Non seulement en Israël, mais chez la plupart des peuples de l’antiquité, existait la coutume de consacrer à la divinité les premiers fruits de la terre. Elle était l’expression naturelle de la reconnaissance envers Dieu ou les dieux, auxquels les hommes devaient en première ligne les productions du sol. On commençait par leur donner ce qu’il y avait de meilleur. C’est ainsi qu’on envisageait les premiers fruits, et, ce juste tribut étant acquitté, on estimait que les hommes étaient autorisés à disposer librement du reste. En Israël s’ajoutait à cette considération générale le souvenir que l’Éternel avait donné à son peuple le pays qu’il habitait et s’était acquis ainsi un droit spécial à la reconnaissance de ses adorateurs (Deutéronome 26.5-10).
Dans l’Ancien Testament le terme technique pour désigner les premiers fruits de la terre est bikkourim. Mais on retrouve assez souvent à côté de lui les termes de réchith, proprement « ce qu’il y a de meilleur », et de teroumâh, « prélèvement », à titre de sainte contribution sur un total donné.
L’offrande des prémices, qui existait de toute antiquité, figure naturellement déjà dans l’ancienne législation ; cf. Exode 23.19 ; Exode 34.26 : « Tu apporteras à l’Éternel ton Dieu les prémices (réchith) des premiers fruits de la terre » (bikkourim). Il résulte de l’expression employée que les premiers fruits de la terre n’étaient pas en entier apportés à la maison de l’Éternel, mais seulement ce qu’il y avait de meilleur (la réchith). C’est sans doute également le sens de Exode 22.29 : « Tu ne différeras pas de m’offrir le [tribut de] ta moisson et de ton pressoir » ; mais comme le mot de prémices ne se trouve pas dans le texte, quelques interprètes pensent qu’il s’agit ici de la dîme. L’ancienne législation ne précise pas de quels fruits il faut offrir les prémices, ni la quantité, qui était sans doute laissée à l’estimation individuelle, ni la cérémonie qui accompagnait l’offrande dans le plus grand sanctuaire voisin (la maison de l’Éternel), ni l’emploi exact : consécration sur l’autel, contribution en faveur des prêtres, repas de famille.
Sur toutes ces choses le Deutéronome est plus explicite, sans être complet. On peut conclure tout d’abord de Deutéronome 8.8 que les produits de la terre dont les prémices revenaient à l’Éternel étaient : froment, orge, raisins, figues, grenades, olives, miel (au lieu de miel, le traité de la Mischna : Bikkourim, 1.3, dit « dattes »). En revanche, les dîmes étaient dues sur tous les produits du sol. Deutéronome 18.4 résume les sept catégories de fruits dans l’expression plus générale : « les prémices de ton blé, de ton moût et de ton huile », souvent employée dans la suite. Aux prémices des fruits, le même passage ajoute les prémices de la toison des brebis, et le tout est compris dans le terme « prélèvement de la main », qui figure Deutéronome 12.6 ; Deutéronome 12.11 ; Deutéronome 12.17 (traduit par « prémices » dans nos anciennes versions).
Les prémices faisaient partie du revenu des prêtres (Deutéronome 18.4), mais, avant de leur être remises, elles étaient présentées à l’autel ; peut-être une petite part était-elle consumée par le feu. Le passage Deutéronome 26.1 ; Deutéronome 26.11 contient la liturgie de présentation. L’Israélite devait placer dans une corbeille les prémices (le meilleur) de tous les fruits de la terre, les apporter au sanctuaire et les remettre, avec une parole de dédicace, entre les mains du prêtre, qui déposait la corbeille devant l’autel. Puis l’Israélite exprimait, dans une belle prière, la raison d’être de son offrande : reconnaissance envers l’Éternel pour les produits du sol qui lui avait été donné. Mais la corbeille ne contenait qu’une partie des premiers fruits (bikkourim). Avec le reste l’Israélite devait « se réjouir devant Dieu » et inviter à son repas le lévite et l’étranger qui l’avaient accompagné du lieu de sa demeure à Jérusalem (précédemment au grand sanctuaire le plus voisin). D’après 2 Rois 4.42, on faisait à l’occasion, avec des bikkourim, des présents à des hommes de Dieu qu’on voulait spécialement honorer. Il résulte de Deutéronome 26.1 ; Deutéronome 26.11 que les fruits apportés au sanctuaire étaient à l’état naturel ; mais il faut sans doute faire exception pour le moût et l’huile, qui revenaient de droit aux prêtres.
La législation postérieure contient quelques prescriptions nouvelles. Elle mentionne tout d’abord deux offrandes de prémices non plus des individus, mais de la communauté dans son ensemble. La première est, pendant la fête de Pâque-Mazzoth, le lendemain du sabbat, l’offrande d’une gerbe composée des premiers épis mûrs de l’année, qui doit être apportée à l’autel et agitée de côté et d’autre comme toute oblation faite à l’Éternel, et à cela s’ajoute l’holocauste d’un agneau d’un an. C’est seulement après la présentation de cette gerbe qu’on pouvait commencer à manger du pain ou des épis de la nouvelle récolte. La seconde est l’offrande, le jour de Pentecôte, de deux pains cuits avec du levain (comme des pains ordinaires), comme prémices à l’Éternel au moment où la moisson des blés était terminée. L’offrande était accompagnée d’un holocauste de sept agneaux, d’un sacrifice d’expiation et d’un sacrifice d’actions de grâces ; la chair de ces deux derniers sacrifices et les deux pains revenaient aux prêtres (Lévitique 23.9-14 ; Lévitique 23.15 ; Lévitique 23.21). Les offrandes de la communauté existaient peut-être déjà avant la législation sacerdotale, mais celle-ci est la première à les mentionner.
Nous en pouvons dire autant d’une prescription qui figure Lévitique 19.23-25 et qui rentre dans le domaine des prémices. Il s’agit d’arbres fruitiers nouvellement plantés. Pendant les trois premières années les fruits sont envisagés comme incirconcis et ne doivent être ni mangés, ni offerts en sacrifice. La quatrième année tous les fruits sont consacrés à l’Éternel avec de grandes réjouissances et rentrent dans les revenus des prêtres. Dès la cinquième année seulement ils sont à la disposition des possesseurs des arbres.
Une innovation, que nous rencontrons déjà dans Ézéchiel (Ézéchiel 44.30), est la présentation d’un gâteau, qui revient aux prêtres, comme prémices de la pâte (Nombres 15.17 ; Nombres 15.24). Mais le texte ne précise pas s’il s’agit d’un gâteau offert sur la première pâte de l’année, ou toutes les fois qu’on préparait de la pâte. La tradition a admis cette dernière manière de voir.
Dans le passage Nombres 18.8 ; Nombres 18.19, qui indique les revenus des prêtres, les versets 12 et 13 présentent une difficulté. Ils distinguent entre les prémices (réchith) — tout le meilleur de l’huile, du moût, du blé — et les premiers fruits de la terre (bikkourim) ; et les deux choses, car il ne s’agit pas d’une même chose avec des noms différents, sont attribuées aux prêtres. On ne résout la difficulté qu’en admettant qu’avec le temps les premiers produits du sol avaient été chargés d’une double redevance, ceci sans parler des dîmes qui portaient sur toutes les productions de la terre. À la réchith (ce qu’il y a de meilleur en blé, moût et huile), continuation des anciennes prémices, devenue essentiellement une prestation en faveur des prêtres, s’était ajoutée l’offrande des primeurs (bikkourim), prestation cultuelle dont les prêtres étaient du reste les principaux bénéficiaires, de sorte qu’ils avaient droit à ce qui était premier par la qualité et premier par le temps. C’est à la première catégorie que s’applique le terme de « prélèvements » (teroumôth) dans Néhémie 10.37, tandis que la seconde (bikkourim) figure au verset 35. La quantité à fournir ne figure pas plus dans la législation sacerdotale que dans le Deutéronome et l’ancienne législation.
À côté de ces prestations, il était licite aux Israélites d’employer une part des premiers fruits pour des offrandes volontaires apportées à l’autel (Lévitique 2.12 ; Lévitique 2.14-16).
Les prémices de diverses natures jointes aux dîmes constituaient un revenu considérable, qui n’était pas dépensé au jour le jour ; on l’entassait dans les chambres attenantes au sanctuaire pour les besoins du culte et du personnel sacerdotal (Néhémie 10.35 ; Néhémie 10.39).
La Mischna (traités Bikkourim et Teroumâh) précise les données de l’Ancien Testament, en indiquant comment elles étaient comprises de son temps. Elle distingue nettement entre les bikkourim et les teroumôth. Par bikkourim elle désigne les premiers produits des sept catégories de fruits indiquées Deutéronome 8.8 et prescrit qu’ils doivent être apportés au sanctuaire à l’état naturel, pas avant Pentecôte et pas après la fête de la Dédicace. Par exception, les gens qui demeurent très loin de Jérusalem peuvent les apporter à l’état sec. Les bikkourim ne sont dus que sur les -produits du pays de Canaan. Bikkourim (3.2,6) décrit, sans doute d’une façon quelque peu idéale, le transport et l’arrivée à Jérusalem des « prémices » d’un district. Par teroumôth la Mischna entend les produits du sol, déjà transformés en denrées, qui doivent être livrés directement aux prêtres, même par les propriétaires établis en pays étrangers, comme l’Égypte, Moab et Ammon, la Syrie, la Babylonie. On pouvait du reste aussi les envoyer directement à Jérusalem (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVI, 6). Comme minimum de ces offrandes (teroumôth), la Mischna indique le 60e du revenu total, mais elle laisse entendre que le 40e ou même le 30e serait une preuve particulière de piété. Elle ne fixe rien pour les bikkourim
Dans le Nouveau Testament. Il n’y a d’allusion aux prémices que dans Romains 11.16 (allusion à Nombres 15.20 et suivant). Ailleurs le terme n’est employé qu’en un sens figuré (Romains 8.23 ; Romains 16.5 ; 1 Corinthiens 15.20 ; 1 Corinthiens 15.23 ; 1 Corinthiens 16.15 Jacques 1.18 ; Apocalypse 14.4). Comp., outre les manuels d’archéologie, O. Eissfeldt, Erst Hnge mtd Zehnten im Ancien Testament, Leipzig, 1917.
Aux prescriptions concernant les premiers fruits du sol se rattachent très étroitement les ordonnances relatives aux premiers-nés de l’homme et des animaux (Pour la position des premiers-nés dans la famille, voir ce dernier mot.).
Le droit de Dieu sur les premiers-nés de l’homme et des animaux repose sur la même conception que son droit sur les premiers produits du sol. À lui revient la première part dans les biens qu’il accorde. C’est la supposition qui est à la base de Genèse 22 (sacrifice d’Isaac) ; cf. Exode 22.29. Plus tard on a rattaché le droit de Dieu sur les premiers-nés de l’homme et des animaux à l’histoire de l’exode et des premiers-nés des Égyptiens frappés dans la 10e plaie ; Exode 13.1-15 et suivant, Nombres 3.16 ; Nombres 8.17.
Il s’agit pour les hommes comme pour les animaux uniquement de la descendance mâle. Ni une fille ni un animal femelle n’entraient en ligne de compte, quoique l’expression employée dans plusieurs passages (Exode 13.1-12, sans la fin qui peut être une adjonction postérieure) pourrait faire penser que pour les animaux les femelles étaient comprises, mais l’usage formulé exactement dans d’autres passages ne laisse aucun doute à cet égard (Deutéronome 15.19 ; Deutéronome 15.23 ; Exode 13.15 ; Exode 22.30). En revanche on peut se demander si, pour un homme ayant plusieurs femmes, la loi portait uniquement sur le premier fils né dans la famille ou sur le premier-né de chaque femme, et si, pour les animaux, après une naissance femelle, la première naissance mâle était comptée. Il faut dans les deux cas répondre probablement par la négative, mais aucun passage ne le dit expressément.
Les premiers-nés des hommes devaient être rachetés. Exode 22.29 ne le dit pas sans doute, et de là Ézéchiel a conclu à tort qu’ils devaient être effectivement sacrifiés à l’Éternel (Ézéchiel 20.25 et suivant), mais les autres passages sont très explicites : Exode 13.15 ; Exode 34.20 ; Nombres 18.15 et suivant. D’après ce dernier passage le prix de rachat était de cinq sicles d’argent (sicle du sanctuaire qui était de 20 guéras = fr. 16,30). Le rachat devait avoir lieu dès l’âge d’un mois.
Les premiers-nés des animaux purs (bœufs, brebis, chèvres) ne pouvaient pas être rachetés, car ils appartenaient de droit à l’Éternel (Lévitique 27.26, cf. Exode 22.30 ; Exode 34.19) ; d’après Exode 22.30 ; Lévitique 22.27, ils devaient être apportés au sanctuaire le 8e jour après leur naissance et, dans les temps anciens, ils servaient, après offrande sur l’autel, à un repas de famille, évidemment avec part accordée aux prêtres (Deutéronome 15.19 et suivant) ; plus tard toute la chair échut à ces derniers (Nombres 18.18). Si les premiers-nés des animaux avaient une tare quelconque, ils ne pouvaient pas être apportés à l’autel ; ils restaient à l’Israélite, qui les mangeait dans sa maison (Deutéronome 15.21 et suivant).
Les premiers-nés des animaux impurs étaient rachetés. Dans Exode 13.13 ; Exode 34.20 il est spécialement question du premier-né de l’âne qui pouvait être racheté au moyen d’un agneau ; s’il ne l’était pas, on lui brisait la nuque. Les passages Lévitique 27.27 et Nombres 18.15 ; Nombres 18.17, plus généraux, se rapportent à tout animal impur ; les premiers-nés sont rachetés d’après l’estimation du prêtre, à laquelle on ajoutait un cinquième en plus, ou vendus, le prix de vente revenant au prêtre. Le prix de rachat indiqué Nombres 18.16 ne s’applique qu’au premier-né de l’homme.
Voir aussi Sacrifices et offrandes, Dîmes, Fêtes, Premier-né. L. A.
Numérisation : Yves Petrakian