Voir Atlas 6 C’est l’histoire politique que nous nous proposons de traiter ici.
La principale : Flavius Josèphe, Guerre juive, en 7 livres ; Antiquités judaïques, en 20 livres ; V Autobiographie ; le traité dit Contre Apion ou de l’ancienneté du peuple juif, en 2 livres (voir Josèphe). Les auteurs latins comme Tacite, Suétone, Dion Cassius nous apportent des renseignements précieux sur les relations de Rome et de la Judée (voir Th. Reinach, Textes d’auteurs grecs et latins relatifs au judaïsme). Bornons-nous à mentionner, à côté des dictionnaires et commentaires de la Bible, deux ouvrages capitaux : E. Schurer, Geschichte des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, en 3 volumes, et S. Dubnow, Weltgeschichte des jiidischen Volkes, en 10 volumes, dont le deuxième raconte la période qui va du début de la domination grecque en Palestine jusqu’à la ruine de Jérusalem et nous intéresse particulièrement ; l’original est écrit en russe, maïs il a été traduit en allemand par A. Steinberg.
Voir Atlas 11 Voir Atlas 26 Alexandra, veuve d’Alexandre Jannée (voir Macchabées), était morte en 69 avant Jésus-Christ, laissant deux fils : Hyrcan II et Aristobule II ; leurs luttes fratricides devaient avoir les plus tragiques conséquences, puisque, afin d’y mettre un terme, ils firent appel à l’intervention des Romains, qui pénétrèrent ainsi pour la première fois dans le pays ; ce fut le commencement du drame qui, après des péripéties diverses et mouvementées, ne devait se terminer que par la catastrophe de l’an 70 après Jésus-Christ
Au printemps de 63 avant Jésus-Christ, Pompée est à Damas, il répond favorablement à la demande d’intervention qui lui est adressée et met le siège devant Jérusalem ; la ville est prise, et ce fait va avoir pour la Judée des conséquences graves : désormais, elle sera vassale de Rome. Hyrcan II est nommé ethnarque et grand-prêtre, tandis qu’Antipater, père d’Hérode le Grand, alors gouverneur de l’Idumée, s’attache à lui et, sous l’autorité nominale d’Hyrcan, exerce en réalité le pouvoir et en profite pour faire pommer ses fils à des postes importants de l’administration du pays : Phasaël est administrateur de Jérusalem, et Hérode de la Galilée (63 avant Jésus-Christ). Après la bataille de Pharsale (9 août 48) et la mort de Pompée (28 septembre 48), Hyrcan et Antipater se jettent du côté de Jules César, qu’Antigone, dernier fils survivant d’Aristobule, cherche vainement à gagner à sa cause. César comble de ses faveurs Hyrcan et Antipater. Hérode, à ce moment-là, a 25 ans : il fait preuve d’une rare énergie dans la répression des brigands, et d’une réelle effronterie vis-à-vis des autorités qui auraient voulu le condamner à cause de ses procédés trop sommaires ; lorsque son père meurt empoisonné (43 avant Jésus-Christ), il fait mourir le coupable. Deux incidents compromettent momentanément les intérêts d’Hérode et de son frère : d’abord lorsque, devant Antoine, alors en Bithynie, apparaît une députation de la noblesse juive pour se plaindre d’Hérode ; ce dernier réussit à garder la faveur de son protecteur ; ensuite, lorsque Antigone, avec l’appui des Parthes, réussit à s’emparer du pays, il contraint Hérode à fuir. Antigone reste maître du pays et, pour une courte période, le pouvoir royal des Hasmonéens est rétabli en Palestine. Antigone ne possède pas les qualités nécessaires à un souverain chargé d’exercer l’autorité dans des circonstances aussi délicates, ni le patriotisme enflammé, ni le génie politique, tandis que, pour lui arracher le pouvoir qu’il convoite, Hérode déploie une activité extraordinaire. Il accourt auprès d’Antoine, qui est acheté à prix d’or, et cela d’autant plus facilement que le Romain comprend qu’il importe d’avoir en Judée un instrument docile des volontés de Rome, puisque Hyrcan est prisonnier des Parthes. Dans une séance solennelle du Sénat, Hérode est proclamé roi de Judée, allié et vassal de Rome ; mais il lui faudra encore deux années de guerre civile, ensanglantant la Judée, avant d’être réellement roi. En 39 commencèrent les luttes entre Antigone et Hérode ; elles furent terribles ; Hérode fut obligé de faire le siège de Jérusalem, qui commença au printemps de 38 avant Jésus-Christ, et c’est à ce moment-là qu’il interrompit les opérations militaires pour épouser Mariamme, fille d’Alexandre, fils lui-même de cet Aristobule II dont nous avons parlé et d’Alexandra, fille elle-même d’Hyrcan II : elle était donc la petite-fille d’Hyrcan par sa mère. Par ce mariage avec une princesse hasmonéenne (ils étaient fiancés depuis 5 ans), il entrait dans la famille royale des Macchabées et espérait ainsi se concilier l’appui des patriotes juifs. Après une résistance désespérée de 40 jours, la ville succomba, et il y eut des carnages atroces. Hérode eut fort à faire pour éviter le pillage de la cité et la profanation du temple. Sans l’appui du général romain Sosius, il n’aurait jamais pu s’emparer de Jérusalem : le gouverneur de Syrie envoya Antigone à Antioche où se trouvait Antoine qui, obéissant aux suggestions d’Hérode, le fit mettre à mort (Ce fut le premier Romain, écrit le géographe Strabon, qui fit décapiter un roi. Il ne voyait pas d’autre moyen d’amener les Juifs à accepter Hérode, qui avait remplacé Antigone ; les supplices mêmes ne pouvaient, en effet, les décider à le reconnaître comme roi, tant ils avaient gardé une haute opinion de son prédécesseur. Antoine pensa que le supplice ignominieux d’Antigone obscurcirait le souvenir qu’il avait laissé et atténuerait la haine qu’on avait pour Hérode ». Cette haine ne devait pas désarmer durant toute la vie du nouveau roi.
(37-4 avant Jésus-Christ). Ce titre de « Grand » qui lui est appliqué doit être compris comme signifiant l’aîné ou le premier du nom.
Il est roi, et pourtant il lui faut encore, en réalité, conquérir son pouvoir. Robuste et endurant, de bonne heure accoutumé à l’effort, cavalier excellent et chasseur infatigable, il s’est, dès sa jeunesse, exercé au métier des armes ; sauvage et passionné, dur et inflexible, il est étranger aux sentiments délicats comme aussi aux impulsions de la tendresse ; quand son intérêt est en jeu, il intervient avec une main de fer, sans reculer devant les plus cruels sacrifices et les flots de sang. Il se montre prudent, habile, rusé même dans le choix des moyens, sachant discerner d’un coup d’œil les mesures à employer ; intraitable envers tous ceux qui dépendent de lui, il est vis-à-vis des puissants du jour le plus parfait courtisan. Il comprend que jamais il ne pourra être quelque chose que grâce à l’appui de Rome ; son souci constant sera de garder cet appui nécessaire ; par Rome il arrive et par Rome il se maintient. Pour conquérir réellement le pouvoir, il faut qu’il se débarrasse de ses ennemis : le peuple, l’aristocratie sacerdotale, les derniers Hasmonéens.
Le peuple le déteste et le traite de demi-juif ; il ne voit en lui qu’un roi par la grâce de Rome, souillé du sang des Hasmonéens ; il n’est ni grand-prêtre, ni prêtre-roi, mais souverain purement temporel : ce n’est pas un Juif authentique choisi par des Juifs, mais un souverain moitié juif et moitié païen, imposé par l’étranger. Hérode supprime les résistances : les plus décidés de ses adversaires, il les brise ; les plus souples, il cherche à les gagner par ses faveurs. Ceux qui sont les premiers par la piété, les pharisiens, le détestent ; ils voient en lui » l’esclave iduméen ». Ceux qui occupent le premier rang et qui furent jadis les partisans d’Antigone, il les fait égorger en masse ; « parmi eux se trouvaient quarante-cinq hommes, appartenant aux meilleures familles ; il n’épargne pas les membres du sanhédrin, puis s’empare de la fortune de ses victimes » (Graetz). Enfin il a encore devant lui les derniers Hasmonéens : le vieil Hyrcan, grand-père de sa femme, puis la mère de sa femme, Alexandra, le fils de cette dernière, donc le propre frère de sa femme, nommé Aristobule III Hyrcan fut rappelé de Babylonie, où les Parthes l’avaient emmené prisonnier ; il fut traité d’abord avec respect, avant d’être mis à mort sous le prétexte qu’il avait trahi. Alexandra intrigua pour que son fils obtînt le souverain pontificat ; Hérode résista aussi longtemps qu’il put, mais Alexandra ayant réussi à gagner la faveur de Cléopâtre, Hérode fut obligé, contre son gré, d’accorder au jeune homme la dignité suprême. Le peuple éprouva une immense joie en voyant le fils de ses anciens rois, dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté, remplir avec noblesse ses augustes fonctions, mais Hérode en conçut une jalousie féroce et résolut de se débarrasser de lui. La scène se passe à Jérico : « Comme l’endroit était excessivement chaud, les convives sortirent tous ensemble en flânant et vinrent chercher au bord des piscines — il y en avait de fort grandes autour de la cour — un peu de fraîcheur contre les ardeurs du soleil de midi. Tout d’abord, ils regardèrent nager leurs familiers et leurs amis ; puis le jeune homme se joignit aux baigneurs, excité par Hérode ; alors, certains des amis du roi auxquels il avait donné ses instructions, à la faveur de l’obscurité croissante, pesant sans cesse sur le nageur et le faisant plonger comme par manière de jeu, le maintinrent sous l’eau jusqu’à ce qu’il fût asphyxié » (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XV, 54 ; traduction Reinach). Cité devant Antoine pour se justifier de ce meurtre, Hérode acheta le Romain et réussit à se tirer de ce mauvais pas. Mais, avant de partir, il avait donné l’ordre à son oncle et beau-frère Joseph, tout à la fois frère de son père et mari de sa sœur, de mettre à mort sa femme, Mariamme, dans le cas où il ne reviendrait pas. Salomé, sœur d’Hérode, joua dans cette affaire un rôle particulièrement odieux, accusant son propre mari d’avoir eu des relations coupables avec Mariamme. On peut se représenter les sentiments d’Hérode, à son retour. Joseph est mis à mort, mais Mariamme s’irrite en apprenant l’ordre la concernant que le roi avait donné à son frère. De nouvelles difficultés se dressent sur son chemin : il se voit obligé, pour plaire à Cléopâtre, de lui céder de fort belles parties de son territoire, entre autres la région de Jérico, et, de plus, de faire la guerre au roi des Arabes : Hérode n’en retirait aucun profit car, à cette époque, il aurait aimé voler au secours de son protecteur Antoine, alors en lutte avec Octave. Ce ne fut pas sans courir de grands dangers qu’il put terminer la guerre contre les Arabes ; enfin il fut victorieux, mais un tremblement de terre causa de grands ravages dans le pays et coûta la vie à 30 000 personnes. Sur ces entrefaites, la bataille d’Actium (2 septembre 31 avant Jésus-Christ) se terminait par la victoire d’Octave et l’effondrement de la puissance de son protecteur Antoine. Alors, sans hésiter, Hérode abandonne le vaincu pour se tourner du côté du vainqueur ; il s’empresse auprès de lui, lui narre un service qu’il vient de lui rendre : une troupe de gladiateurs, entretenue par Antoine en Syrie, aurait voulu passer en Égypte pour aider son patron à reprendre l’avantage ; unissant ses forces à celles du gouverneur de Syrie, il avait défait les rebelles. Avant de partir, il avait renouvelé l’ordre, déjà donné dans une précédente occasion, de mettre à mort Mariamme s’il ne revenait pas. Il accourut à Rhodes, se présenta devant Octave, se couvrit du masque de l’humilité, comme un humble vassal de Rome, montra que son concours avait été dans le passé profitable à Rome et qu’il en serait de même dans l’avenir. En politique avisé, Octave discerna ce qu’il y avait de vrai dans les affirmations du royal suppliant et lui rendit, avec la dignité royale, les territoires que Cléopâtre lui avait ravis. Mais, à son retour, ayant appris l’ordre que, pour la seconde fois, son mari avait donné de la mettre à mort s’il ne revenait pas, Mariamme ne lui cache pas son horreur. Et de nouveau Salomé joue son rôle de perfide calomniatrice. Mariamme est condamnée à mort et exécutée, non sans avoir, avant de marcher au supplice, été couverte d’injures par sa propre mère. « La plus belle fille de Juda, la belle Hasmonéenne, l’orgueil de la nation, marcha du tribunal à l’échafaud. Elle y monta calme et résolue, sans faiblesse et sans crainte, et resta digne de ses aïeux. Mariamme était l’image de la Judée, livrée à la hache du bourreau par l’intrigue et la haine. » (Graetz ; cf. Antiquités judaïques, XV, 236 ; l’historien juif trace de la princesse juive un portrait fort remarquable.)
En cette période de sa vie, le roi est au comble de la puissance : rien ne trouble ses relations avec Rome. Agrippa (Marcus Vipsanius Agrippa), le général, l’homme d’État, gendre d’Auguste, vient à Jérusalem rendre visite à Hérode. Ce dernier se montre habile politique et guerrier éprouvé dans la répression des désordres causés par les tribus arabes pillardes dans le voisinage de ses États, qu’il réussit à agrandir par l’adjonction de la Batanée, de l’Auranitide et de la Trachonite. Il est passionné pour les constructions somptueuses : il reconstruit Samarie de la manière la plus brillante ; il la nomme Sébaste-Auguste ; il transforme la tour sur la place du Temple, qui devient l’Antonia dont nous aurons l’occasion de reparler. À la place de la Tour de Straton, sur les bords de la mer Méditerranée, s’élève, après 10 ans de travaux, la ville fameuse de Césarée de Palestine ; son port est tout particulièrement remarquable : une digue puissante, qui s’avance bien avant dans la mer, est bâtie de matériaux amenés de fort loin. La plus célèbre de ses constructions est le Temple de Jérusalem (voir Temple). « Il fit part de son projet aux chefs de la nation, qui en furent effrayés. Ils craignaient qu’Hérode ne voulût seulement démolir l’ancien sanctuaire ou que la reconstruction ne traînât en longueur. Hérode les rassura en leur promettant de ne pas toucher au vieux temple avant que les matériaux du nouveau et les ouvriers ne fussent tous rassemblés. Des milliers de chariots amenèrent sur le chantier d’énormes pierres de taille, des blocs de marbre. Dix mille hommes, experts dans l’art de la construction, se mirent à l’œuvre. Ce travail commença dans la 18e année du règne d’Hérode (janvier 19 avant Jésus-Christ). L’intérieur du temple fut achevé en un an et demi. La construction des murs, des colonnades et des portiques demanda 8 ans, et, longtemps après, on travaillait encore aux parties extérieures. Le temple d’Hérode était un chef-d’œuvre, que les contemporains ne pouvaient assez admirer. Il se distinguait du sanctuaire de Zorobabel par des proportions plus vastes et une splendeur plus grande. Au-dessus de l’entrée principale, Hérode avait, au grand scandale des pieux Israélites, fixé une aigle d’or, symbole de la puissance romaine » (Graetz, Histoire des Juifs). Malgré cela, comme aussi en dépit de sages mesures qu’il prend en allégeant les impôts en des temps particulièrement difficiles ou en intervenant en faveur des Juifs de Cyrénaïque ou de certaines régions de l’Asie Mineure pour que leurs privilèges soient respectés, la population le déteste : à cause des charges accablantes qui pèsent sur elle, des édifices païens qu’il fait élever en Palestine et dans les villes voisines, de son attitude de valet de Rome, de son système perfectionné d’espionnage, de son entourage de Grecs et de Romains, comme aussi à cause des forteresses qui se dressent pour rappeler à la nation qu’elle a perdu sa liberté : Hérodeïon, Masada, Machéronte, etc.
Est marqué par la plus épouvantable des tragédies dans le palais royal. Hérode s’était marié plusieurs fois ; chacune de ses femmes habitait, avec ses enfants, un quartier particulier du palais ; quelques-uns de ses enfants étaient mariés et avaient eux-mêmes des enfants (voir Hérodes [les], tableau généalogique). Il y avait là les fils de Mariamme, qui étaient de race royale, et Antipater, fils aîné du roi, sorti des rangs du peuple, d’abord exilé de la cour, puis rappelé ; il devait être un des mauvais génies de ce drame. À la suite d’atroces calomnies, les fils de Mariamme, Alexandre et Aristobule, sont condamnés à mort et étranglés à Samarie (7 avant Jésus-Christ). Antipater, désireux comme il l’avait été de mettre de côté ses frères, croit être alors parvenu à son but ; il complote la mort de son père, de concert avec son oncle Phéroras, frère du roi, et la ruine de deux de ses plus jeunes frères, Archélaüs et Philippe ; mais, à la mort de Phéroras, toute l’intrigue se découvre. Antipater est rappelé de Rome pour être jeté en prison en attendant que, de Rome, vienne l’autorisation de le faire mettre à mort. Secoué par tous ces événements, le roi tombe gravement malade, et le peuple, le croyant perdu, manifeste sa haine contre le despote. Deux docteurs de la loi poussent leurs disciples à enlever l’aigle d’or placée au-dessus de la porte principale du temple, symbole doublement odieux de soumission politique et de violation de la loi. L’aigle est arrachée vers midi, au moment où les fidèles sont le plus nombreux. Les mercenaires royaux s’emparent des 40 jeunes gens coupables de ce crime et des instigateurs, qui sont deux pharisiens. Cités devant le roi, ils font de courageuses déclarations. Le roi leur demande s’ils ont réellement osé abattre l’aigle d’or ; ils l’avouent. « — Qui vous l’a ordonné ? La loi de nos pères. Et pourquoi tant de joie au moment où vous allez être mis à mort ? C’est qu’après notre mort nous jouirons d’une félicité plus parfaite ». Envoyés a Jérico, ils y furent sévèrement punis : les chefs brûlés vifs, les plus coupables des jeunes gens mis à mort par le bourreau, et les moins coupables frappés de diverses condamnations. La maladie du roi s’aggrave sans cesse ; un séjour aux célèbres eaux thermales de Callirhoé, sur les bords de la mer Morte, à une dizaine de kilomètres de Machéronte (voir plus loin), ne lui apporte aucun soulagement. Ramené à Jérico, il reçoit d’Auguste-l’autorisation de disposer à son gré d’Antipater ; le roi se hâte de profiter de la permission, d’autant plus qu’il a appris qu’Antipater cherche à corrompre son geôlier pour recouvrer sa liberté et, à la fin prochaine de son père, s’emparer du pouvoir : Hérode fait donc tuer Antipater. Il meurt lui-même à Jérico avant la Pâque de l’an 4 avant Jésus-Christ, et il est enterré en grande pompe dans la forteresse d’Hérodeïon, à 3 lieues au sud de Jérusalem (Sur Hérodeïon, voir plus loin, paragraphe 9, 3° et 5°.).
Pour entrer en vigueur, le testament d’Hérode devait être ratifié par l’empereur ; néanmoins, Archélaüs agit en roi ; bien qu’ayant fait au peuple les plus généreuses promesses, il fut obligé d’user de mesures cruelles pour ramener la paix, ce qui lui fit perdre sa popularité naissante. Alors se déchaîna ce qu’on appelle la guerre de Varus : elle fut provoquée par les exactions du trésorier d’Auguste, envoyé dans le pays pour confisquer les trésors d’Hérode ; ce Sabinus se vit bientôt assiégé dans le palais d’Hérode ; il appela à son secours Varus qui, après avoir soumis à son autorité le reste du pays, réussit sans trop de peine à terminer la campagne par la prise de Jérusalem. Il fit rechercher les véritables auteurs du soulèvement ; les plus compromis, au nombre de 2 000, furent mis en croix, les autres gardés en prison. Quant à Sabinus, qui avait mauvaise conscience, il prit soin, avant l’arrivée de Varus, de quitter Jérusalem.
Archélaüs, Antipas et Philippe sollicitent de l’empereur la validation du testament de leur père, en vertu duquel Archélaüs obtiendrait la couronne royale avec la Judée, la Samarie et l’Idumée ; Antipas, la Galilée et la Pérée ; Philippe, la Batanée, l’Auranitide et la Trachonite. Après de longues et violentes discussions, deux comparutions devant l’empereur et un temps de réflexion, Auguste fit connaître sa décision : le testament, tel que nous venons d’en déterminer les dispositions essentielles, était confirmé ; mais aucun des trois prétendants ne recevait la couronne royale : Archélaüs devenait ethnarque ; ses deux frères, tétrarques ; les revenus du premier étaient de 600 talents, ceux du second de 200 et ceux du troisième de 100 talents. Les villes de Gaza, Gadara et Hippos étaient enlevées à Archélaüs et jointes à la province de Syrie. Il faut mettre ici en évidence un fait d’une importance capitale : l’arrivée à Rome, sans doute entre les deux séances, d’une ambassade des Juifs, venus, avec l’autorisation de Varus, pour demander à l’empereur de les délivrer de tous les princes de la famille d’Hérode, contre lesquels ils prononcent un réquisitoire fortement motivé, et de bien vouloir les faire administrer par un gouverneur particulier, rattaché à la province de Syrie ; ils ne désirent qu’une chose : l’autonomie religieuse. C’est le point de vue des pharisiens, c’est-à-dire la prédominance des intérêts spirituels sur les intérêts civils, la possibilité de vivre conformément à leurs propres lois. D’après Josèphe, huit mille Juifs de Rome appuyèrent cette démarche.
Il avait été élevé à Rome ; il reçut, au moment de sa comparution devant l’empereur, le conseil de se comporter avec douceur dans ses relations avec ses administrés ; ethnarque (ce titre désignait un prince d’un rang plus élevé que le tétrarque), il recevrait la couronne royale, s’il savait s’en montrer digne. Il ne put, ni ne voulut le faire. Il paraît cependant avoir respecté les scrupules de ses administrés, en ne faisant pas frapper de monnaies portant des images choquantes pour la piété des Juifs. Il donna aussi, grâce à la construction d’un aqueduc, un grand développement aux plantations de palmiers qui constituaient une des richesses de Jérico. Comme il avait traité les Juifs et les Samaritains avec une égale cruauté, ses ennemis héréditaires s’unirent pour l’accuser auprès d’Auguste. N’ayant pu se justifier des accusations portées contre lui, il fut envoyé en exil en Gaule (6 après Jésus-Christ). Il est certain que sa cruauté fut le principal motif de cette sentence ; on peut supposer, d’après un passage de l’historien Dion Cassius, qu’il aura manqué de la souplesse qui distinguait ses frères, dont nous allons parler. Lui-même, aussi bien que sa femme Glaphyra, fut averti en songe de la destinée qui les attendait. Réduit en province romaine, son territoire fut désormais géré par des procurateurs, et sa fortune fut confisquée.
À la suite des calomnies d’Antipater, il avait été complètement déshérité par un précédent testament de son père Hérode, et c’est seulement dans le dernier qu’il obtenait les territoires qui lui furent dévolus par Auguste. Il pouvait, vis-à-vis de ses frères, se vanter de la pureté de sa descendance : tandis qu’ils étaient fils d’une Samaritaine, lui-même l’était d’une femme juive de Jérusalem. Il éleva, ou plutôt réédifia en l’embellissant, la ville de Panéas, qu’en l’honneur d’Auguste il nomma Césarée ou Césarée-Sébaste : c’est la Césarée de Philippe de nos Évangiles (Matthieu 16.13 ; Marc 8.27). Il fit de même pour
Bethsaïda, bourgade de la basse Gaulanitide, non loin de l’embouchure du Jourdain dans le lac de Génézareth, sur la rive orientale du fleuve ; il lui donna le nom de Julias, en l’honneur de Julie, fille d’Auguste ; c’est la ville de Philippe, d’André et de Pierre, apôtres. Ce que nous savons encore de lui est tout à son honneur ; il menait un genre de vie mesuré et tranquille ; il passait sa vie dans ses États, d’où il ne sortait guère. Quand il se produisait en public, il ne se faisait entourer que d’une petite troupe de soldats d’élite, tant il avait confiance dans le respect et l’affection de ses administrés. Et de plus, dans ses voyages, il était accompagné de son siège de juge que l’on dressait partout où cela était nécessaire : il pouvait ainsi rendre la justice, sans faire perdre de temps aux plaignants. Nous savons peu de chose de sa vie de famille : il avait épouse sa nièce, fille de son frère Hérode et d’Hérodiade, cette Salomé qui dansa lors du festin qu’Hérode Antipas donna au jour anniversaire de sa naissance, festin qui se termina par la mort du Baptiste (Matthieu 14.6 ; Marc 6.22). Ses funérailles furent magnifiques ; il fut enseveli dans un sépulcre préparé d’avance par ses soins à Bethsaïda Julias. Les monnaies frappées par lui sont toutes païennes d’aspect ; au dire des numismates, elles furent les premières monnaies juives à porter une tête humaine, celle de l’empereur ; au revers, elles ont toutes l’image d’un temple tétrastyle.
Celui-ci, ainsi que son frère Philippe, paraît avoir abandonné son frère Archélaüs dans les circonstances relatées plus haut et montré vis-à-vis du pouvoir romain une obséquiosité satisfaisante ; aussi put-il conserver ses États tandis qu’Archélaüs les perdait. Celle de ses constructions qui intéresse le plus le lecteur du Nouveau Testament est Tibériade, dont la situation était fort remarquable ; les Juifs fidèles n’eurent pendant longtemps que de la répugnance pour elle, parce qu’elle était bâtie sur des tombeaux ; aussi, pour peupler la ville nouvelle, appelée du nom de Tibériade pour honorer l’empereur Tibère, fallut-il avoir recours à la violence. Il avait épousé la fille du roi des Arabes Arétas IV (2 Corinthiens 11.32 ; Actes 9.24 et suivant) Rencontrant Hérodiade, il conçut pour elle une vive passion ; elle était la femme de son frère Hérode, simple particulier qui avait été rayé du testament de son père à la suite de la découverte d’un complot auquel avait pris part sa mère Mariamme, fille du grand-prêtre. Hérodiade accueillit ses ouvertures ; ils convinrent entre eux qu’elle irait habiter avec Hérode Antipas dès qu’il serait de retour de Rome. Son épouse légitime ayant eu vent de la trahison de son mari, se fit conduire à Machéronte, forteresse à l’est de la mer Morte ; de là, elle se retira auprès de son père.
Cette union fut pour Antipas une source de malheurs. Elle scandalisait ses sujets parce que contraire à la loi : il y avait, en effet, double adultère. En outre, Hérodiade était tout à la fois sa belle-sœur comme femme de son frère, et sa nièce comme fille de son autre frère Aristobule, ce fils d’Hérode le Grand et de Mariamme, qui avait été mis à mort avec son frère Alexandre, comme il a été dit plus haut. Sur la mort de Jean-Baptiste, Josèphe (Antiquités judaïques, XVIII, 116-119) fournit des renseignements précieux, que voici en résumé : parlant de la défaite essuyée par les troupes d’Antipas auquel Arétas avait déclaré la guerre pour venger l’honneur de sa fille, outragée par la répudiation dont elle avait été la victime, Josèphe expose que, « à quelques-uns des Juifs, il paraissait que cette défaite devait être expliquée comme une punition méritée, en expiation du meurtre de Jean, surnommé le Baptiste. C’était un homme de bien qui exhortait les hommes à la vertu et au baptême, envisagé non pas comme un moyen de détourner de soi-même un châtiment, mais d’obtenir (ou de produire) la pureté du corps, attendu que leur âme avait été précédemment purifiée par la justice. Le grand succès que remportent les prédications de Jean fait craindre que, par ces discours mêmes, ils ne soient entraînés à quelque rébellion ; c’est à cause de ces appréhensions que Jean est d’abord jeté dans la prison de Machéronte, puis mis à mort. L’opinion des Juifs était que la destruction qui avait anéanti son armée n’était pas autre chose qu’un châtiment qui lui avait été infligé par Dieu qui avait voulu par là le rendre malheureux » (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 116ss). L’authenticité de ce passage a été contestée ; on y a vu une interpolation due à une main chrétienne. L’historien juif Simon Dubnow croit, au contraire, que ces lignes sont de la main de Josèphe, et il a certainement raison. Nous trouvons donc, dans Josèphe, des renseignements d’une réelle valeur ; Jean avait acquis sur le peuple une autorité extraordinaire, aussi bien par ses prédications qui attiraient les foules que par la sainteté de sa vie ; l’influence qu’il exerçait sur les masses populaires était telle que le tétrarque ne tarda pas à en prendre ombrage ; il craignit enfin que cet enthousiasme ne devînt le point de départ d’un soulèvement préjudiciable à la paix de l’État ; aussi, avant qu’il fût trop tard, fit-il mourir à Machéronte le prédicateur redouté. La grande popularité de Jean est attestée par nos Évangiles (Marc 1.5 ; Marc 11.27 ; Marc 11.33). Jean fut jeté en prison par Hérode : « Mais Hérode le tétrarque, étant repris par Jean au sujet d’Hérodiade, femme de son frère, et de tous les autres crimes qu’il avait commis, ajouta encore à tous les autres celui de faire jeter Jean en prison » (Luc 3.19 et suivant). « Jean lui disait : Il ne t’est pas permis de prendre la femme de ton frère » (Marc 6.18). Les deux récits que nous possédons de sa mort se lisent Matthieu 14.1-12 ; Marc 6.21-29. D’après les renseignements de Josèphe, c’est à Machéronte qu’il aurait été mis à mort (voir Rev. Bbl. 1909, pages 386ss, article de F.-M. Abel). Cette ville, couronnée d’une forteresse, est pour Josèphe l’extrémité méridionale de la Pérée ; il en fait une description détaillée (Guerre des Juifs, VIII, 66ss) ; à ses yeux sa situation naturelle comme l’industrie des hommes en ont fait une forteresse imprenable ; elle domine de plus de 1 100 m les eaux de la mer Morte, que l’on aperçoit à une dizaine de km à vol d’oiseau. Machéronte fut détruite une première fois par Gabinius, lors de la venue de Pompée en Palestine. Reconstruite par les soins d’Hérode, elle devait tomber au pouvoir des Romains lors de la dernière guerre (voir plus loin, 9, 5°). Antipas apparaît encore dans deux passages des Évangile : Luc 13.31-33 ; Luc 23.1-16 (voir Jésus-Christ) ; bornons-nous à rappeler ici que si Jésus l’appelle un « renard », c’est à cause de sa ruse et de sa cruauté. Voici les derniers renseignements que nous possédons à son sujet (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 240ss) : l’ambition d’Hérodiade l’empêcha de passer dans le calme les dernières années de sa vie ; son frère Agrippa Ier étant devenu roi, elle aurait aimé voir son mari porter la couronne royale ; elle chercha à le persuader d’aller mendier auprès de Caligula cette dignité ardemment convoitée. Pour tâcher de l’y décider, elle excita sa jalousie : si César avait fait d’un simple particulier un roi, hésiterait-il à donner le même titre à un tétrarque ? À ces assauts réitérés, Antipas opposait son désir de repos et sa méfiance de Rome, qu’il connaissait pour y avoir vécu dans sa jeunesse et y être retourné à maintes reprises ; mais il finit par céder aux objurgations de sa femme. Comparaissant devant l’empereur, il fut accusé par un messager qu’Agrippa avait dépêché à Rome, d’avoir, au temps de Tibère, été en relations avec Séjan et plus récemment avec Artaban, roi des Parthes ; cette dernière assertion était appuyée par l’affirmation qu’Antipas avait préparé des armements considérables, ce qui faisait supposer en lui des intentions guerrières. Au lieu d’obtenir la dignité royale, Antipas fut condamné à l’exil ; alors se passa une scène d’une incontestable grandeur : Caligula voulait laisser à Hérodiade la libre disposition de sa fortune personnelle et, supposant qu’elle ne serait pas disposée à partager le malheur de son époux, la remettre à la garde de son frère. Elle lui répondit : « Certes, toi, empereur, c’est avec magnanimité et comme il convient à ta race que tu viens de parler ; il y a quelque chose qui m’empêche de jouir de la faveur de ton présent, c’est l’amour que j’ai pour mon mari ; il ne serait pas juste que celle qui fut sa compagne dans le bonheur l’abandonnât dans le malheur ». L’empereur, âme vile s’il en fut jamais et perdu de vices et de crimes, n’était certes pas capable de comprendre la noblesse d’une telle attitude ; il l’envoya donc, elle aussi, en exil avec Hérode et fit présent de sa fortune à Agrippa. Ils moururent, soit en Espagne (d’après Guerre des Juifs), soit à Lyon, ville des Gaules (d’après Antiquités judaïques)
Pour la détermination exacte de leurs pouvoirs, voir Gouverneur, Archélaüs ayant été déposé en 6 ap, Jésus-Christ, la Judée et la Samarie furent, dès cette date, administrées par Rome ; il en fut de même de la tétrarchie de Philippe, de 34 à 37, c’est-à-dire de la mort de Philippe jusqu’au moment où Caligula fit présent de cette tétrarchie à Agrippa. Quant à celle d’Antipas, elle passa directement des mains du prince envoyé en exil à celles de son accusateur Agrippa. Voici les noms des procurateurs : Coponius, Marcus Ambibulus, Annius Rufus, Valerius Gratus, Ponce Pilate, Marcellus, Marullus. Ils ne restèrent pas longtemps en fonction, à l’exception de Valerius Gratus et de Ponce Pilate, qui furent envoyés dans leur province par Tibère ; c’était un procédé dont celui-ci usait souvent, de conserver longtemps aux mêmes fonctionnaires la charge d’administrer les provinces, pour éviter qu’elles ne fussent pressurées à nouveau par un autre gouverneur.
Tacite écrit, parlant de l’incendie de Rome dont on accusa les chrétiens (Ann., XV, 44) : « Ce nom leur vient du Christ qui, sous le règne de Tibère, fut condamné au supplice par le procurateur Ponce Pilate » (voir Rome). Le philosophe Philon, dans une lettre qu’il aurait écrite à Hérode Agrippa II, déclare que Pilate était d’un caractère indomptable et d’une dureté sans égard pour personne, et, quant à son gouvernement, il lui reproche sa vénalité, sa violence, ses pillages, les mauvais traitements qu’il faisait subir à ses administrés, ses vexations, ses exécutions capitales continuelles et prononcées sans jugement régulier, ses cruautés sans fin et insupportables. L’affaire des aigles. Les procurateurs qui avaient précédé Pilate, voulant ménager les scrupules religieux des Juifs, avaient évité d’introduire dans Jérusalem les enseignes qui, surmontées d’un aigle, symbole de la puissance romaine, et ornées du médaillon de l’empereur (personnage divin), étaient particulièrement odieuses aux Juifs. Pilate, à la faveur de la nuit, les introduisit dans la ville. Le peuple ameuté se précipita à Césarée pour supplier Pilate de faire cesser ce scandale, se déclarant prêt à mourir plutôt qu’à subir un pareil outrage ; Pilate céda. Le pillage du trésor du temple et la construction de l’aqueduc. Un peu plus tard, nouvelle émeute. Pilate pilla le trésor sacré et, à l’aide des sommes d’argent ainsi acquises, il amena l’eau à Jérusalem. Pour calmer le peuple, violemment irrité de cette profanation, il envoya ses soldats qui, déguisés en simples particuliers et armés de gourdins, se dispersèrent dans la foule ; comme elle refusait d’obéir et de se retirer, elle fut frappée à coups de bâtons. Ce n’est que par ces cruautés qu’elle fut réduite au silence. Les Galiléens massacrés. Ce fait ne nous est connu que par Luc 13.1. Mais nous savons que, lors des discussions qui eurent lieu à Rome à l’occasion de la demande que firent les fils d’Hérode pour obtenir l’investiture du testament de leur père, on reproche à Archélaüs d’avoir fait massacrer autour du temple un grand nombre de Juifs venus pour la fête et qui furent immolés de la façon la plus barbare au moment où eux-mêmes allaient offrir leurs sacrifices. Les Galiléens avaient, il est vrai, un fort penchant aux séditions, et Pilate était aussi violent que cruel. Les boucliers dorés. Dans une œuvre historique perdue en partie, Philon racontait comment les persécuteurs des Juifs avaient péri de mort violente (Ce thème devait être plus tard repris par l’orateur chrétien Lactance, vers 312, dans son « Au sujet des morts des persécuteurs »). Dans ce traité, il raconte que Pilate avait fait placer aux murs de sa demeure à Jérusalem (l’ancien palais d’Hérode) des boucliers richement dorés portant le nom de l’empereur. Le peuple en conçut une vive irritation et, comme Pilate refusait obstinément d’éloigner ces objets de scandale, quelques personnages haut placés et quatre des fils d’Hérode intervinrent auprès de lui, mais sans succès. Ils s’adressèrent à l’empereur Tibère qui, discernant les vrais mobiles de Pilate, donna l’ordre d’enlever ces boucliers et de les suspendre à Césarée dans le temple d’Auguste. Malheureusement, la date de cet événement n’est pas connue, parce qu’elle n’est pas fixée par Philon, mais les savants croient pouvoir la placer à une époque tardive de l’administration de Pilate. S’il en est réellement ainsi, nous aurions l’explication de ce que Luc dit (Luc 23.12) de l’inimitié de Pilate et d’Hérode, qui aura pris naissance à propos de la participation d’Hérode Antipas à l’ambassade auprès de Tibère ; elle cessa lors du procès de Jésus, Et si Pilate (voir Jésus-Christ) hésite aussi longtemps à condamner le Christ, c’est qu’il voudrait refuser aux Juifs ce qu’ils lui demandent, afin de ne pas faire plaisir à ceux qui l’ont accusé auprès de l’empereur ; lorsqu’il finit par céder, aux cris de la foule disant : « Si tu le relâches, tu n’es pas l’ami de César ! Quiconque se fait roi se déclare contre César ! » (Jean 19.12), c’est parce qu’il y entend, nettement exprimé, le grief que les Juifs porteront à Rome contre lui s’ils vont de nouveau s’y plaindre comme ils l’ont déjà fait. Le massacre des Samaritains et la déposition de Pilate. Un faux prophète avait engagé les Samaritains à monter avec lui sur le mont Garizim et leur avait promis qu’il leur montrerait les vases sacrés enfouis par Moïse. À sa voix, ils se rassemblèrent dans une bourgade, Tirathana, quand une armée de soldats romains, sur l’ordre de Pilate, fit un massacre de ces malheureux, tandis que d’autres furent mis en fuite ou emmenés en captivité. Sur plainte portée devant Vitellius, légat de Syrie, Pilate fut envoyé à Rome pour se justifier : le gouverneur resta fort longtemps en voyage, près d’un an ! Quand il parvint à Rome, Tibère était mort et l’affaire n’eut pas de suite. On croit que Pilate mourut de mort violente ; Eusèbe affirme qu’il se serait suicidé. La légende s’est beaucoup occupée de lui : comme son corps semait partout la terreur, il aurait été transporté à Vienne en Gaule, puis à Lausanne, d’où il aurait été emmené jusque dans le voisinage de Lucerne ; de là le nom du mont Pilate.
Le pays jouit d’un peu de calme pendant un certain temps. Vitellius, père du futur empereur, légat propréteur de Syrie (35-39 après Jésus-Christ), vint à deux reprises à Jérusalem et y fit preuve de dispositions bienveillantes envers les Juifs. Il eut pour successeur Pétrone, qui administra la Syrie de 39 à 42 environ (Il ne faut pas le confondre avec le Romain du même nom qui vivait à la cour de Néron et qui était appelé par lui « arbitre des élégances ».). La ville de Jamnia (voir Jabné) était alors peuplée en majorité de Juifs ; leurs concitoyens païens, autant pour les irriter que pour faire preuve de dévotion à l’empereur, lui élevèrent un autel, que les Juifs s’empressèrent de renverser. Pour tirer une éclatante vengeance de ceux-ci, Caligula donne l’ordre d’ériger sa statue dans le temple de Jérusalem : cet ordre doit s’exécuter avec le secours de l’armée. Les Juifs opposent à cette odieuse profanation une résistance acharnée. Comprenant à quel point il lui sera difficile, sinon impossible, de vaincre cette violente résistance, Pétrone cherche à gagner du temps : la préparation de la statue doit être faite avec tant de soin qu’il faudra bien des jours pour l’achever ; ensuite, l’époque, celle des récoltes, est défavorable. Caligula cède quand Pétrone lui écrit pour solliciter un délai ; puis il se ravise ; il exige que la statue soit dressée. Hérode Agrippa 1er intervient et réussit à obtenir de l’empereur qu’il renonce à son projet. Sur une nouvelle démarche de Pétrone, la colère de Caligula s’enflamme ; ordre est envoyé au magistrat de se donner la mort. Les messagers, arrêtés par la tempête, arrivèrent en Palestine après que d’autres messagers eurent apporté la nouvelle de la mort de Caligula, assassiné le 24 janvier 41.
Celui-ci était né en 10 avant Jésus-Christ, car c’est à 54 ans qu’il mourut, en 44 après Jésus-Christ. Il avait passé dix ans à Rome pour son éducation. Aussi longtemps que vécut sa mère, il dissimula ses penchants à la dissipation, dans la crainte d’attirer sur lui sa colère ; mais, après sa mort, il dépensa sa fortune en prodigalités et en largesses de tous genres, si bien qu’en peu de temps il fut réduit à la gêne : ce qui l’empêcha de vivre à Rome. Il épousa une noble femme, Cypros, sa cousine germaine, fille d’un frère aîné de son père. Il revint en Palestine ; sur l’intervention de sa femme, il obtint d’Hérode Antipas, son beau-frère parce qu’époux de sa sœur, la place d’intendant du marché de Tibériade. Malheureusement, tous les deux étaient grands buveurs et, dans la chaleur d’une dispute, ils en vinrent aux insultes et se séparèrent. Perdu de dettes, à bout d’expédients, poursuivi par ses créanciers, roulant dans sa tête des pensées de suicide, il finit par échouer à Rome et, grâce à la protection d’Antonia, mère du futur empereur Claude, qui avait été l’amie de sa mère, il reçut de Tibère la charge d’éducateur de son petit-fils nommé Tiberius Gemellus. Il s’attacha davantage encore au petit-fils de sa bienfaitrice, le futur empereur Caligula. Le chemin des honneurs semblait définitivement ouvert devant lui, quand une imprudence de langage le fit jeter en prison : il se laissa aller, devant son domestique, à des paroles regrettables par lesquelles il souhaitait la mort prochaine de « ce vieillard » (Tibère), mort qui mettrait Caligula (proche de lui quand il parlait) en possession de l’empire du monde. Dénoncé, il fut jeté en prison. La rigueur de sa captivité fut adoucie par les attentions de Caligula qui, devenu empereur par la mort de Tibère (16 mars 37), s’empressa de faire sortir de prison son ami et lui remit une chaîne d’or, en souvenir de la chaîne de fer qu’il avait portée dans sa prison : de cette chaîne, Agrippa fit hommage au Dieu des Juifs, en la faisant placer comme une pieuse offrande dans le temple de Jérusalem. Il est roi et reçoit peu à peu tous les territoires qui avaient autrefois formé le royaume de son grand-père, Hérode le Grand. Lorsque Caligula tomba sous les coups d’un assassin, Agrippa se souvint des bontés du défunt envers lui et lui rendit les premiers honneurs funèbres. S’il faut en croire Josèphe, il aurait joué un rôle considérable au moment de l’avènement de Claude, en s’entremettant entre le Sénat et ce dernier, intervention dont l’empereur le récompensa largement. Son pharisaïsme était finesse politique plutôt que conviction sincère, mais, ainsi que l’écrit J. Derenbourg (Essai sur l’Histoire et la Géographie de la Palestine) : « Le bonheur inattendu de sa situation paraît avoir affermi et corrigé un peu le caractère léger du roi… Cypros paraît avoir été… favorable aux pharisiens et a sans doute engagé Agrippa à une certaine déférence envers ce parti ». C’est aussi à l’influence de sa femme que le même auteur attribue le changement notable que nous voyons s’accomplir dans son attitude. Il fut généreux et habile ; Josèphe vante la douceur de son caractère et sa libéralité ; il en donne pour preuve la reconnaissance qu’il montra envers ceux qui avaient été bons pour lui durant ses années de misère. De plus, il intervint, de concert avec son frère Hérode de Chalcis (non mentionné dans le Nouveau Testament), en faveur des Juifs d’Alexandrie, et, d’une manière générale, de ceux de tout l’empire. Gallion, le proconsul d’Achaïe, obéit aux directives de l’empereur Claude, influencé par Hérode Agrippa, quand il refusa d’intervenir dans les querelles intestines des Juifs de Corinthe (Actes 18.12 ; Actes 18.17). C’est sous la protection de cette tolérance relative que Paul a pu exercer son ministère sans être moleste plus qu’il ne le fut par les autorités romaines. Agrippa prit deux initiatives intelligentes :
En mourant, il laissait 4 enfants : Agrippa II, Bérénice, Mariamme, Drusille. Mariamme nous est peu connue et ne figure pas dans le Nouveau Testament
Était trop jeune pour succéder à son père, au dire des conseillers de Claude qui détournèrent l’empereur de son dessein de lui confier le gouvernement de la Judée. Il reçut le royaume de son oncle (celui du Liban), puis l’échangea contre la tétrarchie de Philippe et celle de Lysanias, auxquelles il put joindre plus tard certaines parties de la Galilée. Sa résidence était Césarée de Philippe (voir article) qu’il nomma Neronias pour honorer l’empereur. Au début de la guerre (voir plus loin, paragraphe 9), il chercha à amener les Juifs à renoncer à leur projet de révolte contre Rome ; Bérénice se joignit à lui dans cette tentative qui n’eut aucun succès. Dès lors il se mit du côté de Rome. Sa vie privée fut coupable ; Juvénal nous a conservé le souvenir de l’accusation d’inceste que l’on portait contre lui et sa sœur Bérénice (voir ce mot). Du haut de son palais de Jérusalem, il s’amusait à suivre les cérémonies religieuses qui se déroulaient dans le temple ; pour se débarrasser de cette curiosité déplacée, les prêtres avaient fait élever un mur, dont Agrippa leur avait demandé en vain la suppression. L’affaire fut portée à Rome ; mais, grâce à l’appui de l’impératrice Poppée, favorable au judaïsme, les Juifs eurent gain de cause. Du reste, son intérêt pour le peuple se montra par l’importance qu’il attachait à des choses sans valeur réelle. Actes 25.13 et suivant nous raconte que, venant à Césarée pour saluer Festus, il prit part à l’assemblée solennelle devant laquelle Paul fut appelé à présenter sa défense (Actes 26.1-32). C’est lui qui donne la parole à Paul et lui que l’apôtre interpelle. Il est souvent à Rome, par exemple en 75 après Jésus-Christ, alors que, grâce à l’amour qu’elle avait inspiré à Titus, Bérénice faillit devenir impératrice. Il mourut en 100 après Jésus-Christ
Un affront, fait par les soldats aux Juifs, provoqua des combats dans les rues de Jérusalem et une sanglante répression par Florus ; les Juifs coupèrent les portiques qui reliaient le temple a la forteresse : les Romains ne pouvaient plus intervenir rapidement dans les parvis en cas de troubles (cf. Actes 21.34 ; Actes 21.37 ; Actes 22.24). Incapable de rétablir l’ordre, Florus se retira et Cestius Gallus intervint, en sa qualité de légat de Syrie. Profitant de dispositions plus conciliantes du peuple, Agrippa chercha à le détourner de la révolte et, pour y réussir, il lui adressa, sur le Xyste (voir ce mot), place publique devant le palais des Hasmonéens, un discours où il exposait combien cette guerre était une folie, puisque la puissance militaire de Rome était invincible ; Th. Reinach tient ce discours pour le plus remarquable dans l’œuvre de Josèphe (Guerre des Juifs, II, 345ss), à la fois par l’habile rhétorique et par l’abondance et la précision des renseignements concernant l’empire romain et en particulier son organisation militaire. Le peuple semble touché, mais refuse de se soumettre à Florus. Les Juifs eux-mêmes sont divisés en partisans et adversaires de la paix ; parmi ces derniers se distinguent des groupes plus ou moins violents. Cestius Gallus entre en campagne avec son armée : il est battu et meurt peu après. Néron envoie Vespasien pour le remplacer.
Pendant ce temps, dans les villes frontières, il y avait entre Juifs et païens des luttes sanglantes accompagnées de massacres effrayants par leur nombre et leurs cruautés. Aussi les Juifs se virent-ils forcés d’organiser la résistance : celle de la Galilée fut confiée à l’historien Josèphe ; choix malencontreux, car, ayant vécu à Rome, celui-ci était en secret ami des Romains, convaincu de leur force, et en outre totalement dépourvu de talents militaires. Il n’en vante pas moins ses prodiges de vaillance et d’ingéniosité dans la forteresse de Jotapata (Djéfat), qui succomba fin juin 67 ; Josèphe lui-même fut fait prisonnier. Amené devant Vespasien, il lui aurait dit : « Tu seras César… Tu n’es pas seulement mon maître, tu es celui de la terre, de la mer et de toute l’humanité ». Aussi fut-il l’objet de la bienveillance du général. Suétone fait allusion à cette prophétie. À la tête d’une armée évaluée à 60 000 hommes, Vespasien avait commencé à exécuter son plan de campagne : attaquer l’ennemi par le nord (la Galilée) avant de l’écraser à Jérusalem.
Jean de Giscala, le zélote qui commandait à Jérusalem, y est bientôt rejoint par Simon Bar Giora, zélote lui aussi, tous deux partisans de la guerre à outrance ; ils vont rivaliser entre eux de violence, pour se disputer le pouvoir, en attendant qu’un troisième parti, celui d’Eléazar, fils de Simon, vienne encore augmenter le désordre. Après la Galilée, c’est la Pérée que soumettent les Romains : avec Jérusalem, seules trois forteresses tiennent encore : Hérodeïon (nord de Thékoa et sud-est de Bethléhem), Masada (Ouest de la mer Morte) et Machéronte (Sud de Callirhoé et est de la mer Morte) ; elles ne sont pas mentionnées dans la Bible. Les nouvelles reçues de Rome amenèrent Vespasien à suspendre les opérations militaires. Néron avait été assassiné (9 juin 68 après Jésus-Christ) ; Galba s’était proclamé empereur ; puis, à sa mort, Othon avait été désigné par le Sénat ; les légions d’Occident avaient acclamé Vitellius ; alors les légions d’Orient, jalouses de cette prétention, saluèrent Vespasien du titre d’imperator ; il fut reconnu comme tel d’abord par l’Égypte, puis par tout l’Orient, en attendant que la mort de Vitellius le fît seul maître du monde (20 décembre 69 après Jésus-Christ). Il remit à son fils Titus, âgé de 28 ans, le commandement des troupes romaines. Au printemps, Titus fit voile d’Alexandrie à Césarée ; il atteignit Jérusalem peu avant la Pâque en l’an 70. C’est à ce moment-là qu’au dire d’Eusèbe (Histoire ecclésiastique, III, 5.2-3), les chrétiens quittèrent Jérusalem, avertis comme ils l’avaient été par les prophéties de Jésus (Luc 19.41-44 ; Luc 21.20-24). « Le peuple de l’Église de Jérusalem, grâce à une prophétie qui avait été révélée aux hommes notables qui s’y trouvaient, reçut l’avertissement de quitter la ville avant la guerre et d’aller habiter une certaine ville de Pérée que l’on nomme Pella. C’est là que se retirèrent les fidèles du Christ, sortis de Jérusalem. Ainsi la métropole des Juifs et tout le pays de Judée furent abandonnés par les saints. »
Pendant que les luttes intestines, qui ne devaient prendre fin qu’au moment où le danger devint extrême, continuent à affaiblir les Juifs et provoquent l’incendie de grands magasins d’approvisionnements, les Romains accroissent leurs forces et commencent par le nord eurs attaques à l’aide de béliers et de catapultes ; les Juifs se défendent avec des flèches, des brandons, des pierres, de l’huile bouillante et aussi des machines de guerre qu’ils avaient arrachées à Cestius lors de sa défaite. Celles des Romains furent brûlées par les Juifs, mais cela n’empêcha pas les Romains de s’emparer du mur nord it mur d’Agrippa. À l’imitation de ce que Jules César avait fait à Alésia (Commentaire, VII, 69), Titus fit dresser un rempart qui, enserrant la ville entière, empêchait toute sortie des habitants ; une horrible famine, durant laquelle une mère aurait mangé son enfant, ravagea la cité. Quinze jours plus tard, la deuxième muraille tomba. L’attaque du temple commença ; le 5 juillet, la tour Antonia fut prise et rasée. À partir de ce moment-là, il ne fut plus possible d’offrir les oblations quotidiennes : il n’y avait plus personne pour se charger de ce ministère. C’est autour de la place du temple que se concentra la lutte : à l’incendie allumé par les Juifs répondit l’incendie allumé par les Romains (août 70). Avant que le temple eût été consumé, les soldats plantèrent leurs aigles dans le portique extérieur et saluèrent leur général du nom d’Imperator ; toute la ville fut livrée au pillage et le feu acheva de détruire ce que les armes avaient épargné.
C’est alors dans la ville haute que se transporta la lutte, que les Juifs ne poursuivaient pas avec la même vaillance. Le palais d’Hérode, avec ses trois tours, constituait une véritable forteresse ; sous les coups répétés des béliers, les murailles s’écroulèrent ; le 2 septembre. Rome fut victorieuse des dernières résistances ; le 26, toute la ville était en ruines (70). Ceux des habitants qui avaient échappé à la mort furent tués, réduits en esclavage, condamnés aux travaux forcés ou réservés pour les jeux du cirque. Il fallut encore s’emparer des dernières forteresses restées aux mains des insurgés : Hérodeïon, Machéronte, Masada ne furent prises que plus tard. C’est au gouverneur de Palestine, Lucilius Bassus, qui, après que Titus eut quitté le pays, avait été chargé de la direction des opérations militaires, qu’incomba la mission de s’emparer de ces trois foyers de résistance, demeurés encore aux mains des insurgés. La prise d’Hérodeïon ne paraît pas lui avoir coûté beaucoup d’efforts. Il en fut autrement de Machéronte ( « autrefois la seconde forteresse du pays après Jérusalem », écrit Pline, H.N., V, 16.72) ; elle finit pourtant par se rendre, dans les circonstances suivantes. Parmi les Juifs, l’un d’entre eux, nommé Éléazar, qui se distinguait dans les sorties et restait le dernier pour surveiller la rentrée de ses compagnons dans la forteresse, fut, un jour, victime de sa témérité : les Romains réussirent à se saisir de lui. En présence des assiégés, groupés sur le rempart, le général fit dépouiller de ses vêtements et battre de verges le jeune homme, ce qui lui arracha des cris de douleur ; les assistants étaient saisis d’horreur ; ils le furent davantage encore lorsqu’ils virent que l’on dressait une croix pour y clouer le malheureux ; Éléazar, de son côté, les suppliait de ne pas le livrer au plus lamentable de tous les trépas, mais de S’en remettre à la puissance et à la destinée de Rome, maintenant qu’elle avait soumis déjà tous leurs compatriotes. Les assiégés promirent de se rendre à merci si on leur assurait la vie sauve, à eux et à leur vaillant camarade. Ces conditions furent acceptées par le général romain. Plusieurs des habitants de la ville ne se considérèrent pas comme liés par cet accord et cherchèrent à se frayer un chemin à travers le camp des Romains : ce qui ne réussit qu’aux plus courageux d’entre eux. Quant à ceux qui demeurèrent en ville, les hommes (au nombre de 1.700) furent massacrés, et les femmes, ainsi que leurs enfants, réduits en esclavage. Éléazar et ceux qui avaient promis de rendre la forteresse purent partir en liberté, attendu que Bassus se considéra comme lié par l’accord qu’il avait conclu.
Après la mort de Bassus, Flavius Silva fut chargé de la direction des affaires militaires, qui n’étaient pas achevées puisque Masada tenait encore. Là commandait Éléazar, fils de Jaïr, descendant et probablement petit-fils de Judas le Galiléen (Actes 9.37), zélote ardent et chef courageux ; aussi les Romains durent-ils procéder à un siège difficile. Les opérations militaires étaient rendues fort pénibles par la nature du terrain : Masada, située sur un plateau, au sommet d’un rocher, dominait des ravins profonds ; elle n’était accessible que par deux seuls mauvais passages, qui permettaient l’escalade du rocher : elle constituait le plus précieux des refuges pour des patriotes fermement décidés à vendre chèrement leur vie. L’attaque fut longue : il fallut entourer Masada d’un rempart pour que personne ne pût échapper, avoir recours à l’incendie et aux béliers pour pratiquer les brèches nécessaires à l’envahissement de la forteresse ; les Romains ne manquèrent pas de mettre à profit les expériences tout récemment acquises lors du siège de Jérusalem. La voyant réduite à toute extrémité, Éléazar exhorta ses compagnons de lutte à tuer leurs femmes et leurs enfants pour les préserver du déshonneur et de l’esclavage, enfin à incendier la citadelle avant de se tuer l’un l’autre : ils épargneraient les approvisionnements pour montrer aux ennemis que s’ils avaient péri, ce n’était pas parce que les vivres manquaient, mais bien parce qu’ils avaient préféré la mort à la servitude. Si ce premier discours ne toucha pas les cœurs, il devait en être autrement du second qu’il leur adressa plus tard ; il affirmait que, puisque tel était le décret rendu par Dieu même contre toute la race juive, il fallait s’y soumettre et mourir. Alors, après avoir fait à leurs femmes et à leurs enfants de déchirants adieux, ils les firent mourir de leurs propres mains ; puis ils tirèrent au sort dix d’entre eux, qu’ils chargèrent de faire passer leurs frères de vie à trépas ; puis, de la même façon, ils désignèrent, parmi les dix restants, celui qui égorgerait les autres, avant de se jeter lui-même sur son épée et de tomber sans vie auprès des cadavres des siens. Les seuls survivants de cette scène atroce furent une femme âgée et une autre, parente d’Éléazar, avec ses cinq enfants, qui s’étaient cachés dans un aqueduc souterrain, pendant que les soldats étaient absorbés par leur sanglant labeur. Pénétrant dans l’enceinte fortifiée, les Romains, épouvantés par les ravages du feu, la solitude et l’impressionnant silence qui les environnaient, se mirent à pousser des cris perçants qui firent sortir de leur retraite les pauvres rescapés. Entendant de leurs bouches le récit de ces tragiques événements, les Romains eurent peine à y croire, mais, à leur entrée dans le palais royal qui en avait été le théâtre, ils durent se convaincre de sa réalité : aussi furent-ils remplis d’admiration « de la noblesse du dessein et de l’immuable mépris de la mort » dont ces héros leur avaient donné la preuve (2 mai 73 après Jésus-Christ).
Mais, avant que ces faits se fussent produits, Titus avait ordonné de célébrer de grands jeux à Césarée de Philippe, puis en l’honneur de l’anniversaire de son frère Domitien (24 octobre 70 après Jésus-Christ), à Césarée de Palestine, puis pour célébrer l’anniversaire de son père Vespasien (17 novembre), à Béryte, et ailleurs encore ; partout les prisonniers juifs, contraints au métier de gladiateurs, étaient appelés à lutter les uns contre les autres. Après avoir congédié les légions à Alexandrie, Titus prit le chemin de Rome, emmenant avec lui 700 des plus beaux captifs juifs, avec les chefs de l’insurrection, Jean de Giscala et Simon Bar Giora ; il atteignit la capitale vers la mi-juin 71 après Jésus-Christ. Cette même année, le Sénat décerna à Vespasien et à ses deux fils, Titus et Domitien, les honneurs d’un triomphe particulièrement solennel ; tandis que Jean de Giscala était condamné à la captivité perpétuelle, Simon, le jour même du triomphe, fut égorgé dans la prison. On voyait dans le cortège les dépouilles du temple, entre autres la table des pains de proposition, le chandelier aux sept branches et un rouleau de la loi. Ces précieux restes furent plus tard transportés, sur l’ordre de Vespasien, dans le temple par lui érigé en l’honneur de la déesse de la Paix (75 après Jésus-Christ), sauf le rouleau de la loi qui, avec les tentures de pourpre arrachées au temple de Jérusalem, orna le palais de l’empereur. L’arc de triomphe de Titus sur le Forum en perpétue le souvenir (fig. 268, 269). On ne connaît pas bien la destinée ultérieure de ces précieuses reliques ; on suppose que, lors du pillage de Rome par les Vandales en 455 après J. -C, elles furent transportées en Afrique par Genséric, avant d’être emportées par Bélisaire lorsqu’en 635 il mit fin au royaume vandale (voir Schürer, Gesch., I, 637). Enfin on frappa de nombreuses monnaies en l’honneur de cette victoire ; la plus caractéristique nous paraît être une monnaie d’airain (fig. 179) portant à l’avers la tête de Vespasien avec l’inscription : TITUS VESPASIANUS IMPERATOR PONTIFEX TK (ibunicia potestas) Cos. II (c-à-d. : pour la seconde fois consul) ; comme il fut nommé consul pour la seconde fois le Ier janvier 72 et pour la troisième fois le 1er janvier 74, la monnaie a donc été frappée entre 72 et 73 après Jésus-Christ. Au revers, Titus a le pied sur un casque, ce qui symbolise la victoire qu’il vient de remporter. Il est représenté en costume militaire. De la main gauche, il tient un poignard. Les lettres S.C. signifient : en vertu d’une délibération du Sénat, parce que, pour frapper des monnaies de bronze, il fallait l’autorisation du Sénat, autorisation qui n’était pas nécessaire pour la frappe de monnaies d’or et d’argent. La femme assise et éplorée, c’est la Judée vaincue et captive.
Ern. M.
Numérisation : Yves Petrakian