Ce chapitre annonce par trois emblèmes le siège de Jérusalem, le temps de l’exil qui suivra et la prise de la ville. Le prophète figure comme acteur dans ces scènes symboliques, en y jouant les rôles tantôt d’assiégeant, tantôt d’assiégé.
Le siège (1-3)
Ézéchiel doit dessiner sur une brique l’image de Jérusalem investie. Les briques, communément employées en Palestine et en Babylonie pour bâtir, servaient aussi de tableau pour dessiner ou pour écrire. Les fouilles faites en Assyrie et en Babylonie ont mis au jour de véritables bibliothèques composées de briques couvertes de signes d’écriture. On traçait les caractères ou les dessins sur la brique molle qu’on faisait ensuite sécher au feu ou au soleil et l’image devenait pour ainsi dire indestructible.
Rien en soi n’empêcherait de penser que cet ordre ait été entendu au sens littéral. Mais ce premier emblème est étroitement lié aux deux suivants (verset 7 et Ézéchiel 5.2) ; or, ceux-ci ne peuvent avoir reçu une exécution matérielle, comme nous le verrons. Il ne faut pas oublier que dès le commencement de cette scène, aussi bien que dans celle de sa vocation, le prophète avait été ravi en extase (Ézéchiel 3.22). Tous les faits suivants doivent donc être envisagés comme s’étant passés en vision, absolument comme l’acte de manger le rouleau au chapitre 2. C’était par le récit qu’en faisait le prophète que ces visions devaient exercer leur action sur le peuple qui l’entourait (Ézéchiel 11.25).
Mets le siège. Ézéchiel représente ici l’assiégeant, pour montrer que l’Éternel, dont il est le serviteur, est le véritable auteur de cette catastrophe.
Des terrasses : retranchements en terre élevés contre le mur ennemi qu’il s’agissait de battre.
Des béliers : têtes en fer, fixées au bout de grandes poutres que l’on mettait en mouvement au moyen de machines, pour enfoncer les portes ou crever les murs.
Une poêle en fer. Cette feuille de fer que le prophète doit dresser comme un mur entre lui et la ville assiégée représentée sur la brique, signifie sans doute qu’il sera impossible de donner du secours à la ville. Nul, ni le peuple exilé, par ses prières, ni Dieu, par sa puissance, ne voudront ou ne pourront s’en approcher pour interrompre le cours du siège. Sa ruine sera donc inévitable.
La durée du châtiment (4-8)
Le châtiment n’est pas le siège seulement avec la famine qui l’accompagnera ; car le siège n’a pas duré quarante ans (voir verset 6). Il comprend donc l’exil qui suivra la Prise de la ville (verset 13) avec le siège et ses horreurs (verset 15).
Le prophète représente ici en sa personne le peuple châtié et le temps de réclusion qu’il a à subir est l’emblème, non du temps pendant lequel Israël a péché, mais de celui durant lequel il doit être puni.
Porter l’iniquité signifie ici comme souvent : subir la peine de l’iniquité. Le châtiment n’est porté par Ézéchiel que d’une manière symbolique, et cela, dans un but prophétique et nullement expiatoire. Il s’agit uniquement d’en figurer la durée.
Mets l’iniquité sur ce côté : c’est ce qui avait lieu par le fait même qu’Ézéchiel restait si longtemps et si péniblement couché sur ce côté.
Les deux chiffres de 390 pour Israël et de 40 pour Juda, ainsi que leur total 430, ont un sens symbolique plutôt que rigoureusement chronologique. D’après Exode 12.40, la servitude d’Égypte avait duré 430 ans. La somme des deux chiffres d’Ézéchiel étant précisément la même, on voit par là que le prophète veut, conformément aux deux paroles Deutéronome 28.68 et Osée 9.3, assimiler l’exil dont Dieu va frapper le peuple à une nouvelle captivité égyptienne. Sur ce total de 430 ans Juda en reçoit pour sa part 40. Ce nombre est toujours celui de l’épreuve, de l’épreuve purifiante ; comparez comme exemples, les 40 ans d’Israël et les 40 jours d’Élie et de Jésus au désert. Telle sera pour Juda la captivité de Babylone : une épreuve salutaire, relativement courte. Le reste du total, c’est-à-dire 390 ans, forme la part d’Israël ; ce chiffre ne représente plus qu’une durée indéfinie. Le châtiment du peuple des dix tribus durait déjà depuis 130 ans (dès l’an 722), quand celui de Juda allait seulement commencer et il devait durer bien longtemps encore. On a supposé aussi et non sans quelque vraisemblance, que le nombre de 390 étant juste le triple de celui de 130 (le nombre des années qu’Israël avait déjà passées en captivité), Ézéchiel voulait indiquer vaguement, par ce rapport, la durée bien plus considérable du temps que durerait encore l’exil des dix tribus.
Il est digne de remarque que la version des LXX lit au verset 5, pour le chiffre d’Israël, 190 au lieu de 390 et conséquemment aussi le même chiffre 190 au verset 9. Il faudrait, dans ce cas, compter ces 190 ans de l’an 736 à peu près (Galiléens déportés par Tiglath-Pilézer), jusqu’à l’an 536, époque du retour de l’exil. Car c’est depuis ce moment sans doute qu’une partie de la population du royaume des dix tribus vint habiter de nouveau la Galilée qui peu à peu s’unit étroitement à la Judée pour compléter la restauration de l’ancien peuple de Dieu (voir chapitre 37).
Il y a des textes dans lesquels Jérémie (Jérémie 3.11) et Ézéchiel lui-même (Ézéchiel 16.46-51) représentent, en contradiction apparente avec notre passage, Juda comme plus coupable qu’Israël. Cela était vrai en un sens, puisque Juda avait reçu bien plus de grâces qu’Israël ; mais d’autre part il y avait en Juda un noyau fidèle qui pouvait plus aisément être purifié et, une fois ramené en Canaan, être employé au rétablissement de la théocratie.
Le côté gauche est attribué à Israël et le côté droit à Juda, non parce qu’Israël était au nord et Juda au sud, par conséquent le premier à la gauche et le second à la droite de celui qui regarde vers l’Orient, mais plutôt parce que le côté droit est toujours censé posséder une dignité supérieure (Genèse 48.13 et suivants ; Ecclésiaste 10.2).
Ta face et ton bras nu : attitude et geste menaçants, exprimant l’indignation de Dieu contre la ville dont l’image est tracée sur cette brique placée en face du prophète (verset 3).
Tu prophétiseras. Cette parole explique et complète l’ordre donné Ézéchiel 3.27.
Des cordes… Simple image, exprimant l’immobilité à laquelle le prophète est condamné par l’Éternel.
Un troisième emblème représentant les souffrances et les opprobres du siège et de la captivité qui suivra (9-17)
Du froment, de l’orge, etc. Les galettes de pain se faisaient ordinairement de farine de froment. Ici sont ajoutées cinq autres espèces de grains dont quelques-unes n’étaient employées, pour faire du pain, que dans des cas de détresse. Le sens est clair : Israël assiégé, puis emmené captif, sera réduit à une misère telle qu’il devra recourir à tout ce qui est mangeable.
Le plus grand des deux nombres précédemment indiqués (390) est mis ici au lieu du total (430).
Le poids de vingt sicles équivaut à 320 grammes ; c’est à peu près la moitié de ce qui est nécessaire la nourriture d’un homme, même dans les climats chauds où l’on mange moins que dans les nôtres.
Un sixième de hin représente une contenance d’un peu moins d’un litre (le hin équivaut à cinq litres) ou, comme disent les rabbins, celle de douze œufs de poule. Cette ration quotidienne, déjà si restreinte, ne devait être prise que par intervalles et à petites portions, de sorte que le rassasiement ne fût jamais complet : image des temps de pénurie par où passera le peuple jusqu’à ce que Dieu lui ait pardonné son péché.
Avec des tourteaux… En Orient on prépare sous cette forme le combustible fait avec la fiente du bétail, dans les contrées où manque le bois. L’emploi d’excréments humains, ordonné ici au prophète, a quelque chose de tout à fait repoussant ; car il s’agit d’une galette qui doit cuire sur la cendre et être en contact avec elle. Comment ne pas appliquer ici par conséquent la maxime Deutéronome 14.3 : Tu ne mangeras rien d’impur ? Dieu veut certainement faire comprendre aux Juifs, par cette image, l’état d’abjection auquel ils seront réduits pendant qu’ils séjourneront au milieu des païens (verset 13) et seront obligés souvent d’user d’aliments que la loi déclarait souillés.
Le sentiment du prophète se révolte à l’ouïe d’un pareil ordre ; comparez Actes 10.14. Il lui semble que Dieu lui commande quelque chose de semblable à ce qu’il interdisait lui-même dans la loi, comme de manger de la viande gâtée ou les restes d’un animal déchiré par les bêtes sauvages (Lévitique 7.18 ; Deutéronome 14.24).
Dieu consent, il est vrai, à adoucir la rigueur de cet ordre par égard pour son prophète. Mais le sens menaçant de l’emblème primitivement choisi par lui n’en demeure pas moins dans le souvenir du peuple à qui le prophète raconte sa vision.
Voltaire, qui s’est moqué de ce passage, prétendant que Dieu avait ordonné à Ézéchiel de manger les excréments, avait oublié de lire le mot dessus à la fin du verset.
Ces mots se rapportent aux douleurs du siège, qui seront le commencement de celles de l’exil.
Le bâton du pain : le pain est représenté comme le soutien de l’homme ; comparez Lévitique 26.26 ; Psaumes 105.16.