La dimension et le nom de la Ville.
18 000 coudées ; voir versets 15 à 19, note.
Et le nom de la Ville. Le nom désigne ici comme d’ordinaire l’essence de la chose ; comparez le nom de Béthel, Genèse 28.16 ; Genèse 28.17 ; Genèse 28.19. Comme dans ce passage, l’ancien nom cananéen de Luz est remplacé par le nom saint de Béthel (maison de Dieu), ainsi le prophète veut peut-être substituer ici au nom, d’origine jébusienne, de l’ancienne capitale (Jérusalem) qu’il a évité, tout du long de prononcer, un nom nouveau qui peigne la sainteté de la capitale nouvelle. Il est étrange que ce nom nouveau, Jehova-Schamma, ait une certaine analogie de son, surtout en hébreu, avec l’ancien (Jeru-Schalaïm). La Ville et son nom font contraste avec la ville et le nom de Hamona, monuments de l’anéantissement de Gog et de sa troupe (Ézéchiel 39.16).
Les mots : désormais, ne sauraient faire partie du nom lui-même, comme on l’a parfois supposé. Il faut les lier à la phrase qui précède : son nom sera. Le jour auquel se rapporte cette promesse est celui où l’Éternel ayant fait son entrée dans sa Maison sainte (chapitre 43), la Ville recevra aussi dans ses demeures un peuple sanctifié.
L’Éternel est là. Ce ne sont pas les habitants de la Ville qui peuvent s’exprimer ainsi et donner ce nom. Ils ne diraient pas là, surtout dans la forme hébraïque qui indique un mouvement vers le lieu désigné. Ce nom, c’est l’Éternel qui le donnera et la conscience de l’humanité qui le ratifiera. L’Éternel est avant tout dans son temple ; mais de là il étend le bienfait ineffable de sa présence sur cette Ville et en la comblant de ses grâces, il fait de la capitale d’Israël la ville modèle pour les nations, qui, désormais, comme dit Ésaïe 60.3, marchent à sa lumière. Ce dernier mot d’Ézéchiel équivaut au Dieu tout en tous de saint Paul.
Conclusion
Après avoir terminé l’étude détaillée de la grande vision qui clôt le livre d’Ézéchiel, il nous reste à examiner les questions les plus importantes que soulève ce passage, unique en son genre dans la littérature prophétique.
C’est toute une constitution nouvelle, religieuse et civile d’Israël, dont le prophète reçoit communication dans le passage qui nous occupe. Toute communication divine est en rapport avec l’état intérieur de celui qui la reçoit. À quelle aspiration du prophète répond celle dont nous venons d’étudier le contenu ? C’est là le point de départ humain de la vision. La réponse à cette première question n’est pas difficile. Elle est fournie par la position actuelle du peuple et par le livre même du prophète ; Jérusalem est détruite, le temple rasé, le peuple exilé ; le cœur du prophète soupire après le relèvement. Il a reçu de Dieu l’assurance que ce relèvement aurait lieu et tous les principaux traits lui en ont été indiqués (chapitres 34 à 39). Mais son cœur désire plus encore ; l’ancien sacrificateur voudrait contempler de ses yeux ce sanctuaire promis, entendre les lois de ce culte saint qu’Israël rendra au Dieu qui habitera dorénavant dans son sein, se rendre compte des moyens par lesquels Dieu maintiendra l’unité nationale, la sainteté et la prospérité qu’il a promises à Israël restauré. Ézéchiel avait lui-même trop vivement senti les imperfections et les souillures de cette dernière, pour s’attendre à ce que l’ère nouvelle et définitive de grâces fût purement et simplement la reprise et la répétition de l’ancienne alliance de Dieu avec le peuple. Mais quelle sera la part de ces éléments nouveaux dans la constitution de l’alliance nouvelle et dans quelle mesure rappellera-t-elle encore l’ancienne ? C’est là ce qui était encore inconnu au prophète et ce qu’il nous paraît que Dieu lui a révélé dans la vision qui clôt et couronne son œuvre.
Il ne nous est pas toujours facile d’opérer ce départ. Ce qui devait être clair à un sacrificateur tel qu’Ézéchiel, qui avait sans doute officié dans l’ancien temple et le connaissait à fond, ainsi que toutes les lois religieuses et civiles de son peuple, nous est nécessairement, en partie du moins, obscur. Nous allons cependant essayer de résumer brièvement les traits qui marquent, à nos yeux, un progrès sur le passé et l’établissement de l’état de choses définitif en Israël.
Tout d’abord, Ézéchiel ne dit nulle part que le temple dans lequel il est introduit, ait été bâti par le peuple. Ce temple est là debout et achevé dans toutes ses parties bien avant qu’il soit fait mention d’Israël. Il est l’œuvre de Dieu lui-même et non pas des hommes. Il n’est pas établi sur l’emplacement du temple de Salomon, mais il occupe seul le sommet d’une montagne fort haute. Construit en quelque manière sur le plan de ce dernier temple, il s’en distingue cependant à bien des égards. Nous avons noté, en passant, les différences de détail pour autant qu’il nous était possible de les signaler ; résumons seulement ici les caractères qui donnent au nouveau sanctuaire une supériorité évidente sur le précédent. Tout d’abord, sa régularité mathématique, l’ordre et l’harmonie parfaite de toutes ses parties. Puis, l’absence de tout luxe inutile, une symbolique plus élevée, s’exprimant essentiellement par des chiffres, une simplicité toute nouvelle dans les bâtiments sacrés et les objets du culte, une portée pratique plus visible qu’autrefois. Bref et surtout dans toute la manière dont le sanctuaire est construit et disposé, des garanties nombreuses et nouvelles données à la sainteté du culte qui doit y être célébré. C’est un temple digne de Celui qui se l’est préparé et qui y fait maintenant son entrée, en présence même du prophète ; c’est un temple comme Israël n’en a jamais possédé de pareil et tel qu’en le voyant, il sera saisi de repentance et d’amour envers Dieu. Dans un temple à l’abri désormais de toute profanation et au milieu d’un peuple animé de semblables dispositions, l’Éternel pourra habiter à toujours.
Les lois du culte qu’Israël sera appelé à rendre à Dieu dans le nouveau sanctuaire, portent le même cachet d’ordre, de simplicité et de sainteté. Le culte futur sera essentiellement un culte de reconnaissance et d’actions de grâce ; aussi se concentre-t-il tout entier autour de l’autel des holocaustes sur lequel sont offerts ces sacrifices (non moins que ceux d’expiation). La sainteté du culte sera garantie par la surveillance exercée aux portes, afin d’empêcher l’entrée de tout incirconcis de corps ou de cœur. Cette sainteté est assurée encore par celle du sacerdoce, qui appartiendra désormais aux seuls membres de la tribu de Lévi qui aient fait preuve de fidélité aux temps de l’idolâtrie d’Israël, aux fils de Tsadok. Le reste jadis infidèle de la tribu de Lévi, la tribu sacerdotale d’Israël, ne sera pas expulsé du temple, mais sera réduit aux offices subalternes du sanctuaire. L’indépendance des uns et des autres par rapport au prince reste assurée par une fixation très précise des droits de ce dernier. En opposition à l’autorité dont les anciens rois jouissaient dans le temple, le prince n’y est plus que le représentant officiel du peuple. Cette indépendance du sacerdoce est également assurée à l’égard du peuple, par le fait que la tribu de Lévi, au lieu d’être dispersée dans le pays, comme elle l’était autrefois dans les quarante-huit villes lévitiques et de dépendre pour son entretien de la bonne volonté du peuple, possède par la constitution un domaine spécial, don d’Israël au temple et à Dieu et don de Dieu à ses serviteurs. Puis la régularité du culte national sera assurée par des sacrifices dont la matière est fournie au moyen d’un impôt. Enfin des fêtes qui ne sont autres que les anciennes, mais rangées dans un ordre et une gradation nouvelle et plus significative, figureront la perpétuité de ce culte si parfait.
Quant au pays d’Israël lui-même, il deviendra bien réellement une terre sainte ; car du temple coulent déjà sous les yeux du prophète des eaux qui auront le pouvoir de purifier ce qu’il y a de plus souillé au monde. Enfin, une nouvelle répartition du pays, ramené à ses frontières providentielles, procurera à Israël le fonctionnement régulier et paisible de son activité politique et sociale.
L’âme du prophète peut donc être remplie d’une espérance et d’une assurance toutes nouvelles, puisque ce tableau détaillé de bénédictions, avec tout ce qu’il contient de souvenirs du passé et d’apports nouveaux de la grâce de Dieu, a passé sous ses yeux. C’est dire que nous ne croyons pas qu’il ait pu imaginer lui-même ce mélange de traits empruntés à l’alliance ancienne et d’éléments nouveaux. Tout ce passage porte le cachet d’un état de choses réellement communiqué par Dieu et contemplé par le prophète.
Du reste, nous savons qu’il ne se fait pas la moindre illusion sur l’impossibilité morale où se trouve le peuple actuel de réaliser cet ordre de choses supérieur. C’est pourquoi Ézéchiel 20.33-38, il avait expressément déclaré que le retour prochain d’Israël en Palestine ne serait pas le véritable rétablissement, mais un simple passage au désert des peuples, semblable au passage à travers le désert après la sortie d’Égypte et qu’il faudrait un nouveau triage, un nouveau jugement en Israël, avant qu’un peuple saint pût prendre possession d’une Canaan exempte à jamais des souillures qui avaient profané l’ancienne (comparez Ézéchiel 36.38, note). C’est donc l’histoire du peuple qui va recommencer par ce retour qui est comme une nouvelle sortie d’Égypte, histoire dont le terme sera l’établissement d’Israël complètement purifié dans la Canaan renouvelée. Voilà pourquoi un nouveau temple apparaît correspondant au tabernacle, un nouveau culte est institué correspondant à la législation lévitique, une nouvelle répartition de Canaan est consommée correspondant à celle qui eut lieu sous Josué.
À quelle époque s’applique donc ce tableau ? Au retour de la captivité ? Ce ne serait pas, nous l’avons vu, entièrement conforme à la pensée d’Ézéchiel ; et les chefs du peuple, au moment du retour, n’ont pas songé à le prendre pour programme de la restauration. Au royaume des cieux dans sa perfection ? Mais comment dans ce cas serait-il question de péchés à expier, d’héritage du prince à maintenir intact pour ses descendants, de souillures à éviter en cas de mort ; et tant d’autres traits qui prouvent que l’on est encore dans le devenir et non dans l’ordre immuable ? À moins donc d’admettre que nous n’avons à faire ici qu’à un tableau de fantaisie, hypothèse qui donnerait un démenti aux déclarations constantes du prophète durant tout le cours de ces neuf chapitres, il faut reconnaître que la vision se rapporte à un état intermédiaire entre ces deux époques, par conséquent aux divers stages et au terme final du rétablissement d’Israël. C’est comme au chapitre 37, où sont décrits, dans un premier acte de résurrection (versets 7, 8), la restauration extérieure à tous ses degrés. et dans un second (verset 10), la restauration spirituelle dans ses diverses phases.
Nous devons nous rappeler ici deux choses :
- qu’en général dans les tableaux prophétiques les faits homogènes se trouvent réunis dans une intuition unique. Ce doit être particulièrement le cas dans cette vision d’Ézéchiel où l’image fondamentale est celle d’un édifice, de telle sorte que tout ce qui se succède dans le temps se dessine comme sur un plan unique et sous la forme de la simultanéité. Ainsi la première et la seconde venue du Messie, puis le rôle d’Israël dans la fondation de l’Église et son rôle final au sein de la chrétienté pourront être exprimés par le même trait du tableau.
- Ézéchiel, ancien sacrificateur, contemple naturellement l’état de choses supérieur dont Dieu lui révèle ici les notions essentielles, sous des formes empruntées au cérémonial mosaïque qui lui était familier. Mais, comme le dit M. d’Orelli : l’esprit tend partout à percer à travers cette enveloppe extérieure qui ne lui suffit pas ; et parfois même, pour un instant du moins, l’enveloppe tombe tout à fait.
Commençons par ceux de ces passages dans lesquels l’idée apparaît le plus distinctement au travers de la forme. Nous voulons parler surtout du tableau de l’entrée de l’Éternel dans son temple, Ézéchiel 43.1 et suivants et de celui du torrent qui sort du temple, Ézéchiel 47.1 et suivants. Ils s’éclairent l’un l’autre. Le second, nous l’avons reconnu, décrit l’action du Saint-Esprit dans l’humanité depuis son effusion première jusqu’à l’abolition du paganisme sur la terre. Quel peut être le temple d’où jaillit un pareil fleuve spirituel ? Ce ne peut être évidemment que l’habitation parfaite de Dieu sur la terre, telle qu’elle s’est réalisée en la personne de celui dont le nom est : la Parole faite chair.
Partant de là, nous devons penser que l’harmonie admirable des mesures et des proportions de tout le sanctuaire et la perfection des arrangements relatifs au culte, est destinée à figurer, sous les formes du passé, la perfection du culte et de la vie du peuple de Dieu dans l’ère de sainteté qu’entrevoit le prophète.
Au centre de tout le sanctuaire, devant l’entrée de la Maison, est placé l’autel des holocaustes, consacré solennellement par une semaine entière de sacrifices sanglants. C’est là que les fidèles viennent, en cas de manquements, chercher leur pardon. Néanmoins, les sacrifices pour le péché et pour le délit, offerts sur cet autel, sont dans une proportion bien faible en comparaison de ceux de reconnaissance et de consécration. Le symbole n’est-il pas ici transparent ?
Entre le Saint des saints et le Lieu Saint, aussi bien qu’entre celui-ci et le vestibule donnant sur le parvis, il n’y a plus de séparation, plus de voile, comme dans le tabernacle ; mais des portes aux battants repliés et toutes ouvertes. L’autel d’or aussi a disparu ; il est remplacé par une simple table de bois. Ces changements ne paraissent-ils pas indiquer un mode de communication plus intime et plus direct entre Dieu et l’humanité et figurer une économie fondée sur les relations paternelle et filiale ?
Les sacrificateurs, fils de Tsadok, sont seuls maintenus dans les hautes fonctions du sacerdoce ; tous les autres Aaronites et les fils de Lévi, en général, sont assujettis aux offices serviles. Ce trait est l’un des plus difficiles à expliquer. Il rappelle évidemment la noble conduite de Tsadok à l’époque de Salomon (Ézéchiel 44.15, note) et fait en même temps allusion au sens du nom de ce personnage : le Juste. Peut-être est-il destiné à exprimer cette loi, qui s’applique particulièrement aux serviteurs de Dieu : Celui qui s’abaisse, sera élevé et celui qui s’élève, sera abaissé. L’humble fidélité, telle que l’avaient pratiquée Tsadok et ses fils, rend le serviteur de Dieu propre à accomplir les œuvres les plus relevées du sacerdoce spirituel, tandis que l’orgueilleux égoïsme, tel que celui dont s’étaient rendus coupables les porteurs du sacerdoce, dégrade le ministre de Dieu et change son office en servile métier. De quelle manière s’appliquera cette loi dans les circonstances dont parle Ézéchiel, c’est ce que l’avenir seul pourra montrer.
La personne du souverain sacrificateur manque dans ce tableau. Ce trait est d’autant plus frappant qu’il se lie à un autre tout semblable dans l’ordre social : l’absence du roi théocratique. Il n’est question ni du Messie ni d’un roi tel que les anciens souverains israélites. Rien de moins semblable en effet à un nouveau David, comme celui qu’avaient promis les anciens prophètes et Ézéchiel lui-même (Ézéchiel 34.23-24), que le prince dont il est ici parlé, dont la compétence se borne à veiller à l’exactitude des poids et mesures et à fournir les victimes prescrites pour les sacrifices nationaux. Où donc est le Messie ? Nous l’avons vu : il est dans le temple ; il est ce temple lui-même, dans lequel Dieu habite au milieu de son peuple et d’où émane l’Esprit. C’est là la raison pour laquelle la royauté et la souveraine sacrificature, désormais réunies en sa personne invisible, n’ont plus de représentant terrestre dans l’état de choses que figure la vision. Comparez, pour la réunion de ces deux charges en la personne du Messie Psaumes 110.1 ; Psaumes 110.4 ; Zacharie 6.9-15 ; Romains 8.34. Les sacrificateurs n’ayant pas de chef visible, sont sous la direction de l’Esprit. Le prince n’a sur eux aucune autorité, il n’a pas même le droit de franchir la limite du parvis dans lequel ils exercent leurs fonctions. Il n’est dans le temple que comme le premier des adorateurs.
Nous avons déjà indiqué le sens général de la nouvelle répartition des tribus dans la nouvelle Canaan. D’un côté, elle a pour but de briser les anciens antagonismes, de l’autre, de donner à toutes les tribus une part égale dans la jouissance des biens de la Terre sainte. Du nord au sud, en effet, ce pays privilégié se partage physiquement en trois zones :
- la plaine plus ou moins large le long de la Méditerranée
- à l’est de cette plaine, le plateau montagneux et plus ou moins fertile qui va du mont Hermon (extrémité sud de l’Antiliban) jusqu’aux confins du désert d’Égypte
- à l’est du plateau, le versant du côté du Jourdain.
Chacune de ces zones a ses productions particulières et l’Éternel veut que désormais les tribus rétablies aient part chacune aux bénédictions de ces trois régions.
Il rous reste une question, l’une des plus controversées. Faut-il envisager cette Canaan nouvelle répartie entre les tribus, seulement comme un emblème du royaume des cieux aux biens duquel les Juifs convertis auront part, ou bien aussi comme une contrée terrestre dans laquelle ils seront matériellement réinstallés ? On affirme que la première réponse est seule conforme au spiritualisme chrétien, le prophète eût-il même eu sur ce point une idée contraire. Avant tout disons que la conversion finale du peuple juif nous paraît un fait incontestable. Saint Paul l’annonce positivement, Romains 11.25 et il ajoute que cet événement décisif aura un retentissement immense dans la chrétienté païenne. Il sera pour celle-ci comme une vie jaillissant de la mort (verset 15). Mais cet Israël converti formera-t-il une église, un peuple à part, établi dans une contrée spéciale, ou bien se fondra-t-il dans le reste de la chrétienté ? Deux paroles de Jésus nous paraissent jeter du jour sur cette question. Luc 21.24, Jésus dit de Jérusalem conquise par les Romains : qu’elle sera foulée par les Gentils jusqu’à ce que les temps des païens soient accomplis. Cette expression : jusqu’à ce que, ne peut désigner autre chose, nous paraît-il, que le terme des temps de grâce accordés aux Gentils exclusivement, pour accepter le salut, terme qui coïncidera avec la fin de leur domination sur Jérusalem. Jérusalem et la Terre Sainte seront donc affranchies de leur assujettissement actuel ; et dans quel but, si ce n’est celui de revenir à leur légitime propriétaire, Israël ? Actes 1.6, les apôtres interrogent ainsi Jésus qui vient de leur promettre la venue du Saint-Esprit : Sera-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? Jésus ne leur répond point : Votre attente est vaine, grossièrement charnelle ; il n’y a plus désormais d’autre règne que celui de l’Esprit. Mais il leur dit : Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a réservés à sa propre disposition. Il y a donc un temps et un moment qui ont été mis à part, dans le décret divin, pour l’événement sur lequel les apôtres interrogeaient le Seigneur. Si ce temps doit venir, il ne peut être mieux décrit qu’il ne l’a été par Ézéchiel au chapitre 48, de même que si la disparition du paganisme doit avoir lieu, elle ne peut être mieux décrite qu’elle l’a été par lui au chapitre 47 (la mer Morte purifiée). Nous nous gardons de vouloir en savoir davantage. Nous croyons que, comme il eût été impossible à un rabbin juif de discerner avant la venue du Messie ce qui, dans les prophéties qui le concernaient, devait s’accomplir littéralement ou spirituellement, nous nous trouvons aussi dans l’impossibilité de faire ici le départ entre l’idée et le symbole. Mais nous ajoutons que cet Israël restauré ne sera pas là pour lui seul. Non seulement les étrangers fixés dans son sein y représenteront les autres nations ; mais celles-ci, en face de l’admirable organisation religieuse et sociale de ce peuple et des signes évidents de la présence de l’Éternel au milieu de lui, s’écrieront : Vraiment, l’Éternel est là ! Ainsi Israël deviendra le modèle des autres nations, qui marcheront à sa lumiére (Ésaïe 60.3).
On voit d’après tout ce qui précède qu’en réalité, par cette vision, Ézéchiel n’ajoute aucun trait essentiel à ce que les prophètes qui l’ont précédé avaient annoncé touchant la nouvelle alliance. L’originalité de ce passage consiste toute entière dans les images concrètes sous lesquelles est apparue à son auteur l’ère de prospérité et de sainteté déjà promise au peuple d’Israël par l’entremise d’Ésaïe et de Jérémie. Il a comme enveloppé les lois morales éternelles du royaume des cieux du vêtement des lois cérémonielles d’Israël. Est-ce à dire qu’il ait voulu fonder tout un système de lois cérémonielles, ainsi que le prétend une école actuelle (voyez l’introduction) ? Il nous paraît que c’est se méprendre gravement que d’attribuer à Ézéchiel, au profit d’une théorie particulière sur l’histoire du peuple d’Israël, ce rôle de législateur et de réformateur dans l’ordre cérémoniel. S’il eût voulu, sous le manteau d’une vision accordée par Dieu, donner à l’Israël du retour un plan du temple à bâtir et un modèle de lois religieuses et civiles à observer, les pieux Israélites qui furent à la tête du peuple après son rétablissement, un Zorobabel, un Esdras, un Néhémie, n’eussent pas manqué de se conformer à son programme. Ce ne fut pas le cas, car ces hommes comprirent bien la vraie portée de cette vision. La législation religieuse du peuple, qui fut en vigueur après l’exil, est incomparablement moins simple, moins bien ordonnée, moins harmonieuse que celle de la vision d’Ézéchiel. Ce fait ne s’explique que si cette législation n’a été que la reprise des anciennes lois mosaïques, déjà connues et en vigueur avant l’exil. Si le peuple d’Israël avait manqué, comme on le prétend, de traditions écrites sur les lois du culte, ne se fût-on pas conformé aux indications d’un prophète vénéré ? N’eût-on pas, par exemple, placé avec lui la fête des expiations au commencement de l’année, avant la fête de Pâques, au lieu du septième mois, n’eût-on pas suivi sa belle gradation des sacrifices à offrir aux différentes solennités ? Nous pourrions multiplier ces exemples. Si on ne l’a pas fait, c’est à la fois parce qu’on avait compris le caractère idéal des prescriptions de la vision et parce qu’il n’était pas question de changer dans la pratique ce qui était d’institution et d’autorité ancienne. Bien au contraire, il nous semble qu’il est clair en plusieurs endroits que la législation d’Ézéchiel suppose celle du Pentateuque et particulièrement de la partie rituelle de ce livre. Relevons seulement les deux traits suivants : En de nombreux passages de la vision, Ézéchiel parle des sacrifices pour indiquer soit l’occasion où ils doivent être offerts, soit le nombre des victimes qui doivent être immolées. On voit avec évidence qu’il distingue, comme le Lévitique, quatre espèces de sacrifices : le sacrifice pour le péché, le sacrifice pour le délit, l’holocauste et le sacrifice de reconnaissance. Mais, chose digne de remarque, cette classification, il ne l’explique nulle part et la suppose toujours établie et connue. Cela même ne prouve-t-il pas l’existence d’une ancienne codification des sacrifices qui ne peut être que celle du Lévitique ?
Entre le Lieu très saint et le Lieu saint et entre celui-ci et le vestibule, il y a dans le temple d’Ézéchiel des portes. Au temple de Salomon il y avait à chaque endroit une porte et un voile. Cette différence ne s’explique bien que par l’existence réelle, antérieurement au temple de Salomon, du tabernacle dans lequel il n’y avait, conformément à la nature d’un tel sanctuaire, que des voiles. Le temple de Salomon marque ainsi la transition entre le sanctuaire primitif d’Israël au désert, dont on conteste le caractère historique et le sanctuaire idéal décrit par Ézéchiel.
Nous l’avons déjà fait entendre dans l’introduction : Ézéchiel n’est pas plus le fondateur de la législation d’Israël, qu’il n’est le Josué, auteur de la répartition de la terre de Canaan entre les tribus. Il modifie seulement dans un but symbolique les institutions antérieures, d’après le profond adage : L’avenir est un retour au passé ; non au passé tel quel, mais au passé transfiguré par le travail de l’histoire et le progrès de la conscience humaine.
On a accusé souvent Ézéchiel de servilisme légal. La vision qui nous a si longtemps occupés, où l’esprit se crée des formes toutes nouvelles et se fait jour à chaque instant dans des symboles si frappants, suffit à le laver de ce reproche. En réalité, Ézéchiel est, comme on l’a dit, à la fois le plus lévitique et le plus profond des prophètes. S’il insiste parfois avec tant d’énergie sur l’observation de certains commandements de la loi, par exemple de ceux du sabbat et de l’interdiction de l’usure, c’est que l’unité du peuple captif et dispersé, dépendait de cette observation et que celle-ci était la condition du rétablissement national.
C’était en effet ce rétablissement qu’Ézéchiel avait mission de préparer. Avec son esprit sobre et pratique, en quelque sorte mathématique, d’une part et son imagination débordante et grandiose, de l’autre, il a été l’homme providentiel qui tout à la fois a ramené son peuple sur la voie de la fidélité scrupuleuse à la loi et qui a entretenu et réveillé dans son cœur profondément abattu les plus glorieuses espérances. Semblable au médecin qui se trouve en face d’un malade dans la période d’anéantissement qui succède à la fièvre, il a mis Israël au régime sévère de la légalité, tout en le ranimant par les cordiaux les plus puissants.
Chargé d’une œuvre aussi difficile et délicate, il s’est tenu, plus qu’aucun autre prophète, sous la direction incessante de Dieu, parlant ou se taisant à son ordre, gardé par le sentiment le plus vif de sa responsabilité, appropriant chacun de ses messages à la situation donnée, véritable éducateur de son peuple, en quelque sorte son pasteur à la manière de la nouvelle alliance.
S’il n’a pas apporté d’éléments nouveaux au tableau messianique de ses prédécesseurs, il s’est maintenu à la hauteur sublime à laquelle Jérémie avait élevé la prophétie en annonçant l’alliance nouvelle, non de la lettre, mais de l’esprit (Jérémie 31.31 et suivants). Toute la fin de sa prophétie n’est que le développement dramatique de ce thème de son devancier, reproduit par lui-même sous une forme originale (Ézéchiel 36.26, le cœur de pierre et le cœur de chair).
Ésaïe avait prêché au peuple la sainteté de Dieu, au moment où il se corrompait. Jérémie lui avait rappelé sa justice à l’heure du châtiment. Ézéchiel l’électrise, au moment où il croit tout perdu, par la révélation de la toute-puissance de Jéhova.
Encore plus grand comme homme d’action que comme prédicateur de l’avenir, c’est lui qui a fait le retour que les autres avaient annoncé.
Note sur le texte d’Ézéchiel
Ainsi que nous l’avons signalé dans quelques notes, nous nous sommes partout conformés, dans la traduction, au texte hébreu tel que la tradition juive nous l’a transmis. Ce texte nous paraît, principalement dans les neuf derniers chapitres d’Ézéchiel, avoir une supériorité marquée sur le texte souvent arbitraire de la traduction grecque dite des Septante, d’après lequel la plupart des commentateurs croient devoir corriger le texte hébreu. Un seul passage (Ézéchiel 40.49) fait peut-être exception.