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Mystères païens
Dictionnaire Biblique Westphal

I Généralités

Le terme de mystère dérive probablement du verbe mueïn ou mueïsthaï et doit, en conséquence, s’entendre de quelque chose d’insolite qui provoque un murmure d’étonnement et d’admiration. Certains philologues préfèrent le rapporter au verbe mueïn = fermer les yeux, par extension initier, consacrer. Quoi qu’il en soit, ce mot s’applique, dans l’histoire religieuse, à la partie ésotérique de la religion. Dans le langage philosophique, il peut désigner les vérités les plus sublimes de la philosophie auxquelles peuvent atteindre seulement les esprits les plus éminents ; c’est ainsi que, dans le néoplatonisme, la philosophie d’Aristote était appelée ta mikra mustêria (les petits mystères) tandis que celle de Platon s’appelait ta mégala mustêria (les grands mystères). Le myste (mustês) est donc, chez les païens, l’homme initié aux pratiques secrètes du culte ; chez les philosophes, l’esprit transcendant s’élevant à la solution des problèmes les plus ardus de la pensée.

Les cultes de mystères se rattachent très probablement à l’origine au culte de famille d’où les étrangers étaient exclus ; c’est ainsi que la femme qui entrait par le mariage dans une famille devait se soumettre à certains rites nuptiaux qui constituaient une véritable initiation. Actuellement encore, chez les non-civilisés, l’agrégation du pubère à l’association religieuse tribale est précédée de cérémonies d’initiation. Cette corrélation entre le groupe et la religion a très probablement uni les mystères aux cultes nationaux. Ce n’est que beaucoup plus tard et sous la pression des sentiments universalistes que les mystères, brisant leur vieux cadre national, recrutèrent leurs adeptes dans tous les pays et dans tous les rangs de la société. En s’élargissant, ces cultes tentèrent en même temps de répondre à des besoins nouveaux de perfection morale et spirituelle. Les religions nationales s’attachaient surtout aux intérêts collectifs du groupe et se préoccupaient peu d’un commerce d’âme de l’individu avec ses dieux, d’un secours moral ou d’immortalité bienheureuse. Le cœur n’y trouvait guère sa part et c’est cette insuffisance qui assura dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, l’énorme propagation des mystères.

Deux tendances se dégagent des informations recueillies sur ces religions initiatiques : une tendance proprement spirituelle qui conduit à l’idée du salut saisi et approprié ; une tendance intellectuelle qui conduit à un dogme, c’est-à-dire à l’expression intellectuelle des sentiments religieux éprouvés. Cette dernière tendance est surtout sensible dans les mystères orphiques et dans le culte de Mithra. Commune à tous les mystères est l’idée de la communion du croyant avec son Dieu, communion qui va jusqu’à une véritable divinisation par identification (théôsis). Cette théôsis a comme condition un sacrifice, dont l’objet peut varier, mais dont la signification reste invariable : c’est le moyen d’entrer en communion avec la divinité.

Il faudrait se garder cependant d’interpréter les mystères à la lumière du spiritualisme moderne et de trop dégager ces idées de salut, de purification et de communion de leur enrobement grossier, voire impudique. Plutarque, décrivant les rites du culte d’Isis et Osiris, déclare qu’il a dû les amputer de leurs détails les plus déshonnêtes. La distinction du fond et de la forme, la foule était incapable de la faire et elle trouvait le plus souvent dans les cérémonies compliquées et frénétiques des mystères la satisfaction de ses plus troubles instincts. Ce n’est guère qu’au IIIe siècle de notre ère que l’on voit un courant plus noble se dégager de cet ensemble composite et bigarré.

II Principaux cultes de mystères

1. Dionysos et Orphée

Au nom d’Orphée, le héros thrace, se rattachent d’innombrables traditions. Ce n’est qu’au VIe siècle avant Jésus-Christ, que la pratique est fermement attestée à Athènes d’une religion bachique, initiatique, placée sous le patronage d’Orphée. L’orphisme est orienté surtout vers la vie dans l’au-delà et réclame de ses adhérents la pratique de règles morales assez strictes, issues vraisemblablement de l’ascétisme pythagoricien. La cérémonie principale du culte, de caractère orgiastique, illustre le mythe thrace de Dionysos Zagreus. En voici le fond : Dionysos Zagreus, né de l’union incestueuse de Zeus et de Perséphone, fut tué et démembré par les Titans à l’instigation de Junon. Zeus recueillit le cœur de la victime, l’absorba et engendra un second Dionysos qu’il appela à partager sa souveraineté. Pour rappeler ce drame mythologique, les prêtresses sacrées, appelées thiades, célébraient une cérémonie nocturne, à la lueur des torches ; par des danses et des cris frénétiques, elles se mettaient en état de trance et, au comble de la fureur sacrée, déchiraient l’animal qui représentait Dionysos (taureau, bouc, faon) ; elles en dévoraient ensuite la chair saignante (homophagie). Par cette homophagie, les thiades étaient censées participer à la mort et à la glorification de Dionysos. Il n’y a pas à proprement parler de résurrection du dieu. Les initiés cherchaient simplement à s’assimiler les vertus divines qu’ils s’appropriaient d’autre part en mâchonnant des feuilles de lierre et de vigne, plantes consacrées à Dionysos.

Les fêtes annuelles de Dionysos présentent incontestablement un rapport avec la vie de la végétation ; mais par quelle évolution ce culte vient-il aboutir à la enfance à l’immortalité bienheureuse, il est difficile de le préciser. Il faut sans doute songer avec Loisy à l’intervention d’une personnalité éminents qui spiritualisa le sens des anciens rites et leur associa la croyance pythagoricienne à la transmigration des âmes. Voir Dionysos.

Consulter

  • O. Kern, Orphicornm fragmenta (Berlin 1923) et Orpheus, eine religionsgesch. Untersuckung (Berlin 1920) ;
  • A. Bou-lenger, Orphée, rapports de l’Orphisme et du Christianisme (Paris 1925).

2. Mystères d’Éleusis

Le fameux hymne homérique à Déméter permet de fermement attester au VIIe siècle avant Jésus-Christ, la célébration de ces mystères. Athènes, ayant conquis Eleusis, lui emprunta son culte en réservant le recrutement du personnel sacré par moitié à des familles éleusiniennes (Eumolpides), par moitié à des familles athéniennes (Kârykes, philleïdaï). Solennisées chaque année à l’automne, les fêtes d’Eleusis furent élevées par Athènes à un degré de splendeur inouï ; d’autre part, les conditions d’initiation aux mystères étaient assez larges pour permettre à tous, même aux esclaves, d’y participer. Seuls, les meurtriers en étaient exclus.

Le mythe éleusinien associe les manifestations de la vie agraire à la fable de Coré (Perséphone). Celle-ci, fille de la terre (Déméter, Cérès), fut enlevée par Pluton, dieu des enfers. Déméter frappa alors la terre de stérilité : l’intervention de Zeus obtint la libération de la captive, que Pluton rend à la condition qu’elle reviendra partager sa VIe souterraine pendant trois mois, allusion transparente au sommeil de la végétation pendant l’hiver. L’initiation se célébrait en deux fois : la muêsis, qui assurait d’abord la qualité de myste ; l’epopteïa, degré supérieur d’initiation sur lequel nous sommes mal renseignés. Une cérémonie préalable de purification avait lieu au bord de la mer : les candidats entraînaient dans les eaux un jeune porc qu’ils sacrifiaient ensuite à Déméter.

Le drame sacré, représenté dans le telesterion, ou lieu d’initiation, figurait le rapt de Coré et sa libération. Le myste s’associait à la douleur maternelle de Déméter et prononçait la formule d’initiation que nous a transmise Clément d’Alexandrie : « J’ai jeûné, j’ai bu le cicéon » (sorte de cordial que Déméter était censée avoir bu). Il s’assimilait ensuite les vertus divines en maniant un certain nombre d’objets sacrés, en disant : « J’ai pris dans la corbeille, j’ai remis dans le boisseau et du boisseau dans la corbeille ». Bien qu’elles soient fermement attestées, on ne voit pas à quel moment se plaçaient les allusions à la vie d’outre-tombe ; nous savons seulement qu’elles étaient faites dans les ténèbres, sous condition du secret le plus absolu.

Un an après, les initiés étaient conviés aux rites de l’epopteïa, au cours desquels leur était présenté l’épi moissonné en silence. Au témoignage de Tertullien et d’Astérius, il semble qu’une idée sexuelle, tout au moins d’union et de fécondité, fût rattachée à l’ostension de l’épi. L’hiérophante entraînait à ce moment la prêtresse dans une chambre secrète et s’unissait à elle. Leur retour était salué par les cris : « la divine Brimo a enfanté Brimos » (l’épi). Ce rite symbolisait probablement la fécondation de la terre par la pluie. Quant à la croyance à l’immortalité, on peut penser avec Frazer, qui s’appuie sur de nombreuses analogies, qu’elle se rattachait à l’évolution du grain, enterré et qui renaît à la vie.

Consulter

  • Paul Foucart, Les mystères d’Eleusis (Paris 1914) ;
  • Maur. Brillant, Les mystères d’Eleusis (Paris 1920) ;
  • R. P. Lagrange, Les mystères d’Eleusis et le Christianisme, Rev. Bbl., 1919, pages 157ss.

3. Cybèle et Attis

Ces deux divinités phrygiennes, dont le culte fut officiellement introduit à Rome en 204 avant Jésus-Christ, illustrent, sous des formes barbares et répugnantes, la religion de la fécondité. Ces deux divinités eurent chacune leur origine propre et leur histoire ; par la suite, l’adoration les associa étroitement et les rites consacrés à Attis ne furent plus qu’un épisode printanier du culte de Cybèle, la « grande mère ».

Entre toutes les légendes du cycle d’Attis (rapportées par Pausanias, Arnobe et Diodore), celle que nous a transmise Ovide paraît bien reproduire le fond le plus populaire du mythe. Il s’agit, là encore, d’un drame d’amour et de jalousie : le jeune berger Attis, exposé parmi les roseaux, est sauvé de la mort par Cybèle qui l’aime. En dépit de cet amour, Attis se laisse entraîner par la nymphe Sangaria. Ivre de jalousie, Cybèle tue sa rivale, et, pour échapper à la folie de son amante, Attis se mutile atrocement sous un pin. Du sang répandu naissent des violettes. Attis ne meurt pas toutefois de sa mutilation, mais entre au service de Cybèle qui lui fait conduire un quadrige de lions. Ce sont les divers épisodes de ce drame que rappellent les fêtes de Cybèle et d’Attis, célébrées à l’équinoxe de printemps. Après la présentation du roseau (canna intrat) et du pin tragique (arbor intrat), les prêtres appelés galles célébraient, dans une cérémonie frénétique, le sanguem ou jour du sang. Au paroxysme de leur frénésie, ils pratiquaient sur eux-mêmes l’odieuse mutilation et faisaient oblation à la déesse du membre amputé. Cette scène atroce était suivie de trois jours de basses réjouissances (hilaria), où l’on a vu le prototype du carnaval romain. Sous l’influence du mythe d’Adonis, sans doute, le mutilé devient par la suite un ressuscité, en accord avec les aspirations à la vie d’outre-tombe qui caractérisent l’époque impériale. Le cycle des fêtes se terminait par une purification (lavatio) ; la statue d’Attis était enterrée ; à un signal lumineux, le tombeau était ouvert et le prêtre oignait d’huile les lèvres des participants en disant : « Soyez consolés, fidèles, car le dieu est délivré ; vous aussi, vous obtiendrez la délivrance. »

Il faut distinguer ces cérémonies des mystères auxquels donna lieu plus tard le culte de la grande Mère, et au cours desquels l’initié s’aspergeait du sang d’un taureau ou d’un bélier immolé (tauro-bolium, criobolium). C’est postérieurement aussi qu’apparaît le rite de la cernophorie, offrande et ostension processionnelle de certains objets ou aliments sacrés dans des vases rituels (cerni). Ces vases étaient souvent remplacés par le tambourin et la cymbale, instruments favoris de Cybèle. De là cette formule initiatique que nous a rapportée Firmicus Maternus (350 après Jésus-Christ) : « J’ai mangé du tympanon, j’ai bu à la cymbale ». D’après Maternus, les éléments de ce repas sacré consistaient en poisson et en vin, et Maternus n’hésite pas à voir dans le choix de ces éléments une intention perverse à l’égard du rituel chrétien.

Le sens de l’affreux hommage que font les galles de leur virilité à Cybèle n’a pas encore été élucidé. On y a vu une forme de mariage sacré, parallèle masculin de la prostitution sacrée ; cette mutilation serait ainsi le rite de la consécration sacerdotale. D’autres estiment que cette mutilation était censée assurer la fécondité aux membres du groupe social, la privation de l’un garantissant au grand nombre la possession du bien entrevu. En l’absence de tout document explicite, le plus sage est de penser que cette sanglante pratique remonte aux temps les plus grossiers et qu’elle s’est maintenue par la force de la tradition en utilisant le véhicule des religions populaires (Loisy).

Consulter

  • Hïpding, Attis, seine Mythcn und sein Kult (Giessen 1903) ;
  • H. Graillot, Le culte de Cybèle, mère des dieux, à Rome et dans l’Empire romain (Paris 1912).

4. Isis et Osiris

Nous avons proprement ici un mystère de la résurrection sur lequel nous sommes amplement renseignés par les innombrables monuments de la religion égyptienne et par l’ouvrage que Plutarque a consacré au mythe d’Isis et Osiris. Osiris fut d’abord, lui aussi, une divinité de la végétation, spécialement du blé ; mais, constamment enrichi, son culte se confondit par la suite, à Alexandrie, avec celui du dieu suprême sous le nom de Sérapis.

Le fond mythique du mystère est celui-ci (d’après G. Jéquier). Fils aîné de Qeb, le dieu-terre, et de Nouït, la déesse-ciel, Osiris personnifie en même temps la végétation et l’eau du Nil. Avec l’aide de sa sœur-femme Isis, Osiris organise le monde des hommes, ce qui suscite la jalousie de son frère Seth qui le précipite à la mer. Isis se met à la recherche des restes de son mari ; ses plaintes déchirantes remplissent l’air. Ayant retrouvé le cadavre, elle ne peut le rappeler à la vie ; cependant fécondée, elle met au monde Horus, vengeur de son père. Horus embaume le corps d’Osiris, inaugurant ainsi les rites funéraires qui assurent la vie d’outre-tombe. Et Osiris, déifié, peut jouir d’une vie nouvelle dans le séjour des morts où, comme jadis sur terre, il assure l’ordre et la paix.

Les fêtes d’Osiris avaient lieu à l’automne et comportaient deux actes : le premier, le drame funéraire, commémore le meurtre d’Osiris et la recherche du cadavre par Isis ; le second célèbre dans la joie la résurrection du héros. L’antiquité de ce culte, ses cérémonies pathétiques, le sens qui s’en dégageait lui assurèrent une rapide et large diffusion. Après avoir conquis le monde hellénistique, il connut sa plus grande faveur à Rome, sous le règne des Antonins. À l’origine, et avant d’être fortement hellénisé à l’époque des Ptolémées, le thème du mythe osirien paraît bien être celui d’un sacrifice agraire, dont la victime était un homme incarnant l’esprit de la végétation. On pense même que, dans les débuts, la victime immolée était le roi lui-même. Plus tard, le sacrifice ne se fit plus que par substitution ou par simulacre, et l’immortalité, conférée primitivement au roi seul, s’étendit à un grand nombre de personnes. Tel fut très probablement le but des mystères célébrés aux temps gréco-romains et dont la description que nous a laissée Apulée constitue un vrai manuel d’initiation. Le myste refaisait l’itinéraire qu’était censé avoir suivi le dieu mort et ressuscité : traité en cadavre, puis ranimé et ressuscité, il « foulait le seuil de Proserpine ». Puis, en vertu d’une association du mythe osirien avec le mythe solaire, l’initié s’élevait dans le monde céleste, comme le soleil monte chaque matin à l’horizon ; il devenait lui-même le dieu-soleil.

Consulter

  • A. Moret, Mystères égyptiens (Paris 1925) ;
  • H. Gressmann, Tûd und Aujerstehung des Osiris (Leipzig 1923) ;
  • Alfred Loisy, Les mystères païens et le mystère chrétien, 2.8 édition, pages 121ss (Paris 1930).

5. Adonis

Tel qu’il était célébré en Grèce, dès le VIIe siècle avant Jésus-Christ, le culte d’Adonis n’est que l’adaptation à la religion populaire de l’hellénisme du culte sumérien consacré à Thammuz (voir ce mot), culte que l’Écriture mentionne au nombre des abominations pratiquées à Jérusalem (Ézéchiel 8.14). Le nom même d’Adonis implique son origine sémitique (adonaï = mon seigneur). Que ce soit en Mésopotamie, en Syrie ou en Grèce, le héros est toujours associé à une déesse dont il est l’amant et à laquelle, après une mort prématurée, il est rendu : c’est Istar en Babylonie, Astarté en Syrie, Aphrodite en Grèce.

De nombreux documents assyriens nous renseignent sur le culte de Thammuz-Istar qui illustrait la mort et la résurrection de la végétation. L’affabulation grecque du mythe nous est connue par deux descriptions détaillées de Lucien et de Théocrite, qui nous montrent le caractère orgiaque que revêtait le culte hellénique d’Adonis. Le thème est le suivant : Adonis, aimé d’Aphrodite, est tué par un sanglier et revendiqué à la fois par Aphrodite et par Proserpine la reine des enfers ; Zeus départage les deux déesses en décidant qu’Adonis passera une partie de l’année avec chacune d’elles, allusion claire aux deux saisons de la mort et de la vie, l’hiver et l’été. De là, les deux parties distinctes de ce culte : l’une de joie bruyante, l’autre de lamentations. À Athènes, les fêtes d’Adonis étaient célébrées en été, mai-juin.

Il n’y a pas, à proprement parler, d’initiation dans le culte d’Adonis.

Consulter

  • von Baudissin, Adonis und Esmun (Leipzig 1911) ;
  • J.G. Frazer, Adonis, Études de religions orientales comparées (Paris 1921).

6. Mithra

Le culte de Mithra qui, au dire de Renan, faillit supplanter le christianisme au IIIe siècle, a son origine dans la religion populaire des hauts plateaux de l’Iran : il figure dans le panthéon hindou primitif comme le dieu de la lumière. Dans le système de Zoroastre, son rôle n’est plus que celui d’un génie inférieur soumis à Ahura-Mazda. Mais par la suite il triompha de cette situation subalterne ; Plutarque signale son rôle éminent et les inscriptions d’Artaxerxès l’invoquent au même titre qu’Ahura-Mazda. La dévotion à Mithra se répandit avec la conquête perse ; à Babylone, elle se pénétra de croyances chaldéennes et Mithra devint le dieu du soleil (Chamach). Ce phénomène de syncrétisme se retrouve en Asie Mineure ; en Phrygie, notamment, la liaison s’opère entre le dieu « invincible » et les grandes divinités indigènes, Cybèle et Attis, association qui persista à Rome où le culte de Mithra se place sous la protection de la dévotion à la grande Mère.

C’est en Asie Mineure également qu’on voit apparaître le taureau qui, depuis, resta associé à la figure de Mithra. La première représentation que nous possédions de Mithra taurophore date du IIe siècle avant Jésus-Christ : on l’y voit terrassant l’animal qu’il vient de frapper de son glaive ; du sang de la victime naissent les espèces animales et végétales, tandis que le scorpion dévore les testicules de la bête pour anéantir sa puissance créatrice. La cérémonie du taurobole ne fut incorporée que tardivement au culte de Mithra ; il l’emprunta probablement à des cultes d’Asie Mineure où elle était usitée comme cérémonie baptismale.

Le culte de Mithra ne pénétra pas dans le monde hellénique, et en Occident même sa diffusion fut tardive. Il eut pour principal véhicule les armées de Trajan, de Lucius Verus et de Septime Sévère ; il est très instructif de voir l’étroite correspondance entre la carte des expéditions militaires romaines et la carte des monuments mithriaques.

L’étonnant succès du mithriacisme à cette époque tient en grande partie à son élévation religieuse et morale : fidélité à la parole donnée, valeur de l’action, purification morale, salut promis aux fidèles. Il est, suivant S. Reinach, « un polythéisme naturiste lentement transformé par une idée morale, finissant par se simplifier et se concentrer dans un dieu unique de miséricorde et d’amour ».

Mithra est fêté le 25 décembre, jour du solstice d’hiver (11 atale solis invicti). Il naît d’un rocher ou dans une grotte et ses premiers adorateurs furent des bergers. Comme nous l’avons dit, sa prouesse principale consiste à tuer le taureau dont le sang féconde la terre. Par la cérémonie du taurobole, le myste s’assimile la vertu revivificatrice de cette immolation. Mithra apparaît ainsi comme un dieu médiateur et rédempteur.

Les initiés, constitués en militia sacra, sont appelés à franchir sept degrés d’initiation répartis en deux groupes : initiations pour les serviteurs (corax, cryphius, miles), initiations pour les participants (leo, perses, heliodromus, pater)

Les sanctuaires mithriaques étaient en général souterrains ; la statue du dieu en occupait le fond ; au centre brûlait le feu sacré. On entrait dans la religion comme dans la milice, par le sacramentum. Les enfants avaient accès aux grades inférieurs, mais ce n’était qu’à partir du grade de lion qu’on était admis à participer aux mystères. Le grand-prêtre, nommé à vie, était appelé pater patrum. Les rites de l’initiation qui comportaient des jeûnes, des ablutions et de véritables épreuves (l’eau, le feu, le fouet) s’étendaient sur une période qui allait jusqu’à quatre-vingts jours. Après l’épreuve du miel dont on enduisait les mains et la langue de l’initié, le lion était admis à la communion, oblation de pain et d’eau rougie. Les diverses épreuves s’accompagnaient d’actes de pénitence et de paroles rituelles qui relèvent le caractère moral de cette religion.

Le culte de Mithra ne visait pas seulement à la pureté dans ce monde mais à la vie éternelle dans l’autre. À la fin des temps, Mithra reviendra sur la terre ; il immolera le taureau dont la graisse mêlée au vin consacré sera pour les bons un breuvage d’immortalité. Les méchants seront anéantis par le feu.

Consulter

  • F. Cumont, Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mithra (Bruxelles 1896-1899), Les Mystères de Mithra (Bruxelles 1913) ;
  • J. Toutain, Les cultes païens dans l’Empire romain, II (Paris 1911).

III Rapports entre les religions de mystères et le christianisme

Les mystères païens présentent d’incontestables analogies avec les rites et les doctrines du christianisme : croyance en un dieu rédempteur qui meurt et ressuscite ; appropriation de l’efficace de cette mort et de cette résurrection par le croyant ; salut lié à l’union mystique du croyant avec son dieu ; rite baptismal par aspersion, le plus souvent par l’aspersion du sang de la victime ; repas sacré ou communion dont les éléments sont parfois du pain et du vin. Ces analogies ont conduit certains historiens (Dieterich, Reitzenstein) à admettre la dépendance du christianisme, surtout sous sa forme paulinienne, à l’égard des religions de mystères. Les analogies existent. Est-ce à dire qu’elles impliquent un emprunt de la part du christianisme ? Rien ne permet de le penser. Tout au plus peut-on reconnaître à la base du développement historique du christianisme l’action de certains facteurs mystiques et spéculatifs à l’œuvre dans les religions mystérieuses alors existantes et qui interprètent, sous des formes souvent dégradées, les sentiments éternels de l’âme religieuse avide de purification et de salut. Le terme même de mystère (grec mustêrion), tel que l’emploie Paul (Colossiens 1.26 ; Colossiens 2.2 ; Colossiens 4.3 ; Éphésiens 3.3 ; Éphésiens 3.10 ; Éphésiens 6.19), revêt un tout autre sens que celui qu’il a dans les religions païennes. Chez celles-ci, il s’entend d’un rite sacré que les fidèles sont tenus de garder secret ; dans le Nouveau Testament, l’acception du mot se rapporte à une confidence divine faite par révélation et que les apôtres ont, au contraire, mission de propager 1.

Le fait que Paul et ses collaborateurs ont connu le vocabulaire et les conceptions des religions initiatiques n’a aucune force probante. Paul emprunte de même nombre d’expressions à la langue du stade ou de l’armée. Serait-il prouvé, au surplus, que l’apôtre des Gentils aurait trouvé dans les cultes de mystères des moules pour sa pensée, qu’il serait aisé de démontrer qu’il a rempli ces moules d’un contenu absolument original (cf. A. Schweitzer, Gesch. der paulin. Forschung). La pensée de Paul est en liaison étroite avec le christianisme primitif, et l’un des éléments les plus importants de sa prédication missionnaire est précisément sa polémique contre le polythéisme. De plus, comment concilierait-on l’hypothèse de l’emprunt direct avec l’idée fondamentale de l’apôtre sur le caractère absolu de la Révélation accordée à Israël ? Pour rendre raison des analogies, il faudrait sans doute remonter au delà de l’empire romain, à la fois dans le monde hellénistique et dans le monde judaïque que les croyances orientales ont fortement pénétrés. La parenté entre le christianisme et les religions de mystères ne peut être, en tout cas, qu’une parenté très éloignée qui exclut formellement l’idée d’un emprunt direct.

A. W. D’A.

1 Il ne faudrait pas trop presser cette opposition, sans quoi l’on sortirait des véritables données du problème. En réalité, l’adepte des mystères païens se considère comme un inspiré ; il est enthéos, rempli de Dieu, il possède la vis deificans grâce aux transports extatiques et aux révélations des mystères : révélation de la fraternité (phratries), de la rédemption (taurobole criobole), de la manducation de Dieu (chair du bouc phrygien, pain d’Attis, gâteau d’Eleusis), de la nouvelle naissance (diksa hindoue), de la bienheureuse immortalité (le blé moissonné dans le symbole de Mithra), etc. La représentation du Mithra tauroctone décrit sur ses bas-reliefs la révélation des sources de la vie, et lui même est représenté par l’image du soleil levant, signifiant : il est lumière, et se lève sur les ténèbres de ce monde. À noter aussi que les adeptes de Mithra étaient de zélés propagandistes. D’autre part, les adeptes du culte chrétien se considèrent comme une humanité nouvelle, des initiés pat l’effusion de l’Esprit : « L’homme psychique ne comprend pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, c’est spirituellement qu’on en juge » (1 Corinthiens 2.14). Quand saint Paul parlant du mystère chrétien dit : « Nous prêchons la sagesse de Dieu aux parfaits » (1 Corinthiens 2.6), le terme grec qu’il emploie et que nous traduisons par « parfaits » est celui-là même qui désigne dans le langage des mystères païens les initiés. Les Pères de l’Église qui ont attribué à l’artifice des démons les ressemblances constatées entre certaines manifestations des mystères païens et les rites du culte chrétien se sont fort éloignés de la psychologie biblique. Celle-ci, au contraire, ne cesse de nous montrer la Providence divine à l’œuvre pour provoquer dans le cœur de l’homme la recherche de Dieu ; recherche à laquelle Dieu répond en se faisant trouver. « Mon cœur me dit de ta part : Cherchez ma face… » (Psaumes 27.8, cf. Amos 8.11). La parole : « Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous » (Jacques 4.8) ne vaut pas pour le Juif seulement, mais pour toute créature. Ce n’est pas l’artifice des démons, c’est l’intuition de l’homme fait à l’image de Dieu, c’est l’élan du pécheur subissant dans l’obscur subconscient de son être l’attirance de Dieu (cf. Jean 3.19) qui a inspiré aux adorateurs païens sous des formes certes bien rudimentaires et des rites parfois très profanes « la représentation d’un Dieu vivifiant qui meurt, ressuscite, associe ses initiés a sa mort et à sa résurrection et qui les régénère en vie éternelle par l’effusion de son propre sang ». Par ces cultes où l’humanité « s’efforce à tâtons » de trouver Dieu (Actes 17.27), l’âme humaine, se dégageant peu à peu d’un naturisme mortel et d’un orgueil non moins funeste, s’élève de symbole en symbole jusqu’au mystère de Mithra, lequel parlait un si pur langage qu’il balança un temps la fortune du christianisme primitif. En tout cela, la compassion divine qui ne fait rien par la magie et qui veut que ses dons soient des exaucements, préparait l’homme à recevoir ce qu’elle lui avait d’abord fait souhaiter : la rédemption par un Dieu qui entre personnellement dans l’histoire, qui s’unit à l’humanité, qui s’offre, qui se donne, qui pardonne et qui communie avec le fidèle auquel il fait part de sa vie éternelle. L’apôtre Paul pouvait bien attribuer les actes de l’adoration païenne à une usurpation satanique, parler de la « table des démons » et de la « coupe des démons » (1 Corinthiens 10.19) ; il n’en savait pas moins que l’aspiration, que l’intuition qui avait conduit les païens à ces actes ne venaient pas des démons mais de Dieu. Voilà pourquoi il emprunte le langage des mystères, pourquoi il appelle l’Évangile un mystère, et pourquoi, sûr d’être compris par toutes les âmes adorantes qui dans le paganisme cherchent le salut, il s’écrie devant l’opposition orgueilleuse des Juifs : « Puisque vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les païens. »

Voir article Messie, pages 155, 156. N.D.L.D.


Numérisation : Yves Petrakian