Avant d’aborder l’étude biblique de la résurrection, il est nécessaire de distinguer la résurrection de l’immortalité ; ces deux conceptions, qui l’une et l’autre expriment la même conviction d’une survivance après la mort, sont souvent confondues. Il s’agit là cependant de deux courants de pensée très différents ; la notion de l’immortalité est un produit de l’esprit grec, tandis que l’espérance d’une résurrection appartient à la pensée juive. Il faut considérer ce que représentent ces deux conceptions et comment par la suite elles se sont pénétrées l’une l’autre.
Idée juive, qui dérive de la conception juive de la personnalité humaine, dont le point de départ est l’affirmation de l’unité de cette personnalité. Pour l’Hébreu, le principe personnel de l’homme, son moi, ne réside pas dans l’esprit seul, mais dans le corps animé par le souffle de l’Éternel et devenant ainsi une âme vivante ; (cf. Genèse 2.7) cette âme est inséparable du corps, ce qui explique que l’Ancien Testament désigne l’homme tantôt par le mot âme (Psaumes 16.10 ; Psaumes 35.3 ; Psaumes 49.16), tantôt par celui de chair (Ésaïe 40.6, Version Synodale, mortels ; Jérémie 45.5, cf. Matthieu 16.17), sans que l’idée soit essentiellement différente.
Quand donc l’Israélite affirme la survivance, il ne peut la comprendre que sous la forme d’une survivance de l’homme, corps et âme. Mais la corruption détruit le corps après la mort ; l’Hébreu affirmera donc l’existence d’un nouveau corps venant prendre la place de ce corps détruit et dans lequel l’âme trouvera son appui nécessaire. Le corps ressuscité est conçu tantôt comme exactement pareil à celui que le mort a quitté, tantôt comme différent, comme un corps glorieux, spirituel. La résurrection marque ainsi la permanence de la personnalité tout entière, corps et âme. Elle représente la complète victoire sur le sépulcre (1 Corinthiens 15.54 et suivant).
Cette conception juive d’une destruction du corps suivie d’une résurrection de ce corps soulève diverses questions. Quand aura lieu la résurrection ? Est-ce à l’instant de la mort, est-ce au moment du jugement dernier, est-ce plus tard encore, à la consommation des âges ? Et d’ici là, que devient l’âme, si la résurrection n’est pas immédiate ? Est-elle plongée dans une inconscience semblable au sommeil, ou bien subit-elle déjà le sort que lui réserve le jugement final ? Peut-elle encore se perfectionner ?
Idée grecque qui dérive de la conception grecque de la personnalité. Pour les Grecs, la personnalité humaine est également composée de deux parties, le corps et l’âme ; mais ces deux éléments, loin de former un tout harmonieux, s’opposent l’un à l’autre. Le corps n’est due matière et constitue une entrave dans la vie de l’âme, car celle-ci est pur esprit ; or l’esprit, qui vit éternellement, se passe fort bien de l’aide du corps. L’âme, créée avant le corps, subsiste lorsque celui-ci est détruit, continuant à vivre de sa vie propre ; car l’âme est immortelle et la mort du corps représente dans son existence une véritable délivrance qui la libère. Puisque l’âme est capable de vivre par elle-même, sans être obligée de s’appuyer sur aucun corps matériel, on ne s’étonnera pas de ce que la notion d’une résurrection des corps n’ait eu aucune place dans la pensée grecque.
À partir des conquêtes d’Alexandre, le judaïsme se pénétra lentement d’influences helléniques, principalement en Égypte, parmi les Juifs d’Alexandrie, dont la langue habituelle était le grec. D’autre part, comme l’affirmation d’une résurrection des corps et la croyance à l’immortalité de l’âme, bien qu’étant des conceptions différentes, n’en restent pas moins deux façons d’exprimer la même conviction d’une survivance après la mort, il n’est pas surprenant que ces idées se soient combinées au sein même du judaïsme. L’historien juif Josèphe assure même que l’idée d’une transmigration des âmes aurait été professée jusque dans les écoles des pharisiens. Quoi qu’il en soit de ce renseignement, la Sapience ou Sagesse de Salomon parle d’une préexistence de l’âme (Sagesse 8.20) ; Philon développe des théories très semblables, et la théologie du Talmud enseigne à son tour que les âmes, venues d’auprès de Dieu, sont en quelque sorte prêtées aux hommes, en qui elles habitent et dont elles se séparent après la mort.
C’est surtout lorsque le christianisme se fut détaché du judaïsme, qu’on en vint à mêler étroitement les notions de résurrection et d’immortalité ; à la mort, affirma-t-on, le corps se décompose, ne ressuscitant que plus tard, et l’âme, détachée du corps et immortelle de nature, vit seule jusqu’au jour de la résurrection.
La pensée chrétienne contemporaine subit encore les effets de cette confusion. Héritiers spirituels à la fois des Grecs et des Juifs, nous continuons à expliquer la survivance tantôt par l’idée juive d’une résurrection, tantôt par la conception grecque de l’immortalité, sans même nous apercevoir des contradictions internes de notre pensée. Cette confusion est d’autant plus compréhensible que les textes bibliques ne présentent pas toujours la clarté que nous aimerions y trouver. Il convient donc d’interroger les saintes Écritures soigneusement et sans en déformer le sens.
Quelques notions générales doivent être rappelées, qui feront mieux comprendre la conception juive de la résurrection. L’âme, que l’Hébreu ne conçoit pas sans un corps pour la soutenir, est le centre de la personnalité ; elle a son siège dans le sang (Genèse 9.4 et suivant, Lévitique 17.11 ; Deutéronome 12.23), se liant ainsi au corps qu’elle anime. L’homme est donc un tout inséparable : sans le corps l’âme reste inconcevable, et sans âme le corps n’est qu’une masse inerte.
Bien que le Cheol (voir ce mot) soit le lieu des morts, non des vivants, des textes très anciens prouvent que les Hébreux ont toujours cru à une certaine survivance de la personnalité, vaguement entrevue (Genèse 37.35 ; Psaumes 16.10 ; 2 Samuel 12.23). Ils ont d’ailleurs pratiqué la nécromancie (1 Samuel 28 ; Lévitique 19.31 ; Lévitique 20.6 ; 2 Rois 21.6) ; or, des gens qui croiraient à l’entière destruction des morts ne chercheraient pas à les évoquer. Parfois le cadavre est considéré comme accessible à la douleur ou à la honte, conservant par conséquent une certaine sensibilité (Ésaïe 66.24 ; Ésaïe 14.11-14).
Les malheurs du peuple d’Israël et leur répercussion dans la vie des individus firent réfléchir les âmes pieuses ; jusque-là, les Israélites avaient puisé une consolation dans l’idée que les fils prolongeaient en quelque sorte la vie des pères, que chacun par conséquent revivait en ses enfants ; cette conception ne fut plus une consolation suffisante ; ceux qui voyaient périr leurs enfants criaient à Dieu, demandant son secours. Dans les cœurs déchirés par l’épreuve, la piété s’approfondit davantage et trouva, dans la révélation d’une vie future, des raisons d’espérer.
Certains textes, sans contenir une véritable affirmation de la résurrection individuelle, l’annoncent cependant. Ainsi le Psaume 73, ou encore Osée 6.2 ; Osée 13.14 ; Job 14.14 ; Job 19.25-27 ; Psaumes 71.20.
Seuls deux passages de l’Ancien Testament affirment nettement la résurrection.
C’est surtout dans les Apocryphes et les Pseudépigraphes qu’est affirmée la résurrection. Ces écrits sont le reflet exact des besoins profonds de l’âme juive en un temps de persécution où l’injustice triomphait. Les morts ressusciteront ! C’est la certitude victorieuse à laquelle s’attachent la piété des opprimés et l’enthousiasme des martyrs. Mais cette doctrine, sortie des milieux populaires, ne s’était pas propagée sans rencontrer l’opposition des conservateurs et des sceptiques. Le Siracide (ou Ecclésiastique), premier en date des Apocryphes (IIe siècle avant Jésus-Christ), ignore la croyance à la résurrection (cf. 17.30) et l’auteur de 1 Macchabées n’y fait aucune allusion.
Il faut attendre le Ier siècle avant l’ère chrétienne pour trouver cette croyance nettement affirmée. Le 2e livre des Macchabées montre les martyrs soutenus dans leurs supplices par la certitude d’une survie : « Arrivé à son dernier souffle, il dit : Scélérat, tu nous ôtes la vie présente, mais le roi du monde, quand nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour la vie éternelle » (2 Macchabées 7.9) « Tout près de mourir, il parla ainsi : Heureux ceux qui meurent de la main des hommes et qui tiennent de Dieu l’espérance d’être ressuscités par lui » (2 Macchabées 7.14). L’Apocalypse des dix semaines d’Hénoch (Hénoch 91-93) et les Psaumes de Salomon annoncent également la résurrection des justes et l’anéantissement des impies : « Le juste se réveillera de son sommeil ; il se lèvera et il avancera dans les voies de la justice. Le Grand et le Saint sera propice au juste et lui donnera la puissance ; et le juste sera dans la vertu et dans la puissance, il marchera dans la lumière éternelle. Mais le pécheur sera perdu dans les ténèbres pour toujours » (Hénoch 92.3, 5). « La perdition du pécheur est éternelle. Et on ne pensera pas à lui quand on recherchera les justes. Tel est le lot des pécheurs pour l’éternité. Mais ceux qui craignent le Seigneur ressusciteront pour la vie éternelle. Et leur vie dans la lumière du Seigneur ne cessera plus » (Psaume de Salomon 3.13 ; Psaume de Salomon 3.16).
Telle est la forme habituelle sous laquelle se présente l’idée de résurrection dans la pensée juive ; le fidèle attend sa récompense « à la résurrection des justes » (Hénoch 61.5 ; Testaments des XII Patriarches : Test. Levi 18, Test. Juda 25).
Pourtant la croyance en une résurrection générale pour le jugement des bons et des méchants demeurait dans la logique du système, si l’on peut dire. Le livre d’Hénoch (22.10 et suivants) fournit la première déclaration de ce genre : certains méchants, ceux qui n’ont pas subi durant leur vie terrestre le juste châtiment de leurs péchés, ceux-là ressusciteront à la suite des justes afin d’être punis. D’autres passages du même livre, les Paraboles, décrivent la résurrection générale, en ces termes : « En ces jours la terre rendra son dépôt et le Cheol rendra ce qu’il a reçu, et les enfers rendront ce qu’ils doivent, et l’Élu choisira parmi eux les justes et les saints, car il est proche le jour où ils seront sauvés » (Hénoch 51.1, 3). Pseudo-Esdras attend aussi ce jour où tous revivront : « La terre rendra ceux qui dorment dans son sein, et la poussière ceux qui y reposent en silence, et les réservoirs (des âmes) rendront les âmes qui leur ont été confiées. Et le Très-Haut paraîtra sur son siège de juge » (Pseudo-Esdras 7.32 et suivant, 14.35 et suivant). Enfin l’Apocalypse de Baruch annonce une résurrection générale en même temps qu’universelle : « Le Tout-Puissant me répondit : Écoute cette parole. Car certainement la terre rendra les morts qu’elle a reçus pour les conserver, sans rien changer à leur aspect. Comme elle les a reçus elle les rendra, comme je les lui ai confiés elle les fera ressusciter » (Apocalypse de Baruch 50.1 et suivant). Certains passages du livre d’Hénoch ajoutent encore à l’attente d’une résurrection et d’un jugement l’idée complémentaire d’une survie des âmes dans l’au-delà et d’un jugement qui suit immédiatement la mort. Ainsi : « Mais maintenant je vous jure à vous justes, par la gloire du Tout-Puissant et du Glorieux et par sa grandeur, je vous jure à vous : Moi je connais le mystère, je l’ai lu sur les tablettes du ciel, j’ai vu le livre des saints, et voici ce que j’y ai trouvé écrit et gravé au sujet des justes : Que tout bien et joie et bonheur a été préparé et écrit pour les âmes de ceux qui sont morts dans la justice, et que de nombreux biens vous seront donnés en récompense de vos travaux… » (Hénoch 103.1-3). « Je vous le jure,… vos noms sont écrits en présence de la gloire du Grand. Espérez donc, car d’abord vous avez été affligés dans le malheur et dans la souffrance, mais maintenant vous brillerez comme des luminaires dans le ciel… De votre cri, criez justice. Espérez, et ne renoncez pas à votre espoir, car vous jouirez d’une grande joie comme les anges des cieux » (Hénoch 104.1, 3). Les justes sont destinés à devenir enfants de lumière, esprits de lumière : « Vous brillerez comme des luminaires dans le ciel, vous brillerez, vous apparaîtrez, et la porte du ciel s’ouvrira devant vous » (Hénoch 104.2, cf. Daniel 12.3). Leur vie sera éternelle : « Heureux êtes-vous, justes et élus, car votre part sera glorieuse. Les justes seront dans la lumière du soleil, et les élus dans la lumière d’une vie éternelle, et les jours de leur vie seront sans fin, les jours des saints seront sans nombre » (Hénoch 58).
On le voit, les Apocryphes et les Pseudépigraphes sont remplis de la croyance à la résurrection, sans qu’il y ait là cependant une doctrine bien définie. Si l’on cherche à systématiser la pensée eschatologique de ces écrits, oh découvre maintes contradictions qu’il n’est pas inutile de relever.
Notre conclusion sera double. En premier lieu, il faut insister sur la valeur documentaire des Apocryphes et des Pseudépigraphes ; ces écrits forment en quelque sorte le pont entre les livres canoniques de l’Ancien Testament et ceux du Nouveau Testament ; ils sont indispensables si l’on ne veut pas s’exposer à mal comprendre l’enseignement chrétien sur la vie à venir. En second lieu, il faut se rappeler que la piété juive, bien qu’abondante en images apocalyptiques et eschatologiques, ne possédait pas, à l’époque du Christ, une doctrine précise de la résurrection.
Les conceptions du Nouveau Testament relatives à la résurrection se sont développées dans un double courant de pensée, dont le principal fut la foi de l’Église au Christ ressuscité et le fait même de cette résurrection ; d’autre part, il ne faut jamais oublier que les premiers chrétiens avaient été élevés dans ce judaïsme dont les Apocryphes et les Pseud, de l’Ancien Testament reflètent les idées. Pour exprimer leur certitude de la résurrection, ils ont emprunté à cette piété juive, qui avait été la leur avant leur conversion, les images et les notions dont ils avaient besoin pour penser leur foi. Rien d’étonnant dès lors à ce que le Nouveau Testament présente sur la résurrection des conceptions qui rappelleront souvent celles de ces livres non canoniques.
Les Évangiles, tant les synoptiques (et les Actes) que l’Évangile johannique, affirment la vie à venir, mais ne formulent pas une doctrine complète de la résurrection. Pour plus de clarté, et bien que semblable division soit tout artificielle, nous chercherons à dégager successivement dans l’enseignement évangélique les points suivants :
(a) Dans les Évangiles synoptiques, le récit de l’entretien de Jésus avec les envoyés des sadducéens (d’après Luc) note qu’une partie des humains seulement ressuscitera, « ceux qui seront trouvés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts » (Luc 20.35). Il ne s’agit donc pas de tous les morts, mais des seuls justes (Luc 14.14) ; ceux-ci sont à la fois fils de la Résurrection et fils de Dieu (Luc 20.36), car la résurrection a sa source dans la vie en Dieu qui seule mène à la perfection à laquelle l’homme est destiné. Ces fils de la Résurrection sont aussi les élus de Dieu (Marc 13.27 parallèle Matthieu 24.31) que le Fils de l’homme rassemblera. Si tous les hommes ne participent pas à la résurrection, tous y sont cependant appelés par Dieu (Luc 20.38 ; Actes 17.28 ; Actes 26.8).
(b) Le 4e Évangile descend plus profondément dans les réalités spirituelles. La résurrection, c’est la vie véritable, et cette vie commence dès ici-bas, dans la mesure où l’âme s’unit au Christ (Jean 5.24 et suivant), mais pour n’atteindre son plein épanouissement qu’après la mort (Jean 11.25 et suivant). Celui qui connaît Dieu possède la vie éternelle (Jean 17.3) qui vient de Dieu, bien que nous la recevions du Christ (Jean 5.21 ; Jean 6.40 ; Jean 6.44-54 ; Jean 17.2). Le Christ n’est-il d’ailleurs pas la résurrection et la vie (Jean 11.25 ; Jean 3.36) ? Il connaît les siens (Jean 6.39) ; ce qui n’empêche pas que le sort de chacun dépende à la fois de son attitude actuelle en face du Christ (Jean 3.18 ; Jean 9.39, cf. 1 Jean 2.17) et de sa conduite dans la vie (Jean 5.29). Mais les justes ne seront pas seuls à reprendre vie, car « ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement » (Jean 5.29, cf. Actes 24.15), vu que : « celui qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a son juge ; la parole que j’ai annoncée, c’est elle qui le jugera au dernier jour » (Jean 12.48). L’évangéliste montre d’ailleurs Jésus affirmant, sans préciser s’il s’agit des bons ou des mauvais, la toute-puissance de Dieu qui ressuscite les morts (Jean 5.21, cf. Romains 4.17 ; 2 Corinthiens 1.9).
(c) L’épître aux Hébreux contient un enseignement identique, proclamant l’espérance de la résurrection (Hébreux 6.2 ; Hébreux 11.19). C’est par Christ que les hommes l’obtiennent (Hébreux 2.10 ; Hébreux 9.15), et seuls les croyants en sont assurés (Hébreux 10.39).
L’enseignement de Jésus emprunte des images aux croyances juives de l’époque. Les Synoptiques nous ont conservé un certain nombre de récits qui traitent du sort futur des méchants. Corps et âme, ils seront jetés dans la géhenne (Matthieu 5.29 ; Matthieu 10.28 ; Marc 9.43 ; Marc 45.47). dont le feu est le symbole de la colère de Dieu (Matthieu 5.22 ; Matthieu 18.9 ; Matthieu 25.41 ; Hébreux 10.27 ; Hébreux 12.29) et les ténèbres du dehors une image de la perdition (Matthieu 8.12 ; Matthieu 22.13 ; Matthieu 25.30). Seul le péché contre l’Esprit attire le châtiment de l’Éternel, sans possibilité de pardon (Matthieu 12.32). Quant aux autres péchés, la peine sera en proportion de la gravité de la faute (« battu d’un grand nombre de coups,… battu de peu de coups », Luc 12.47 et suivant). L’un des récits laisse même entrevoir la possibilité d’un certain progrès moral après la mort (Luc 16.27 ; Luc 16.31). Le 4e Évangile ne décrit pas le sort du méchant.
(a) Le corps du Christ. La narration évangélique montre le Christ ressuscité attentif à prouver à ses disciples que son corps glorieux conserve une certaine ressemblance avec son corps de chair (Luc 24.39 et suivant, Jean 20.20-27 ; Actes 10.41). Mais les conditions en sont changées, et dépassent l’expérience ordinaire ; ce corps n’est limité ni par le temps ni par l’espace (Matthieu 28.7 ; Matthieu 28.9 et suivant, Marc 16.6 ; Marc 16.7 ; Marc 16.12 ; Marc 16.14 ; Marc 16.19 ; Luc 24.15 ; Luc 24.31-51 ; Jean 20.19-26). Souvent le Christ ressuscité reste méconnaissable pour ceux qui le connaissent le mieux, jusqu’au moment où un geste, une parole, leur révèle la personnalité de leur Maître (Matthieu 28.17; Luc 24.18 ; Luc 24.31 ; Jean 20.14 ; Jean 20.16 ; Jean 21.4).
(b) Le corps des croyants. Ce corps vivra dans des conditions entièrement différentes de celles auxquelles nous sommes accoutumés (Marc 12.25 ; Matthieu 22.30; Luc 20.35 et suivant). Les ressuscités « seront semblables aux anges » (Luc 20.36), affirmation qui est en plein accord avec l’enseignement des pharisiens et des scribes (Luc 20.39). Les écrits johanniques font preuve d’une sobriété toute pareille, et ne donnent guère de description : « Bien-aimés, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que, lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jean 3.2, cf. Jean 12.26 ; Jean 14.2 ; Jean 17.24). « Voir le Seigneur », telle est aussi l’expression employée par l’épître aux Hébreux (Hébreux 12.14).
Les Évangiles ne fournissent que peu d’indications à ce sujet, et qui ne s’accordent guère entre elles. Dans la parabole de Lazare et du mauvais riche, le Christ met en œuvre les descriptions pittoresques de la tradition populaire juive, dont les images ne doivent pas être prises à la lettre ; notons toutefois que le sort de Lazare, comme celui du mauvais riche, est décidé sitôt après leur mort (Luc 16.19-31). L’entretien de Jésus avec les envoyés des Sadducéens (Marc 12.18-27 ; Matthieu 22.23 ; Matthieu 22.33; Luc 20.27 ; Luc 20.40) ne donne aucun renseignement sur l’époque de la résurrection. L’une des paroles de la croix : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23.43), indique qu’une vie spirituelle nouvelle succédera rapidement à notre vie terrestre ; il n’est pas question pourtant d’un séjour préliminaire dans le Cheol, ni d’un long sommeil, ni d’un jugement solennel. Par contre, le 4e Évangile développe une pensée différente qui laisse supposer qu’un certain temps s’écoulera entre la mort terrestre et la résurrection (Jean 5.28). Quant aux récits des résurrections opérées par le Christ pendant son ministère (fils de la veuve de Naïn, Luc 7.11-17 ; fille de Jaïrus, Marc 5.22 ; Marc 5.43 ; Matthieu 9.18 ; Matthieu 9.26; Luc 8.40-56 ; Lazare, Jean 11), ils n’apportent pas d’indications sur le moment de la résurrection ; tous ces ressuscités, après avoir recouvré une vie terrestre et corporelle, sont morts d’une mort pareille à celle des autres humains. Remarquons d’ailleurs que ces résurrections, dans les récits évangéliques, ne sont pas mises en rapport avec la vie éternelle (sauf dans le récit de Jean 11), et ne sont citées par les évangélistes qu’à titre de miracles opérés par le Seigneur (voir également Matthieu 27.52 et suivant). L’Apocalypse de Jean parle de deux résurrections. Une première est celle des martyrs ; elle a lieu pendant les mille ans durant lesquels Satan est lié (Apocalypse 20.1-5) ; ces ressuscités deviennent prêtres de Dieu et de Christ (Apocalypse 20.4-6, cf. Ésaïe 61.1) et règnent avec lui pendant ces mille ans. Les autres hommes ne reviennent à la vie que plus tard, après la défaite définitive de Satan ; c’est alors que se produit la seconde résurrection (Apocalypse 20.12 ; Apocalypse 20.15). Les méchants, d’autre part, souffriront une seconde mort, la destruction totale dans l’étang de feu (Apocalypse 20.12 ; Apocalypse 20.15 ; Apocalypse 21.8, cf. Matthieu 10.28). Mais ceux qui auront eu part à la première résurrection (Apocalypse 20.6), ceux qui auront vaincu (Apocalypse 2.11), ceux-là échapperont à la seconde mort ; ils régneront avec Dieu aux siècles des siècles (Apocalypse 22.3-5).
Nous pouvons donc affirmer que les écrits du Nouveau Testament, si l’on met à part les épîtres de l’apôtre Paul, sont extrêmement sobres dans leur description de la résurrection et des corps ressuscités. Il s’agit là, on s’en rend compte, de mystères qui nous dépassent infiniment, que le cœur comprend, mais que l’intelligence n’explique qu’imparfaitement. Pour faire partager à ses auditeurs son absolue certitude d’une vie future, le Christ s’est servi d’images et de comparaisons qui leur étaient familières. Qu’importe si des esprits attachés uniquement à la lettre de ces récits y découvrent des contradictions, des invraisemblances ! L’enseignement du Christ parle au cœur avant tout ; nous le sentons bien en lisant les Évangiles. Or, sur cette question de la résurrection, la réponse qui nous est donnée est suffisamment précise, elle satisfait entièrement aux besoins de notre vie religieuse : il y aura, déclare le Seigneur, une vie après la mort, l’homme ressuscitera, la personnalité humaine ne disparaîtra pas avec la vie du corps, elle conservera ses caractéristiques et restera reconnaissable, distincte des autres individualités ; un nouveau corps lui sera donné, différent des corps actuels. D’autre part, nos actions présentes, comme la pureté et la sincérité de notre foi, ne sont jamais indifférentes ; il y aura un jugement, mais un jugement par un Dieu qui est un Père aimant ses enfants, qui veut la conversion du pécheur, et dont la bonté est infiniment supérieure à la nôtre.
C’est dans les épîtres de saint Paul qu’est développée la théorie la plus complète de la résurrection. Mais cet enseignement paulinien est tout occasionnel : l’apôtre répond aux questions qui préoccupent ses correspondants et n’a pas eu l’intention de rédiger une étude complète sur ce sujet ; de sorte que certains problèmes qui nous intéressent ne sont pas même abordés dans ses épîtres. Enfin, souvenons-nous que la pensée de l’apôtre s’est constamment enrichie, approfondie, et par conséquent modifiée.
Le point de départ est la conception pharisaïque selon laquelle notre corps actuel sera remplacé par un corps semblable, mais parfait (1 Corinthiens 15 ; 1 Thessaloniciens 5.23). Ailleurs, saint Paul, sans doute influencé par l’hellénisme, accentue la différence entre la chair et l’esprit, les opposant l’un à l’autre (Galates 3.3 ; Galates 5.16 et suivant 6.8) ; le corps charnel périt (1 Corinthiens 15 ; Romains 7.24, Galates 6.8), remplacé par un corps spirituel dont le principe vital est l’Esprit ; ces deux corps sont dans la relation de la semence à la plante (1 Corinthiens 15.37 et suivant).
Pas d’universalisme : seuls les chrétiens revivront ; pour les incroyants, la mort physique sera définitive (Romains 2.12 ; Romains 5.20 ; Romains 6.20-23 ; Romains 8.1-13 ; 2 Corinthiens 4.3 ; Galates 6.8 ; Éphésiens 2.1 ; Éphésiens 2.5 ; Philippiens 3.18 ; Colossiens 2.13, cf. Romains 9.22). Dans 1 Corinthiens 15.22-28, ceux dont il s’agit (« tous revivront en Christ ») sont les croyants, non les hommes qui n’ont jamais entendu parler du Christ, et auxquels l’apôtre semble n’avoir même pas songé dans ce passage. De même, dans la déclaration de Romains 11.32 (« Dieu a renfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous »), le contexte (Romains 11.19 ; Romains 11.32) s’oppose à une interprétation universaliste, puisque saint Paul met ses lecteurs en garde contre une conduite qui les exclurait du salut (Voir également 2 Corinthiens 5.19 et suivant, Éphésiens 1.9 et suivant, Colossiens 1.19 ; Colossiens 1.23).
C’est à l’avènement du Christ que les « morts en Christ » ressusciteront (1 Thessaloniciens 3.13 ; 1 Thessaloniciens 4.14 ; 1 Thessaloniciens 4.16 ; 2 Thessaloniciens 2.1). Bien qu’il s’agisse pour ces chrétiens d’une mort et d’une résurrection véritables, comportant un corps nouveau (1 Corinthiens 15.21 ; 1 Corinthiens 15.42 ; Philippiens 3.10 ; Philippiens 3.11 ; Philippiens 3.20 ; Éphésiens 4.30 ; Romains 8.11), l’apôtre, persuadé de l’imminence du retour du Christ, décrit leur mort comme un sommeil (1 Thessaloniciens 4.13).
Saint Paul n’évoque pas une terre transformée devenue le séjour des bienheureux, mais se contente de l’image familière du ciel (2 Corinthiens 5.1 et suivant, Éphésiens 2.6 ; 1 Thessaloniciens 2.12 ; 1 Thessaloniciens 4.17). Les croyants, possesseurs d’un corps spirituel incorruptible (1 Corinthiens 15) et de la gloire du Christ (2 Thessaloniciens 2.14), jouiront de la vie éternelle, vie parfaite à tous égards (1 Corinthiens 13.8-12).
Saint Paul proclame sa conviction que la mort n’a pas le pouvoir de mettre fin à la communion du croyant avec le Christ glorifié (2 Corinthiens 5.1 ; 2 Corinthiens 5.8 ; Éphésiens 2.6 ; Philippiens 1.21 ; Philippiens 1.23 ; Colossiens 1.5) ; au contraire, le chrétien s’unit au Christ par la mort (Romains 8.38 et suivant). Toutefois, la mort et la résurrection sont envisagées par l’apôtre à deux points de vue totalement différents :
(a) il y a d’abord un sens imagé : le croyant meurt au péché et renaît spirituellement, devenant une nouvelle créature ;
(b) puis un sens concret, celui qui nous intéresse ici : la mort physique suivie de la résurrection, dont Dieu seul est l’auteur, bien que le croyant y parvienne en Christ (Romains 5.21 ; Romains 6.23 ; Romains 8.2 ; Romains 8.10 et suivant, 1 Corinthiens 15.22 ; Philippiens 3.20 et suivant, Galates 6.8 ; Colossiens 1.27 ; Colossiens 3.4 ; 2 Corinthiens 1.9 ; 2 Corinthiens 4.14 ; Éphésiens 2.6).
Saint Paul s’est efforcé d’exprimer ses convictions sur la résurrection en un langage précis et compréhensible à ses lecteurs. Aucune de ses épîtres, toutefois, n’est consacrée à l’exposé complet et systématique de ces problèmes. Quand l’apôtre parle de la résurrection et de la nature des corps ressuscités, c’est en réponse à des demandes d’explication qui lui ont été faites, ou pour consoler et calmer des inquiétudes. Faut-il s’étonner dès lors si ses écrits ne fournissent pas toujours toutes les précisions que notre curiosité désirerait ? D’autre part, certaines expressions employées par saint Paul, et qui éveillaient dans l’esprit de ses contemporains des images évocatrices, constituant par conséquent d’excellentes explications, ne correspondent plus à nos habitudes de pensée et perdent, de ce fait, une partie de leur valeur explicative.
L’étude des textes relatifs à la résurrection nous aura montré comment il se fait que les théologiens chrétiens, qui tous s’appuient sur la Bible, ont pu cependant professer des opinions très diverses sur cette question. Les Saintes Écritures, Ancien Testament et Nouveau Testament, tout en écartant certaines théories sur l’au-delà qui détruisent la foi, et en affirmant certaines vérités sur la vie à venir, n’entrent pas dans des détails précis et ne développent pas une doctrine de la résurrection. Ce souci de posséder un système cohérent qui expliquerait ce que sera la vie éternelle ne fut d’ailleurs pas une préoccupation des premiers chrétiens. Les inscriptions des catacombes romaines (IIe et IIIe siècle) sont instructives à cet égard : Jonas rejeté par le poisson y figure la résurrection, tandis que le berger séparant les brebis de son troupeau symbolise le jugement dernier ; ces images, d’autres encore, sont des preuves indiscutables de la croyance à la résurrection, mais elles ne constituent pas une doctrine de la vie future. Ce n’est que plus tard que le besoin s’est fait sentir chez les chrétiens de penser leur foi d’une manière systématique.
Il nous reste à voir maintenant quelles sont les principales doctrines chrétiennes qui, partant de la Bible, ont pour but de faire comprendre ce que le Nouveau Testament entend par résurrection et vie éternelle.
La pensée protestante, qui ne reconnaît d’autre autorité que celle des Saintes Écritures (voir Inspiration, 2e particle), se refuse aux précisions sur la vie de l’au-delà telles qu’en donne le catholicisme ; elle ne se complaît ni dans les descriptions de l’Enfer et de ses tourments ni dans l’évocation des délices du Paradis, sauf à titre de fantaisie poétique. Pour la même raison de fidélité à la Bible, le protestantisme repousse la croyance au Purgatoire (voir Eschatologie, III, 1).
D’autre part, les penseurs protestants mettent en garde contre les théories panthéistes qui parlent de la mort comme d’un retour de l’âme dans le grand Tout, à la façon d’une goutte d’eau qui retourne à l’océan d’où elle est venue. Ces explications à tendances mystiques ou théosophiques sont une déviation de la foi chrétienne, car elles nient la survivance de la personnalité. Or, notre personnalité n’est pas quelque chose de tout fait, que nous recevons en naissant ; elle est une conquête que Dieu nous impose ; chacun doit travailler à posséder ici-bas une personnalité telle que Dieu la veut ; et c’est cette personnalité qui survit, restant distincte des autres personnalités et conservant ses caractéristiques particulières. C’est pourquoi, d’ailleurs, la foi chrétienne n’a jamais admis et ne peut pas admettre la croyance à la transmigration des âmes, selon laquelle l’âme entrerait, après la mort, dans un autre corps, corps d’homme ou d’animal, afin d’y recommencer une existence terrestre.
Enfin, on peut affirmer que, d’une manière générale, les mots résurrection et vie éternelle sont à peu près synonymes, malgré les importantes nuances qui séparent le sens de ces termes.
Ceux-ci ont peu traité la question de la résurrection, sauf pour lutter contre la doctrine du Purgatoire. Leurs écrits ne renferment que quelques indications concernant la survivance. Calvin repousse l’idée que l’âme des morts, en attendant le moment de la résurrection, serait plongée dans une sorte de sommeil. Même attitude dans la théologie luthérienne. Ailleurs Calvin combat la croyance de ceux qui prétendent que l’âme meurt avec le corps pour renaître avec lui à la consommation du monde. Mais en dehors de ces points, somme toute secondaires, les réformateurs sont d’une sobriété que nous ne pouvons qu’admirer. D’après Calvin, nous ressusciterons « en la même chair que nous portons aujourd’hui quant à la substance, mais différente quant à la qualité » (Institution de la religion chrétienne, III, 25.8), ce qui signifie, d’après les développements qu’il ajoute, que l’organisme humain, tout en restant identique, sera transformé, glorifié. Les symboles ecclésiastiques de l’époque se contentent d’affirmer la résurrection sans aborder les difficultés de la question.
L’hypothèse d’une inconscience des morts jusqu’à la résurrection finale a été soutenue par quelques théologiens (cette doctrine, nous l’avons dit, a été violemment combattue par Calvin). Ils s’appuient sur un certain nombre de textes bibliques qui n’ont d’ailleurs pas tous la même valeur probante (Genèse 47.30 ; Deutéronome 31.16 ; Job 7.21 ; Job 14.12 ; Ésaïe 26.19 ; Ésaïe 14.9 ; Ésaïe 57.2 ; Daniel 12.2 ; Daniel 12.12 ; Jérémie 51.39-57 ; Jean11.11-14 ; Apocalypse 14.13, Luc 8.52 ; Matthieu 25.5 ; Matthieu 27.52 ; Actes 7.60 ; Actes 13.36 ; 1 Corinthiens 15.6 ; 1 Corinthiens 15.18 ; 1 Corinthiens 15.20 ; 1 Corinthiens 15.51 ; 1 Thessaloniciens 4.13-15 ; 1 Thessaloniciens 5.10, etc.). D’autres textes, cependant, ne cadrent pas avec la conception d’un sommeil des défunts ; ainsi 1 Samuel 28; Luc 9.28 ; Luc 9.36 ; Luc 23.43 ; Hébreux 12.1-23 ; Apocalypse 6.9 ; Apocalypse 6.11 ; Apocalypse 14.13. Nous ne pouvons entrer ici dans la discussion d’une question aussi complexe et délicate. Le tort de ceux qui soutiennent cette doctrine nous semble être de la vouloir présenter comme la seule authentiquement biblique et d’affirmer que toute autre conception est contraire à l’enseignement des Saintes Écritures. Tout en reconnaissant la réelle valeur philosophique de cette hypothèse, nous sommes bien obligés de constater qu’elle ne s’impose pas à l’esprit du lecteur attentif de la Bible.
La résurrection se produira-t-elle immédiatement après la mort ou seulement lors de l’avènement du Christ, à la parousie ? De nouveau les textes bibliques, par leur imprécision et leurs divergences, nous prouvent que le Christ n’a pas laissé à ses disciples un enseignement circonstancié sur ces questions, qui relèvent plus de la curiosité de l’esprit que de la foi profonde.
La résurrection au jugement dernier, à la parousie ne cadre pas seulement avec la doctrine du sommeil des morts, elle s’harmonise aussi avec de nombreuses déclarations des Évangiles et des épîtres ; toutefois il est difficile de la concilier avec l’enseignement du 4e Évangile sur la vie éternelle, ou encore avec la promesse de Jésus au brigand sur la croix (Luc 23.43), ou d’autres passages tels que Luc 20.38 ; Philippiens 1.23 ; 2 Corinthiens 5.8. Par ailleurs, l’idée d’une résurrection immédiatement après la mort, bien qu’appuyée sur plusieurs textes du Nouveau Testament, soulève des questions insolubles (sur la nature du corps ressuscité, par exemple) et ne s’accorde guère avec les versets qui décrivent la résurrection au jugement dernier.
Cette question, nous l’avons vu, comporte plusieurs réponses, toutes fondées sur des textes bibliques. Suivant les époques et les auteurs, la pensée chrétienne a abouti aux conclusions suivantes :
La seule attitude vraiment respectueuse de l’enseignement biblique est celle qui reconnaît une divergence de vues dans les Saintes Écritures, sans chercher à harmoniser à tout prix ce qui est différent. Le Christ n’a pas jugé bon de nous laisser un enseignement précis sur le moment de la résurrection et sur la façon dont elle se produirait ; il lui a suffi d’affirmer la résurrection des morts, et, pour se faire comprendre de ses auditeurs, d’avoir recours à des paraboles et à des images en se servant du langage de son époque, images et langage que nous retrouvons dans les Apocryphes et Pseudépigraphes. Ces expressions employées par Jésus et les écrivains du Nouveau Testament sont comme tant d’images de notre langue courante : elles ne doivent pas être prises à la lettre. De sorte que les divergences des théologiens et des philosophes qui, s’efforçant de préciser ce que la Bible n’a pas précisé, aboutissent parfois à des conclusions opposées, ne doivent pas troubler notre foi ; ces divergences sont inévitables ; il s’agit là d’explications données par l’intelligence sur des problèmes qui la dépassent et devant lesquels la raison humaine ne peut que balbutier » , car nous ne connaissons qu’imparfaitement », comme le remarquait l’apôtre ; et ce n’est que lorsque sera venue la perfection que disparaîtra cette connaissance imparfaite (1 Corinthiens 13.9 et suivant).
D’ailleurs la Bible, spécialement le Nouveau Testament, ne nous donne-t-elle pas, sur ces problèmes troublants de la vie après la mort, tout ce dont notre foi a besoin ? L’enseignement du Christ contient des déclarations qu’il nous faut garder précieusement, et qu’on peut résumer en ces trois points :
Comme le dit saint Paul, « notre Sauveur Jésus-Christ a détruit la mort et mis en évidence la vie et l’immortalité par l’Évangile » (2 Timothée 1.10) ; l’apôtre dit vrai, mais, ajouterons-nous, le Sauveur n’a pas jugé utile de nous informer de tous les détails de cette grande espérance. Edm. R.
Toute la doctrine de la vie à venir est suspendue à la résurrection de Jésus-Christ le matin de Pâques. La critique moderne reconnaît volontiers que l’Église chrétienne est issue de la foi en la résurrection de Jésus, mais elle pense échapper au miracle en donnant à cette résurrection un sens purement spirituel. Comment l’idée d’une résurrection spirituelle — idée contradictoire aux conceptions courantes de l’époque (cf. Marc 9.43 et suivants, Jean 11.24) — serait-elle venue à la pensée de ces frustes Galiléens, étrangers par leur race et par leur manque total de culture à toutes les spéculations de la philosophie ? Ces gens simples avaient vu mourir leur Maître d’une mort cruelle et ignominieuse. Ils le tenaient pour mort et bien mort ; mortes étaient aussi les espérances messianiques qu’ils avaient rattachées à sa personne. Et l’on voudrait que l’idée d’une résurrection spirituelle se fût soudain emparée d’eux, les eût bouleversés et transformés au point de les élever tout à coup bien plus haut qu’ils n’avaient jamais été du vivant de leur Maître ? Voilà un miracle psychologique d’autant plus invraisemblable parmi les Galiléens ignorants disciples de Jésus, que nous ne voyons rien d’analogue se produire dans les milieux évolués de l’Église contemporaine. Là, à part des exceptions que l’on pourrait toujours citer mais qui confirment la règle, on peut constater que la doctrine d’une résurrection du Christ purement spirituelle est sans action, sans rayonnement ; qu’elle se traduit, chez les chrétiens qui la professent, par une sorte de philosophie où la puissance régénératrice de l’Évangile s’en va s’affaiblissant jusqu’à disparaître. Les églises qui vivent en dehors de la foi à la résurrection historique de Jésus, en réalité ne vivent pas la vie spirituelle à laquelle elles prétendent se tenir, et n’en portent pas les fruits. C’est un fait d’histoire. Il ne faut pas s’en étonner. Car l’homme est chair et esprit. Pour que les réalités spirituelles lui soient assimilables, il faut d’abord qu’elles soient sensibles, que tout son être soit saisi et conquis. La conviction qui allume le témoignage doit avoir pour point de départ une rencontre. La foi doit être amorcée par la vue. Pour que Dieu s’impose à l’homme, il faut qu’il se pose d’abord devant lui. Cela est si vrai que la Bible qui nous commande de marcher par la foi nous montre partout, à l’origine de cette marche, une prise de contact directe de celui qui veut qu’on croie en lui avec les hommes dont la mission sera de transmettre la foi aux siècles qu’elle doit féconder. Au premier homme, au père des croyants, au législateur d’Israël, aux prophètes, Dieu s’est fait connaître directement et ils en rendent témoignage. Quand il s’est agi de fonder le nouvel Israël, Dieu est revenu dans la personne du Christ. Pour inaugurer la révélation, il fallait les miracles. Pour allumer dans les cœurs la foi en l’amour du Père, il fallait la présence du Fils : Jésus vivant, agissant, souffrant, mourant. Pour convaincre ses disciples de sa résurrection, il fallait qu’il se montrât vraiment ressuscité à leurs yeux. Dira-t-on que les disciples ont cru le voir et qu’ils se sont fait illusion ? L’illusion n’est pas génératrice de réalités fécondes. Or, l’Église née de la foi en la résurrection de Jésus est une réalité dont la vertu vivifiante est indiscutable.
On objecte alors que cette résurrection, ainsi envisagée, n’appartient pas à l’histoire ; qu’elle est en dehors du champ de la science historique. C’est vrai, et c’est faux. C’est vrai, en ce sens que la résurrection du Christ n’a rien à voir avec le déterminisme historique si cher à tant de nos contemporains, et que les facteurs de l’histoire qui servent de fondement à la critique pure sont totalement impuissants à rendre compte de la résurrection. C’est faux, parce que la résurrection de Jésus s’est intégrée dans l’histoire avec une force telle qu’elle a jusqu’à un certain point changé l’orientation de l’histoire, en sorte qu’on ne saurait expliquer cette orientation nouvelle, qui est un fait, sans tenir la résurrection de Jésus pour un fait historique. On dit que la prédication de la croix suffit pour expliquer le renouveau moral et spirituel qui a produit le christianisme et inauguré une nouvelle humanité. Il y aurait lieu, alors, de rechercher quel est le rôle que joue la croix dans les milieux chrétiens qui ont abandonné la foi en la résurrection historique du Christ ; de s’informer si dans ces milieux-là elle occupe le centre de la prédication, si elle produit des conversions, des régénérations, des œuvres conquérantes. L’expérience nous paraît prouver que là où la résurrection a été abandonnée, la prédication de la croix s’est peu à peu muée en prédication de morale, et que la préoccupation du Royaume de Christ a cédé la place au programme social. La vérité, la voici : c’est la croix qui sauve le pécheur, mais c’est la résurrection qui accrédite la croix. La croix par elle-même n’est qu’un supplice, un effondrement, une mort. Ce qui fait d’elle non une fin mais un commencement, c’est la nature du crucifié. D’où viennent à cette croix ses vertus rédemptrices ? Du fait que le Fils de Dieu lui-même a passé trois heures cloué sur le Calvaire. Et d’où vient aux disciples exténués par ce découragement cette foi soudaine que leur Maître crucifié au Calvaire était le Fils de Dieu ? Du fait que le matin de Pâques, contre toute attente et toute vraisemblance, ils ont vu Jésus lui-même libéré du tombeau demeuré vide ; qu’ils ont vu de leurs yeux, entendu de leurs oreilles, touché de leurs mains le Christ ressuscité ; et que pendant quarante jours le Fils de Dieu s’est appliqué à graver dans leurs âmes la certitude du triomphe de vie et de la victoire de l’Évangile du pardon, sanctionné à jamais par sa résurrection d’entre les morts. Pendant ces quarante jours, préparant ses disciples à son absence matérielle et les introduisant dans sa communion spirituelle, Jésus, après avoir repris vie, a redonné la vie à la foi des apôtres, foi que la Pentecôte devait consacrer et qui devait faire d’eux les conquérants du monde. Qu’on relise les premiers discours qui, d’après le livre des Actes, sont à l’origine de l’Église : Pierre n’y prêche pas la croix et la mort rédemptrice de Jésus, il prêche la résurrection de Jésus, par quoi la démonstration est donnée que son Maître crucifié par les Juifs était vraiment le Messie qui devait venir… et qui reviendra. Plus tard, principalement par la mission de l’apôtre des Gentils, la croix s’avérera le fait central de l’Évangile, mais cette croix devra sa valeur à la résurrection : ce sera la croix du Fils unique « donné au monde » (Jean 3.16), « mort pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Romains 4.25). Supprimez la résurrection corporelle de Jésus, et tout s’écroule. « Votre foi est vaine » (1 Corinthiens 15.14). Tant il est vrai que cette résurrection, fondement premier de la prédication évangélique et seule garantie de toute croyance à la résurrection, est parmi les faits historiques celui que ses conséquences dans l’histoire ont le plus péremptoirement attesté. Voir Jésus-Christ.
Alexandre Westphal
Numérisation : Yves Petrakian