Ce nom, qui ne se rencontre qu’une seule fois dans la Bible, paraît avoir été celui d’un rhéteur d’Éphèse qui mit son école à la disposition de l’apôtre Paul pour y prêcher l’Évangile (Actes 19.9).
Au cours de son troisième voyage, Paul fit un long séjour à Éphèse. Là, selon son habitude, il enseigna d’abord à la synagogue ; mais bientôt, rebuté par l’endurcissement et l’hostilité de ses compatriotes, il résolut de s’adresser aux païens et chercha un local indépendant, ouvert à tous. Dans ces villes antiques de culture grecque, on trouvait toujours des « portiques d’enseignement » où professaient grammairiens et rhéteurs ; c’est sous un de ces portiques, que le livre des Actes appelle la Skholê Turannou (école du tyran ou de Tyrannus), que pendant deux ans l’apôtre rendit son témoignage.
Rares sont les traducteurs qui font de tyrannui un nom commun ; il y en a cependant quelques-uns, et d’illustres. Calvin, entre autres, pense que ce portique avait été construit par quelque grand seigneur ou prince d’Éphèse, donné par lui à la cité, et avait été appelé, en souvenir du fondateur : École du seigneur. Cette opinion n’a pas été retenue, et presque toutes nos versions font de Tyrannus un nom propre ; les commentateurs se bornent à chercher ce qu’a pu être ce rhéteur. Mais sur ce point il faut se contenter d’hypothèses.
Tyrannus fut peut-être quelque grammairien célèbre dont le nom fut donné plus tard à quelque édifice public : Éphèse aurait eu sa Skholê Turannou, comme Paris son lycée Condorcet. Bost et Coquerel parlent, en effet, d’un Tyrannus qui écrivit un traité de rhétorique en dix livres. Sans doute veulent-ils parler de Tyrannion, maître de Strabon qui, selon Plutarque, fut chargé par le dictateur Sylla de mettre en ordre la fameuse bibliothèque d’Apellicon de Téos et qui sauva de la destruction et de l’oubli une partie des œuvres d’Aristote et de Théophraste.
Mais tout cela est bien douteux, et cette façon d’honorer la mémoire des grands hommes ne paraît pas avoir été employée à cette époque. Au reste, plusieurs documents font précéder le nom de Tyrannus de l’article tinos : « l’école d’un certain Tyrannus », ce qui semble indiquer que l’apôtre parla dans un portique appartenant à un dénommé Tyrannus, ou dans lequel professait ce Tyrannus. Cette dernière supposition serait appuyée par ce fait que quelques documents indiquent que Paul enseignait de « la cinquième à la dixième heure », c’est-à-dire probablement en dehors des heures matinales, réservées plus particulièrement à l’enseignement. Le témoignage des papyrus du temps prouve d’ailleurs que ce nom propre était alors répandu.
Tyrannus fut-il seulement un propriétaire qui loua son local à l’apôtre ; fut-il, comme certains le pensent, un ami et disciple de Paul qui par sympathie et par conviction mit son école à la disposition du grand missionnaire ; était-il d’origine juive ou païenne ? Nous ne savons. Mais ce que nous pouvons affirmer c’est que grâce à cette tribune publique, le message chrétien put être proclamé non seulement à toute la population de cette grande ville païenne mais aux nombreux étrangers, commerçants et pèlerins qui y venaient de toutes les régions de l’Asie, de toutes les provinces de l’empire ; dans la Skholê Turannou fut proclamé le nom du Roi des rois, seul prince légitime ayant pouvoir de régner sur l’âme humaine et de l’affranchir du péché.
Le sermon sur l’Agora d’Athènes, les conférences au portique de Tyrannus nous disent qu’il faut savoir parfois sortir de nos temples et rechercher, pour évangéliser les masses, des locaux neutres accessibles aux foules. P. B.-M.
Numérisation : Yves Petrakian