigne bien là l’Évangile des Hébreux plutôt que celui des Nazaréens, remaniement judéo-chrétien de notre Matthieu combiné à diverses autres traditions.). C’est l’Église pagano-chrétienne qui forgea l’appellation : Évangile des Hébreux ; pour les judéo-chrétiens, le volume devait s’appeler : « l’Évangile », à l’exclusion de tout autre. Il existait d’abord en araméen, comme l’attestent Eusèbe et Jérôme, mais c’est en grec qu’il pénétra dans les autres milieux chrétiens.
Tout contribue à établir que sous sa forme araméenne il fut rédigé en Palestine ou en Syrie. La traduction grecque, qui remonte au IIe siècle, peut avoir été faite en Syrie ou, moins probablement, en Égypte. La date d’origine est certainement ancienne. Mais on ne saurait, comme Lessing et d’autres, identifier cet Évangile, avec la collection des Logia attribués à Matthieu par la tradition que rapporte Papias. Dès le début du IIe siècle, Ignace d’Antioche semble bien avoir connu l’Évangile des Hébreux (lettre aux chrétiens de Smyrne 3.1 et suivant). Il était donc presque contemporain des 1er et 3e Évangile, canoniques.
Aux fragments que nous en reproduisons ci-après, s’ajoute, d’après Papias, la péricope de la femme adultère, qui vint tardivement s’insérer dans quelques manuscrits du 4e Évangile (voir Agrapha).
Jérôme, Adv. Pelas. 3 a : (cf. Marc 1.8 ; Marc 1.11 et parallèle) « Or la mère du Seigneur et ses frères lui dirent : Jean-Baptiste baptise pour la rémission des péchés ; allons, nous aussi, nous faire baptiser par lui. Il leur répondit : En quoi ai-je péché, pour que j’aille recevoir son baptême ? Si, du moins, cela même que je dis n’est pas [un péché d’] ignorance. »
Jérôme, Commentaire d’Ésaïe 11.2 : « Or il arriva, lorsque le Seigneur remonta de l’eau, que la source de toutes choses, l’Esprit saint, descendit et se posa sur lui, en lui disant : Mon Fils, je t’ai attendu parmi tous les prophètes, pour venir reposer en toi. Car tu es mon repos, tu es mon Fils premier-né, qui règnes éternellement ».
Origène, Hom. sur Jean 15.4 : (cf. Matthieu 4.1 ; Matthieu 4.8) « À ce moment ma mère, le saint Esprit, me saisit par l’un de mes cheveux et m’emporta sur la grande montagne du Thabor. »
Jérôme, Commentaire d’Eph 5.4 : (cf. Matthieu 5.24) « Et ne vous réjouissez jamais, dit-il, si ce n’est quand vous aurez considéré votre frère avec amour. »
Clément d’Alex., Strom., II, 9.45 ; V, 14.66 : (cf. Matthieu 11.29) « Celui qui admire régnera, et celui qui règne trouvera le repos. » — « Celui qui cherche n’aura pas de trêve jusqu’à ce qu’il trouve ; quand il aura trouvé, il admirera ; quand il admirera, il règnera ; quand il règnera, il sera en repos » .
Jérôme, Commentaire de Matthieu 12.13 : (cf. Marc 3.1 ; Marc 3.8 et parallèle) « J’étais maçon, gagnant ma vie par [le travail de] mes mains. Je t’en supplie, Jésus, rends-moi la santé, que je ne sois pas réduit à mendier honteusement mon pain. »
Jérôme, Adv. Pelag. 3 (cf. Matthieu 18.21, Luc 17.3): « Si ton frère pèche contre toi en paroles et te donne (ensuite) satisfaction, accueille-le, sept fois dans une journée. Simon, son disciple, lui dit : Sept fois dans une journée ? Le Seigneur, répondant, lui dit : Je te dis même jusqu’à soixante-dix fois sept ; car chez les prophètes aussi, après qu’ils eurent reçu l’onction du saint Esprit, on a trouvé des discours entachés de péché ».
Origène, Commentaire de Matthieu 15.14 : (cf. Marc 10.7-25 et parallèle) « Un autre, un homme riche, lui dit : Maître, par quelle bonne action aurai-je la vie ? Ô homme, lui dit-il, accomplis la Loi et les Prophètes. L’homme lui répondit : Je l’ai fait. Il lui dit : Va, vends tout ce que tu as et partage-le aux pauvres, puis viens me suivre. Mais l’homme riche se mit à se gratter la tête ; cela ne lui plaisait pas. Le Seigneur lui dit : Comment dis-tu : j’ai accompli la Loi et les Prophètes, alors qu’il est écrit dans la Loi : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, et voici que beaucoup de tes frères, fils d’Abraham, sont couverts d’ordures, mourants de faim, alors que ta maison regorge de bonnes choses dont rien ne sort pour eux ? Puis il se tourna et dit à Simon, son disciple, assis près de lui : Simon, fils de Jean, il est plus facile à un chameau dépasser parle trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux. »
Origène, Commentaire de Matthieu 23.35 : Dans l’Évangile dont se servaient les Nazaréens, nous trouvons écrit au lieu de « fils de Barachia »: « fils de Jéhojada ».
Eusèbe, Théoph. 22 : (cf. Matthieu 25.14-40) L’Évangile qui nous est parvenu en caractères hébreux contient la menace adressée non pas à celui qui cacha [son talent], mais à celui qui vivait dans le désordre ; car il y a trois serviteurs, l’un qui dilapide le bien de son maître avec des prostituées et des joueuses de flûte, l’autre qui en tire un profit maintes fois multiplié, et un qui cache son talent ; ensuite l’un est agréé, l’un est seulement blâmé, l’autre est mis en prison.
D’après Cyrille de Jérusalem, l’Évangile des Hébreux contenait en outre le texte suivant : « Lorsque le Christ voulut venir sur la terre auprès des hommes, Dieu le Père choisit dans le ciel une force puissante qui s’appelait Michel, et confia le Christ à ses soins. Cette force vint dans le monde, y reçut le nom de Marie et le Christ demeura sept mois dans son sein. »
Les seuls débris qui en subsistent se trouvent dans l’œuvre de Clément d’Alexandrie Stromates, et Extraits du gnostique Théodote, qui, se référant à Cassien, paraît bien avoir attribué à cet Évangile, une certaine valeur historique, mais sans le placer sur le même niveau que Matthieu, Marc Luc et Jean. Origène croyait y retrouver l’un des nombreux documents que mentionne le prologue de Luc, mais il ne le tenait pas pour inspiré. À en croire Hippolyte, une secte gnostique particulièrement obscure, celle des Naasènes, aurait fait usage de l’Évangile des Égyptiens. On le trouve encore mentionné chez Épiphane, et l’homélie dite : « 2e épître de Clément romain », vers le milieu du IIe siècle, contient déjà l’une des citations que reproduira Clément d’Alexandrie dans le dernier quart du même siècle. Ceci amène à supposer que d’autres morceaux d’origine inconnue cités par la même homélie : 4.5 5.2, 4 8.5, etc., peuvent en provenir aussi.
Le tout reste si fragmentaire qu’on est réduit, en ce qui concerne la date et le lieu de composition, à formuler des conjectures très incertaines. Le titre semble bien suffire à établir que le document circulait parmi les communautés chrétiennes d’Égypte. Durant une partie du IIe siècle, la tradition évangélique y aura principalement été accréditée sous cette forme. Au moins vers la fin du IIe siècle, on considérait l’Évangile des Égyptiens comme contenant des opinions hérétiques, spécialement celles des Encratites, ascètes adversaires du mariage ; les fragments conservés professent en effet ce rigorisme particulier. Antérieur à 2 Clément rom., l’Évangile a pu se constituer au IIe siècle, dans le premier tiers. En voici les textes subsistants. Comme dans beaucoup d’apocryphe, on remarquera la tendance à mettre au premier plan des personnages très secondaires de l’histoire évangélique ; ici c’est Salomé : (cf. Marc 16.1)
Clément d’Alex., Strom., III, 9.63 : (cf. Matthieu 5.17) « Je suis venu pour abolir les œuvres de la femelle ». III, 6.45 : (cf. Matthieu 19.12) « À Salomé, demandant jusqu’à quand la mort exercerait son pouvoir, le Seigneur dit : Aussi longtemps que vous, femmes, vous enfanterez ». III, 9.64 ; 9.66 : « Salomé dit : Jusqu’à quand les hommes mourront-ils ? Le Seigneur répondit : Aussi longtemps que- les femmes enfanteront. » « Car lorsqu’elle (Salomé) dit : J’ai donc bien fait de ne pas enfanter ? le Seigneur repartit en ces mots : Mange toute espèce d’herbe, mais ne mange pas celle qui a de l’amertume ». III, 13.32 (cf. 2 Clém. Romains 12.2 ; Romains 12.5): « Salomé s’informant du moment où les choses qu’elle demandait seraient connues, le Seigneur dit : Lorsque vous foulerez aux pieds le vêtement de l’ignominie et lorsque les deux deviendront un, le mâle (étant confondu) avec la femelle, ni mâle ni femelle ».
À ce même Évangile, ont parfois été attribuées les paroles de Jésus (voir Agrapha) découvertes dans les papyrus d’Oxyrhynque.
D’après Eusèbe, Histoire ecclésiastique VI, 12.3-6, Sérapion, évêque d’Antioche entre 190 et 200, avait écrit un opuscule : De l’Évangile attribué à Pierre, qu’il condamnait comme entaché de docétisme. Origène (Commentaire de Matthieu 10.17) a également connu cet Évangile, qu’on trouve encore nommé et rejeté par Eusèbe (III, 3.23), Théodoret, Jérôme et le Decretum Gelasianum. Mais du contenu même, rien ne subsistait, lorsqu’un fragment sur parchemin du VIIIe ou IXe siècle en fut découvert par Boudant dans la tombe d’un moine égyptien à Akhmim, et publié en 1892, avec d’autres textes (apocalypse de Pierre, livre d’Hénoch).
Pierre y parle à la première personne et raconte l’histoire évangélique. Les Évangiles canoniques y sont utilisés, avec d’autres traditions moins anciennes. Le docétisme dénoncé par Sérapion s’y fait jour incontestablement. On peut supposer que la rédaction s’acheva entre 130 et 180. Si l’auteur est un gnostique, son œuvre pénétra cependant dans la grande Église, en Syrie notamment. Peut-être était-il lui-même Syrien. Au IIIe siècle, la Didascalia, écrite sûrement dans cette province, connaît l’Évangile de Pierre.
1.1 : (cf. Matthieu 27.24) « Aucun des Juifs ne se lava les mains, ni Hérode, ni aucun de ses juges. Comme ils ne voulaient pas se laver, Pilate se leva, et alors Hérode, le roi, donna l’ordre de se saisir du Seigneur ; il leur dit : Ce que je vous ai commandé de lui faire, faites-le. » 2.51 : (cf. Marc 15.15 et parallèle) « Et il le livra au peuple, avant [c’est-à -dire le jour précédant] le premier [jour] des pains sans levain, leur fête. »
4.10ss : (cf. Marc 15.22-32 et parallèle) Ils emmenèrent deux malfaiteurs et les crucifièrent chacun d’un côté du Seigneur… L’un de ces malfaiteurs les injuriait, disant : Nous, c’est à cause de nos méfaits que nous subissons ce supplice ; mais celui-ci, qui est devenu sauveur des hommes, quel crime vous a-t-il infligé ? Indignés contre lui, ils ordonnèrent qu’on ne lui rompît pas les os de la jambe, pour qu’il mourût torturé.
5.15, 19s : (cf. Marc 15.33-38 et parallèle) « C’était le milieu du jour ; des ténèbres envahirent toute la Judée… Et le Seigneur s’écria : Ma force, ma force, tu m’as abandonné ! Cela dit, il expira. À l’heure même, le rideau du temple de Jérusalem se fendit en deux. »
7.25 : (cf. Luc 23.48) « Alors les Juifs, les anciens et les prêtres, connaissant quel mal ils s’étaient fait à eux-mêmes, se mirent à se frapper et à dire : Malheur sur nos péchés ! Il approche, le jugement ; c’en est fait de Jérusalem ! »
8.28-33 : (cf. Matthieu 27.62-65) « Les scribes, les pharisiens et les anciens s’assemblèrent… et vinrent présenter une requête à Pilate en ces mots : Accorde-nous des soldats, pour que (nous) gardions son tombeau pendant trois jours, de peur que ses disciples ne viennent le dérober, et que le peuple abusé, le croyant ressuscité, ne nous fasse un mauvais parti. Pilate mit donc à leur disposition le centurion Pétrone, avec des soldats, pour garder le sépulcre. Des anciens et des scribes allèrent avec eux au tombeau. Et roulant une grande pierre, avec le centurion et les soldats, tous ceux qui étaient là la placèrent à l’entrée du tombeau ; puis ils la scellèrent de sept sceaux, ils plantèrent là une tente et montèrent la garde. »
12.50-54 13.55-57 : (cf. Marc 16.1 ; Marc 16.8 et parallèle) « Or, le matin du jour du Seigneur, Marie-Madeleine, disciple du Seigneur… amenant ses amies, vint au sépulcre où on l’avait placé. Elles craignaient que les Juifs ne les vissent et disaient… Qui donc nous roulera la pierre qu’on a mise sur la porte du sépulcre, pour que nous entrions nous placer à ses côtés et faire ce qu’il faut ? Car cette pierre était grande. Nous avons peur que quelqu’un ne nous voie… En s’avançant, elles trouvèrent le sépulcre ouvert. Elles avancèrent encore, s’y penchèrent et y virent un jeune homme assis au milieu du sépulcre ; il était beau et revêtu d’un costume magnifique. Il leur dit : Pourquoi venez-vous ? Que cherchez-vous ? N’est-ce pas ce crucifié ? Il est ressuscité et il est parti. Que si vous ne le croyez pas, penchez-vous et considérez la place où il était ; il n’y est pas. Oui, il est ressuscité, et il est retourné là même d’où il avait été envoyé. Alors, pleines d’effroi, les femmes s’enfuirent. »
11.45-49 : (Cf Matthieu 28.11-15) Ce que voyant, les gens du centurion allèrent en hâte, pendant la nuit, trouver Pilate… et ils lui racontèrent tout ce qu’ils avaient vu… Pilate leur répondit : Je suis pur du sang du Fils de Dieu… C’est vous que cela regarde. Ensuite tous vinrent le supplier instamment pour qu’il ordonnât au centurion et aux soldats de ne rien dire de ce qu’ils avaient vu… Pilate donc donna au centurion et aux soldats l’ordre de ne rien dire.
On en possède deux recensions, A, B, conservées dans des versions latine et copte.
Une 1ère partie, chapitres 1-16, raconte longuement le procès de Jésus devant Pilate, sa condamnation, son exécution sur la croix et sa résurrection. C’est une juxtaposition et une amplification des récits correspondants des Évangiles, canoniques. On y remarque nombre d’anecdotes relatives à la tentation de Jésus ; douze témoins du mariage de Joseph et de Marie, parmi lesquels figurent Nicodème et Véronique, attestent la naissance légitime de Jésus. Le récit de la crucifixion dépend nettement de Luc 23. L’auteur s’applique ensuite très spécialement à démontrer la certitude de la résurrection. Le tout vise à adapter l’histoire évangélique à la tractation homilétique.
La deuxième partie, chapitres 17-27, contient une relation de la descente de Jésus aux enfers, faite par les fils ressuscités du vieillard Siméon (Luc 2.2 et suivants), que le texte B appelle Lencius et Carinus. On y trouve exprimée une théorie de l’expiation (voir ce mot), antérieure à celle d’Anselme : Jésus, en se livrant en rançon à Satan, libère les âmes que le prince des démons tenait captives.
Depuis Tischendorf, l’indépendance de ces deux documents actuellement juxtaposés est un fait acquis. Le Ier porte le nom de Acta (ou Gesta) Pilati, sans s’identifier avec le rapport de Pilate à Tibère que mentionne Tertullien (Apol. 5.21), car on ne peut pas en placer la composition avant le courant du IVe siècle ; les deux recensions conservées représentent un remaniement ultérieur (Ve siècle). Quant au 2e, intitulé : Descensus Christi ad inferos, il remonte vraisemblablement aussi au temps où l’Église n’était plus persécutée. C’est vers le IXe siècle que l’ensemble prit le nom qu’il a conservé.
Mais on ne lui attribua une réelle autorité historique ou doctrinale qu’en plein Moyen âge (XIIIe siècle).
La recension latin du Descensus donne en appendice la lettre de Pilate à Claude (Tibère), conservée en latin et en grec par les Actes apocryphes de Pierre et de Paul (chapitres 40-42).
C’est le plus ancien et le plus célèbre des multiples Évangiles apocryphes dits de l’enfance, parce qu’ils traitent exclusivement de la naissance, de l’enfance et de l’adolescence de Jésus, non sans faire place à mainte légende relative à ses parents. L’enfant se révèle déjà divin par force miracles. Plus d’un thème de ces récits provient du vieux fonds des légendes orientales, adapté aux croyances chrétiennes et aux sollicitations de l’apologétique. On s’écarte de plus en plus de la sobriété que gardaient les préambules de Matthieu et de Luc (chapitres 1-2).
Sous sa forme actuelle, le protÉvangile de Jacques fut utilisé par Épiphane vers la fin du IVe siècle ; auparavant, il semble qu’Origène l’ait mentionné sous le nom de « livre de Jacques ». Ouvrage composite, il comprend des éléments qui doivent remonter au milieu du IIe siècle. Sa popularité fut grande, car, outre l’original grec, il en exista des versions latine, syriaque, copte et arménienne. Il se donne (25.1) pour une œuvre de Jacques, frère du Seigneur ; en réalité, l’auteur est un pagano-chrétien, peut-être égyptien. C’est une importante attestation de la croyance à la naissance miraculeuse à l’époque indiquée. Au point de vue littéraire, il contient certaines pages pleines de charme, qui voisinent et contrastent avec des développements apologétiques assez diffus et laborieux.
La figure de Marie y occupe d’abord le premier plan. Ses parents, Joachim et Anne, sont des gens riches et distingués. Ils amènent au temple dès qu’elle a trois ans l’enfant qui leur a été tardivement accordée et qu’ils consacrent à Dieu ; là elle vit pieusement jusqu’à sa douzième année, date où Joseph, veuf, père de plusieurs enfants dont Jacques, est singulièrement amené à l’épouser. Suivent un récit de l’annonciation, la visite de Marie à Élisabeth, une épreuve judiciaire subie victorieusement, par Joseph et Marie accusés de mariage clandestin. La naissance de, Jésus a lieu dans une caverne et s’accompagne de prodiges inconcevables. Une sage-femme atteste que la virginité de Marie demeure intacte. L’ouvrage s’achève en relatant le martyre de Zacharie et la mort d’Hérode, transition au récit des Synoptiques.
Il est probable que cet Évangile, fut composé pour servir la cause du gnosticisme. Deux autres récits de l’enfance, écrits en latin, l’Évangile de Matthias ou du pseudo-Matthieu et celui de la Nativité de Jésus, dépendent visiblement soit du protÉvangile de Jacques, soit en tout cas de sa source principale.
Sous sa forme actuelle, qui n’est pas antérieure au VIIe ou VIIIe siècle, ce second Évangile de l’enfance représente un remaniement ecclésiastique et une abréviation de l’Évangile gnostique de Thomas attesté principalement par Hippolyte, Origène et Eusèbe ; ce dernier le mentionne parmi les apocryphes. Son contenu précis ne se laisse guère reconstituer. Il a pu exister vers le milieu du IIe siècle ; de l’ouvrage conservé, il existe plusieurs recensions grecques, une syriaque, une latine et une slave, présentant entre elles diverses variantes. Toutes contiennent des historiettes échelonnées entre la cinquième et la douzième année du héros ; la dernière de la série n’est autre que la scène du temple déjà relatée dans Luc 2.41 ; Luc 2.52. Le surnaturel y éclate d’un bout à l’autre : Jésus fait envoler des oiseaux de terre glaise, etc.
Une compilation, puisant surtout dans les deux Évangiles, que nous venons de caractériser, fut rédigée en syriaque, mais nous n’en possédons plus, pour la majeure partie, que la traduction en arabe (d’où le nom : Évangile arabe de l’enfance) et une version arménienne. De multiples embellissements, toujours plus fantastiques, ont été brodés sur les thèmes empruntés à « Jacques » et à « Thomas ».
On lit en tête, provenant peut-être de quelque copiste, cette note bien adaptée au ton de l’ensemble : « Nous avons trouvé ceci dans le livre de Josèphe le grand-prêtre qui existait au temps du Christ — d’aucuns ont dit que c’était Caïphe ; il affirme donc que Jésus parla, étant au berceau, et dit à sa mère : Je suis Jésus, le fils de Dieu, le Verbe, que vous avez enfanté, comme vous l’avait annoncé l’ange Gabriel, et mon Père m’a envoyé pour sauver le monde. » (Trad. P. Peeters.)
C’est peut-être dans ces pages que culmine le merveilleux de toute la littérature évangélique apocryphe. Leur caractère composite ne permet pas d’en envisager l’apparition comme antérieure au VIIe ou au VIIIe siècle.
Se rattache au même cycle. On en possède un texte arabe, mais l’original semble avoir été écrit en copte, car l’ouvrage, destiné à glorifier Joseph, était certainement lu le jour de sa fête (20 juillet), et ce culte de Joseph se répandit d’abord chez les Coptes monophysites. La note gnostique y apparaît moins prononcée que dans le protÉvangile, malgré certains points de contact avec ce livre. Naissance et ensevelissement de l’époux de Marie sont amplement narrés, ainsi que la véritable oraison funèbre prononcée par Jésus. Celui-ci déclare à propos de Marie : « C’est moi qui l’ai choisie de mon plein gré, d’accord avec mon Père et sur les conseils du Saint-Esprit ». L’auteur a dû se servir de matériaux judéo-chrétiens. Il appartient au Ve siècle vraisemblablement.
On n’en connaît que le nom. Épiphane dit que les Gnostiques en faisaient usage. La Pistis Sophia le mentionne plus clairement ; il devait donc circuler en Égypte depuis le IIIe siècle dans les cercles gnostiques. C’est peut-être le même dont le prêtre Timothée et Léonce de Constantinople attestent l’emploi chez les Manichéens. La valeur en fut, en tout cas, inférieure à celle du protÉvangile de Jacques.
Ils sont relatifs à l’enfance du Seigneur qui tous ont amplifié à l’envi ce protÉvangile ; le plus récemment exhumé est un manuscrit latin. On sait, d’autre part, que des écrivains contemporains, spécialement L. Wallace, auteur de Ben-Hur, et Selma Lagerloef pour ses Légendes du Christ, trouvèrent dans les Évangiles de l’enfance une source d’heureuses inspirations.
Mentionné par Origène, Ambroise, Jérôme, Théophylacte, est généralement identifié avec l’Évangile des Ébionites dont Épiphane a cité quelques fragments, en le caractérisant comme faussement attribué à Matthieu et intitulé par les Ébionites qui l’employaient : « Évangile des Hébreux » ou « Évangile hébreu » (De là sans doute l’erreur de Jérôme qui le confond avec l’Évangile des Hébreux caractérisé ci-dessus.). Des citations d’Épiphane il paraît bien résulter que les douze apôtres y figuraient, racontant l’histoire de leur Maître. L’inspiration en était judéo-chrétienne avec une pointe de gnosticisme. Cet Évangile, écrit en araméen mais traduisant un original grec, condamnait les sacrifices sanglants et l’absorption de la viande. Jésus aurait dit : « Je suis venu peur mettre fin aux sacrifices ; tant que vous continuerez à sacrifier, la colère de Dieu ne s’éloignera pas de vous ». Luc 22.15 est transformé en une question impliquant réponse négative : « Ai-je désiré manger cette Pâque avec vous ? » L’interprétation serait à réviser, si, comme on l’a supposé, ces fragments se retrouvaient dans les éléments judéo-chrétiens des homélies et recognitiones pseudo-clémentines. Provisoirement, si ce que cite Épiphane provient d’un Évangile connu aussi par Origène, on peut le faire remonter aux premiers temps du IIIe siècle.
Selon (Joannis de transitu Maria), il donne un récit merveilleux de la mort de Marie. Le Saint-Esprit rassemblant autour de la mourante un grand nombre d’apôtres accourus des extrémités du monde, quelques-uns mêmes ressuscités tout exprès. Une imposante série de miracles s’accomplit, couronnée par l’élévation dans le Paradis du corps « précieux et sans tache » de Marie.
Il existe de cet Évangile des versions grecque, latine, syriaque, égyptienne-sahidique et éthiopienne. On constate qu’il dépend du protÉvangile et de nombreux autres écrits apocryphes ; d’autre part, il ne peut être antérieur à l’épanouissement du culte de la Vierge qui se produisit vers la fin du IVe siècle ; son influence sur la pensée et l’art du catholicisme romain fut considérable. L’un de ses manuscrits latin le fait suivre d’un récit : de Jésus-Christ et de sa descente de la croix, attribué comme lui à « saint Jean le théologien ».
Qu’il nous reste à énumérer, dont les noms seuls, pratiquement, sont parvenus jusqu’à nous.
L’Évangile de Basilide, mentionné par Origène, Ambroise, Jérôme, Eusèbe. Origène confond peut-être un commentaire évangélique dû à Basilide avec un « Évangile » proprement dît dont il lui attribue l’audacieuse composition. Il se peut toutefois que, comme chef d’école, Basilide ait remanié les quatre Évangiles, canoniques, en un ensemble (un peu à la manière de Tatien) où il soulignait les textes susceptibles d’interprétation gnostique.
L’Évangile d’André, mentionné par Innocent 1er et peut-être Augustin, si du moins il ne s’agit pas pour eux des Actes d’André. Le décret de Gélase le nomme parmi les Évangiles condamnés. Origine gnostique ?
L’Évangile d’Apelle, dont parlent Jérôme et Bède, consistait peut-être, comme celui de Marcion, en une copie remaniée de morceaux pris dans un Évangile, canonique. Épiphane rapporte, comme en provenant, ce mot de Jésus : « Soyez des changeurs de monnaie éprouvés. »
L’Évangile de Barnabas figure dans le décret de Gélase. Casaubon attribuait à Barnabas la traduction en grec de l’Évangile de Matthieu composé en hébreu. On a publié en 1908 un « Évangile de Barnabas » datant du Moyen âge, si ce n’est de la Renaissance.
De l’Évangile de Barthélémy font mention Jérôme, Gélase et Bède. Une tradition voulait que cet apôtre eût porté dans les Indes l’Évangile hébreu de Matthieu et que Pantène l’y eût retrouvé plus tard.
L’Évangile de Cérinthe, nommé par Épiphane, semble n’avoir été autre chose que l’Évangile de Matthieu réduit ou mutilé et adopté aussi sous cette forme par les Garpocratiens.
De l’Évangile d’Eve, le même auteur donne quelques extraits ; d’après lui, certains gnostiques l’employaient.
L’Évangile de Jacques le majeur semble avoir été découvert en 1595 en Espagne, où cet apôtre aurait le premier fait pénétrer le christianisme. L’ouvrage fut condamné en 1682 par Innocent XI
L’Évangile de Judas Iscariote Irénée, Épiphane et Théodoret rapportent que la secte gnostique des Caïnites se servait de cet Évangile.
L’Évangile de Lencius (d’après Irénée), parfois identifié, à tort, avec le pseudo-Matthieu.
Quatre Évangiles des Manichéens:
L’Évangile des Simonites, cf. préface Arabica aux canons du Concile de Nicée.
L’Évangile de Thaddêe, cf. le décret de Gélase. Si ce n’est pas une simple faute d’orthographe : Th pour M (Matthias), il serait attribué à l’apôtre Thaddée (Jude) ou à l’un des 70 disciples, envoyé par Thomas au roi Abgar d’Edesse d’après Eusèbe, Histoire ecclésiastique, I, 13.
L’Évangile de Valentin, mentionné par Tertullien, peut-être à assimiler à l’Évangile de vérité qu’Irénée dit avoir été utilisé par les Valentiniens et s’être écarté totalement des Évangiles, canoniques.
Descente de Marie visé par Épiphane sous le titre de la présente l’allure d’un roman gnostique antijuif.
L’Évangile de Zacharie a été incorporé dans le protÉvangile.
Cette longue liste ne donne certainement encore qu’une idée très fragmentaire de l’étendue d’une littérature qui fleurit avec une abondance extraordinaire entre le IIe et le VIe siècle ; il n’est pas une secte, semble-t-il, spécialement dans le mouvement gnostique, qui ne se soit constitué son ou ses Évangiles, pour établir ses doctrines spécifiques sur une base accréditée. L’exemple premier leur avait été donné par l’Évangile de Marcion dans la première moitié du IIe siècle. Cet Évangile, a totalement disparu, mais, étant donné le paulinisme exclusif de Marcion, on est fondé à croire qu’il partait des textes où Paul parle de « son Évangile » (Galates 1.8 ; 1 Thessaloniciens 2.9 ; Romains 2.16), pour adopter celui de Luc en le débarrassant d’éléments juifs comme les chapitres 1-2, etc. D’ailleurs, cela concorde avec les extraits de l’Évangile marcionite que donnent ses grands adversaires, Origène, Épiphane et surtout Tertullien.
Jq. M.
Numérisation : Yves Petrakian