Relèvement de Benjamin
Versets 1 à 14 — Première mesure prise en vue du relèvement de la tribu de Benjamin
Ce serment, dont il n’avait pas encore été parlé, est mentionné ici, parce que c’est ce fait qui causa la difficulté de la situation. Il semblait empêcher absolument la conservation de la tribu de Benjamin. Cet engagement avait été pris sans doute dans le premier mouvement d’indignation causé par le refus des Benjamites de livrer les coupables de Guibéa (Juges 20.13).
Le peuple : l’armée à son retour de la poursuite. Le peuple entier sentait le besoin de s’humilier, après ce qui venait de se passer et de consulter Dieu sur ce qu’il y avait à faire pour sauver une tribu. Si dans leur désespoir les restes de Benjamin venaient à chercher des femmes chez les Cananéens, ils étaient perdus pour Israël.
À Béthel : voir Juges 20.18-26.
De grandes lamentations. On a vu ici l’expression d’un sentiment de repentir sur ce qui avait été fait ; mais le terme employé exprime seulement la compassion et la douleur.
Il manque aujourd’hui une tribu. Toujours le sentiment le plus profond de l’unité de tous les membres du corps national israélite.
Ils bâtirent là un autel. L’autel supposé par Juges 20.26 paraît n’avoir été que temporaire on avoir été jugé insuffisant.
Le grand serment. Encore une remarque complémentaire du récit précédent. Dans l’assemblée (Juges 20.1-9), on s’était engagé par un serment particulièrement solennel, usité en pareils cas, mais dont il n’est parlé nulle part ailleurs, à faire mourir tous ceux qui n’auraient pas répondu à la convocation.
On s’aperçoit que l’un de ces deux serments donne la solution de la difficulté qui résultait de l’autre.
Jabès. Ce nom s’est conservé dans le Wadi Jabès du plateau oriental, qui se jette dans le Jourdain à 38 km au sud de la mer de Tibériade. On suppose que la ruine nommée Ed-Deir, qui se trouve sur une colline au sud de ce wadi, indique l’emplacement de l’ancienne Jabès. Il sera parlé de nouveau 1 Samuel 11.1 ; 1 Samuel 31.11 de cette ville, que Josèphe appelle la métropole de Galaad. Elle avait donc été rebâtie.
Personne de Jabès. C’était la seule ville dont personne absolument n’eût répondu à l’appel.
Douze mille hommes : comme dans Nombres 31.4-6.
Dans le camp à Silo. Peut-être de Béthel (verset 2) le peuple s’était-il transporté à Silo, siège du Tabernacle.
Qui est au pays de Canaan : ce fait est rappelé ici pour opposer Silo à Jabès.
Seconde mesure (15-23)
La première mesure ne suffisait pas, puisqu’on n’avait obtenu que 400 captives et qu’il y avait 600 jeunes Benjamites à pourvoir.
Ceux qui restent : les deux cents pour lesquels il n’ y avait pas de femmes.
Que la propriété… ils maintiennent la résolution prise de faire revivre la tribu de Benjamin (versets 6 et 7), qui avait motivé la première mesure (versets 10 à 12), et cela, les oblige à prendre une nouvelle mesure, propre à suppléer à l’insuffisance de la première.
Une fête de l’Éternel : peut-être une des trois grandes fêtes annuelles.
Lébona. Ce nom semble s’être conservé dans celui du village de Lebben, situé à 15 km au sud de Sichem, près de la route qui de cette ville mène à Jérusalem, au nord-est de Seilun (Silo). La description si précise de la situation de Silo appartient au discours des Anciens ; elle est sans doute destinée à motiver la mesure proposée, la situation de Silo permettant l’arrivée soudaine des Benjamites dont la retraite était située un peu plus à l’est.
Aux fils de Benjamin : aux deux cents qui n’étaient pas encore pourvus.
Accordez-les nous : à nous qui vous les demandons pour les Benjamites.
Dans la guerre : contre Jabès.
Car ce n’est pas vous… : Si vous les aviez données, vous-mêmes, vous seriez coupables d’avoir violé le serment. Mais elles vous ont été prises.
On a souvent vu dans ce chapitre la combinaison de deux traditions, l’une faisant provenir de Jabès, l’autre de Silo les femmes des six cents Benjamites. Il nous a paru que nous avons bien plutôt ici deux faits qui se supposent et se complètent l’un l’autre. En effet, il est parlé de quatre cents jeunes filles provenant de l’un de ces endroits (verset 12) et le récit en suppose deux cents provenues de l’autre (voir versets 22 et 23). Il paraît tout à fait arbitraire de supposer que ce soit l’auteur lui-même qui en ait retranché deux cents d’un côté et quatre cents de l’autre pour accorder deux récits contradictoires. Il est naturel que, les quatre cents de Jabès n’ayant pas suffi, il ait fallu se procurer d’une autre manière les deux cents qui manquaient.
Conclusion sur les juges
L’époque dont le livre des Juges retrace le tableau, est un temps de transition où l’on remarque les plus frappants contrastes. C’est une période de jeunesse dans laquelle tout est alerte et viril, mais en même temps violent et rude.
On a fréquemment présenté cette époque de l’histoire d’Israël comme un temps de formation ; il n’y a dans ce point de vue qu’une demi vérité ; c’est en réalité une époque de décadence à la suite d’un noble passé. Le souvenir de ce passé s’y fait jour à chaque instant. Nous avons vu avec quelle énergie la conscience de l’unité nationale primitive des douze tribus se fait sentir dans les appendices ; or ces deux morceaux nous placent, non à la fin, mais aux tout premiers temps de la période des Juges ; nous devons donc voir, dans ce sentiment national si fortement prononcé, non le résultat, mais le point de départ de l’histoire de ce temps. Dans le chapitre 2, l’ange de l’Éternel rappelle expressément au peuple l’alliance jadis traitée entre Jéhova et lui et les instructions qui lui avaient été données en vue de la conquête. D’après Juges 3.1-2, la nouvelle génération, qui n’a point fait, comme celle des pères, l’expérience de la guerre, doit être constamment tenue en haleine par un entourage hostile. Débora traite dans son cantique toutes les tribus comme solidaires les unes des autres (chapitre 5). Gédéon s’écrie, rempli des souvenirs du passé : Où sont les merveilles que nos pères nous ont racontées (Juges 6.13) ? À la pensée de ces merveilles, il refuse la royauté pour ne pas substituer son propre gouvernement à celui de l’Éternel (Juges 8.23). Jephthé, s’adressant au roi des Ammonites, en appelle aux souvenirs trois fois séculaires de la prise de possession, par Israël sortant d’Égypte, des pays au-delà du Joudain (Juges 11.23). On le voit : s’il y a dans toute cette histoire le pressentiment d’un grand avenir, cette aspiration part du souvenir d’un grand passé.
L’histoire de ce temps se concentre dans la biographie de quelques hommes d’une empreinte profondément marquée et d’une énergie exceptionnelle. Les figures d’Ehud, de Débora, de Gédéon, de Jephthé, de Samson se détachent sur le fond obscur de leur époque avec le plus merveilleux relief. Ce sont des portraits à la Rembrandt. L’ombre et la lumière forment dans les vies de ces hommes d’étonnants contrastes. Dans l’ardeur juvénile de Débora, dans la foi sublime de Gédéon, dans l’admirable triomphe de la loyauté, chez Jephthé et chez sa fille sur tous les sentiments naturels et jusque dans la sauvage énergie de Samson, on ne peut méconnaître le feu inspirateur du monothéisme mosaïque primitif. Mais à côté de cela, quelles chutes, tristes monuments de la lutte entre cette foi traditionnelle et la décadence qui suivit l’époque extraordinaire des Moïse et des Josué !
Les figures ainsi tracées ne sont certes pas les produits de l’imagination ; ce sont de magnifiques legs de l’histoire. Ce qui le confirme, c’est que notre livre lui-même mentionne six personnages qui ont joué le rôle de Juges et sur la vie et les exploits desquels il se tait absolument. En serait-il ainsi si l’auteur faisait œuvre de romancier et non d’historien ?
Chez le peuple, mêmes contrastes que chez ses héros. D’une part, l’infidélité avec laquelle il s’abandonne aux cultes idolâtres, aux vices grossiers des nations qu’il a eu le tort d’épargner, le lâche découragement avec lequel il accepte l’oppression ennemie, l’égoïsme des tribus momentanément épargnées, qui ne s’inquiètent pas du malheur des autres ; enfin des crimes contre-nature, dignes de Sodome et de Gomorrhe ; d’autre part, de subits réveils au souffle divin et à l’appel des Juges ; des repentirs et des supplications à l’Éternel une confiance héroïque en la puissance de son bras !
Et remarquons ici un trait singulier. Les deux tribus qui, avec Dan et Benjamin, jouent dans cette histoire le plus triste rôle, sont précisément les deux principales : Éphraïm, à qui sa jalousie envers Gédéon et Jephthé attire un sévère châtiment et Juda, qui avec la plus honteuse lâcheté livre aux Philistins son plus hardi défenseur, Samson. Impossible de voir dans ce récit la moindre tendance à idéaliser soit l’ensemble du peuple, soit l’une quelconque de ses tribus, soit aucun de ses personnages marquants : tout nous prouve, que l’auteur n’a cherché que la vérité. L’inspiration de son livre est celle de la Bible entière : le zèle pour Dieu et pour Dieu uniquement. Cet esprit-là n’est pas celui de l’homme.