Le mot vient du verbe inspirer, dérivé lui-même de deux mots latins : in, signifiant : dans, et spirare, signifiant : souffler, et qui signifie par conséquent « mettre un souffle, un esprit dans quelqu’un ». À strictement parler, l’homme seul est apte à recevoir une inspiration ; inspiré par l’influence d’un autre homme, il peut l’être aussi par des paysages ou des objets qu’il contemple, par des sons qu’il entend, par des événements qui se répercutent en lui ; mais surtout l’inspiration lui viendra de l’Être qui le dépasse infiniment, de Dieu. Lorsqu’on étend l’idée d’inspiration à des actes ou à des objets inanimés, c’est somme toute par manière de parler ; dire qu’une action, qu’une œuvre d’art ou qu’un livre sont inspirés signifie qu’on en considère l’auteur comme une personnalité inspirée.
Nous aurons à traiter successivement deux points nettement distincts, qui répondent aux deux questions suivantes :
Un homme est considéré comme inspiré lorsqu’il agit sous l’impulsion d’une force qui le domine ; cette force est en général l’Esprit divin. Mais la Bible présente cette intervention de l’Esprit sous des formes nombreuses, dont quelques-unes sont très différentes de ce que nous appelons inspiration.
L’Esprit de Dieu constitue le principe de vie dans l’être humain (Genèse 2.7 ; Job 33.4) et peut même rendre la vie à des corps morts (Ézéchiel 37.9 et suivant, Apocalypse 11.11) ; les animaux doivent l’existence à cet Esprit (Psaumes 104.30). Plus encore, cet Esprit se mouvait déjà sur la terre informe et vide (Genèse 12).
L’Esprit représente plus encore que la vie ; c’est par lui que l’homme est un être doué d’intelligence (Deutéronome 34.9 ; Job 32.8 ; Job 35.11). Une sagesse au-dessus de la moyenne est un effet de l’Esprit (Genèse 41.38 ; Exode 31.3 ; Exode 35.31 ; Nombres 27.18 ; 1 Rois 3.28 ; Ésaïe 11.2 ; Ésaïe 42.1). Les qualités morales en proviennent également (Néhémie 9.20 ; Psaumes 51.12 ; Ésaïe 63.10 ; Ézéchiel 36.26).
Ainsi dans Juges 6.34 ; Juges 11.29 ; Juges 14.6 ; Juges 15.4 Parfois même des actes que nous jugeons cruels sont considérés comme inspirés par l’Esprit (Juges 14.19).
Cette signification se rencontre fréquemment dans le Nouveau Testament (Luc 2.27 ; Luc 12.12 ; Actes 10.19 ; Actes 11.12).
Mais lorsque la Bible parle de personnes inspirées, il s’agit avant tout de ceux qui ont été appelés par Dieu à une tâche spéciale. Les juges furent des inspirés, les premiers rois aussi (Juges 3.10 ; Juges 13.25 ; 1 Samuel 10.6 ; 1 Samuel 10.9 ; 1 Samuel 11.5 ; 1 Samuel 16.13 ; 2 Samuel 23.2). Les prophètes sont saisis par l’Esprit divin : (2 Chroniques 24.20 ; Néhémie 9.30 ; Ésaïe 61.1 ; Jérémie 42.7 ; Ézéchiel 11.5 ; Amos 7 ; Michée 3.8 ; Habakuk 2.1 ; Zacharie 1.6, 2 Pierre 1.21), etc. Eux-mêmes se sentent pris par l’Esprit de Dieu (Ésaïe 8.11 ; Jérémie 20.9 ; Amos 3.8). Mais cette inspiration d’En-haut n’a rien de mécanique, puisqu’elle s’exprime parfois par l’intermédiaire d’un autre homme, ainsi Moïse et Aaron (Exode 4.16). D’ailleurs un prophète ne reçoit l’Esprit de l’Éternel que dans la mesure où il reste fidèle (Jérémie 15.19). Si les prophètes ou d’autres inspirés connaissent l’avenir, c’est par une intervention de l’Esprit (2 Chroniques 20.14; Luc 2.25 et suivant, Actes 11.6 ; Actes 20.23). Des prédictions fausses sont une preuve que le prophète n’a pas été inspiré par Dieu (Deutéronome 18.21 et suivant, Jérémie 23.16 ; Jérémie 28.15), à moins que ce ne soit Dieu lui-même qui ait envoyé un esprit de mensonge (1 Rois 22.12 et suivant). Il arrive en effet que Dieu inspire le méchant qu’il veut perdre (Exode 4.21 ; Juges 9.23 ; 2 Rois 19.7), qu’il envoie un esprit mauvais (1 Samuel 16.14), provoquant la maladie (1 Samuel 18.10).
Voir Matthieu 3.16 ; Matthieu 12.18; Luc 11.5 ; Actes 10.38. Les Évangiles relèvent une intervention particulière de l’Esprit en certaines circonstances graves de la vie du Christ (Matthieu 4.1; Luc 10.21 etc.).
La première Pentecôte est une manifestation de l’Esprit (Actes 2.4). L’Esprit saisit Saul de Tarse pour en faire un apôtre (Actes 9.17) ; il le guide en mainte occasion (Actes 13.9 ; Actes 15.28 ; Romains 15.19 ; 1 Corinthiens 7.40 ; 1 Thessaloniciens 1.5). L’Esprit confère le droit et le pouvoir d’exercer des fonctions dans l’Église (Actes 6.3 ; Actes 6.5 ; Actes 11.24 ; Actes 13.2 ; Actes 20.28 cf. Nombres 11.25). Les charismes sont des dons de l’Esprit (Jean 20.22 ; Romains 12.6 et suivant, 1 Corinthiens 12.1 ; 1 Corinthiens 12.11 ; 1 Corinthiens 12.28). Mais saint Paul met en garde contre les fausses inspirations (2 Thessaloniciens 2.2 ; Matthieu 7.15 et suivant) ; de même 1 Jean 4.1, qui recommande d’éprouver les esprits pour savoir s’ils sont de Dieu.
Ainsi dans Nombres 11.17 ; Nombres 11.29 ; 2 Chroniques 15.1 ; Ézéchiel 11.19 ; Ézéchiel 37.14 ; Zacharie 12.10. Le Nouveau Testament considère souvent la piété chrétienne comme inspirée par l’Esprit (Luc 11.13 ; Jean 14.26 ; Romains 8.4 ; Romains 8.9 ; 1 Corinthiens 2.10 ; 1 Corinthiens 3.16 ; Éphésiens 4.30 ; 1 Thessaloniciens 4.8 ; 1 Thessaloniciens 5.19 ; Jude 1.19). La vie chrétienne est le fruit de l’Esprit (Actes 13.52 ; Romains 14.17 ; Éphésiens 5.18 ; Colossiens 3.16). D’autre part, c’est l’Esprit qui fait comprendre les Écritures (Luc 24.25) et c’est par l’Esprit qu’on se convertit à la foi chrétienne (Actes 8.18 ; Actes 9.31 ; Actes 10.44 ; Actes 11.16 ; Actes 15.8 ; Actes 19.6 ; 2 Corinthiens 4.6). Si les persécutés rendent fidèlement leur témoignage, c’est qu’ils sont soutenus par l’Esprit (Matthieu 10.19 ; Actes 1.8 ; Actes 7.55)
Tels sont les divers sens que la Bible attribue à l’idée d’inspiration. Dans le langage religieux habituel, la notion d’inspiration se rapporte au fait que Dieu choisit, au cours des âges, certaines personnalités auxquelles Il se révèle, leur donnant un message particulier à transmettre à leurs contemporains. Dieu exige leur obéissance ; ils le savent, et cette conviction personnelle est l’une des formes de l’action de l’Esprit en eux ; le degré et la réalité de leur inspiration correspondent à l’exactitude de leur soumission à la volonté divine. Les prophètes ont été des inspirés parce qu’ils n’ont pas fermé leur cœur aux ordres de Dieu ; tout chrétien dont la vie est transformée par la foi est aussi un inspiré, en un certain sens. Mais parmi tous ceux dont parle la Bible, le Christ occupe une place unique : lui seul fut pleinement inspiré parce qu’en parfaite communion avec Dieu.
De tout temps les croyants, tant juifs que chrétiens, ont vu dans les Écritures saintes des livres inspirés. Mais cette inspiration a été comprise de plusieurs manières, que nous examinerons successivement. Prenant notre point de départ dans la pensée juive, nous indiquerons dans leurs grandes lignes les conceptions chrétiennes de l’inspiration biblique, en ayant soin de distinguer, à partir de la Réforme, entre les théories protestantes et les explications catholiques.
Longtemps avant l’ère chrétienne, les Juifs ont vu dans leurs livres sacrés des livres écrits sous l’influence divine. Plus tard, le Talmud a distingué entre l’inspiration de Moïse, vrai secrétaire auquel Dieu dicta le Pentateuque, et celle de second ordre des autres écrivains sacrés, qui laisse une part plus grande à leur personnalité. Au Moyen âge, les théologiens juifs, poursuivant ces distinctions, reconnaissent trois degrés dans l’inspiration : au premier rang Moïse, puis les écrits dictés par l’esprit prophétique, puis le reste ; d’autres penseurs juifs vont plus loin et distinguent quatre degrés, même huit et onze degrés, d’inspiration dans les Écritures. Le judaïsme alexandrin, d’autre part, enseignait que le don de prophétie, possédé par les écrivains de l’Ancien Testament, existe aussi chez tout homme pieux et sage (voir préface de l’Ecclésiastique ou Siracide, et Sagesse 7.27). Et l’on prétendait même que les traducteurs de la version des LXX, qui ont mis en grec l’Ancien Testament, avaient été inspirés jusque dans leurs fautes de traduction ! Aux yeux de ces penseurs alexandrins (Philon, Josèphe), l’inspiration se présente comme une sorte d’extase.
Les premiers penseurs chrétiens, qui auraient pu être influencés par les conceptions du judaïsme alexandrin, puisqu’ils écrivaient également en grec, n’abordent pas la question de l’inspiration des Écritures. Le Symbole des Apôtres ne renferme rien à ce sujet ; les Pères apostoliques (début du IIe siècle) n’établissent pas de distinction précise entre l’inspiration des écrivains sacrés et celle dont ils reconnaissent l’existence chez tous les croyants ou qu’ils s’attribuent à eux-mêmes. Bientôt apparaît, chez quelques Pères, l’idée d’une inspiration passive. Les écrivains sacrés sont comparés à des lyres que touche l’artiste divin (Justin, Cohort. ad Graec, 8, col. 256s). Mais il ne s’agit en général que des écrivains de l’Ancien Testament, auxquels on ne craint pas d’associer la Sibylle (Justin). D’autres, tel Origène, voient dans l’inspiration un degré supérieur de l’illumination que possèdent tous les croyants.
Bientôt l’Église est unanime à enseigner que les prophètes n’ont jamais cessé d’avoir une pleine possession d’eux-mêmes. Saint Jérôme distingue entre les styles plus ou moins purs de leurs écrits et relève des fautes syntaxiques chez saint Paul ; ce qui ne l’empêche pas de conclure à une inspiration divine des Écritures. Plus tard saint Thomas d’Aquin, tout en décrivant l’inspiration comme un phénomène passif en un certain sens, découvre dans ce phénomène des formes diverses et des degrés différents ; l’homme qui sert d’instrument au Saint-Esprit peut, par sa faute, nuire à l’effet de ce dernier.
Parmi les précurseurs de la Réforme, Savonarole, qui se dit lui-même prophète, tient la Bible pour venue de Dieu ; toutefois il remarque que Dieu n’a pas employé les écrivains sacrés comme des machines, mais a laissé parler les bergers en bergers, les femmes en femmes, etc.
La Réforme s’est faite au nom de la Bible ; mais les Réformateurs y ont vu surtout un trésor religieux ; pour tout ce qui ne touche pas directement au domaine religieux, ils ont usé des Écritures avec une grande liberté. Luther, qui considère la Bible « comme si Dieu même y parlait », qui la proclame « reine, seule digne de commander et à qui tous doivent obéissance », qui même déclare qu’une de ses syllabes, un de ses titres, vaut plus que ciel et terre, n’en relève pas moins chez les auteurs sacrés des inexactitudes (Matthieu 24 et Marc 13 confondent deux sujets), des raisonnements peu solides (Galates 4.22 et suivant). « Christ est le maître, écrit-il, l’Écriture est le serviteur. Voici la vraie pierre de touche pour juger tous les livres : il faut voir s’ils font les affaires du Christ ou non. Le livre qui n’enseigne pas le Christ n’est pas non plus apostolique, serait-ce saint Pierre ou saint Paul qui l’eût écrit. En retour, celui qui prêche Christ est apostolique, aurait-il pour auteur Judas, Anne, Pilate ou Hérode… Jean accorde peu de place aux actes du Christ, beaucoup à ses paroles. Les autres Évangiles, s’étendent sur les actes, moins sur l’enseignement ; c’est pourquoi le premier est l’Évangile capital, l’unique, le plus cher, celui qu’il faut préférer à tous les autres. En somme l’Évangile de Jean et sa première épître, les épîtres de Paul, en particulier les Romains, les Galates, les Éphésiens et la première épître de Pierre, voilà les livres qui te montrent Christ et qui t’enseignent tout ce qu’il t’est nécessaire et bon de savoir, quand même tu n’entendrais ni ne verrais jamais d’autres livres. Au regard de ceux-là, l’épître de saint Jacques est une véritable épître de paille, car elle n’a rien d’Évangéliste ». Rappelons encore ce que le réformateur dit des prophètes de l’Ancien Testament : « Sans aucun doute, les prophètes ont étudié dans les livres de Moïse, et les derniers venus dans ceux de leurs devanciers ; et, pleins de l’Esprit de Dieu, ils ont mis par écrit leurs bonnes pensées. Mais cela n’empêche pas que ces docteurs, scrutant les Écritures, aient parfois rencontré de la balle, de la paille ou de l’étoupe, et pas toujours de l’argent, de l’or ou du diamant. Néanmoins, le fondement subsiste et le feu consume le reste. » Calvin fait reposer la certitude des croyants sur le fait « qu’ils tiennent pour arrêté et conclu que les Écritures sont venues du ciel, comme s’ils oyaient là Dieu parler de sa propre bouche ». La preuve excellente et seule suffisante de cette conviction est pour lui « le témoignage secret du Saint-Esprit » en nous. « L’Écriture a de quoi se faire connaître, dit-il, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches ou noires de montrer leur couleur et les choses douces ou amères de montrer leur saveur… Veuillons ou non, elles nous poindront si vivement, elles perceront tellement notre cœur, elles se ficheront tellement au dedans des moelles… que il est aisé d’apercevoir que les saintes Écritures ont quelque propriété divine à inspirer les hommes » (Institution de la religion chrétienne). Mais ces déclarations n’ont pas empêché Calvin de mettre en doute l’authenticité de la deuxième épître de Pierre et de s’exprimer avec une très grande liberté sur les contradictions des récits évangéliques et sur le caractère douteux de l’Apocalypse de Jean, qu’il n’a jamais commentée. Zwingle, qui célèbre admirablement la Bible, accorde d’autre part à l’homme spirituel, « à cette parole que Dieu a placée dans notre cœur », le droit de « juger la parole extérieure ». Il affirme d’ailleurs que la Bible, tout en contenant des erreurs de détail, n’en renferme aucune sur les choses essentielles. Les mêmes idées se retrouvent chez les autres réformateurs (Mélanchton, Bullinger, etc.), et inspirent les symboles ecclésiastiques de la première période.
Un siècle plus tard, le protestantisme, engagé dans une âpre lutte avec l’Église catholique romaine qui invoque l’autorité de la tradition, cherche lui aussi à s’appuyer sur un principe d’autorité. Cette autorité, ce sera la Bible. Les théologiens protestants des XVIIe et XVIIIe siècles sont ainsi amenés à préciser la doctrine de l’inspiration biblique, autant pour les besoins de la controverse que pour donner une base solide à leurs constructions dogmatiques. La largeur de vue des Réformateurs est oubliée ; on se refuse à admettre même la possibilité d’une contradiction de détail dans les récits sacrés et l’on affirme qu’il n’y a absolument rien dans la Bible qui ne soit le produit de l’inspiration. Les écrivains bibliques ont été parfaitement passifs ; ils ont écrit sous dictée, mieux encore, ils n’étaient que la plume que Dieu fait mouvoir. En 1714, un superintendant de Gotha, G. Nitzsch, se demande si l’Écriture sainte ne serait peut-être pas « Dieu lui-même et non point une créature ».
Le piétisme allemand ramène une notion plus vivante de la Bible ; c’est Bengel qui exhorte les chrétiens à manger le pain de vie sans se tourmenter de quelques grains de gravier qui pourraient s’être mêlés au pur froment. Enfin une étude plus approfondie du texte biblique amène les théologiens allemands à faire une distinction entre l’inspiration proprement dite et les Écritures, qui ne sont que le document de la révélation.
En pays de langue française, les discussions relatives à l’inspiration biblique furent soulevées principalement par la publication du livre de Gaussen sur la Théopneustie (Genève 1840). S’appuyant sur 2 Pierre 1.21 (« C’est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu ») et 2 Timothée 3.16 (« Toute écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice… »), Gaussen concluait à l’inspiration « plénière » des Écritures ; les écrits bibliques sont théopneustiques, c’est-à-dire inspirés par Dieu (du grec théos = Dieu, et pneuma — souffle, esprit), et ne peuvent contenir aucune erreur quelconque, ni de chronologie ni de physique, ni la moindre contradiction de détail. C’est là un miracle, que Gaussen reconnaît sans chercher à l’expliquer. La même tendance, plus absolue encore, se rencontre dans les livres d’Ag. de Gasparin.
Les adversaires de l’inspiration verbale (Alex. Vinet, Aug. Sabatier, etc.) montrèrent que les auteurs sacrés, si l’on examine à la fois leurs propres déclarations et les faits bibliques, n’ont pas été élevés au-dessus de toute imperfection humaine, ni surtout privés de toute activité spontanée et naturelle. La Bible, document de la révélation, a été rédigée par des témoins compétents, pénétrés (surtout en ce qui concerne les auteurs du Nouveau Testament) de ce même souffle de l’Esprit qui éclaire tout croyant (1 Jean 2.20 ; 1 Jean 2.27), mais qui fut porté chez eux à une puissance exceptionnelle. En Amérique et ailleurs, les « fondamentalistes » ont repris les idées de la théopneustie.
Le concile de Trente (1546) avait légitimé le droit de l’Église à dresser la liste officielle des Livres saints. Mais bientôt se dessina un double courant au sujet de l’action du Saint-Esprit sur les écrivains sacrés. Pour les uns, ceux-ci n’ont eu besoin d’aucune révélation immédiate pour rédiger leurs écrits ; ils ont été assistés par un secours particulier du Saint-Esprit qui leur a suggéré ce qu’ils avaient à écrire. Pour d’autres, l’inspiration se subdivise en trois moments :
La caractéristique des études bibliques du XIXe siècle est la distinction nettement établie entre la révélation immédiate ou prophétie, et l’inspiration scripturaire, qui n’entraîne pas nécessairement une révélation directe du contenu de l’Écriture. Mais des vues divergentes se manifestèrent ; elles furent condamnées par le Concile du Vatican (1870), fournissant ainsi à l’Église l’occasion de formuler ce que tout catholique doit entendre par inspiration biblique. Tous les livres bibliques, déclare le Concile, ont été écrits sous l’inspiration du Saint-Esprit et ont Dieu pour auteur. Cette formule paraissait précise ; mais les théologiens ne manquèrent pas de l’interpréter. Dieu, remarquèrent-ils, n’a pas écrit lui-même ; il s’est servi des hommes ; puis il faut distinguer entre les choses que l’écrivain ne connaissait pas, et que Dieu lui a révélées, et celles qu’il connaissait ou pouvait connaître par lui-même, et que Dieu l’a seulement engagé à écrire. Cet ensemble de choses révélées représente l’élément formel de l’Écriture ; les mots qui les expriment n’en sont que l’élément matériel. Or, pour qu’on puisse déclarer d’un écrit qu’il est inspiré, il suffit que l’élément formel provienne de Dieu ; les mots ont donc pu être écrits par les écrivains sacrés eux-mêmes, jouissant pleinement de leurs facultés naturelles ; Dieu leur a laissé le libre choix des termes qu’ils ont employés.
Cette manière d’expliquer l’inspiration, devenue quasi officielle, semblait définitivement établie, et tous les manuels de théologie catholique la reproduisaient, lorsque Léon XIII imposa une nouvelle façon de voir par son Encyclique Providentissimus Deus (18 novembre 1893). Le pape repoussait catégoriquement la distinction entre élément formel et élément matériel de l’inspiration ; il n’admettait pas qu’on dît que les écrivains sacrés, conservant leurs facultés, sont sujets à l’erreur. « Dieu les a tellement assistés, quand ils écrivaient, qu’ils ont d’abord conçu dans leur esprit, puis fidèlement voulu rendre, enfin exprimé exactement et avec une infaillible vérité, tout ce que Dieu leur ordonnait d’écrire, ni plus ni moins ; autrement il ne serait pas lui-même l’auteur de la Sainte Écriture. »
L’Encyclique condamnait également ceux qui, pour résoudre les difficultés suscitées par les découvertes scientifiques et historiques, avaient distingué dans les livres saints une partie divine et inspirée contenant l’enseignement moral et religieux, et une autre partie, tout humaine celle-là, renfermant des opinions sans rapport direct avec la religion et pouvant par conséquent contenir des erreurs. Léon XIII est très net et déclare qu’il ne sera jamais permis de restreindre l’inspiration à certaines parties de la Bible ou d’accorder que l’écrivain sacré ait pu se tromper.
Les termes de l’Encyclique étaient formels ; tous les théologiens et professeurs catholiques s’empressèrent d’y adhérer entièrement. Mais ils formulèrent bientôt de nouvelles et subtiles distinctions, par lesquelles ils parvinrent à faire dire au texte papal à peu près le contraire de ce que le pape avait déclaré. Ainsi Léon XIII avait insisté sur l’inspiration verbale des Écritures. Mais on fit observer que Dieu n’a pas transmis aux auteurs sacrés des livres tout faits ; il les leur a fait faire, ne dictant ni les mots ni les idées. L’écrivain biblique a exécuté son travail comme un écrivain ordinaire qui choisit les expressions propres à rendre ses idées, les arrange, les dispose d’une façon personnelle ; de sorte que la rédaction est vraiment de lui, tout entière, mais elle n’en demeure pas moins due à l’influence de la « motion divine » initiale ; donc il y a bien inspiration verbale. On alla même plus loin dans l’interprétation de la pensée de Léon XIII On assura que ses déclarations permettaient de soutenir non seulement que Dieu avait fait faire les livres bibliques, mais qu’il s’était contenté de les laisser faire ; d’où la conclusion, très logique, que tout dans l’Écriture n’est pas inspiré. Léon XIII avait écrit : « Les écrivains sacrés, en matière scientifique, ont parlé selon les apparences ». Mettant à part les passages qui ont trait aux sciences de la nature, on nota que la Bible ne donne pas d’enseignement sur ces questions, mais se contente d’en faire une description imagée, dans le langage familier de l’antiquité et suivant les apparences extérieures. Le théologien n’a donc pas à chercher dans la Bible une physique révélée, et encore moins à l’imposer aux physiciens et aux naturalistes. Toutefois ces passages sont inspirés, puisque l’Encyclique affirme l’inspiration verbale de toute l’Écriture ; mais ils ne constituent pas un enseignement, ils ne sont qu’une description. Donc la Bible, bien qu’inspirée tout entière, n’enseigne aucune erreur.
Benoît XV jugea nécessaire de mettre un terme à ces interprétations fantaisistes de la pensée de Léon XIII Dans l’Encyclique Spiritus Para-clitus (30 septembre 1920), il s’élève contre ceux qui expliquent certains passages bibliques en contradiction avec la science moderne ou avec les récentes découvertes archéologiques en prétendant qu’il s’agit là d’une manière de parler en usage à l’époque. Benoît XV blâme les théologiens qui développent de semblables idées. « Ils ne craignent pas de se réclamer, écrit-il, pour soutenir cette théorie, des paroles mêmes du pape Léon XIII qui aurait déclaré qu’on peut transporter dans le domaine de l’histoire les principes admis en matière de phénomènes naturels. Ainsi, de même que, dans l’ordre physique, les écrivains sacrés ont parlé suivant les apparences, de même, prétend-on, quand il s’agissait d’événements qu’ils ne connaissaient pas, ils les ont relatés tels qu’ils paraissaient établis d’après l’opinion commune du temps ou des relations inexactes d’autres témoins ; en outre, ils n’ont pas mentionné les sources de leurs informations et ils n’ont pas personnellement garanti les récits empruntés à d’autres auteurs. À quoi bon réfuter une théorie injurieuse à notre prédécesseur en même temps que fausse et pleine d’erreurs ? Comment, si on admettait la théorie de ces auteurs, sauvegarderait-on au récit sacré cette vérité pure de toute fausseté, à laquelle notre prédécesseur déclare, dans tout le contexte de sa lettre, qu’il ne faut pas toucher ? »
Pour être quelque peu complet, il faudrait encore parler de la théorie des citations implicites ou tacites qui permet aux exégètes catholiques d’échapper une fois de plus, malgré toutes les précisions des Encycliques pontificales, aux règles doctrinales qui leur sont imposées.
On le voit, les penseurs chrétiens, quels qu’ils soient, anciens ou modernes, catholiques ou protestants, tous affirment l’inspiration des saintes Écritures. Les divergences et discussions ne commencent qu’au moment où l’on cherche à définir les limites de cette inspiration. Or l’histoire de l’Église — en particulier l’histoire des études bibliques au sein de l’Église romaine à partir de la Réforme — prouve à l’évidence qu’il est impossible d’imposer d’autorité une certaine conception de l’inspiration des saintes Écritures à l’exclusion de toute autre explication. La raison profonde de ce fait — car c’est un fait — nous paraît être la suivante : comme l’étymologie l’indique (voir le début de cet article), être inspiré signifie que l’on est sous l’influence d’un esprit qui fait agir et penser autrement que lorsqu’on est livré à ses propres forces. Or, n’est-ce pas le privilège de l’être humain d’être apte à sentir passer en lui le souffle du Dieu vivant ? Soutenir qu’une inspiration divine s’est en quelque sorte matérialisée dans des mots, n’est-ce pas donner à la notion d’inspiration une signification que la Bible ne présente guère ? Seuls des êtres humains peuvent être inspirés, parce qu’ils ont été créés « à l’image de Dieu » ; un livre, même la Bible, n’est pas une création « à l’image de Dieu ». Certes, la Bible est inspirée ; mais elle l’est parce que des hommes inspirés par Dieu l’ont écrite. Les Réformateurs l’avaient compris ; sur ce point, comme en beaucoup d’autres, la piété et la pensée protestantes contemporaines ne peuvent que gagner en revenant aux idées admirablement équilibrées et saines d’un Luther ou d’un Calvin. Edm. R.
Numérisation : Yves Petrakian