Introduction (chapitres 40 à 66)
Autant qu’on en peut juger par les données que fournit l’antiquité, la prophétie communément appelée seconde partie d’Ésaïe (chapitres 40 à 66) a formé, dès les temps les plus anciens, une portion intégrante du livre de ce prophète. On voit par Luc 4.17 ; Actes 8.30-34 qu’il en était ainsi à l’époque de Jésus-Christ. Nous pouvons remonter plus haut encore. Jésus, fils de Sirach, qui vivait selon les uns vers l’an 200, selon les autres vers l’an 300 avant Jésus-Christ s’exprime ainsi dans le chapitre 48 de son livre : Ézéchias demeura ferme dans les voies de David, son père, selon l’enseignement d’Ésaïe, le prophète grand et fidèle dans sa vision. De son temps, le soleil recula et il prolongea les jours du roi. Puissant en esprit, il vit les choses dernières et il consola les affligés de Sion : il prophétisa ce qui devait arriver jusqu’à la fin et les choses cachées avant qu’elles fussent arrivées.
Le fils de Sirach veut évidemment caractériser dans ces mots les différentes parties du livre d’Ésaïe : les premiers chapitres, par le mot vision (allusion à Ésaïe 1.1 et au chapitre 6) ; la partie historique (chapitres 36 à 39), par la mention du miracle du cadran, enfin, les expressions : il vit les choses dernières, il consola les affligés de Sion, il annonça les choses cachées avant qu’elles fussent arrivées, désignent clairement la dernière partie (chapitres 40 à 66) ; comparez Ésaïe 40.1 ; Ésaïe 42.9 ; Ésaïe 48.5-7. L’ancienne Synagogue n’a jamais douté qu’Ésaïe ne fût l’auteur de cette dernière partie du livre. C’est ce que prouve la tradition reçue parmi les Juifs et rapportée par l’historien Josèphe (Antiquités Judaïques, XI, 1, 2), d’après laquelle Cyrus rendit l’édit qui permettait aux Juifs de rentrer en Palestine après qu’on lui eut montré les prophéties d’Ésaïe qui le concernaient. Cet édit, conservé, Esdras 1.2-3, paraît renfermer en effet une allusion positive à Ésaïe 44.24 à 45.3. Jusqu’aux temps modernes aucun doute ne s’est élevé, ni parmi les Juifs, ni parmi les chrétiens, sur l’authenticité des diverses parties du livre d’Ésaïe, si l’on excepte l’opinion d’Abenesra, rabbin juif du 12e siècle, lequel tenait les chapitres 40 à 66 pour l’œuvre de ce roi Jéchonias, qui fut pendant trente-sept ans captif à Babylone (2 Rois 25.27). Le fait que le Talmud place les grands prophètes dans l’ordre suivant : Jérémie, Ézéchiel, Ésaïe, ne prouve pas que les collecteurs du canon aient douté de l’authenticité de certaines parties du livre d’Ésaïe et les aient attribuées à des auteurs plus récents que Jérémie et Ézéchiel. En effet, si l’ordre indiqué dans le Talmud est suivi par les manuscrits français et allemands du texte (hébreu) de l’Ancien Testament, d’autres autorités (les manuscrits espagnols, les Masorètes, les LXX et Josèphe) placent, ainsi que le font nos Bibles, Ésaïe en tête. L’ordre adopté, par le Talmud s’explique aisément par le fait que les rabbins tenaient Jérémie pour l’auteur du livre des Rois, livre qui, dans les Bibles hébraïques, précède immédiatement les prophètes. Jérémie avant été mis à la première place, on donna la seconde à Ézéchiel, qui comme lui avait vécu au commencement de la captivité et prédit la ruine de Juda par les Chaldéens ; et la troisième fut réservée à Ésaïe, qui se trouva ainsi rapproché des autres prophètes de la période assyrienne (Osée, Amos, Michée). L’argument que nous combattons aurait d’ailleurs l’inconvénient de prouver trop : si une préoccupation chronologique avait présidé à l’arrangement indiqué par le Talmud, on en devrait conclure que non seulement la dernière partie d’Ésaïe. mais le livre tout entier était envisagé comme de date plus récente que ceux de Jérémie et d’Ézéchiel ; et dans ce cas on n’eût pu l’attribuer à Ésaïe.
C’est depuis un siècle seulement que l’authenticité de plusieurs portions du livre d’Ésaïe a été sérieusement contestée. Beaucoup de savants envisagent comme un fait désormais acquis, que les chapitres 40 à 66 et quelques autres morceaux (Ésaïe 13.1 à Ésaïe 14.23 ; Ésaïe 21.1-10 ; chapitres 34 et 35) ont été composés vers la fin de la captivité de Babylone, ainsi près de deux siècles après le temps d’Ésaïe.
Les chapitres 24 à 27 sont aussi contestés à Ésaïe, mais, selon nous, sans raisons suffisantes, Babylone n’y est pas même nommée. Voir les notes Ésaïe 25.10 et Ésaïe 27.13.
C’est ici le lieu d’examiner cette question importante. Nous n’avons nullement l’intention de la trancher ; notre désir est simplement de placer les éléments du problème sous les yeux du lecteur et de le mettre à même de se former une opinion. L’exposé que nous allons faire sera conçu dans un esprit de stricte impartialité. Il nous sera d’autant plus aisé de ne point nous en départir, que la question dont il s’agit relève à nos yeux de la seule critique historique et n’a pas l’importance dogmatique et religieuse qu’à première vue on serait tenté de lui attribuer. Le livre d’Ésaïe ne forme pas un tout arrangé selon un ordre systématique ; c’est un recueil de morceaux très divers, dont le plus petit nombre seulement est muni d’un titre portant le nom de ce prophète. La prophétie chapitres 40 à 66 est sans titre et ne se donne elle-même nulle part pour l’œuvre d’Ésaïe. Nous ne voyons donc pas en quoi sa valeur serait diminuée, s’il était prouvé que ce n’est pas lui qui en est l’auteur. Ceux qui ont formé le recueil de ses œuvres auraient sans doute commis une erreur ; mais la prophétie dont nous parlons n’en resterait pas moins le plus remarquable des écrits prophétiques de l’Ancien Testament. Nous estimons donc que l’autorité de l’Écriture n’est point en jeu dans la question qui va nous occuper et qui est affaire non de foi, mais d’histoire.
Le Nouveau Testament cite, il est vrai, souvent Ésaïe chapitres 40 à 66 sous le nom d’Ésaïe (Matthieu 3.13 ; Matthieu 8.17, Luc 4.17 ; Jean 12.38, etc.) ; mais les écrivains du Nouveau Testament citent le livre d’Ésaïe tel qu’il était entre leurs mains ; et leurs citations prouvent simplement que de leur temps les chapitres en question faisaient comme aujourd’hui partie de ce livre.
La principale raison qui porte un si grand nombre de savants à refuser à Ésaïe la composition des chapitres 40 à 66, c’est le fait que l’auteur de ce morceau, au lieu d’être placé dans les circonstances historiques de l’époque d’Ésaïe, parle bien plutôt en homme du temps de l’exil. Il n’annonce plus la captivité, comme l’avait fait Ésaïe (Ésaïe 39.6) ; pour lui, la catastrophe appartient au passé ; l’exil est le présent et la délivrance, l’avenir imminent. Jérusalem et le temple sont en ruines. Ésaïe 64.10-11 : Tes villes saintes sont devenues un désert ; Sion est devenue un désert et Jérusalem une solitude ; notre maison sainte et magnifique, où nos pères t’ont loué, est devenue la proie du feu…
Comparez Ésaïe 44.28. Israël est dans l’oppression et privé de son héritage (Ésaïe 49.6-9 ; Ésaïe 63.18-19 ; comparez Ésaïe 14.2-3 ; Ésaïe 21.10). Les ennemis sont les Chaldéens, l’Assyrien, auquel avait affaire Ésaïe, a disparu c’est sur Babel et sa chute que se concentrent les pensées du prophète (Ésaïe 43.14 ; chapitre 47 ; Ésaïe 48.20 ; comparez chapitres 13 et 14 ; Ésaïe 21.9) ; c’est aux exilés qu’il s’adresse ; sa tâche est de les consoler par la bonne nouvelle de la délivrance (Ésaïe 40.1-2). Il souffre et se plaint avec eux des retards que subit le salut promis ; et il vit tellement au milieu d’eux qu’il dit nous en parlant d’eux et de lui et prie en leur nom pour obtenir l’accomplissement des promesses (Ésaïe 59.9-11 ; Ésaïe 63.7 ; Ésaïe 63.15 à 64.12). Dans d’autres passages, il annonce la délivrance comme très-prochaine, si prochaine qu’il crie à Israël : Sortez de Babylone (Ésaïe 40.9 ; Ésaïe 48.20 ; Ésaïe 52.11 ; comparez Ésaïe 21.2). Le libérateur qui doit ramener Israël en Palestine a déjà paru sur la scène ; ses conquêtes sont décrites et son nom même est prononcé (Ésaïe 41.2-3 ; Ésaïe 41.25 ; Ésaïe 44.28). Ne semble-t-il pas résulter de tout cela que notre auteur n’a pu vivre qu’au temps de la captivité et qu’il ne saurait par conséquent être le prophète Ésaïe, qui vivait plus de cent ans avant la ruine de Jérusalem ? Se pourrait-il, si ce dernier était l’auteur de la prophétie, qu’il ne se rencontrât sous sa plume aucune allusion aux circonstances de son temps et que, en revanche, 150 ans avant l’apparition de Cyrus, il l’eût désigné par son nom ?
Le fait est exact : c’est bien aux exilés que l’auteur parle et c’est sans raison qu’on l’a quelquefois contesté et qu’on a cru voir dans les reproches qu’il adresse à ses lecteurs relativement à l’idolâtrie et dans la polémique à laquelle il se livre contre le paganisme (voyez Ésaïe 44.9-20 ; Ésaïe 46.1-13 ; Ésaïe 48.5 ; Ésaïe 65.3-5 ; Ésaïe 65.11 ; Ésaïe 66.17), une preuve qu’il écrivait avant la dispersion du peuple. Rien ne démontre qu’Israël ait été subitement guéri par cette catastrophe de son penchant à l’idolâtrie ; il paraît plutôt résulter de Ézéchiel 20-38 que les exilés se livraient encore aux pratiques païennes que les anciens prophètes avaient reprochées à leurs pères.
Ce rôle de consolateur, que l’auteur des chapitres 40 à 66 remplit à l’égard du peuple de l’exil, est certainement étrange, si c’est Ésaïe qui tient la plume. Remarquons toutefois, en premier lieu, que la pensée des malheurs du peuple captif en Babylonie ne peut avoir été étrangère à Ésaïe, puisqu’il avait prédit lui-même la déportation de Juda à Babylone (Ésaïe 39.6) ; prédiction qui a son parallèle dans la prophétie Michée 4.10 : Sois en travail et crie, fille de Sion, comme celle qui enfante ; car maintenant tu sortiras de la ville et tu iras jusqu’à Babylone ; là tu seras délivrée ; c’est là que l’Éternel te rachètera des mains de tes ennemis.
Les prophètes contemporains d’Ésaïe ont donc déjà compris que la captivité de Juda ne devait pas avoir pour théâtre l’Assyrie, comme celle des dix tribus. Et comment en eût-il été autrement d’Ésaïe lui-même, qui tant de fois avait annoncé la destruction de la puissance assyrienne ?
Et cela par les Chaldéens, si nous avons bien compris le passage Ésaïe 23.13.
Ce que nous savons aujourd’hui de la grandeur déjà formidable de Babel à cette époque, nous prouve au reste que les prédictions d’Ésaïe et de Michée, relatives à la captivité de Babylone, avaient dans les circonstances de leur temps un point d’attache historique plus que suffisant.
Une seconde remarque à faire, c’est que les prophètes ne doivent pas être jugés comme des écrivains ordinaires. L’inspiration les élève au-dessus de leur état naturel. Le plus souvent, c’est sous forme de vision que l’avenir leur est révélé et ils s’y trouvent si vivement transportés qu’il devient pour eux le présent, quelquefois même le passé et qu’ils s’adressent à des personnages futurs comme s’ils étaient là devant leurs yeux. C’est ainsi que Michée parle de la ruine de Jérusalem comme d’un événement présent, passé même (Michée 4.8-10, 7.8-13) : Si je suis tombée, s’écrie Sion, je me relèverai ; si j’ai été couchée dans les ténèbres, l’Éternel m’éclairera.
Le livre d’Ésaïe, dans ses parties incontestées, offre de nombreux exemples de ce genre d’anticipation (Ésaïe 5.26-30 ; Ésaïe 8.23 à Ésaïe 9.6 ; Ésaïe 23.1-18 ; etc.). C’est par une sorte de vision que débute également la dernière partie. Le prophète, saisi tout à coup par l’inspiration, entend une voix (Ésaïe 40.3 ; Ésaïe 40.6). Cette forme de la vision, quoique rare dans son écrit, y reparaît pourtant (voir surtout Ésaïe 63.1-6).
Ce qui fait qui difficulté spéciale d’Ésaïe chapitres 40 à 66, c’est que ce phénomène d’anticipation prophétique, dont nous venons de parler, se prolongerait ici durant vingt-sept chapitres et deviendrait le point de départ de discours et de réflexions qui n’ont rien de commun avec l’état d’extase. Cela est-il psychologiquement possible ? La difficulté est au moins atténuée, si l’on envisage quelle est la pensée essentielle de l’auteur de cet ouvrage. Bien que le retour de la captivité y occupe une très grande place, ce retour n’est pourtant pas le point de mire unique ou principal du prophète. Son regard est dirigé, comme celui de tous les autres voyants, sur la consommation finale du règne de Dieu : et celle-ci ne pouvant être amenée que par le moyen d’Israël, le prophète doit parler spécialement de son retour comme condition du glorieux avenir qui s’ouvre pour lui et pour toute l’humanité. Ce vaste coup d’œil ne convient-il pas à un homme qui, comme Ésaïe, voyait de haut et de loin les grands châtiments et la grande délivrance, mieux peut-être qu’à un auteur qui aurait vécu dans l’horizon restreint tracé par ces circonstances mêmes ?
La mention de Cyrus reste le fait le plus difficile à expliquer. Il est évident que, pour quiconque n’admet pas de communications surnaturelles entre l’Esprit de Dieu et l’esprit des prophètes, ce seul argument emporte la question. Si l’on réduit la prophétie à de simples prévisions reposant sur les grandes idées qui formaient le fond de la conscience religieuse d’Israël, toute prédiction positive de l’avenir devient impossible et il est superflu de discuter la question de savoir si Ésaïe a pu écrire la prophétie chapitres 40 à 66. Au point de vue auquel nous nous plaçons, ce fait est encore si extraordinaire, bien qu’il ne soit pas sans analogue (1 Rois 13.2), que l’on comprend les doutes qu’il suscite. Il s’agirait de savoir, d’abord, si l’inspiration prophétique peut aller jusqu’à ce point de précision. C’est, pour ainsi dire, une question de degré dans le surnaturel. Mais qui voudrait fixer les limites que la révélation ne peut dépasser ? Il s’agirait de savoir, de plus, si le personnage de Cyrus occupe dans l’histoire du règne de Dieu une place assez importante pour que son nom ait été révélé à Ésaïe comme l’un des traits du tableau de l’avenir qu’il contemplait.
Pour éluder la difficulté, on a prétendu que Korès (Cyrus) n’était pas un nom propre, mais un appellatif, signifiant soleil, qui aurait servi de titre aux rois de Perse (Comme Pharaon à ceux d’Égypte). Mais rien ne prouve l’existence d’un pareil titre et on sait aujourd’hui que le nom persan de Cyrus (Kuru ou Kurus) n’a rien de commun, sinon une vague analogie de son, avec le mot qui désigne le soleil dans cette langue.
Nous avons admis, dans ce qui précède, que le présent, idéal ou réel, dans lequel se meut le prophète, est celui de la captivité. Il y a cependant quelques passages qui paraissent ne pas convenir à l’époque de l’exil, ou qui semblent présenter ce châtiment comme encore à venir. Ainsi :
- Ésaïe 56.9-12, les ennemis du peuple de Dieu sont invités à le dévorer, ce qui leur sera aisé, car ses chefs sont incapables de le défendre. Israël se gouverne donc encore lui-même et l’invasion chaldéenne n’est pas un fait accompli.
- Ésaïe 57.1, le juste est retiré de devant le mal, c’est-à-dire enlevé avant le jugement imminent. La peinture de l’idolâtrie du peuple, Ésaïe 57.5-7 (hauts-lieux, culte de Moloch, etc.), rappelle tout à fait les censures des prophètes d’avant l’exil ; et le tableau du verset 5 est rempli de traits qui semblent empruntés aux circonstances naturelles de la Palestine (comparez Ésaïe 1.29).
- Aussi le morceau Ésaïe 56.9 à 57.11 est-il, dans l’opinion de la plupart des critiques qui attribuent Ésaïe chapitres 40 à 66 à un auteur vivant dans l’exil, l’œuvre d’un prophète plus ancien, peut-être d’Ésaïe lui-même, que cet auteur aurait intercalée ici dans son ouvrage.
- Ésaïe 56.1-3, le prophète met Israël en garde contre l’idée d’un mérite attaché au culte cérémoniel. Cela serait-il possible pendant l’exil, alors qu’il n’y avait plus de temple et de sacrifices ?
- Les versets 6 et 20 paraissent aussi supposer l’existence du culte lévitique et du temple. Plusieurs savants ont conclu de là que ce chapitre devait avoir été composé seulement après le retour des exilés.
Nous laissons de côté les passages où l’auteur prouve par l’accomplissement des prophéties la divinité de Jéhova. Il ne nous paraît pas qu’on en puisse tirer un argument positif en faveur de l’authenticité. Voir du reste l’explication de ces passages.
Nous abordons maintenant un autre ordre de difficultés. L’auteur de la dernière partie d’Ésaïe a sur le développement du règne de Dieu des vues assez différentes de celles que renferme la première partie. Nous ne relèverons ici que le point le plus important, l’idée du Messie. Ésaïe (particulièrement dans les chapitres 1 à 12) attend l’apparition d’un Christ, fils de David, qui vaincra les païens et restaurera le trône de son aïeul. L’auteur des chapitres 40 à 66 ne parle plus d’un roi théocratique visible. C’est de Jéhova lui-même qu’il attend la venue (Ésaïe 40.5 ; Ésaïe 40.9-10 ; Ésaïe 64.1 ; comparez Ésaïe 35.2 ; Ésaïe 35.4). Pour réaliser ses desseins, le Seigneur emploiera, d’une part, Cyrus, qu’il appelle son oint, son pasteur et qui fera sortir Israël de Babylone (Ésaïe 44.28 ; Ésaïe 45.1), et, de l’autre, un personnage inconnu comme lui à l’Ésaïe des premiers chapitres, le serviteur de Jéhova, qui expiera par ses souffrances les fautes de son peuple et répandra parmi les Gentils la connaissance du vrai Dieu (Ésaïe 42.1-6 ; Ésaïe 49.1-7 ; Ésaïe 52.13 à 53.12).
Cette diversité de points de vue prouve qu’il faut placer en tout cas un développement important de l’idée messianique entre la première et la dernière partie du livre d’Ésaïe. Mais la différence ne doit pas être exagérée et pour notre part nous ne la croyons pas telle qu’elle soit inconciliable avec l’identité d’auteur. En effet, si le nom du Messie-Roi a disparu, l’idée ne s’en retrouve pas moins dans les chapitres 40 à 66. Le serviteur de l’Éternel, d’abord humilié, doit finir par occuper la même place que le Roi glorieux d’Ésaïe chapitres 9 et 11 : il régnera sur les nations, jugera les peuples, recevra les hommages de leurs rois (Ésaïe 42.4 ; Ésaïe 49.6-7 ; Ésaïe 52.13-15 ; Ésaïe 53.12). Et, d’autre part, la première partie présente certains traits qui évidemment préludent à l’idée du serviteur telle que la développe la dernière partie. Comparez Ésaïe 53.2 avec Ésaïe 4.2 (le germe de l’Éternel) et Ésaïe 9.1 (le rejeton sortant du tronc coupé de David).
Voir encore, sur ce sujet, nos remarques à la fin du chapitre 53. Quant aux tableaux de la gloire future d’Israël, ceux de la première partie, quoique moins développés que ceux de la seconde, ne sont en réalité pas moins brillants. Comparez Ésaïe 41.18-20 ; Ésaïe 49.10 ; Ésaïe 54.11-14 ; Ésaïe 60.1-22 ; Ésaïe 65.17-25 (Ésaïe 35.1-10) avec Ésaïe 2.2-4 ; Ésaïe 11.1-9, Ésaïe 11.15 ; Ésaïe 30.26 ; Ésaïe 33.20-24.
Le rôle attribué aux païens dans l’époque messianique est le même d’un bout à l’autre du livre. Comparez Ésaïe 45.14 ; Ésaïe 49.22-23 ; Ésaïe 60.3-16 ; Ésaïe 61.5-6 ; Ésaïe 66.18-23 (Ésaïe 14.1-2), avec Ésaïe 2.2-4 ; Ésaïe 11.10-11 ; Ésaïe 18.7 ; Ésaïe 19.18-25 ; Ésaïe 23.18.
Il convient de rappeler ici le nom de Saint d’Israël, qui est un des traits caractéristiques du livre tout entier (voir Ésaïe 1.4, note).
Le style et la langue du livre d’Ésaïe soulèvent aussi quelques difficultés. Le ton général des chapitres 40 à 66 est autre que celui de la première partie. Les développements sont plus abondants et plus calmes ; le style, moins imagé, plus ample et plus coulant, n’a pas cet imprévu, cette concision allant parfois jusqu’à l’obscurité, qui frappent dans les prophéties des chapitres 1 à 33. Mais, à côté de ces différences, on observe aussi des analogies bien remarquables : telle page de la dernière partie semble ne pouvoir être sortie d’une autre plume que de celle d’Ésaïe.
Le morceau Ésaïe 13.1 à 14-23, aussi a des beautés littéraires hors ligne et est de tout point digne d’Ésaïe. On n’aurait jamais songé à lui contester la prophétie Ésaïe 21.1-10, s’il n’y était question de Babylone ; comparez en effet Ésaïe 21.2, Ésaïe 21.6-7, avec les versets 11 et 12 ; Ésaïe 22.6-7.
Le même auteur peut d’ailleurs avoir des genres bien différents et il est difficile de dire jusqu’où cette variété a pu aller, chez un écrivain d’un génie aussi riche, aussi souple, que celui d’Ésaïe, pendant un ministère qui n’a pas duré moins de soixante années. Si enfin il est l’auteur de la prophétie chapitres 40 à 66, il doit l’avoir composée dans le recueillement du cabinet et tout à la fin de sa vie, alors qu’à la suite de la tourmente assyrienne, le calme s’était fait pour lui et pour Juda, ainsi dans des circonstances bien différentes de celles où il prononçait les brûlantes harangues de la première partie.
Quant à la langue de la seconde partie, comparée à celle de la première, elle présente quelques différences desquelles on a tiré un argument contre l’identité des auteurs ; cependant la langue de ces deux parties offre d’autre part des analogies si marquées que l’on pourrait en faire un argument en sens inverse. Il nous paraît difficile d’en rien conclure dans un sens ou dans un autre.
On a fait observer que les chapitres 40 à 66 renferment un nombre considérable d’expressions nouvelles (on en a compté 79). Mais il n’y en a pas moins dans la première partie (77 dans les chapitres 1 à 12). Quelle conclusion peut-on tirer de là ?
On a relevé aussi, dans la dernière partie, des mots qui paraissent étrangers à l’époque d’Ésaïe. Un seul exemple montrera combien on doit être prudent en pareille matière. Il est démontré aujourd’hui par les inscriptions que le mot seganim (princes, Ésaïe 41.25), tenu jadis, pour un mot persan, appartient à la langue assyrienne.
Citons encore une remarque intéressante qui a été faite, c’est celle de la parenté extraordinaire d’idées, de style et de langue qui existe entre le chapitre 1 d’Ésaïe et les chapitres 40 à 66. Comparez, par exemple :
- Ésaïe 1.10-17 avec Ésaïe 58.1-11 ; Ésaïe 66.1-3
- Ésaïe 1.18 avec Ésaïe 43.25-26
- Ésaïe 1.20 avec Ésaïe 40.5 ; Ésaïe 58.14
- Ésaïe 1.29-30 avec Ésaïe 57.5 ; Ésaïe 61.3 ; Ésaïe 66.17
- Surtout Ésaïe 1.31 avec Ésaïe 66.24 (voir aussi Ésaïe 48.22 ; Ésaïe 57.20-21).
Nous ne citons que les rapprochements les plus importants.
Nous avons, croyons-nous, fidèlement exposé les objections contre l’opinion traditionnelle, qui attribue la dernière partie du livre à Ésaïe, aussi bien que les raisons qui peuvent atténuer la valeur de ces objections. Nous devons encore indiquer ici deux considérations qui parlent en faveur de la tradition.
On s’explique difficilement l’apparition d’un écrivain capable de produire un livre tel que la dernière partie d’Ésaïe, pendant la captivité de Babylone. Il ne suffit pas de parler du grand inconnu pour avoir résolu le problème. On comprendrait le nom d’un génie, même pareil à l’auteur du livre de Job, par exemple, se perdant dans l’éclat d’un grand règne comme celui de Salomon, mais que l’auteur d’un ouvrage tel qu’Ésaïe chapitres 40 à 66, l’un des produits les plus parfaits de la langue hébraïque, naisse et demeure inconnu dans un siècle d’affaissement comme fut celui de l’exil, c’est ce qui est vraiment incompréhensible. Les écrivains de ce temps-là et de celui qui a immédiatement précédé, Jérémie, Ézéchiel, Daniel, Aggée, Zacharie, représentent visiblement une époque de décadence littéraire. Que l’on compare leurs ouvrages, écrits dans un style généralement prosaïque, avec celui qui nous occupe et l’on reconnaîtra que l’auteur de ce dernier est, selon toutes les apparences, infiniment plus rapproché qu’eux de l’époque classique de la littérature israélite.
Si le nom de cet auteur reste un mystère dans le point de vue de l’inauthenticité, il faut remarquer de plus que les savants qui adoptent ce point de vue ne sont pas d’accord sur le lieu et le temps où il a composé sa prophétie. Selon les uns, il a écrit à Babylone ; selon d’autres, à Jérusalem, ou même en Égypte. Les uns, frappés du cachet d’unité qui marque son ouvrage, n’admettent pas qu’il ait pu être composé en plusieurs fois et pensent qu’il a dû être écrit tout entier la même année et avant la prise de Babylone par Cyrus. D’autres croient y discerner les traces d’époques différentes ; mais ils ne s’accordent pas sur la manière de répartir entre ces époques les divers morceaux ; ce qui, comme l’observe M. Reuss, tendrait à prouver que leur opinion est mal fondée.
Le second point dont nous devons dire un mot, ce sont les rapports qui existent entre la dernière partie du livre d’Ésaïe et plusieurs auteurs postérieurs à ce prophète. Il s’agit particulièrement de Nahum, de Sophonie et de Jérémie. Ces rapports ne sauraient être accidentels. Il est indubitable que, dans une foule de cas, l’un des écrivains a cité ou imité l’autre. Si la question de priorité pouvait être résolue, sans laisser place à aucun doute, en faveur du morceau chapitres 40 à 66, il est clair que cet argument trancherait sans réplique la question de savoir si Ésaïe est l’auteur de cet ouvrage. Mais des questions semblables sont trop délicates pour qu’à toute rigueur on ne puisse les résoudre dans un sens comme dans l’autre. Cependant une étude impartiale laisse l’impression qu’Ésaïe chapitres 40 à 66 est plutôt l’original que l’imitation. Et cet argument en faveur de l’authenticité de ce morceau nous paraît être un des plus forts.
Nahum a prophétisé vers 660, moins d’un demi-siècle après Ésaïe. Entre autres rapprochements à signaler, il faut comparer dans son livre Nahum 3.7 ; Nahum 3.10 avec Ésaïe 51.19-20 et surtout Nahum 1.15 (dans les Bibles hébraïques Nahum 2.1) avec Ésaïe 52.7 ; Ésaïe 52.1. Ces deux derniers passages sont combinés dans le texte de Nahum de telle façon que la priorité, d’Ésaïe semble s’imposer.
Jérémie et Sophonie ont, au plus haut degré, entre tous les prophètes, la particularité de citer ou d’imiter leurs devanciers. Leur texte combine parfois deux passages différents de la seconde partie d’Ésaïe, ou même, ce qui est plus remarquable, un passage de celle-ci avec un de la première partie.
Ce cas se présente dans Sophonie 3.10 ; comparez Ésaïe 66.20 ; Ésaïe 18.1 ; Ésaïe 18.7.
L’auteur d’Ésaïe chapitres 40 à 66 a du reste infiniment plus de puissance créatrice et de souffle poétique que ces deux prophètes. Il est bien difficile de ne pas admettre que ce sont eux qui l’ont imité et non l’inverse.
Comparez, entre autres passages :
- Sophonie 2.15 avec Ésaïe 47.8-10
- Jérémie 3.16 ; Jérémie 4.13 ; Jérémie 6.14 avec Ésaïe 65.17 ; Ésaïe 66.15 ; Ésaïe 57.19-21
Ce qui est plus frappant que ces parallèles de détail, ce sont des morceaux comme Jérémie 10.1-16 ; Jérémie 30.10 et suivants, comparés à Ésaïe 44.9-20 ; Ésaïe 45.7 ; Ésaïe 42.13-14 ; Ésaïe 43.1, etc. On n’échappe à la conviction que Jérémie a imité le livre d’Ésaïe, qu’en supposant que des passages empruntés à la seconde partie d’Ésaïe ont été intercalés dans le texte de Jérémie. C’est ce qu’il faudrait admettre surtout pour les chapitres 50 et 51 de ce prophète, qui sont une véritable mosaïque de citations tirées d’Ésaïe chapitres 13, 14 , 21, 34, 40 et suivants. Cette hypothèse est, il faut l’avouer, bien peu naturelle.
Il faut mentionner encore une curieuse parole du prophète Zacharie, qui vivait à l’époque du retour de l’exil. Faisant allusion à un passage de la prophétie Ésaïe chapitres 40 à 66, il dit que ce sont là les paroles prononcées par les prophètes, lorsque Jérusalem était habitée et paisible, avec ses villes à l’entour et lorsqu’on habitait vers le midi et dans la plaine. Comparez Zacharie 7.5-10 et Ésaïe 58.3-7.
En présence des faits que nous venons d’exposer, on jugera sans doute qu’il est téméraire d’affirmer, comme le fait M. Reuss (Prophètes, tome II, page 219), que : dans aucun des successeurs de l’ancien Ésaïe, on ne trouve la moindre trace d’une connaissance quelconque des prophéties dont nous nous occupons et que cela est surtout vrai à l’égard de Jérémie. L’affirmation contraire serait évidemment tout aussi légitime que celle-là.
M. Reuss n’a pas d’autre preuve à donner de son assertion que celle-ci : Jérémie, malmené par ses concitoyens pour avoir prédit la ruine de Jérusalem, n’en appelle pas, pour se justifier, à la grande prophétie de la dernière partie d’Ésaïe et ses amis ne trouvent à citer en sa faveur qu’un passage de Michée (Jérémie 16.1-21) ; donc le morceau Ésaïe chapitres 40 à 66 n’existait pas de son temps. Mais on pourrait avec tout autant de raison conclure de cette histoire contre l’existence à cette époque de toutes les prophéties plus anciennes qui annonçaient la ruine de Juda (celles d’Amos, d’Osée, d’Ésaïe chapitres 1 à 33).
Il est temps de conclure. Comme on l’a vu, l’opinion traditionnelle, qui attribue à Ésaïe la prophétie chapitres 40 à 66, soulève de graves objections ; mais elle peut aussi faire valoir des raisons sérieuses en sa faveur. Les arguments pour et contre ne nous ont paru être, ni les uns ni les autres, absolument décisifs : ils se balancent, pour ainsi dire. Dans cette incertitude, il n’y a pas de motif péremptoire pour abandonner le point de vue traditionnel et c’est de ce point de vue que nous partirons dans l’explication des prophéties qui vont suivre. D’une manière générale, il est du reste à peu près indifférent pour l’interprétation que la question de l’auteur soit résolue dans un sens ou dans l’autre, puisque, en tout cas, le présent, réel ou idéal, où se place le prophète, est celui de la captivité.
Il nous reste à jeter, en terminant, un coup d’œil sur le contenu des prophéties que nous allons étudier. La pensée du prophète ne s’y développe pas selon un ordre rigoureusement systématique ; les mêmes idées reviennent fréquemment. Cependant les différents morceaux se répartissent assez distinctement en quelques groupes, dans chacun desquels domine l’une des idées fondamentales de cette prophétie et l’on peut ainsi constater un progrès d’une partie à l’autre.
Le prophète a constamment devant les yeux le but final des voies divines : le règne de Dieu pleinement réalisé. C’est à la lumière de ce terme glorieux qu’il considère la misère présente de son peuple et l’obscurité qui règne encore dans le monde païen. Comme on l’a dit, il lit, pour ainsi dire, le livre de l’histoire, en reculant de la fin au commencement. Son regard est essentiellement et avant tout dirigé sur la consommation dernière des promesses divines ; et dans chaque événement particulier qui la prépare, il voit poindre déjà la rédemption finale. Dès le début de la prophétie (chapitre 40), il place ce terme suprême sous les yeux d’Israël, dans le but de le consoler ; et c’est de là qu’il revient en arrière pour parcourir les diverses phases à travers lesquelles la réalisation de cet avenir doit être acheminée dans l’histoire. Ces phases sont au nombre de trois et chacune d’elles remplit l’une des trois parties dont se compose notre prophétie.
La première est la délivrance de la captivité de Babylone ; elle forme l’objet principal des neuf premiers chapitres (40 à 48). Le point central auquel convergent ici toutes les promesses, est l’apparition de Cyrus, l’agent prédestiné pour la destruction des faux dieux. Sa victoire sur les Chaldéens idolâtres qui oppriment Israël est le triomphe de l’Éternel sur les idoles ; aussi toute son œuvre est-elle représentée comme une manifestation décisive de la puissance et de la divinité de Jéhova. L’idée de cette première partie peut donc se formuler ainsi : la gloire de Jéhova dans la défaite de Babylone et de ses dieux de néant et dans la délivrance de son peuple.
Le retour de l’exil n’est pas le salut complet ; il en est seulement le point de départ et la condition : il faut que le peuple, extérieurement restauré, soit aussi moralement transformé ; c’est cette rédemption spirituelle dont la pensée remplit la seconde série de discours (chapitres 49 à 52). Ici, le premier plan est occupé par un personnage dont la figure n’avait eu qu’une place secondaire dans la première partie : le serviteur de l’Éternel, qui sera l’instrument de cette œuvre nouvelle, comme Cyrus avait été celui de la délivrance de Babylone. Le prophète contemple la personne, l’activité, les humiliations, l’élévation du serviteur et proclame le salut assuré à Sion par son ministère. Le centre de toutes ces prophéties est le chapitre 53, qui se trouve placé précisément au milieu non seulement de ce morceau, mais de toute la prophétie des chapitres 40 à 66.
Dans le troisième groupe de discours (chapitres 58 à 66), le prophète presse d’abord le peuple d’accepter le salut gratuit qui vient de lui être présenté puis, continuant à mêler les exhortations aux promesses, il déploie devant lui dans des tableaux d’une éblouissante fraîcheur la gloire réservée à la Sion de l’avenir et au vrai Israël qui l’habitera. Ici, les deux aspects, temporel et spirituel, du salut, qui dominaient l’un dans la première partie, l’autre dans la seconde, se trouvent réunis : la gloire finale consomme à la fois la délivrance temporelle et la rédemption spirituelle du peuple de Dieu.
La division en trois groupes, telle nous venons de l’indiquer, est assez clairement marquée par le prophète lui-même. En Ésaïe 48.22 et Ésaïe 57.21 se lisent ces paroles : Il n’y a point de paix pour les méchants. Et la prophétie se termine (Ésaïe 66.24) par celles-ci, qui expriment la même pensée sous une autre forme : Ils sortiront et verront les cadavres des hommes qui se sont rebellés contre moi ; car leur ver ne mourra pas et leur feu ne s’éteindra pas et ils seront en horreur à, toute chair.
Cette triple répétition de la même pensée, et cela, deux fois dans les mêmes termes, ne saurait être accidentelle : elle forme évidemment une sorte de refrain, qui appose comme un point final au terme de chacune des trois parties.
La gloire de Jéhova, de son serviteur et de son peuple (chapitres 40 à 48)
Chapitre 40 — La certitude du salut promis à Israël
Ce chapitre forme l’introduction de la grande prophétie chapitres 40 à 66. Le ton général de toute cette prophétie ressort dès les premiers mots : c’est celui de la consolation. À l’affliction présente va succéder le plus glorieux salut (versets 1 à 11). Ce salut est assuré, puisque celui qui le promet est le Dieu infiniment grand, devant qui les dieux des païens ne sont que néant (versets 12 à 26). Qu’Israël se console donc et reprenne confiance (versets 27 à 31) !