Les mentions bibliques de cette ville sont dues à ce que l’apôtre Paul y naquit (Actes 9.11 ; Actes 21.39 ; Actes 22.3) et y fit un séjour après sa conversion (Actes 9.30 ; Actes 11.25). Paul, qui avait la fierté de ses origines juives, n’avait pas moins celle d’un citoyen de Tarse (Actes 21.38 et suivant).
L’emplacement naturel de cette ville avait fortement contribué à sa prospérité. Tarse (Tarzi, Tarsus) était située en Asie Mineure dans la riche et fertile plaine de Cilicie (voir ce mot), sur le petit fleuve Cydnus, à 15 km de la mer, et non loin du débouché de ce col du Taurus qu’on appelait « les portes de Cilicie », l’un des rares passages par où une route commerciale avait pu être établie pour pénétrer de la Méditerranée au cœur de la péninsule (figure 212 à 215). L’eau du Cydnus, fraîche et pure, s’épandait dans le lac Rhegma, qui fournissait à Tarse un port vaste, sûr et commode, où de gros navires pouvaient aisément pénétrer.
Les conditions ont beaucoup changé depuis lors. Par suite de l’incurie du régime musulman, le Rhegma n’est plus qu’un marais pestilentiel ; le cours du Cydnus est obstrué par les vases et les sables, aucun navire ne peut plus atteindre la ville, le climat est devenu malsain, et la population a beaucoup perdu de son importance numérique et de sa grande richesse. Pourtant la ville moderne (figure 209), si dégénérée soit-elle, fait encore un commerce assez considérable, et ses bazars sont très animés. Elle est construite à côté des ruines imposantes de la Tarse d’autrefois.
Tarse est une ville ancienne. Elle pourrait devoir sa première existence aux Phéniciens, qui sans doute avaient apprécié sa position exceptionnelle. Son nom apparaît sous la forme Tarzi au IXe siècle avant Jésus-Christ, sur l’obélisque noir de Salmanasar III roi d’Assyrie (figure 27, 28) ; cependant, la tradition attribue la création de Tarse et de son port à Sanchérib (705-681 avant Jésus-Christ).
Les premiers habitants étaient probablement d’origine et de langue sémitiques. Du temps de l’empire perse, Tarse était la résidence du roi ou prince de Cilicie, vassal du grand roi ; il portait le nom ou titre de Syennesis. Après la bataille d’Issus, toute proche, Tarse appartint à l’empire d’Alexandre ; la division de cet empire l’attribua au royaume des Séleucides. Dès ce moment, les Grecs y affluèrent et elle s’hellénisa rapidement.
Antiochus Épiphane roi de Syrie (175-164 avant Jésus-Christ), le persécuteur des Juifs, contribua au développement de Tarse. Il encouragea, ou tout au moins autorisa, l’établissement d’une colonie juive dans cette ville. Il lui accorda des privilèges et lui conféra même son nom : ce fut une Antioche de plus en Orient ; source de confusions qui firent qu’après sa mort on rendit à la cité son ancien nom.
Les Romains ne firent que passer dans le pays en 103, et la Cilicie fut pendant une vingtaine d’années au pouvoir de Tigrane, roi d’Arménie. En 64, les Romains revinrent et, cette fois, ils s’établirent définitivement, constituant la province de Cilicie, avec Tarse pour chef-lieu. La ville fut traitée avec bienveillance par César d’abord, puis par Antoine ; celui-ci y reçut en grande pompe Cléopâtre, qui venait de remonter le Cydnus sur une galère somptueusement parée. Auguste, à son tour, favorisa l’embellissement et le développement de la ville, qui devint, comme Alexandrie, l’une des métropoles de l’Orient.
À l’époque assyrienne, le dieu local était Sandan, probablement une personnification du soleil. Les Grecs y introduisirent les cultes de Persée et d’Hercule. Ce dernier, comme il arrivait souvent en Orient, fut confondu avec Sandan. Au cours d’une curieuse cérémonie annuelle, on dressait un bûcher où l’on brûlait le dieu Sandan, lequel était censé renaître ensuite de ses cendres.
Tarse, au temps de saint Paul, était comme chef-lieu de province un centre fort animé de la vie romaine. Magistrats et soldats y représentaient la capitale du monde. Mais en même temps la ville était grecque de culture : dans son université l’on pouvait étudier, sous les maîtres les plus capables, la philosophie, les lettres, le droit, la médecine. On cite parmi ses professeurs les plus célèbres Athénodore Cananites, conseiller de l’empereur Auguste, philosophe stoïcien et professeur de droit constitutionnel, qui fut chargé de réviser dans un sens oligarchique la constitution de la cité. Sénèque (Ep. mor., I, 10.5) résume ainsi sa doctrine des devoirs : « Vis avec les hommes comme si Dieu te voyait, et parle à Dieu comme si les hommes t’entendaient ». Paul a certainement dû en avoir quelque connaissance.
Jusqu’à quel point Paul prit-il contact, à Tarse, avec la culture grecque et romaine ? Il y apprit le grec, qui devint sa seconde langue, mais il est évident qu’il ne profita guère des écoles de rhétorique, si florissantes à Tarse. Le grec qu’il parlait et écrivait était la langue hellénistique populaire et non le pur parler de l’Attique, qu’il aurait pu s’assimiler auprès des rhéteurs de Tarse. Il cite bien, ici et là, certains auteurs grecs (1 Corinthiens 15.33 ; Tite 1.12 ; Actes 17.28), mais ces sentences courtes et proverbiales pouvaient être devenues monnaie courante dans la société grecque : rien ne prouve que Paul les ait cueillies dans les textes originaux.
On n’a pas lieu davantage de penser que le futur apôtre — lequel, du reste, quitta la cité de Tarse déjà à l’âge de douze ans — ait pris contact avec les écoles de philosophie de sa ville natale. En effet, la discipline de la synagogue interdisait les études profanes aux jeunes Juifs ; mais il est permis de supposer que, lorsqu’il revint à Tarse après sa conversion, libéré dans une certaine mesure de la tradition stricte et des préjugés de son peuple, il dut s’enquérir plus exactement de tout ce qui touchait à la vie hellénique : Tarse lui fournissait l’occasion de se faire grec avec les Grecs (cf. 1 Corinthiens 9.21). On peut même se le représenter assistant aux jeux de la palestre, auxquels il fait allusion dans 1 Corinthiens 9.26 et Philippiens 3.13 et suivant. Ses observations lui prouvèrent la vanité de cette vie d’une grande cité païenne, où tant de gens, jouisseurs et matérialistes, résumaient leur philosophie pratique en ces mots : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Corinthiens 15.32).
Après le démembrement de l’empire romain, Tarse fut, au cours des siècles, la proie de plusieurs armées, qui venaient de l’intérieur de l’Asie Mineure ou qui s’y rendaient. Elle fut au pouvoir des Arabes dès le milieu du VIIe siècle ; en 1097, sous les Croisades, elle leur fut prise par Baudouin, comte de Flandre. Au XIVe siècle, elle fit partie d’un royaume d’Arménie. Aujourd’hui qu’elle ne présente plus que des vestiges de son ancienne splendeur, elle appartient à la république turque d’Asie Mineure. Ch. B.
Numérisation : Yves Petrakian