Cette épître, la première des sept épîtres catholiques (voir ce mot), se compose d’une série d’exhortations, qui ne sont pas présentées dans un enchaînement rigoureux.
On peut les grouper sous les titres suivants :
La suscription porte cette indication : « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ » (Jacques 1.1). Étant données la mort précoce de Jacques fils de Zébédée, et l’obscurité où nous sommes au sujet de Jacques fils d’Alphée, tout porte, dans l’hypothèse de l’authenticité, à attribuer notre épître à Jacques le frère du Seigneur. L’exégèse catholique plaide pour l’identité de ces deux Jacques (voir Jacques, 2 et 3). En faveur de Jacques, le chef de l’Église de Jérusalem, on remarque qu’il ne se donne pas comme apôtre, et s’il ne rappelle pas sa parenté avec Jésus, c’est sans doute par humilité. De plus, l’auteur parle comme un personnage ayant de l’autorité auprès de ses lecteurs, et toute l’épître s’inspire d’un grand sérieux moral, ce qui convient à la position ecclésiastique et à l’austérité de vie du frère du Seigneur.
Les défenseurs de l’authenticité se divisent sur la question de la date. Suivant les uns, ce serait l’écrit le plus ancien du Nouveau Testament. On fait valoir la simplicité de la doctrine, et on évite ainsi toute polémique de Jacques contre Paul, qui serait postérieure. Une date entre 40 et 50, ou du moins avant les épîtres de Paul, est soutenue par B. Weiss, Beyschlag, Zahn, Mayor, Bonnet-Schroeder, etc. Mais les conditions religieuses des lecteurs conviennent mal aux débuts de l’Église chrétienne. En outre, l’enseignement de Jacques sur la foi et les œuvres ne se comprend, à notre avis, que comme une réplique ou un complément à la doctrine de Paul sur la justification par la foi. Aussi les défenseurs de l’authenticité s’accordent-ils de plus en plus pour une date vers la fin de la vie de Jacques, soit entre 60 et 65. Ainsi en jugent Sabatier, Bovon, F. Barth, Feine, Chaîne, etc.
Contre l’authenticité on fait valoir le style qui est du meilleur grec du Nouveau Testament (après l’épître aux Hébreux) ; soixante-treize mots ne se retrouvent pas ailleurs dans le Nouveau Testament, et cela malgré la brièveté de la lettre. Mais rien n’empêche que Jacques ait eu recours à l’aide d’un secrétaire. On allègue aussi (ce qui est plus grave) le silence presque complet sur la personne et l’œuvre de Jésus-Christ, sur l’espérance messianique, sur le rôle de la loi mosaïque. On en conclut que l’auteur est plutôt un Juif helléniste, écrivant dans la période de calme qui s’étend entre les années 75 et 125, dans une ville mi-hellénique de Palestine (Césarée, Tibériade). Ainsi, à la suite de Ropes, Wautier d’Aygalliers dans Bible du Centenaire ; J. Weiss voit dans notre épître un sermon écrit à l’usage d’une communauté de Syrie (70-100). Dibelius l’explique comme un traité parénétique puisé aux sources les plus diverses, juives et grecques (80-130). Holtzmann, Julicher, Harnack descendent jusque vers le milieu du IIe siècle, dans le voisinage du Pasteur d’Hermas. Sans méconnaître la force de plusieurs des arguments allégués par ces savants, nous ne pensons pas qu’ils soient décisifs contre l’attribution traditionnelle et une date entre 60 et 65.
L’adresse est ainsi conçue : « aux douze tribus dans la Dispersion ». Cette adresse a été comprise de différentes manières, comme se rapportant :
Quant aux conditions religieuses des destinataires, tout en tenant compte avec Dibelius et autres auteurs récents de ce qu’en un traité parénétique bien des exhortations peuvent avoir un caractère général et n’être pas des allusions directes, voici ce qu’on peut retenir. Les communautés auxquelles Jacques s’adresse sont composées pour la plupart de pauvres, exposés à l’oppression des riches. Nous ne pensons pas que les mauvais riches apostrophés (Jacques 5.1-8) fissent partie de l’Église. À la ferveur des premiers temps a succédé une certaine lassitude ; la religion est souvent une simple profession de foi, à laquelle ne s’ajoute pas la pratique morale ; il y a des cœurs partagés entre Dieu et le monde ; plusieurs aspirent à la charge de docteur sans en avoir les dons ; la religion dégénère ainsi en querelles et vaines disputes. Contre ces différents travers Jacques s’élève avec toute l’autorité de sa personnalité morale.
Une chose qui frappe à la première lecture, c’est la pauvreté d’éléments spécifiquement chrétiens, surtout en comparaison des épîtres de Paul, Pierre et Jean. Le nom de Jésus-Christ n’est mentionné que deux fois (Jacques 1.1 ; Jacques 2.1) ; sur sa vie et sa mort l’épître garde un étrange silence. Il en est de même du Saint-Esprit. On comprend dès lors l’hypothèse de Spitta en Allemagne et de Massebieau en France, d’après laquelle il s’agit de l’ouvrage d’un auteur juif, retouché plus tard par un chrétien. Mais un interpolateur chrétien aurait sans doute marqué plus profondément son intervention. Aussi cette hypothèse, assez plausible en apparence, n’a-t-elle pas eu de suite.
En effet, si de la surface nous passons au contenu de l’épître, nous constatons son étroite parenté avec l’enseignement de Jésus, tellement qu’on a pu appeler la lettre de Jacques « le sermon sur la montagne parmi les épîtres ».
Nous relevons les principaux parallèles :
Il y a aussi une parenté bien étroite, dans la conception touchant les riches et les pauvres, entre Jacques et Luc. Sur ce chapitre des parallèles, mentionnons encore des points de contact entre Jacques, et 1 Pierre d’une part :
Entre Jacques et l’épître aux Romains d’autre part :
Nous pensons que Jacques se place chronologiquement entre Romains et 1 Pierre.
Relevons quelques éléments doctrinaux : la fine psychologie sur l’origine du péché, enfant de la convoitise, et engendrant à son tour la mort (Jacques 1.13-15) ; la régénération fruit de la Parole divine, plantée dans les âmes (Jacques 1.18 ; Jacques 1.21) ; la Loi, appelée à deux reprises « loi de liberté » (Jacques 1.25 ; Jacques 2.12), comme pour la distinguer de l’observance juive, et trouvant son couronnement dans la « loi royale » de l’amour (Jacques 2.8) ; l’attente du retour du Seigneur, conformément à l’espérance chrétienne primitive (Jacques 5.7).
Dans son ensemble, la tendance de Jacques est toute pratique. On pourrait donner comme devise à son épître le verset : « Mettez en pratique la parole et ne vous contentez pas de l’écouter » (Jacques 1.22). La religion de celui qui se borne à écouter est vaine (Jacques 1.23 et suivants). Celui qui enseigne les autres, s’attire, s’il tombe, un jugement plus sévère (Jacques 3.1). La vraie religion, approuvée de Dieu, consiste dans les œuvres de charité et dans la pureté (Jacques 1.27).
Par son énergique affirmation de l’œuvre, comme élément fondamental d’un christianisme pratique, Jacques se trouve être dans une opposition au moins formelle avec Paul, l’apôtre du salut par la foi. Ce point important est à examiner.
De tout temps, l’opposition entre Paul et Jacques a frappé les esprits. Paul dit : « Nous estimons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi » (Romains 3.28). Jacques réplique : « Vous voyez que l’homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement » (Jacques 2.24). La contradiction au point de vue formel est flagrante. On a souvent cherché à éluder la difficulté en affirmant que Jacques est antérieur à Paul, et ne vise pas du tout la doctrine du grand apôtre. Ce point de vue, quoique soutenu par des théologiens de grande autorité, nous paraît tout à fait inadmissible. À notre connaissance personne, avant Paul, n’a enseigné la justification par la foi, sans les œuvres. C’est donc bien la formule paulinienne que Jacques combat, pour y substituer une autre plus exacte. Toutefois, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que la différence entre les deux auteurs sacrés est moins grande qu’elle n’en a l’air. C’est que les mots qu’ils emploient l’un et l’autre (foi, œuvres, justification) sont pris en des sens quelque peu différents.
La foi, chez Jacques, est purement une conviction intellectuelle ; même les démons la possèdent (Jacques 2.19), en soi elle est insuffisante. Pour Paul, la foi est l’acceptation du salut offert en Christ, et le principe d’une vie nouvelle dans l’union mystique ; avec le Sauveur.
Les œuvres, dont parle Paul, sont les œuvres de la loi, que l’homme cherche à accomplir par ses propres forces ; elles précèdent la foi et sont insuffisantes pour acquérir le salut. Chez Jacques, les œuvres découlent de la foi, en attestent la réalité et concourent avec elle (Jacques 2.22) à rendre l’homme accompli aux yeux de Dieu. Paul enseigne de même la foi agissante par les œuvres (Galates 5.8 ; 1 Thessaloniciens 1.3).
Enfin la justification est pour Paul l’acceptation en grâce du pécheur qui croit ; pour Jacques c’est le jugement final de Dieu sur toute la vie de l’homme.
On le voit : Paul ramène tout à la foi, source de la vie nouvelle du chrétien ; Jacques ramène tout à l’œuvre du croyant régénéré. L’une est la formule du théologien mystique, l’autre celle du moraliste populaire. Quoique ne pouvant pas se ramener à une parfaite unité — Jacques n’accepte pas la formule de Paul, qu’il jugeait probablement dangereuse dans la pratique, et Paul aurait sans doute considéré le point de vue de Jacques comme bien incomplet et superficiel — les deux conceptions ont chacune sa vérité et son utilité pour l’Église. Paul s’élève en effet contre le système pharisaïque du salut par les œuvres, tandis que Jacques combat l’orthodoxie stérile et l’illusion qu’il suffit de répéter certaines formules pour plaire à Dieu. Voir Foi, Justification, Œuvres.
Dans l’antiquité chrétienne, notre épître ne jouit pas d’une attestation aussi unanime que d’autres livres du Nouveau Testament. Cela tient peut-être au fait que son auteur n’était pas un apôtre, au cercle restreint des lecteurs auxquels elle s’adressait, et à son contenu plus moral que dogmatique. On signale chez Clément romain (vers 95) quelques points de contact ; Hermas, au milieu du IIe siècle, a en commun avec elle un grand nombre d’idées et d’expressions. Le Canon de Muratori (180) ne la mentionne pas. Les premières citations expresses se trouvent chez Origène. Encore Eusèbe, au commencement du IVe siècle, range Jacques au nombre des écrits contestés (antilegomena), tout en se déclarant favorable à son acceptation. Au cours du IVe siècle, l’épître est reçue comme canonique en Orient et en Occident, et considérée comme l’œuvre de « l’apôtre » Jacques.
L’époque de la Réforme vit se renouveler les doutes à son sujet, particulièrement au point de vue doctrinal. Surtout Luther l’a appelée assez dédaigneusement « une vraie épître de paille », n’ayant pas la valeur évangélique de tels autres livres du Nouveau Testament. Il l’attribuait à quelque Juif qui n’aurait eu qu’une connaissance rudimentaire du Christ. Calvin vint à la rescousse en observant : « Quant à ce qu’on pourrait penser qu’il (Jacques) ne magnifie pas la grâce de Christ en telle sorte que doit faire un apôtre, certes la réponse est facile, à savoir que nous ne devons pas requérir précisément que tous traitent un même point de doctrine… »
Les modernes, tout en signalant les lacunes de l’épître au point de vue dogmatique, s’accordent à rendre hommage au sérieux de son inspiration morale. Ainsi que s’exprime un théologien de langue française : « Riche en sa brièveté, l’épître de Jacques se fait remarquer par son inspiration sobre et sévère, par son langage plastique, par la vivacité de ses images, qui donnent des ailes aux préceptes et aux pensées, pour les faire pénétrer comme autant de flèches dans les cœurs : aussi conclurons-nous que, malgré les jugements défavorables, presque méprisants dont il a parfois été l’objet, ce petit écrit mérite d’être tenu en honneur dans le recueil de la littérature biblique » (Bovon).
Les commentaires scientifiques les plus récents sont ceux de Ropes (ICC, 1916), de Dibelius (septième édition du Comment Meyer, 1919) ; de Hauck (Comment, de Zahn, 1926). En français le comment, catholique de J. Chaîne dans les Études bibliques (Paris 1927) très soigné au point de vue philologique et littéraire. Th. L.
Numérisation : Yves Petrakian