Aliment providentiel des Israélites pendant leurs pérégrinations à travers le désert arabique (Exode 16.35 ; Josué 5.12), leur tenant lieu du pain dont ils étaient privés ou que, du moins, ils ne pouvaient avoir en quantité suffisante (Exode 16.3), car, outre le lait de leurs troupeaux (Exode 17.3 ; Exode 34.3), ils durent avoir quelques occasions d’acheter des provisions aux caravanes ou aux peuplades rencontrées en chemin (Deutéronome 2.6). Les lois qui supposent abondance de farine, d’huile et de vin (Lévitique 8.2 ; Lévitique 9.4 ; Lévitique 10.9 ; Lévitique 24.5 ; Nombres 7.13) se trouvent dans l’œuvre très tardive de P, qui reporte à l’époque du désert les conditions de la vie du temps des rois ou du retour de l’exil.
La manne se déposait sur le sol pendant la nuit, comme de la rosée (Nombres 11.9), et fondait au soleil (Exode 16.21 ; Sagesse 16.27). C’était une substance menue, floconneuse, blanchâtre (Exode 16.14), qui ressemblait à la graine de coriandre (Exode 16.31) ou à la gomme de bdellium (Nombres 11.7). Il s’en trouvait chaque matin une quantité égale à un orner par personne (Exode 16.16). Elle ne pouvait se conserver d’un jour à l’autre, car elle s’altérait facilement (Exode 16.20). On la broyait dans des mortiers ou à la meule pour la manger bouillie au pot ou cuite au four : elle avait le goût d’un gâteau à l’huile ou d’une galette au miel (Nombres 11.8 ; Exode 16.23 ; Exode 16.31). Le peuple finit par s’en dégoûter (Nombres 11.6 ; Nombres 21.5). Elle cessa à l’entrée d’Israël en Canaan (Exode 16.35 ; Josué 5.12) ; une urne devait en commémorer le souvenir dans l’arche (Exode 16.33 ; Hébreux 9.4).
Le sens du terme est incertain. Il peut y avoir, à l’origine, un jeu de mots populaire : devant l’apparition soudaine d’un produit inconnu le peuple s’étant unanimement demandé : mân hou = qu’est-ce que cela ? cette interrogation aurait été adoptée comme un moyen commode de nommer une chose dont on ignorait la nature (Exode 16.15) ; on peut aussi traduire mân hou par : « c’est de la manne ! » ; dans ce cas, en raison d’une ressemblance avec la manne naturelle connue des Égyptiens sous le nom de mannou, les Israélites auraient désigné cet aliment inattendu à l’aide d’un mot étranger dont ils avaient appris la signification au pays de Gosen.
Les détails fournis par les textes bibliques ne permettent pas d’identifier complètement la manne des Israélites avec la substance sucrée alimentaire que l’on recueille encore aujourd’hui dans l’Arabie Pétrée, en particulier dans la presqu’île du Sinaï, et à laquelle les Arabes donnent aussi le nom de manne qui, dans leur langue, signifie : don du ciel. Celle-ci provient d’un tamaris, arbre saccharifère, le tatnarix mannifera Ehrb. ; la piqûre d’un insecte, la cochenille (coccus tnanniparus), provoque la sécrétion à travers l’écorce des rameaux d’une gomme jaunâtre, d’un goût agréable, appelée tarfa, dont les bédouins font le même usage que du miel ; le phénomène ne se produit cependant que durant deux ou trois mois d’été et à condition que les brumes d’hiver aient été denses et prolongées et les pluies abondantes.
Il est également difficile de l’assimiler, comme on a tenté de le faire, à certain lichen que le vent transporte et dépose en couches épaisses à travers les steppes de l’Asie et dont on fait du pain, ce cryptogame ne répondant pas aux descriptions bibliques de la manne. Celle-ci ne présente enfin qu’un rapport lointain avec la manne utilisée aujourd’hui en pharmacie et qui est un suc du frêne. Il est certain que, dans la tradition israélite, l’apparition de la manne au désert fut considérée, non comme une simple coïncidence providentielle, mais comme un miracle au sens plein du mot : témoin ce qui en est dit, par exemple, à propos de la provision sabbatique (Exode 16.22 ; Exode 16.29), ainsi que les expressions sous lesquelles la manne est désignée par certains auteurs sacrés : grain ou pain du ciel, pain des grands ou des forts, nourriture des anges, aliment céleste (Psaumes 78.24 et suivant Psaumes 105.40 ; Néhémie 9.15 ; Néhémie 9.20 ; Sagesse 16.20 ; Sagesse 19.21, Jean 6.31 ; Jean 6.49 ; Jean 6.58).
Elle joue un certain rôle dans la symbolique juive : plusieurs traités rabbiniques disent qu’au troisième ciel elle est moulue pour les justes ; d’après l’Apocalypse de Baruch (29.8), le trésor de la manne devait descendre du ciel lors de l’avènement du royaume messianique, pour la nourriture des bienheureux. Il doit y avoir, dans Apocalypse 2.17, une allusion à ces traditions : le voyant vient de comparer l’Église de Pergame aux Israélites tentés par Balaam dans le désert (verset 14), et il annonce aux chrétiens victorieux de la tentation l’aliment éternel d’une manne spirituelle, qu’il appelle « cachée », sans doute parce qu’elle découle de la communion intime avec Jésus-Christ. Ch. K.
Numérisation : Yves Petrakian