Les Mandéens, peuplade dont les restes subsistent encore aujourd’hui dans la Mésopotamie méridionale, aux environs de Bassora et de Wasit, ainsi que dans les parties limitrophes du Khouzistan persan, ont une religion de caractère essentiellement syncrétiste dont les éléments constitutifs proviennent du paganisme babylonien, du judaïsme, du christianisme primitif, du manichéisme et du parsisme sassanide. C’est la seule religion dérivée de l’ancienne gnose qui se soit maintenue, à travers les siècles, jusqu’à nos jours. Les Mandéens parlent un dialecte sémitique qui se rapproche de l’araméen du Talmud babylonien (cf. Th. Nceldeke, Mandoeische Grammatik, Halle 1575). Dans cette langue ils se nomment Nâsôrdyê, terme qui, chez les Arabes, désigne les chrétiens et qui est probablement identique à celui de Nazôraïoï dans le Nouveau Testament (cf. Actes 24.5 ; Matthieu 2.23). M. Lidzbarski pense que ce terme désigne primitivement une secte d’« observantins ». Ils s’intitulent encore Mandâyê, c’est-à-dire gnostiques, initiés, tandis que, pour les mahométans, ils portent le nom de Subbâ (Sabéens = baptistes) et jouissent ainsi de la tolérance que le Coran accorde à ceux qui portent ce nom (5.73 2.59 22.17). En effet, le baptême joue un grand rôle dans leurs rites, et Jean-Baptiste est en grand honneur chez eux. C’est pourquoi les premiers missionnaires chrétiens qui ont fait leur connaissance, le Carme déchaussé Ignace a Jesu, auteur d’une Narratio originis, rituum et errorum Christianorum Sancti Johannis (Rome 1652), et Angélus a Sancto Josepho, qui déposa, au temps de Colbert, les premiers manuscrits mandéens connus en Europe dans la Bibliothèque Royale, devenue depuis Bibliothèque Nationale de Paris, les ont nommés « chrétiens de saint Jean ».
Les Mandéens possèdent une littérature sacrée qui est du plus haut intérêt.
Les écrits qui la composent sont :
Les manuscrits mandéens que nous possédons sont tous d’origine récente : aucun n’est antérieur au XVIe siècle. Mais les textes qu’ils contiennent sont certainement bien plus anciens. On lit par exemple à la fin de la première partie du Sidrâ Rabbâ que la domination des rois arabes est de 71 ans : nous sommes donc en présence d’un texte écrit au début du VIIIe siècle. Mahomet, d’ailleurs, paraît faire allusion à la littérature mandéenne en désignant, dans le Coran, Jean-Baptiste avec Moïse (7.140 et suivant) et Jésus (19.31) comme initiateur d’une religion fondée sur un livre (19.13, passage où, dans le texte primitif, on lisait peut-être même le nom de Sabéens). Il est possible et même vraisemblable que certains textes contenus dans cette vaste littérature datent d’une époque encore ancienne. Malheureusement il ne s’agit là que d’hypothèses : l’origine et l’histoire primitive de la religion mandéenne nous sont inconnues.
Cette religion est nettement dualiste : le monde de la Lumière est opposé au monde des Ténèbres. L’âme humaine, exilée dans le royaume des Ténèbres, aspire à retourner dans celui de la Lumière. Celle-ci, nommée aussi la Grande Vie, est une personnification de la divinité. Parmi les êtres célestes qui forment toute une hiérarchie, les Manas, les Ùthras, etc., le personnage principal est Manda d’Haiyé (en grec gnôsis tes zôês), identifié aussi avec Hibil-Zîwâ et Enôsh-Uthrâ. C’est lui qui sauvera le monde. Car le monde a été induit en erreur par une série de faux prophètes allant d’Abraham et de Moïse jusqu’à Yishu-Meshihâ (Jésus-Christ). Celui-ci trompa le seul vrai prophète, Yôhânâ ou Yahyâ (forme arabe du nom), c’est-à-dire Jean-Baptiste, qui le baptisa. Mais Enôsh-Uthrâ descendit du ciel et, baptisé par Jean dans le Jourdain, fit crucifier le faux Messie. Avant son retour au royaume de la Lumière, il prêcha la vraie religion, la religion mandéenne.
Les Mandéens professent donc une haine implacable contre les Juifs et les chrétiens, tout en se nommant Nazaréens comme ces derniers : Adonaï, que les Juifs adorent, est un faux dieu, Jésus est un imposteur, et le Saint-Esprit des chrétiens — Rûhâ — est une diablesse. Faut-il conclure de cela que les Mandéens, après avoir été primitivement liés aux « observantins » de la Palestine, s’en seraient, à un moment donné de leur histoire, séparés violemment ?
Les savants ne sont pas d’accord sur l’origine et la formation de la doctrine mandéenne. D’après les uns (cf. M. Goguel, Jean-Baptiste, Paris 1928, p. 122), ces spéculations auraient vu le jour en Babylonie, et leur base serait le paganisme babylonien. Manda d’Haiyé, par exemple, serait le dieu babylonien Mardouk. Les réminiscences juives et chrétiennes s’expliqueraient par des contacts ultérieurs des Mandéens avec ces deux communautés religieuses. D’après d’autres — l’école de Reitzenstein — le mandéisme serait né de la gnose juive plus ou moins hérétique. Ils insistent sur l’importance du baptême chez les Mandéens, qui consiste en une immersion totale dans de l’eau vive — le « Jourdain » — pour rattacher les Mandéens aux sectes baptistes des Juifs et des judéo-chrétiens, et M. Behm (Die mandoeische Religion und das Christentum, Leipzig 1927, p. 28) va jusqu’à considérer le mandéisme comme un mouvement religieux parallèle et rival du christianisme primitif. En effet, d’après M. Lidzbarski, les Mandéens, ainsi que le prouvent et leur langue et leur écriture, seraient venus de l’ouest, c’est-à-dire de la Palestine ou plus exactement des contrées transjordaniennes du Hauran, et M. Odeberg (Die mandoeische Religionsanschauung, Upsala 1930) constate des rapports entre la mystique mandéenne et celle du 3e Hénoch qui est d’origine palestinienne. En France, le P. Lagrange (La gnose mandéenne et la tradition évangélique, Rev. Bbl., 1927, pages 321ss, 481ss ; 1928, pages 5ss) admet également la provenance palestinienne des Mandéens, qu’il considère comme une secte judéo-syncrétiste, mais sans les identifier avec les disciples de Jean-Baptiste. M. Lagrange cite en outre le décret d’extermination promulgué en 425 par Théodose II (« Manichoeos omnesque hoereticôs vel schismaticos sive maihematicos omnemque sectam catholicis inimicam ab ipso adspectu urbium diversarum exterminari debere proecipimus ») pour expliquer la migration des Mandéens de la Palestine en Babylonie.
Ce qui paraît certain, c’est que là gnose mandéenne présente de curieux rapports avec des écrits tels que les Odes de Salomon, et surtout avec la littérature johannique du Nouveau Testament. Sans insister sur la possibilité que l’Évangile selon Jean ait été rédigé primitivement en araméen (cf. CF. Burney, The Arainaic Origin of the fourth Gospel, Oxford 1922) et sans entrer dans les détails, il suffit de rendre attentif à la tendance polémique qui anime l’auteur du quatrième Évangile à l’égard de Jean-Baptiste et de ses disciples. Il est vrai que M. Goguel a raison de signaler que le Jean-Baptiste de l’Évangile est entièrement différent du Jean-Baptiste mandéen : d’un côté un baptême unique reposant sur la repentance, donc de caractère moral, et de l’autre côté un baptême fréquemment répété, acte magique ayant pour but de faire participer le fidèle à la vie du monde supérieur, l’eau qui vient du ciel étant, d’après une ancienne croyance sémitique, un élément divin.
Ch. J.
Numérisation : Yves Petrakian