I Le mythe païen
Antique divinité babylonienne, dont le culte influença par la suite les religions phéniciennes et hellénistiques. Son nom Dou’ouzou est sumérien et signifie sans doute : fils de la vie, ou, mieux, enfant éternel, ce qui lui donnerait pour principal caractère une perpétuelle jeunesse ; une autre traduction : le rejeton, en fait un type de résurrection Divinité solaire, déjà nommée dans les inscriptions babyloniennes du IIIe millénaire, Thammuz est plus particulièrement le dieu de la végétation du printemps ; personnifié par un berger, il périt avec elle, tué par un sanglier, c’est-à-dire consumé par les ardeurs de l’été, au mois de thammouz ou thammuz (juillet : on ne sait si c’est le mythe qui a donné son nom au mois, ou inversement). Thammuz est donc ravi par l’empire des morts ; mais il y est roi et il en ressortira, vainqueur des ténèbres, au prochain soleil printanier. Ce mythe des saisons se fond avec un mythe de l’amour : Thammuz est le jeune compagnon d’Istar, déesse de la fertilité et de l’étoile du soir, qui, inconsolable de sa mort, descend aux enfers pour le ramener à la vie (sujet d’un célèbre poème babylonien : la Descente d’Istar). D’où la fête du mois de thammouz : on y offrait de nombreuses libations, les prêtresses d’Istar y jouaient un grand rôle comme pleureuses, avec leurs rites d’incantations. Le mythe de Thammuz et d’Istar, gagnant la Phénicie et le monde gréco-romain, s’adapta aux divinités correspondantes d’Adonis (cf. l’hébreu adôn = seigneur) et d’Astarté = Aphrodite = Vénus. Il fut même confondu à certaines époques avec le mythe égyptien d’Osiris et d’Isis. Voir Mystères, II
II Dans la Bible
1. Ézéchiel
La Bible ne cite Thammuz par son nom qu’une seule fois : le prophète Ézéchiel voit son culte célébré par des femmes en pleurs à la porte nord du temple de Jérusalem, et il le condamne comme l’une des idolâtries abominables établies jusque dans le saint lieu (Ézéchiel 8.14 et suivant).
2. La lettre de Jérémie
Cette page apocryphe, en décrivant pour les Israélites destinés à la déportation l’idolâtrie dont ils seront témoins à Babylone (voir Apocryphes’), paraît bien avoir en vue expressément, parmi tous les cultes du panthéon babylonien, celui de Thammuz. Longue dénonciation, détaillée et pittoresque, elle rappelle les classiques réquisitoires jéhovistes contre les idoles (Psaumes 115.4 ; Psaumes 115.8 ; Psaumes 135.15 ; Psaumes 135.18 ; Ésaïe 44.9 ; Ésaïe 44.20 ; Sagesse 13.10-15.10), et particulièrement celui de Jérémie (Jérémie 10.1 ; Jérémie 10.16), avec lequel elle a d’étroites affinités ; elle possède pourtant en propre des traits précis, peut-être des souvenirs visuels, qui en font un document historique plutôt qu’une page de polémique purement oratoire. Tout en parlant « des dieux » au pluriel, c’est-à-dire des idoles en général, et tout en employant une fois le nom du grand dieu Bel comme un mot péjoratif : « leur Bel », c’est-à-dire leur idole babylonienne (10.41), cette description semble par plusieurs indices désigner une idolâtrie méprisable : sinon la plus célèbre, du moins la plus typique.
- Il y est question d’offrandes à des morts, de prêtres portant le deuil : « vêtements déchirés, cheveux et barbe rasés, tête découverte, hurlant et criant comme à un repas funèbre » (verset 27-31 et suivant). Or les rites de Thammuz consistaient essentiellement en une cérémonie funèbre, où, d’après Lucien (De dea Syria, 6), qui la superpose aux mystères grecs, les officiants « se frappent la poitrine, se lamentent, font des offrandes pour Adonis comme pour un mort et se rasent la tête comme font les Égyptiens pour Apis défunt ».
- On y voit des femmes servir les repas sacrés, toucher aux sacrifices, quel que soit leur état d’impureté (usages condamnés chez les Juifs : Lévitique 12.1 ; Lévitique 15.19 et suivants, etc.), recevoir le bénéfice des viandes et des vêtements offerts (Lévitique 15.30 ; Lévitique 15.29 ; Lévitique 15.28 ; Lévitique 15.33). Or dans les rites de Thammuz le premier plan était tenu par les pleureuses (Ézéchiel 8.14 ; comparez le deuil annuel des filles d’Israël sur la mort de la fille de Tephté : Juges 11.40) et par les hiérodules d’Istar.
- Une pratique scandaleuse y est clairement indiquée : celle des femmes assises sur la route, ceintes d’une corde que doit couper un passant pour désigner celle qu’il choisit (verset 43). Or les confirmations d’auteurs anciens nous conduisent à Thammuz. Hérodote (I, 199) consacre vingt-cinq lignes à « la plus honteuse des coutumes babyloniennes », celle des porteuses de couronnes de corde qui se prostituent en l’honneur de la déesse Mylitta, « nom que les Assyriens donnent à Aphrodite », signifiant : Istar, la compagne de Thammuz ; il signale des coutumes analogues dans l’île de Chypre. Strabon (XVI, 20 745) parle aussi d’une corde portée autour de la tête à « une certaine fête d’Aphrodite ». Lucien (O.C.) place la même pratique au temple d’Aphrodite à Byblos, lors du deuil d’Adonis, signifiant : Thammuz. Voir Prostitution.
- Il y est demandé à l’idole de rendre la voix à un muet (verset 41), alors que les idoles « ne peuvent sauver de la mort, rendre la vue à l’aveugle », etc. (verset 36 et suivant).
Or on apportait à Thammuz des démoniaques à guérir, et le Thammuz guérisseur était représenté porteur de la hache double, à laquelle il est justement fait allusion au verset 15 : « à la main droite l’épée et (au lieu de : ou) la hache ».
- L’idole ne saurait « donner la pluie aux hommes » (verset 53). Or Thammuz, dieu qui meurt avec la sécheresse de l’été et ressuscite à l’entrée du printemps, passait pour le « Seigneur des eaux courantes », le Maître des irrigations fertilisantes.
- Les idoles doivent être essuyées, fourbies et parées (verset 13,24,9) ; elles sont vêtues de pourpre (verset 12,72). Comparer ce fragment d’hymne : « Nettoyez Thammuz avec une eau pure, oignez-le de bonne huile, revêtez-le d’habits d’un rouge éclatant ».
- La comparaison des idoles « aux corneilles [qui volent] entre ciel et terre » (verset 54), la remarque qu’une fois « tombées par terre elles ne peuvent se relever » (verset 27) sont à rapprocher de la tradition sur Thammuz d’après les rabbins Kimchi et Maïmonide : « En la nuit de sa mort, étaient assemblées toutes les images de tous les bouts de la terre dans le temple de Babel, devant l’image d’or qui était celle du soleil. Celle-ci était suspendue entre ciel et terre, et elle tomba par terre au milieu du temple, ainsi qu’autour d’elle toutes les images ; et cela leur apprit ce qui était arrivé au prophète Thammuz ». Ces nombreux rapprochements et d’autres considérations ont permis au Commentaire Gore (voir ci-dessous, ouvrage à consulter) de proposer l’hypothèse suivante. La Lettre de Jérémie aurait été, comme les deux autres appendices à Jérémie (Lamentations, Baruc), d’origine liturgique et associée à un des jeûnes juifs. En ce cas, c’eût été sans doute au jeûne national du 7 du mois de Thammuz (quatrième mois ; cf. Zacharie 8.19), que la tradition talmudique devait rattacher à cinq désastres israélites : deux cas d’idolâtrie et trois cas de sacrilège (tables de la Loi détruites à cause du veau d’or, statue dressée dans le Temple, Jérusalem prise par Nébucadnetsar, la Loi brûlée, le sacrifice quotidien arrêté). La Lettre de Jérémie pourrait être une exhortation destinée à développer le tableau de Jérémie 10 contre l’idolâtrie, à l’aide d’éléments empruntés aux cérémonies païennes de Thammuz, celles qui devaient alors provoquer la plus vive horreur chez les Juifs monothéistes.
Consulter
- Fr. Jeremias, dans Manuel d’Histoire des Religions de Chantepie de la Saussaye, ch. VI
- H. Saint J. Thackeray, dans À New Comm, on Holy Scripture, de Gore, Goudge et Guillaume, London 1928.
JN L.