1 Prière de Moïse, homme de Dieu.
Seigneur, tu nous as été une retraite d’âge en âge ! 2 Avant que les montagnes fussent nées,
Et que tu eusses formé la terre, la terre habitable,
D’éternité en éternité, tu es le Dieu fort. 3 Tu réduis l’homme mortel en poussière,
Et tu dis : Fils d’hommes, retournez ! 4 Car mille ans sont à tes yeux
Comme le jour d’hier, quand il n’est plus,
Et comme une veille dans la nuit. 5 Tu les emportes comme par un torrent, ils sont un songe ;
Au matin, ils se renouvellent comme l’herbe ; 6 Au matin, elle fleurit et se renouvelle ;
Le soir, on la coupe, et elle sèche. 7 Car nous sommes consumés par ta colère,
Épouvantés par ton courroux. 8 Tu as mis devant toi nos iniquités
Et devant la lumière de ta face nos fautes cachées. 9 Car tous nos jours s’en vont par ton courroux,
Et nous exhalons nos années comme un souffle. 10 Les jours de nos années : c’est soixante-dix ans,
Et pour les plus robustes, quatre-vingts ans,
Et ce qui en fait l’orgueil n’est que tourment et vanité,
Car il s’en va soudain, et nous nous envolons. 11 Qui prend garde à la force de ta colère
Et à ton courroux, selon la crainte qui t’est due ? 12 Enseigne-nous si bien à compter nos jours,
Que nous en ayons un cœur sage ! 13 Reviens, ô Éternel ! Jusques à quand… ? Et repens-toi en faveur de tes serviteurs ! 14 Rassasie-nous dès le matin de ta bonté,
Et nous chanterons d’allégresse ;
Nous nous réjouirons tout le long de nos jours. 15 Réjouis-nous à proportion des jours que tu nous as affligés
Et des années où nous avons connu le malheur. 16 Que ton œuvre apparaisse en faveur de tes serviteurs
Et ta gloire sur leurs fils, 17 Et que la bienveillance du Seigneur notre Dieu soit sur nous !
Affermis pour nous l’œuvre de nos mains,
Oui, affermis l’œuvre de nos mains !
Ce livre devait, dans la pensée des rédacteurs définitifs du psautier, correspondre au quatrième livre de la Loi. Il s’ouvre par un cantique qui se rapporte précisément au séjour de quarante ans d’Israël au désert, dont parle le livre des Nombres. Et le nom mis en tête de ce psaume est celui de Moïse lui-même. Tous les cantiques qui forment le reste du livre sont anonymes, à l’exception de deux, qui sont attribués à David.
Sous les yeux du Dieu qui subsiste éternellement, l’homme passe comme un songe (versets 1 à 6). Combien est triste le sort d’une génération qui voit cette course vers la mort accélérée encore et assombrie pour elle par la colère divine (versets 7 à 12) ! Notre psaume donne expression à cette tristesse. Et pourtant nous y trouvons moins une plainte qu’une prière confiante : la tristesse sera changée en joie, quand l’Éternel reviendra de sa colère (versets 13 à 17). Bien différent en effet des grands poètes païens, le psalmiste ne se débat pas contre un destin aveugle et impitoyable : il prie le Dieu vivant. La grandeur infinie de ce Dieu et la condamnation dont il frappe le péché sembleraient devoir être pour lui un sujet d’effroi ; mais non, c’est de l’Éternel qu’il attend sa joie et c’est auprès de lui qu’il se retire.
On est surpris que, parlant, comme il le fait des générations qui disparaissent, le psalmiste ne cherche pas à percer le voile de l’au-delà et ne mentionne pas même le Schéol. Évidemment, sa préoccupation n’est pas de suivre les destinées mystérieuses des milliers d’hommes emportés loin de la scène de ce monde. Il pense aux vivants, à ce peuple décimé qui vit au milieu de la mort, qui a devant lui une grande œuvre à accomplir (verset 17) et auquel Dieu a promis d’accomplir lui-même une œuvre en sa faveur (verset 16). C’est pour ce peuple qu’il parle et prie, s’identifiant avec lui. Tel fut le rôle de Moïse, auquel une antique tradition attribue le cantique.
Le psaume, par sa pensée inspiratrice, aussi bien que par la manière en laquelle il l’exprime, est digne d’une telle origine. La simplicité saisissante du langage, le sentiment si profond de la condamnation portée par la sainteté divine contre les fautes connues et cachées de l’homme, l’inébranlable confiance en ce Dieu qui frappe et qui pourtant veut bénir : ce sont là des traits bien conformes à la grande figure de Moïse. Chacun reconnaît d’ailleurs que les sentiments exprimés ici ont dû être ceux du grand serviteur de Dieu, alors qu’a chaque étape du désert on devait creuser de nombreux tombeaux, alors surtout que, de ses propres mains, il dut ensevelir son frère Aaron (Nombres 20.27-29). Enfin l’étude détaillée du psaume confirme absolument cette impression générale. Ce qui est dit de la culpabilité du peuple (verset 7), de ses malheurs exceptionnels (verset 15), de la mortalité précoce (verset 10), de l’inattention générale en face des jugements de Dieu (verset 11), est de nature à lever tous les doutes que l’on pourrait avoir, quant à l’origine du psaume.
On a objecté qu’un tel poème, s’il eût été composé par Moïse, aurait trouvé place dans le Pentateuque. Pas nécessairement, car ce cantique exprime des impressions personnelles qui n’étaient pas directement en relation avec l’histoire ou la législation consignées dans le Pentateuque. Nous savons par Nombres 21.14, qu’il existait à l’époque de Moïse un ou des recueils de récits et de poèmes dont le Pentateuque ne nous donne que de courts extraits ; notre psaume a pu être conservé dans l’un d’eux. Quant à l’objection tirée du fait que la langue de Moïse devait différer beaucoup plus que celle de notre psaume de l’hébreu parlé mille ou douze cents ans plus tard, elle ne paraît pas décisive. Nous aurons à examiner, dans nos conclusions de la fin de ce volume, cette question de l’uniformité relative du langage des Psaumes. Bornons-nous, à signaler ici une particularité propre à notre psaume : à chaque verset, pour ainsi dire, on y rencontre des formes grammaticales ou des rapprochements de mots qui se trouvent dans le cantique et dans la bénédiction de Moïse (Deutéronome chapitres 32 et 33). Ces ressemblances sont si nombreuses que nous devons renoncer à les indiquer toutes. Elles établissent une parenté d’origine bien évidente entre notre cantique et ces divers morceaux.
Prière de Moïse. Comme les suscriptions en général, celle-ci ne doit pas être attribuée à l’auteur lui-même. Ceux qui ont introduit ce cantique dans le recueil du psautier ont senti toute l’importance de cette pièce exceptionnelle et n’ont pu manquer d’en signaler la valeur en indiquant le nom de son auteur et en le qualifiant selon le rôle unique qu’il a rempli. Le titre d’homme de Dieu se trouve sous la même forme (proprement : l’homme de Dieu) Deutéronome 33.1 ; Josué 14.6.
Seigneur, tu nous as été… Ce premier vers, incomplet, puisque le second stiche manque, domine comme un titre le psaume entier. Comparez Psaumes 87.1. Dieu est la retraite de son peuple, même quand il fait peser sur lui sa colère. Le mot de retraite (proprement : habitation) se trouve Deutéronome 33.27, dans la même acception qu’ici.
D’âge en âge : si haut que l’on remonte, jusqu’à Jacob, Abraham et même au-delà. Cette expression, fréquente dans les Psaumes se présente, en hébreu, ici et Deutéronome 31.7, sous une forme spéciale.
Avant que les montagnes fussent nées : elles que leur stabilité fait paraître éternelles (Genèse 49.26 ; Deutéronome 33.15).
Que tu eusses formé (littéralement : enfanté) la terre… Toutes choses ont eu un commencement et ce commencement vient de Dieu, qui, lui, n’a jamais commencé.
L’homme mortel. Après le contraste qui vient d’être signalé entre le monde et Dieu, apparaît le contraste plus grand encore entre l’homme qui périt et Dieu qui subsiste.
Retournez : dans la poussière. d’où vous êtes sortis (Genèse 3.19).
Car mille ans… Ce car est motivé par le contraste ; qui remplit l’esprit du psalmiste, entre l’éternité de Dieu et la courte durée de l’homme. Le terme de mille ans, qui éveille dans l’esprit de l’homme l’idée d’une durée infinie, n’est aux yeux de Dieu que ce qu’est aux nôtres le jour d’hier quand il n’est plus, c’est-à-dire quand l’impression de sa brièveté et de sa disparition est la plus forte (comparez 2 Pierre 3.8). Bien plus, cette période de tant de siècles est pour Dieu ce qu’est pour l’homme qui sommeille une veille dans la nuit : elle passe inaperçue. Pour la durée d’une veille, voir Psaumes 63.7, note.
Tu les emportes comme par un torrent : d’une manière aussi soudaine qu’irrésistible. On peut traduire et peut-être avec plus de raison : Emportés par toi comme par un torrent (ou une trombe d’eau), ils ne sont qu’un songe (proprement : un sommeil). La vie, au moment où ils la perdent, leur apparaît comme un songe ou un sommeil, dont on n’a conscience qu’au moment où on en sort.
Au matin… L’idée du matin semble être amenée par celle du sommeil. De nouvelles générations surgissent, après celles qui ont été emportées (c’est là le sens des mots : ils se renouvellent), mais pour être retranchées à leur tour. Cette image de l’herbe qui fleurit pour se faner, est développée Psaumes 103.15-16 ; Ésaïe 40.6-8 (comparez 1 Pierre 1.24) ; la forme succincte sous laquelle elle se présente ici témoigne de l’antériorité de ce passage sur ceux que nous venons de citer.
Nous sommes consumés…, épouvantés. La loi générale de la modalité humaine s’accomplit en Israël sous les yeux du psalmiste, avec un caractère de sévérité qui est l’indice de la colère de Dieu.
Tu as mis devant toi nos iniquités : pour en faire l’enquête. Remarquer le contraste entre les fautes cachées du peuple et la lumière de la face de Dieu dont l’éclat pénètre jusque dans les profondeurs du cœur. Les fautes cachées désignent l’état intérieur de péché, les dispositions secrètes d’où procèdent les iniquités.
Ce qui vient d’être dit n’est pas une simple supposition, car…
Tous nos jours : nos jours à tous.
S’en vont, littéralement : ont tourné le dos, pour s’éloigner.
Soixante-dix…, quatre-vingts… Les exemples de Moïse lui-même, qui atteignit l’âge de 120 ans, d’Aaron (123 ans), de Marie (130 ans, Nombres 20.1, note), de Josué (110 ans), de Caleb, montrent que, dans des conditions normales et si le peuple n’avait pas été sous le jugement de Dieu, la durée de la vie aurait dépassé, à cette époque, les chiffres indiqués dans ce verset.
Ce qui en fait l’orgueil… Ce que ces jours ont pu avoir de plus beau, de plus brillant n’a été acquis qu’au prix de bien des tourments et n’a aucune valeur durable.
Qui prend garde ?… Ce qui augmente la tristesse du psalmiste, c’est que personne ne comprend que l’état de choses dont il vient de parler est la manifestation de la colère divine.
Compter nos jours : n’en jamais perdre de vue la courte mesure, la marche rapide, non plus que le but et la valeur.
Reviens, ô Éternel !
Reviens… de ta colère, qui pèse sur tes serviteurs. C’est la même supplication que Moïse fait entendre, après l’affaire du veau d’or Exode 32.12.
Repens-toi en faveur de… Même expression Deutéronome 32.36.
Rassasie-nous… Ce mot suppose des cœurs dès longtemps avides des témoignages de la bonté de Dieu.
Dès le matin : dès le point du jour, dans le sens de : sans retard, promptement.
Réjouis-nous à proportion… Que le bonheur futur de ton peuple égale et fasse oublier ses maux actuels. C’est ici une allusion bien claire à une période déjà longue de misère exceptionnelle qui se distingue clairement des maux ordinaires inhérents à l’existence terrestre.
Des jours… Le pluriel jemôth (jours), au lieu de jemé, de même que schenôth (années), au lieu de schené, est inusité. Il est même remarquable que ces deux formes ne se retrouvent dans tout l’Ancien Testament que dans le cantique de Moïse, Deutéronome 32.7-16.
Que ton œuvre apparaisse… Les plans de Dieu à l’égard d’Israël étaient voilés, pendant ce long séjour au désert, son œuvre commencée restait inachevée. Que la gloire divine, dont l’éclat est comme intercepté, resplendisse Sur une nouvelle génération !
Affermis pour nous…, littéralement : sur nous. L’emploi répété de la préposition sur (sur leurs fils…, sur nous…, sur nous) n’est pas fortuit. Une action miraculeuse doit s’exercer d’en-haut sur le peuple, pour le tirer de l’état d’impuissance où il périt.
L’œuvre de nos mains. L’œuvre de Dieu (verset 16) est de sauver son peuple ; l’œuvre de ce peuple est de servir et de glorifier Dieu ; l’œuvre de Moïse est de mettre Israël en état d’accomplir cette tâche. Si l’on pense à la charge écrasante qui reposait sur cet homme de Dieu, on comprend qu’il ait terminé son cantique en demandant à Dieu avec insistance de ne pas laisser péricliter, entre ses mains et celles du peuple lui-même, l’œuvre commencée.
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