Trois modes différents d’acquisition de la propriété privée sont mentionnés dans la Bible : l’achat, la donation et l’héritage.
Jacob (Genèse 33.19) achète une portion de champ pour 100 kesitas (voir ce mot). Il est aussi question (Genèse 50.5) dans Version Synodale et Segond d’un sépulcre « acheté », mais Bible du Centenaire traduit plus exactement « creusé ». Joseph achète, pour le compte du Pharaon, toutes les terres des Égyptiens affamés (Genèse 47.18 ; Genèse 47.20). David (2 Samuel 24.22-24) achète une aire pour y célébrer un sacrifice. Achab (1 Rois 21.2) propose à Naboth de lui acheter sa vigne. Omri (1 Rois 16.24) acquiert la montagne de Samarie pour 2 talents d’argent. Des achats ou ventes de propriétés sont encore indiqués dans Proverbes 31.16; Luc 14.18 ; Actes 2.45 ; Actes 4.34 ; Actes 4.37. Mais deux passages plus détaillés nous montrent comment se pratiquaient ces transactions.
Un exemple en est fourni dans Genèse 47.11 : Joseph donne à son père et à ses frères, « dans la meilleure partie du pays d’Égypte », une propriété qui s’agrandira peu à peu de leurs acquisitions (Genèse 47.27).
En pays agricole comme la Palestine, l’héritage était le mode habituel de transmission de la propriété, au point que la langue hébraïque ne distingue pas entre l’héritage d’une propriété, sa possession ou son acquisition par un autre moyen ; les deux mots le plus couramment employés définissent l’établissement de la possession sans donner d’indication sur son origine. S’il est question d’héritage, au sens habituel où nous l’entendons, dans 1 Chroniques 28.8 ; Esdras 9.12 ; Proverbes 17.2 ; Proverbes 19.14 ; Michée 2.3 ; Matthieu 21.38; Luc 12.13, le même terme est employé à propos de la Loi (Deutéronome 33.4 ; Psaumes 119.111), des fils (Psaumes 127.3), d’une propriété quelconque (Proverbes 20.21) des dîmes des Lévites (Nombres 18.21), de l’exaucement de la prière (Psaumes 61.6) et même des châtiments divins (Job 20.29 ; Job 27.13). La Version Synodale traduit par « richesses », dans Ecclésiaste 7.11, le même mot qu’elle traduit par « héritage » au sens propre dans Proverbes 17.2 et par « apanage » au sens figuré dans Ésaïe 54.17.
Les héritiers sont, en premier lieu, les fils. Tous les fils d’un « même père » ont droit à l’héritage, quelle qu’ait été la condition de leur mère : Sara fait chasser Agar pour qu’Ismaël n’hérite pas avec Isaac (Genèse 21.10) ; Abraham éloigne les enfants de ses autres femmes pour donner tous ses biens au fils de Sara (Genèse 25.5 et suivant) ; les frères de Jephté agissent de même envers lui (Juges 11.2). Mais l’aîné a un privilège : il devient le chef de la famille et reçoit une double part (Deutéronome 21.17). La règle est formulée d’une manière absolue ; les dérogations paraissent cependant avoir été nombreuses, mais l’auteur qui les mentionne justifie toujours leur caractère exceptionnel en les présentant comme l’effet soit d’un châtiment (Genèse 49.3 et suivant et 1 Chroniques 5.1 et suivant : Ruben), soit de l’élection divine (Genèse 21.12 : Isaac ; Malachie 1.2 et suivant et Romains 9.13 : Jacob ; 1 Chroniques 22.9 et suivant : Salomon) ; voir Aînesse. Après les fils, Nombres 27.8 et suivant établit ainsi l’ordre de succession : les filles, les frères du défunt, ses oncles et, à défaut, les plus proches parents. Les filles héritent lorsqu’elles n’ont pas de frère ; encore est-ce là une nouveauté, si on en juge par le contexte (Nombres 27.1 ; Nombres 27.4). Ce texte est d’ailleurs récent, comme tous ceux qui rapportent le même usage (Esdras 2.61 ; Néhémie 7.63 ; Tobit 6.12). L’héritage des filles de Job (Job 42.15) est cité comme un cas exceptionnel, montrant la fabuleuse richesse du héros (d’après Bible du Centenaire). L’ancien droit sémitique excluait complètement les femmes de l’héritage : la veuve en était une part plutôt qu’une héritière ; suivant la coutume du lévirat (voir Mariage, paragraphe I), lorsqu’un homme mourait sans avoir de fils, son frère ou, à défaut, son plus proche parent devait épouser la veuve afin de donner un héritier au défunt (Deutéronome 25.5).
Chez les nomades, les biens immobiliers consistant surtout en pâturages sont d’ordinaire propriété commune. Il en fut ainsi pour les premiers Israélites ; le régime de la propriété, tel qu’il apparaît dans la Bible, suppose toujours que l’héritage appartient à la famille ou à la tribu, dont les héritiers ne sont que les représentants individuels. Lorsqu’une fille devient héritière des biens paternels, elle ne peut épouser qu’un homme de sa tribu, pour que l’héritage ne passe pas à une autre tribu (Nombres 36.1 ; Nombres 36.12). Quand, pour une raison quelconque, un Israélite est contraint de vendre une partie de ses biens, le plus proche parent a le droit de rachat (Lévitique 25.25). L’exercice de ce droit, que nous retrouvons dans Jérémie 32.7, a dû être très général, puisque le mot gôel, signifiant : celui qui rachète, servait à désigner le proche parent (voir Vengeur du sang). Peu à peu l’usage tomba en désuétude, et il nous est présenté comme facultatif dans Ruth 4.1 ; Ruth 4.10 qui en décrit la procédure, associée ici à celle du lévirat. Le vendeur lui-même, s’il parvient à s’en procurer les moyens, peut toujours racheter sa terre (Lévitique 25.26).
Les prescriptions de l’année jubilaire (voir Sabbat, III) ont le même but (Lévitique 25.13 ; Lévitique 27.24). Tous les cinquante ans, les biens aliénés doivent faire retour au propriétaire primitif, s’il n’a pu les racheter auparavant. Ce n’est donc pas, à proprement parler, la terre qui est vendue (Lévitique 25.23), ce sont les récoltes qu’elle produira : le nombre de récoltes dont jouira l’acquéreur avant le prochain jubilé entre seul en compte pour en fixer le prix (Lévitique 25.15). Le droit de rachat et la reprise de possession de l’année jubilaire ne s’appliquent qu’aux maisons de village, faisant corps avec le fonds de terre (Lévitique 25.31). Une maison sise dans une ville devient la propriété définitive de l’acquéreur et de ses descendants si le vendeur n’a pas exercé son droit de rachat dans le délai d’un an (Lévitique 25.29). Exception est faite pour les Lévites (voir Prêtres et lévites), qui conservent toujours le droit de rachat sur les maisons situées dans leurs villes, celles-ci et les terres qui en dépendent étant leur propriété perpétuelle (Lévitique 25.32 ; Lévitique 25.34). Une maison offerte à l’Éternel peut être rachetée par le donateur, qui ajoutera un cinquième au prix d’estimation (Lévitique 27.15). S’il s’agit d’un champ dépendant du patrimoine, le rachat peut avoir lieu dans les mêmes conditions ; mais au cas où le donateur n’exerce pas son droit de rachat, le champ est vendu à un autre acquéreur, pour faire retour au prêtre et devenir sa propriété définitive lors du jubilé (Lévitique 27.16-21). Ici la distinction est bien établie entre le patrimoine et les biens acquis, auxquels la règle commune est appliquée (Lévitique 27.22 ; Lévitique 27.24). Le même principe de conservation du bien familial se retrouve dans Ézéchiel 46.16 : une donation est définitive lorsqu’elle est faite aux enfants ; dans tout autre cas la jouissance prend fin l’année du jubilé (Ézéchiel 46.17). Le droit imprescriptible de l’Israélite sur son patrimoine est rappelé dans le même texte au verset 18.
D’après Bible du Centenaire, la loi du jubilé ne paraît pas avoir été appliquée ; elle serait une codification théorique du vieux droit de rachat et de certaines coutumes ayant trait au lotissement périodique, par voie de tirage au sort de propriétés communes ; il peut y être fait allusion dans des textes comme Psaumes 16.6 ; Proverbes 1.14 (en traduction littérale : « tire ton lot »), Jérémie 37.12 (traduction L. Gautier, Crampon), Michée 2.5.
À l’époque de Jésus, toute trace de propriété indivise doit avoir disparu, sauf dans les communautés esséniennes (voir Esséniens). La terre est en général aux mains de petits propriétaires l’exploitant eux-mêmes avec leurs fils et quelques journaliers (Matthieu 13.25-30) ; d’après Matthieu 18.12-14 et Jean 10.1 ; Jean 10.15, le maître s’occupe lui-même du troupeau. La grande propriété n’est cependant pas inconnue : il y a de gros propriétaires résidant sur leur domaine (Luc 15.11 ; Luc 15.32), d’autres qui afferment leurs terres et viennent en recueillir les fruits (Matthieu 21.33 ; Matthieu 21.12; Luc 13.6 ; Luc 13.9), d’autres enfin qui font exploiter leurs biens par un intermédiaire (Matthieu 24.45 ; Matthieu 24.51; Luc 16.1-9). Le père de famille est maître absolu sur son domaine ; la femme ne peut disposer ni de son héritage ni du produit de son travail ; de même le fils n’a rien à lui tant qu’il demeure dans la maison (Luc 15.29). Il arrive cependant que le père donne, de son vivant, une part d’héritage à ses enfants (Luc 15.12) ; mais cette pratique est formellement déconseillée dans Siracide 33.19-23. La vieille règle du partage avec double part à l’aîné est toujours en vigueur, mais on a trouvé divers moyens de tourner la loi de sorte que le père peut, pratiquement, disposer de son bien comme il l’entend.
Le livre des Actes signale chez les premiers chrétiens une certaine communauté de biens (Actes 2.44 ; Actes 4.32 ; Actes 4.34). On ne saurait y voir une conception nouvelle du régime de la propriété (communisme) découlant d’une interprétation particulière de l’enseignement de Jésus. Il s’agit uniquement de consommation et non d’exploitation et de production en commun, ce qui réduit l’entreprise à un geste spontané d’aide fraternelle, sans caractère obligatoire (Actes 5.4), qui ne fut pas général puisqu’on cite ceux qui le faisaient (Actes 4.36 et suivant), et qui disparut dès que l’Église se fut donné un commencement d’organisation (voir Communion, paragraphe 5).
Les restrictions apportées au droit de propriété par l’année jubilaire s’appuyaient sur cette affirmation : « La terre appartient à l’Éternel » (Lévitique 25.23). Il s’agit de la terre d’Israël. Primitivement on admettait que d’autres dieux pussent aussi donner des terres à leurs fidèles (Juges 11.23 et suivant, par exemple, met sur le même pied Jéhovah et Kamos, dieu de Moab). Mais peu à peu, à mesure que le monothéisme s’accentue, l’idée se fait jour que la terre tout entière est à l’Éternel (Psaumes 24.1 ; Exode 9.29). Il la donne à qui lui plaît (Jérémie 27.5), il peut la retirer (Malachie 1.3) et la rendre (Ézéchiel 11.17). C’est de lui que les peuples tiennent leur territoire (Deutéronome 2.5-9), comme les Israélites eux-mêmes (Deutéronome 2.12), et le mot héritage est employé pour indiquer cette possession légitime d’un pays. À plus forte raison le pays de Canaan est-il considéré comme l’héritage remis par l’Éternel au peuple d’Israël. Cette idée domine toute l’histoire biblique. La promesse d’une possession perpétuelle a été faite à Abraham (Genèse 15.7 ; Genèse 17.8), puis à Jacob (Genèse 48.4). Elle se réalise avec Moïse (Nombres 33.53 ; Deutéronome 4.1 ; Deutéronome 12.10). L’effort de conquête passe au second plan : c’est l’Éternel qui chasse les peuples pour donner à Israël la Terre promise (Josué 21.43 ; Juges 11.23 et suivant). Pour le partage de Canaan, voir les articles sur les livres de Josué et des Juges.
Le pays de Canaan est donc considéré comme la part d’héritage d’Israël (1 Chroniques 16.18). Mais ce pays est le domaine particulier de l’Éternel, son héritage, son pays (Jérémie 50.11 ; Jérémie 16.18 ; Jérémie 2.7 ; Ézéchiel 36.5 ; Zacharie 2.12) ; il le confie à Israël. Aussi le peuple lui-même est-il considéré comme l’héritage de l’Éternel, le peuple qu’il s’est réservé (Deutéronome 32.8 et suivant, 1 Rois 8.52 ; Exode 34.9 ; Deutéronome 9.26 ; Deutéronome 9.29 ; 1 Samuel 10.1 ; 1 Samuel 26.19 ; Ésaïe 63.17 ; Jérémie 12.8 et suivant, Joël 2.17 ; Joël 3.2 ; Michée 7.14). Anéantir une ville et ses habitants, c’est « détruire l’héritage de l’Éternel » (2 Samuel 20.19).
Enfin, si le peuple est l’héritage de l’Éternel auquel il appartient, l’Éternel est présenté comme étant lui-même l’héritage, sinon de tout le peuple, au moins des Lévites (Nombres 18.20 ; Deutéronome 10.9 ; Ézéchiel 44.28).
Israël prend de plus en plus conscience de sa position particulière parmi les peuples et de sa mission spéciale : la possession de Canaan, qui réalise la promesse divine, en est à la fois le signe et la condition essentielle. Israël ne conçoit pas qu’il puisse un jour être dépossédé de son héritage national et religieux. Devant l’attitude menaçante des grandes puissances conquérantes, au VIIIe siècle, les prophètes condamnent une confiance trop facile ; mais, s’ils prévoient la catastrophe, leur pessimisme ne peut pourtant pas admettre la dépossession définitive. Le peuple tombe sous le coup des châtiments divins parce qu’il n’a pas rempli ses obligations (Deutéronome 4.1 ; Ésaïe 5.1 ; Ésaïe 5.7) ; les envahisseurs sont les instruments de la colère divine ; ils ne sont pourtant que des usurpateurs de l’héritage (Jérémie 12.7-14), et les prophètes proclament solennellement leur espoir d’un relèvement du peuple, lié à une conversion morale (Ésaïe 1.25-27 ; Jérémie 23.5). L’exil marque la dépossession et, en même temps, la rupture des liens spirituels. On y voit la conséquence du péché national ; mais ici encore les vrais esprits religieux refusent de croire à l’abolition définitive du privilège d’Israël. Ils croient à un rétablissement qui sera garanti par une restauration nationale, et ils parlent encore de l’héritage (Ésaïe 65.9 ; Ésaïe 49.8 ; Ésaïe 57.13 ; Ésaïe 58.14 ; Ésaïe 60.21). Dans la théocratie nouvelle, le Messie (voir ce mot) est le médiateur de bénédictions temporelles et spirituelles : il doit renouer le lien rompu entre le peuple et l’Éternel, et restaurer la puissance d’Israël, c’est-à-dire lui rendre l’héritage spirituel et national. Dès lors cet héritage est assimilé au salut messianique, dont la réalisation apparaît aussi certaine aux Juifs contemporains de Jésus que celle de l’antique promesse faite à Abraham.
G. V.
Numérisation : Yves Petrakian