Un certain nombre de points sont à fixer tout d’abord.
Nous aurons à distinguer ici entre le témoignage que Jésus se rend à lui-même dans les discours rapportés par l’évangéliste et le témoignage qui lui est rendu par son disciple dans l’Évangile et dans l’épître.
On constate à première vue, en lisant le 4e Évangile, que les discours qu’il renferme, loin de posséder la même variété et la même richesse que les propos rapportés par les Synoptiques, roulent sur un unique sujet ; quelle que soit l’occasion qui les fait naître, ces discours ou ces discussions n’ont qu’un thème, et ce thème c’est le témoignage que Jésus se rend à lui-même. Cherchons donc à en recueillir les éléments principaux :
A. L’envoyé de Dieu
Ce qui frappe en premier lieu le lecteur de l’Évangile, c’est l’insistance avec laquelle Jésus s’y donne pour un homme revêtu d’une mission divine. Assurément, il n’y a pas, sur ce point, contradiction entre les Synoptiques et Jean. Le Christ des Synoptiques possède à un haut degré la certitude d’agir au nom de Dieu et il n’hésite pas à exercer des droits que tous, autour de lui, regardaient comme des prérogatives divines ; (cf. Marc 2.10 ; Matthieu 10.40; Luc 10.16) mais tandis que les déclarations de ce genre sont plutôt rares chez les Synoptiques, il est à peine exagéré de dire que, chez Jean, on les trouve pour ainsi dire à chaque page. Inutile de rappeler tous les passages où se rencontre la locution : Celui qui m’a envoyé ou une expression analogue ; voir les chapitres 5, 6, 7, 8, 12, 14, 17 et spécialement ce dernier, où l’idée de l’envoi de Jésus par le Père alterne avec celles de son prochain retour dans la gloire (verset 5) et de l’envoi de ses propres disciples (verset 18). Cette certitude que Jésus possède d’être un envoyé de Dieu est pour lui un soutien et un stimulant ; un soutien, parce que tant qu’il fait l’œuvre pour laquelle il a été envoyé, il est à l’abri de tout danger (Jean 11.9), et un stimulant, parce que tant qu’il est au monde il doit faire l’œuvre de Celui qui l’a envoyé (Jean 9.4 et suivant). D’autre part, la mission qu’il avait reçue de Dieu aurait dû lui ouvrir l’accès des cœurs ; il ne fait pas son œuvre propre ; il ne cherche pas sa propre gloire et, pour cette raison, il devrait être cru sur parole et cela d’autant plus que sa qualité d’envoyé divin, bien loin de n’être attestée que par ses déclarations personnelles, l’est par le quadruple témoignage :
B. Le Christ
Bien qu’écrit en dehors de Palestine, après la ruine de Jérusalem et pour des lecteurs qui n’ont pas de raisons spéciales de s’intéresser aux espérances juives, le 4e Évangile tient à relever que Jésus est le Christ et qu’en sa personne les promesses de Dieu à son peuple ont trouvé leur plein accomplissement. L’Évangile, nous l’avons vu, fut écrit précisément pour établir de façon absolument certaine que Jésus était le Christ (Jean 20.31). Alors que les Synoptiques nous montrent Jésus réprimant avec énergie toute proclamation intempestive de sa messianité (Marc 1.25) et, même après l’entretien solennel de Césarée de Philippe, interdisant sévèrement à ses propres disciples de dire à personne qu’il fût le Christ (Marc 8.30), la messianité de Jésus, d’après Jean, est chose reconnue dès le début dans le groupe d’amis qui s’est formé autour de lui (Jean 1.41-45) ; et la Samaritaine a à peine mentionné le nom du Christ que Jésus lui répond : « Je le suis, moi qui te parle » (Jean 4.26, cf. Jean 9.37 ; Jean 10.24 et suivant). Il faut remarquer, d’autre part, que chez les Synoptiques l’attente messianique — et c’est précisément ce qui motive les réticences et les précautions de Jésus — est encore étroitement liée aux espérances de restauration politique de la nation juive, alors que le Messie, chez Jean, a cessé d’être un libérateur juif ; il appartient à l’humanité et sa venue doit avoir pour effet d’abolir les privilèges religieux d’Israël (cf. Jean 2.19 ; Jean 4.21-24 et surtout Jean 12.20 et suivant). La tâche qui a été confiée à Jésus en tant que Christ n’est pas de glorifier ou d’affranchir une nation particulière ; il est le don de Dieu à un monde mauvais, plongé dans les ténèbres du péché et de la corruption (Jean 3.16), et c’est vers lui qu’un jour se tourneront tous les regards (Jean 12.32). Sa venue parmi nous est précisément la preuve suprême de l’amour de Dieu, non pour Israël seulement mais pour tous les hommes. Cette mission universelle implique de toute nécessité l’existence d’un lien étroit et même unique entre Dieu et celui qui en est chargé ; et ceci nous amène à considérer un troisième aspect sous lequel Jésus s’est présenté.
C. Le fils de l’homme et le fils de Dieu
Jésus affirme l’existence du lien qui l’unit à Dieu et en indique la nature en appelant Dieu son Père et en se désignant lui-même comme le Fils de Dieu, ou même d’une façon plus absolue encore comme le Fils. Il faut noter à ce propos que, dans le 4e Évangile, le Père est ainsi nommé par rapport au Fils et non par rapport aux croyants ou à l’ensemble des êtres humains. Dans les Synoptiques, Jésus, pour se désigner, lorsqu’il ne parle pas à la première personne, se sert de préférence de l’expression le Fils de l’homme. Ce titre n’est pas inconnu de Jean, qui le met plusieurs fois dans la bouche de Jésus (Jean 1.51 ; Jean 3.13 ; Jean 6.27 ; Jean 6.62 ; Jean 8.28 ; Jean 12.23 ; Jean 13.31). Plusieurs de ces passages impliquent, comme dans les Synoptiques, un contraste entre la dignité du Fils de l’homme et sa situation présente ; on sent très bien que ce titre, tout en mettant celui qui le porte en relation avec l’humanité (cf. Jean 5.27 : parce qu’il est fils d’homme), l’isole aussi du reste des hommes en lui donnant un nom qu’il est seul en droit de revendiquer. Le Fils de l’homme, chez Jean plus encore que chez les Synoptiques, est un personnage qui domine notre race ; son origine céleste est nettement affirmée : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est dans le ciel » (Jean 3.13), c’est-à-dire celui qui, tout en vivant ici-bas, reste en rapport avec sa patrie céleste et avec Celui qui l’a envoyé. Sur sa tête les cieux sont ouverts et les anges montent et descendent pour lui communiquer les choses d’En-haut (Jean 1.51) ; sa mission est de faire connaître aux hommes les mystères du plan divin, les choses célestes (Jean 3.12) ; il doit être « élevé » afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle (Jean 3.15) ; à l’abaissement auquel il s’est volontairement soumis succédera le retour dans la gloire qu’il a momentanément abandonnée ; et ceux-là mêmes qui se scandalisent de ses prétentions et refusent de l’entendre davantage le verront de leurs yeux monter où il était auparavant (Jean 6.62).
Si ce titre de Fils de l’homme fait déjà ressortir le rang et la dignité uniques que Jésus revendique pour lui-même, c’est encore bien davantage le cas du titre de Fils de Dieu ou de Fils que Jésus se donne couramment. Les passages où ces termes se rencontrent sont si nombreux qu’il est superflu de les citer expressément. Deux ou trois de ces passages, où l’expression « le Fils de Dieu » est en apposition au mot Christ (Jean 11.27 ; Jean 20.31), pourraient faire penser qu’il s’agit ici d’une appellation honorifique se rattachant à la fonction messianique. Mais un coup d’œil jeté sur les nombreux versets où le nom du Christ n’est pas mentionné fait constater qu’en appelant Dieu son Père et en se disant lui-même le Fils ou le Fils de Dieu, Jésus entend bien se donner pour un être qu’un rapport unique unit à Dieu. Sans doute, c’est un rapport de subordination et de dépendance (Jean 14.28) ; le Fils prie le Père et lui rend grâces, c’est le Père qui le dirige et lui montre d’heure en heure ce qu’il doit faire (Jean 5.19). Mais, d’autre part, le Fils est la révélation du Père (Jean 14.9 ; Jean 14.20 ; Jean 14.23 ; Jean 14.26) ; le Père a remis toutes choses entre ses mains (Jean 13.3) ; et Jésus va jusqu’à dire : « Le Père et moi, nous sommes un » (Jean 10.30, cf. Jean 17.22). Il n’est guère possible de ramener cette unité, comme on tente assez souvent de le faire, à une unité morale, à une parfaite communion de vues et de volonté, comme si Jésus voulait simplement affirmer qu’entre Dieu et lui, il n’y a ni désaccord, ni obstacle. Ses paroles vont incontestablement plus loin. Indépendamment de toutes ses autres déclarations, il suffit de lire ses derniers entretiens avec ses disciples pour voir à quel point il réclame des siens une obéissance qui n’est due qu’à Dieu et promet une aide qu’il est au pouvoir de Dieu seul d’accorder. De plus, deux paroles au moins nous empêchent absolument de réduire la conscience de Jésus à la simple conviction de son unité religieuse et morale avec Dieu ; ce sont celles dans lesquelles il affirme non seulement l’origine céleste de sa personne et de sa mission, mais sa préexistence, sa présence auprès de Dieu antérieurement à toute histoire humaine et même à toute création : « Avant qu’Abraham fût, je suis » (Jean 8.58) et « Rends moi la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût » (Jean 17.5). Il est certain que, par ces déclarations, Jésus s’attribue, soit par rapport à Dieu, soit par rapport au monde, une place et un rôle uniques. Jamais aucun prophète de l’Ancien Testament, jamais aucun chrétien, si convaincu fût-il d’avoir été dès l’éternité l’objet de l’élection divine, n’a tenu un langage approchant de celui que Jésus tient ici. Nous avons dans ces deux mots l’expression la plus haute de la conscience qu’il avait de la valeur unique de sa personne et de l’importance sans égale de sa mission.
Ce témoignage pourrait être recueilli tout au long de l’Évangile. Mais comme l’évangéliste a tenu à exposer dès le prologue sa conception de la personne de Jésus et comme c’est là qu’il le fait de la façon la plus complète, c’est tout particulièrement à ce morceau que nous vouerons notre attention. Le prologue du 4e Évangile n’est pas, comme on le dit souvent, un fragment de pure théologie ou de philosophie religieuse, dans lequel l’auteur se livrerait à des spéculations hasardées sur les origines métaphysiques de l’histoire qu’il s’apprête à raconter. Si on le prend dans son ensemble, on voit que c’est bien plutôt un témoignage, une sorte de profession de foi destinée à faciliter au lecteur l’intelligence des tableaux qui vont passer sous ses yeux. Il y a correspondance étroite entre le prologue et l’épilogue déjà cité (Jean 20.31) aussi bien qu’entre le prologue de l’Évangile et le début de l’épître, dont le caractère éminemment pratique ne saurait être contesté (cf. 1 Jean 1.1-4). Il est vrai qu’un lecteur moderne ne peut guère s’empêcher de relever dans ce morceau deux sortes d’affirmations, les unes d’ordre directement religieux et ayant trait à l’expérience personnelle de l’auteur, les autres d’ordre théologique et rendant compte de l’impression que la personne de Jésus avait produite sur lui et sur ses frères en la foi (voir verset 16 : Nous avons tous reçu). Mais il paraît peu probable que l’écrivain lui-même eût admis pareille distinction, et il est évident qu’à ses yeux l’action de Jésus et l’explication qu’il en donne sont étroitement liées ; cette explication n’était pas pour lui une simple conjecture, mais l’expression de la vérité même, et faisait partie intégrante de sa foi.
L’apôtre, pour exprimer ce que Jésus lui a apporté, fait usage de quatre termes, qui vont deux par deux, la vie et la lumière, la grâce et la vérité (voir spécialement verset 4 et verset 17). Nous l’avons déjà dit, ce serait une erreur de chercher à distinguer nettement ces quatre notions ; les deux formules ont le même sens et le second terme explique le premier bien plus qu’il n’y ajoute un élément nouveau, et chacun de ces mots, même considéré isolément, exprime la réalité tout entière. En Jésus, donc, Jean a trouvé la vie, la vraie vie ; c’est aussi le témoignage qu’il place dans la bouche de Pierre après la crise que provoqua le discours sur le pain de vie (Jean 6.68). Nous verrons plus tard ce qu’il entend par ce terme de vie ou de vie éternelle. Pour le moment, nous nous bornons à noter que, comme toute vie vient de Dieu, dire que Jésus nous apporte la vie revient à affirmer que, par son moyen, nous entrons en rapport avec Dieu ; en lui et par lui, la grâce divine, la miséricorde divine s’est approchée de nous ; s’il est en état de nous donner la vie, c’est qu’il est lui-même lumière et vérité et que nous trouvons en lui la révélation parfaite et définitive de Dieu. D’autres messagers divins, dont le prologue fait mention, Moïse, Jean-Baptiste, ont été des lumières, nous ont apporté certains dons de la grâce ; mais la plénitude de la lumière et de la grâce ne se trouve qu’en celui que Jean appelle le Fils unique de Dieu : « Personne ne vit jamais Dieu ; le Fils unique, celui qui est dans le sein du Père, lui nous l’a fait connaître » (verset 18).
Un être céleste est donc apparu en la personne de Jésus. Nous serait-il possible de marquer le rapport qui l’unit à Dieu autrement que par cet anthropomorphisme de Fils ou de Fils unique que nous venons de rappeler ? Jean le fait en lui donnant dès la première ligne du prologue le nom grec de Logos. Ses deux affirmations cardinales à ce sujet sont celles-ci : « le Logos était au commencement… » (verset 1) et « le Logos est devenu chair » (verset 14). Que signifie ce terme énigmatique, et d’abord comment faut-il le traduire ? Deux traductions sont possibles : la traduction traditionnelle de Parole ou de Verbe et la traduction plus philosophique de Raison. Le mot a les deux sens dans la langue grecque ; mais la première traduction a pour elle toutes les vraisemblances ; dans le Nouveau Testament tout entier, le terme logos n’a jamais d’autre sens que celui de mot ou de discours ; puis, l’auteur du 4e Évangile (voir Jean, Évangile de) est un Juif et un Juif palestinien, et l’on sait le rôle que joue dans l’Ancien Testament et dans la théologie du judaïsme la notion de la parole de Dieu ; enfin nous tenons pour évident qu’il y a analogie voulue entre le début de l’Évangile et le premier chapitre de la Genèse, où reviennent par huit fois ces mots : « Et Dieu dit… » Sans doute, il n’y a pas opposition ni même distinction très tranchée entre parole et raison ; le logos, en général, est ou bien la raison en activité et s’exprimant par le langage, ou bien la parole en tant que produit de la raison ; suivant le contexte l’un des sens pourra prédominer, sans que l’autre soit complètement exclu ; dans le cas qui nous occupe, nous estimons que c’est à bon droit que le sens de Parole a été généralement préféré.
En ce qui concerne cette Parole antérieurement à son incarnation, l’évangéliste affirme :
« La Parole est devenue chair » (verset 14). L’expression nous paraît choisie pour écarter l’idée que, par l’incarnation, la Parole aurait changé de nature. C’est le même être qui a été actif dans la création et qui est apparu ici-bas, qui a fait sa demeure parmi nous. Cet être est devenu chair ; il est devenu visible ; il a pris un corps ; il a vécu temporairement sur la terre ; mais c’est bien avec la Parole elle-même et non pas seulement avec un de ses agents que les témoins du Christ ont frayé ; c’est elle qu’ils ont contemplée et qui les a fait naître à la vie d’En-haut. L’incarnation implique-t-elle, comme on le dit parfois, un appauvrissement de la Parole, une sorte de diminution à laquelle elle aurait consenti en venant parmi nous ? Nous ne le pensons pas. En tout cas rien, dans les expressions de l’apôtre, n’est de nature à nous le faire supposer. Pour nous en tenir au prologue, nous constatons que l’évangéliste, après avoir affirmé l’incarnation de la Parole, ajoute immédiatement : « Elle a habité parmi nous… pleine de grâce et de vérité » et, dans une sorte de parenthèse qui retarde la marche de la phrase : « Nous avons contemplé sa gloire, une gloire semblable à celle d’un fils unique venant d’auprès de son père ». Cette gloire, invisible, sans doute, pour les incrédules, brillait de tout son éclat devant les yeux de la foi, qui n’eut aucune peine à la discerner. Le salut que nous apporte la Parole est un salut complet, parfait, définitif ; en elle se trouve non pas seulement un rayonnement, mais la plénitude de la vie éternelle (verset 16). Il est vrai que, dans le cours de l’Évangile, sa gloire, qui est identique à la connaissance de sa vraie nature, apparaît comme voilée et ne se révèle que progressivement aux yeux des disciples ; il fallut la résurrection pour la leur révéler intégralement ; néanmoins elle était là, dès le commencement, tout entière ; même ici-bas, le Fils de l’homme continue à être celui qui est dans le ciel (Jean 3.13) ; le lien qui l’unit au Père est parfait (Jean 10.30 ; Jean 11.42 ; Jean 14.9 et suivant) ; si, à mainte reprise, Jésus parle de son élévation prochaine et de la glorification qui suivra (Jean 3.14 ; Jean 6.62 ; Jean 12.23 ; Jean 12.32 et surtout Jean 17.5), ce qui changera, ce sont ses rapports avec le monde et les dispositions du monde à son égard ; la gloire qu’il va obtenir n’est pas une béatitude qui lui manquait encore, mais la pleine reconnaissance de ce qu’il est et n’a jamais cessé d’être.
D’où Jean a-t-il tiré sa conception du Logos ? Est-ce un emprunt qu’il fait à la philosophie du temps, ou une notion biblique qu’il adapte à ses expériences et à ses convictions chrétiennes ? Les défenseurs de l’authenticité du 4e Évangile se prononcent, dans la règle, pour la deuxième hypothèse, et les adversaires pour la première, ceux-ci étant généralement d’avis que c’est le philosophe juif Philon d’Alexandrie qui a fourni ce terme et la conception qui s’y rattache. C’est un problème difficile à trancher et sur lequel, vraisemblablement, les avis se partageront toujours. Il nous paraît en outre que c’est une question secondaire. Cette question n’aurait réellement de l’importance que s’il était prouvé que la notion introduite dans le prologue a réagi sur la façon dont l’auteur a rapporté les faits ; si, par exemple, il mettait dans la bouche de Jésus des propos sur le Logos qu’il n’a certainement jamais tenus. Mais ce n’est en aucune façon le cas. Si forte que soit la différence entre les langages johannique et synoptique, il est certain que les affirmations fondamentales sont très voisines et que de multiples analogies peuvent être relevées entre le témoignage que Jésus se rend à lui-même chez les Synoptiques et celui que Jean met dans sa bouche. Le terme Logos ne se trouve que dans le prologue de l’Évangile, au début de l’épître (1 Jean 1.1) et dans un passage de l’Apocalypse (Apocalypse 19.13). De plus, ceux-là mêmes qui admettent une certaine dépendance de l’Évangile à l’égard de Philon sont obligés de reconnaître qu’il y a de notables différences entre les conceptions des deux écrivains. Il y a peu d’affinité entre le Dieu de Philon, qui est le Dieu transcendant du judaïsme postérieur et du platonisme, et le Dieu Père du 4e Évangile, dont la notion est si étroitement liée à l’Ancien Testament et à l’enseignement de Jésus ; peu d’affinité entre le Logos de Philon, qui est surtout la raison divine, principe immanent de l’être divin, et le Logos johannique, véritable personne, capable de s’incarner dans un être humain ; peu d’affinité entre l’intérêt cosmologique qui s’attache au Logos de Philon, et la mission avant tout révélatrice et rédemptrice assignée au Logos du 4e Évangile ; peu d’affinité enfin entre le caractère abstrait et philosophique du Logos de Philon, qui sert d’intermédiaire entre Dieu et le monde de la matière, et le rôle historique du Logos de Jean, descendu ici-bas pour répondre à l’espérance messianique. Ces différences tendraient à prouver que si Jean a emprunté quelque chose à Philon, c’est tout au plus le terme de Logos ; encore cet emprunt purement verbal n’est-il nullement établi. Pourquoi veut-on qu’il ait été impossible à un Juif palestinien de se servir de ce mot à moins qu’il n’ait subi une influence étrangère ? Nous avons déjà signalé le rôle important que joue dans l’Ancien Testament la notion de la parole de Dieu ; on connaît, d’autre part, la tendance, perceptible déjà dans les Psaumes et dans les Proverbes (cf. Proverbes 8.22-31), à personnifier certains attributs divins. Pourquoi Jean ne serait-il pas, lui aussi, entré dans cette voie ? Et si l’on nous demandait ce qui aurait pu l’y engager, nous répondrions que les déclarations de Jésus, telles qu’elles étaient gravées dans son souvenir et telles qu’il les a consignées dans l’Évangile, peuvent parfaitement l’y avoir conduit.
La notion du salut qui, dans la théologie paulinienne, se ramène à celle de la justification, se traduit, dans la théologie johannique, par la notion de vie ou de vie éternelle. Quelle est la portée de ce terme ? C’est ce que nous avons maintenant à déterminer en recherchant tout d’abord à quoi il s’oppose et quel est le mal auquel la vie éternelle doit porter remède.
Nous aurions pu dire tout simplement le monde (voir ce mot) ; car, dans le langage johannique, le monde est précisément ce qui s’oppose à Dieu, le royaume sur lequel Satan exerce sa domination. Que faut-il entendre par ce terme ? Pas le monde matériel ; il serait aussi inexact de dire que Jean fait de la matière le principe du mal que de prétendre que Paul voit dans le corps la source du péché ; ni l’un ni l’autre ne peuvent être taxés de dualisme. Le monde, au sens johannique, c’est l’humanité ; la chose ressort avec évidence des nombreux passages où il est question du péché du monde, du jugement du monde et surtout de l’amour dont le monde a été l’objet de la part de Dieu ; mais c’est l’humanité hostile à Dieu, asservie à Satan, travaillée, tourmentée, pervertie par les instincts mauvais dont l’anime celui qui la tient en son pouvoir et qui est appelé pour cette raison le prince de ce monde (Jean 14.30). Le monde, dans la conception de Jean, n’est pas ce champ mélangé de bon grain et d’ivraie dont nous parle l’une des paraboles de Jésus ; c’est un champ qui ne produit que de l’ivraie ; tout, dans sa vie, procède d’un principe mauvais ; il est tout entier au pouvoir du Malin (1 Jean 5.19). Il résulte de ce fait qu’en plus d’un passage, sans que la notion primitive d’humanité soit totalement effacée, le terme monde devient synonyme de péché ; être du monde signifie appartenir au royaume du mal, tout comme, chez Paul, marcher selon la chair signifie vivre dans le péché. Mais sommes-nous sûrs, avant d’aller plus loin, que lorsque Jean parle du péché, il prend ce terme dans le sens où il est généralement employé dans le reste du Nouveau Testament ? Dans la Bible, le péché est présenté comme un acte de révolte ou tout au moins de désobéissance ; il est défini comme la transgression de la loi et classé ainsi parmi les phénomènes d’ordre moral ou volontaire. Or on rencontre parfois l’assertion que, pour Jean, le péché est un fait de nature, qu’il réside dans notre incapacité de créatures, appartenant à un ordre de choses passager et périssable, à nous élever à une vie supérieure, et qu’il n’impliquait aucune responsabilité spéciale jusqu’à la venue du Christ et à la résistance que les hommes lui ont opposée. « Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, dit le Christ johannique, ils n’auraient pas de péché » (Jean 15.22). Il est certain que, pour Jean, le péché par excellence est l’incrédulité, le refus de reconnaître en Jésus le Sauveur et de se soumettre à sa parole ; c’est le péché auquel il n’y a pas de remède, parce qu’il consomme la rupture entre le pécheur et Dieu. Mais, précisément, d’où provient l’incrédulité ? De ce que la lumière fait défaut ? De ce que la révélation divine est entourée de tant d’obscurités qu’il est impossible aux âmes sincères de la discerner ? Nullement. C’est même l’une des thèses principales de l’Évangile que l’incrédulité des Juifs a des causes morales. Dieu a suffisamment rendu témoignage à son envoyé pour que celui-ci soit en droit de les rendre responsables de leur égarement (Jean 5.41-47). La venue de Jésus a, sans doute, provoqué une crise ; mais, si elle a mis en lumière le péché, elle ne l’a pas créé ; il était là et n’attendait que l’occasion de se manifester (Jean 3.19-21). Et si nous demandons à Jean quel est le fond ou la nature intime de ce péché, il nous répond que pécher, c’est se vouloir soi-même, c’est rechercher sa propre gloire (Jean 5.44), c’est se laisser entraîner par ses propres convoitises (1 Jean 2.16), c’est surtout refuser d’aimer ses frères. En péchant, on se met sous le joug du diable, dont on accomplit la volonté (Jean 8.44) ; d’où il résulte que le pécheur se sépare de Dieu ; il vit dans les ténèbres, c’est-à-dire qu’il est privé de la vraie connaissance de Dieu ; il vit dans le mensonge, c’est-à-dire dans ce qui trompe, qui séduit et qui passe ; pécher, c’est donc se condamner à périr. Monde, péché, condamnation, ténèbres, mensonge, mort, autant de termes qui s’appellent et qui décrivent autant d’aspects de la vie sans Dieu.
Connaissant l’état de l’homme sans Dieu, nous sommes à même de comprendre ce que Jean entend par le salut ou, pour nous servir de sa propre expression, par la vie éternelle. Ce terme, si fréquent sous sa plume, se rencontre aussi chez les Synoptiques, où il est également synonyme de salut. Demander ce qu’il faut faire pour être sauvé ou pour hériter la vie éternelle revient exactement au même. Il y a toutefois cette différence entre les Synoptiques et Jean que lorsque les premiers emploient le terme de vie ou de vie éternelle, ils lui donnent régulièrement une portée eschatologique (Matthieu 18.8 ; Matthieu 19.16 ; Matthieu 25.46) ; la vie éternelle est la récompense de ceux qui auront servi le Christ avec fidélité. Cet aspect de la vie éternelle n’est pas inconnu de Jean ; l’Évangile, sans y insister, annonce la résurrection (Jean 5.28 et suivant, cf. Jean 11.24 et suivant) ; l’épître rappelle à ses lecteurs que leur qualité d’enfants de Dieu, bien que réelle, n’éclate pas encore au grand jour (1 Jean 3.2) ; néanmoins, ce qui caractérise très nettement l’enseignement johannique sur ce point, c’est qu’elle est un bien présent, dont les croyants sont dès maintenant en possession (Jean 3.36). En quoi consiste cette vie ? Jean ne la définit nulle part ; mais il n’est pas difficile de constater que ce qu’il entend par ce mot se rapproche beaucoup de ce que Paul appelle la rédemption, c’est-à-dire l’affranchissement des conséquences morales et religieuses, temporelles et éternelles du péché. Périr est dès à présent le sort auquel est condamné quiconque appartient au monde ; « le monde passe, avec sa convoitise » (1 Jean 2.17) ; la vie dont il se vante n’est qu’une illusion ; la paix qu’il donne est une fausse paix (Jean 14.27) ; et celui qui lui appartient ne sait sur qui s’appuyer (Jean 6.68). Jésus, lui, donne la vie ; d’abord la vie qui demeure, qui est au-dessus de tous les accidents et que la mort même ne peut interrompre (Jean 11.25) ; et c’est aussi la vraie vie, celle qui donne conscience d’avoir pris pied dans la réalité, dans le « véritable » (1 Jean 5.20) ; c’est la vie qui satisfait, qui ne laisse au fond du cœur aucun désir inassouvi ; quiconque la connaît ne va plus chercher ailleurs ce qu’il possède désormais en abondance ; en un mot, c’est la perfection du bonheur (Jean 4.13 et suivant). Cette vie est une force ; celui qui l’a reçue se sent supérieur au monde ; il a vaincu le Malin (1 Jean 5.18) ; bien plus, il devient à son tour générateur de vie ; il exerce sur ceux qui l’entourent une action qui les arrache au monde et les met en contact avec la vie : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Mais (Jean 7.38) cette vie, d’où vient-elle ? Qu’est-ce qui l’engendre en nous ? Jean répond à cette question en identifiant la vie et la lumière (Jean 1.4). Or, la lumière, c’est la vraie connaissance de Dieu ; celui qui est né de Dieu et qui, par conséquent, vit, c’est celui qui connaît Dieu (Jean 17.3). De quelle connaissance s’agit-il ici ? Évidemment pas d’une connaissance purement intellectuelle ; il ne suffit pas, pour vivre, d’avoir une notion correcte de Dieu et de savoir que Jésus est venu de sa part. Le mot connaître est employé ici dans son acception hébraïque ; c’est la connaissance pratique, résultant non d’un enseignement mais d’une relation personnelle. Connaître Dieu, dans le langage des prophètes, c’est l’avoir rencontré et, surtout, c’est lui obéir. De même, dans le langage johannique, connaître Dieu, c’est avoir cru à son amour et faire sa volonté. Vivre revient ainsi à aimer Dieu et à garder ses commandements ; quiconque en est là est sorti définitivement des ténèbres et a échappé à la puissance de la mort. Enfin, cette vie, qu’est-elle dans sa réalisation pratique ? Ne serait-elle qu’un sentiment indéfinissable de bien-être et de joie procédant de la certitude de l’amour de Dieu ? Comme elle est née de l’amour, elle se réalise et se manifeste dans l’amour. Jésus, chez Jean, fait de l’amour la marque distinctive de ceux qui lui appartiennent (Jean 13.35), et l’épître nous rappelle que « nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères » (1 Jean 3.14 ; 1 Jean 4.7). Il résulte de là que, comme nous avons pu établir une sorte d’équivalence entre les termes monde, péché, ténèbres, haine, mort, les termes vérité, lumière, amour, vie, sans être absolument synonymes, sont étroitement liés et décrivent le salut dans sa cause objective (lumière), dans sa réalisation subjective (vie), dans sa manifestation et ses effets (amour). Il nous reste à voir comment ce salut est l’œuvre du Fils de Dieu et par quel moyen nous nous l’approprions.
Pour saint Paul, toute l’œuvre du Christ se concentre dans sa mort et sa résurrection ; la prédication de l’apôtre a pour but unique de présenter la croix et de tourner les regards de ses auditeurs vers le Christ crucifié. Ce point de vue, qui fut celui de toute l’Église primitive, est loin d’être étranger à Jean qui, en maint passage, fait allusion à l’œuvre rédemptrice du Christ et à sa mort expiatoire. Jésus est désigné aux disciples de Jean-Baptiste comme « l’Agneau qui ôte le péché du monde » (Jean 1.29), et l’épître nous rappelle que si quelqu’un vient à tomber en faute, nous avons auprès du Père un intercesseur en la personne de Jésus, « qui est une victime expiatoire pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier » (1 Jean 2.2, cf. 1 Jean 4.10 ; 1 Jean 5.6). Néanmoins, ce n’est point sous cet aspect que l’œuvre du Christ est présentée en général dans les deux écrits qui servent de base à la présente étude. Dans la prière sacerdotale, Jésus s’exprime en ces termes : « J’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire » (Jean 17.4) ; il résulte de ce passage, comme, du reste, de l’ensemble de la prière que, dans la conception johannique, c’est le ministère de Jésus, ministère qui se poursuit aujourd’hui par l’intermédiaire de l’Esprit (Jean 14.15-21 ; Jean 14.28 ; Jean 16.12-16) ; qui constitue son œuvre propre ; sa mort, heure douloureuse, qui marque le point culminant de sa carrière terrestre (Jean 12.23 ; Jean 12.28), ouvre en même temps une nouvelle phase de son existence ; c’est le point de départ de son élévation, la condition et le commencement de sa glorification. En quoi donc, a consisté son œuvre ? Elle n’est définie nulle part plus clairement que dans la prière sacerdotale et notamment dans ce mot : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde » (Jean 17.6). C’est là le point essentiel. Christ est le Sauveur, celui qui donne la vie éternelle, parce qu’il apporte ou, mieux encore, qu’il est lui-même la parfaite révélation de Dieu. Sa tâche fut de vivre en qualité de Fils de Dieu parmi les hommes, afin qu’en le contemplant, ils en vinssent à connaître Dieu lui-même, dans son amour insondable et sa volonté sainte. L’envoi du Fils couronne et achève toutes les révélations de Dieu ; la série des prophètes, de Moïse à Jean-Baptiste, lui a frayé la voie ; tous furent d’authentiques messagers de Dieu ; tous furent éclairés d’une lumière divine dont le rayonnement guidait ceux qui consentaient à les suivre. Il est, lui, la lumière, la vérité ; lui seul peut dire : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14.6) parce qu’en lui seul Dieu s’est révélé dans la plénitude de sa grâce et de sa miséricorde ; ses disciples ont trouvé en lui le seul berger véritable ; il a été pour eux la porte, qui les a introduits dans le vrai bercail, où ils sont désormais en sécurité (Jean 10) ; c’est lui qui, en leur manifestant le Père, a fait d’eux tous des enfants de Dieu (1 Jean 3.1). Il se trouve que, par cette œuvre, Jésus a opéré parmi les hommes un jugement ou un triage que certains passages présentent comme le but même de sa venue (Jean 9.39) ; ceux qui sont « de Dieu » ou « de la vérité » ont immédiatement reconnu sa voix ; ceux qui sont « du monde » n’ont ni pu, ni voulu le reconnaître. Pour les premiers, il a été un libérateur ; la vérité qu’il leur a fait connaître les a affranchis (Jean 8.30 et suivants), les a dégagés de l’influence de ce monde, qui ne peut plus ni les séduire par ses plaisirs trompeurs, ni les effrayer par ses menaces et ses mauvais traitements (Jean 16.33). Quant à ceux qui sont « du monde », leur attitude à l’égard de Jésus est leur propre condamnation ; en demeurant incrédules, ils montrent ce qu’ils sont et à qui ils appartiennent ; ils sont les serviteurs ou les fils de celui qui est appelé le père du mensonge ou de l’opposition à Dieu, et leur châtiment est de rester ce qu’ils sont, de demeurer dans l’esclavage, attachés à ce qui périt pour périr eux-mêmes avec ce qu’ils ont recherché. Tel est aussi, d’après les chapitres 13 à 16 de l’Évangile, la double activité de l’Esprit qui, après le départ de Jésus, continuera son œuvre ici-bas, affermissant les disciples, leur remettant en mémoire les choses que Jésus leur avait annoncées, leur en enseignant même de nouvelles, les rendant capables d’accomplir des œuvres encore plus grandes que les siennes et, d’autre part, jugeant le monde et mettant en lumière sa condamnation.
Dans cette œuvre, la mort de Jésus ne joue pas un rôle distinct de celui de sa vie ; avant même de les quitter, Jésus pouvait dire à ses disciples : « Vous êtes déjà nets, à cause de la parole que je vous ai annoncée » (Jean 15.3, cf. Jean 13.10). Néanmoins, nous l’avons dit, la mort de Jésus est fréquemment relevée dans l’Évangile et l’épître ; plus clairement que chez les Synoptiques, on voit dans l’Évangile que Jésus y marchait consciemment dès le début de son ministère, mais elle est présentée sous un autre jour que dans le reste du Nouveau Testament. D’une part, la croix est présentée comme une sorte de piédestal, qui, en élevant le Fils de l’homme, augmentera son pouvoir d’attraction. À cette hauteur où ses adversaires l’auront hissé, tout œil le verra ; l’humanité tout entière dirigera ses regards vers lui et, dans sa mort même, à la fois si pleine de soumission à la volonté de Dieu et si royale, les hommes, enfin convaincus, reconnaîtront le Fils de Dieu (Jean 3.14 ; Jean 12.24-32). D’autre part, la mort de Jésus est pour les disciples la confirmation suprême de l’amour que leur maître leur portait. Pour les sauver, celui qui avait déjà consenti à prendre vis-à-vis d’eux l’attitude de l’esclave et à leur laver les pieds, acceptera la mort ignominieuse de la croix ; berger fidèle au troupeau dont la garde lui a été confiée, il combattra jusqu’à la mort pour le salut de ses brebis (Jean 10).
Telle est l’œuvre de Jésus. Comment nous atteint-elle et par quel moyen nous l’approprions-nous ? La réponse de Jean est identique à celle de Paul : par la foi. Le salut est un don gratuit de l’amour de Dieu et nous ne pouvons que l’accepter avec confiance et reconnaissance. Il y a cependant une nuance entre la conception johannique et la conception paulinienne de la foi. Pour Jean, la foi est tout d’abord l’intelligence ou l’intuition de la vraie nature de Jésus ; croire en lui, c’est reconnaître en lui le Fils de Dieu et prendre vis-à-vis de lui l’attitude qu’entraîne une telle découverte. Pour Paul, la foi est avant tout confiance en Jésus et acceptation de l’œuvre de réconciliation qu’il a accomplie en notre faveur. Mais il est évident qu’il n’y a pas opposition entre ces deux conceptions, dont la différence tient à la façon dont le salut s’était présenté à l’un et à l’autre ; il faut même dire qu’elles sont une dans le fond, puisque la foi, chez Paul et chez Jean, a le même objet et porte les mêmes fruits ; chez Jean, la foi, née de la contemplation du Christ, se traduit d’elle-même en amour (voir ce mot), et Paul, après avoir insisté sans se lasser sur la pleine suffisance de la foi, n’en déclare pas moins avec l’accent le plus convaincu : « Quand j’aurais toute la foi, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien » (1 Corinthiens 13.2).
Consulter sur le sujet les ouvrages sur la théologie biblique du Nouveau Testament ; ils ne sont malheureusement pas très nombreux en français et nous ne pouvons guère citer que :
Aug. Th.
Numérisation : Yves Petrakian