La sainteté individuelle : 14.1 à 16.17
Versets 1 à 2 — Premier devoir : Respecter son propre corps en cas de deuil
Chez tous les peuples païens régnait l’usage d’exprimer la vivacité de leur douleur en cas de deuil, en se faisant des incisions. Voir Lévitique 19.28.
Vous êtes les fils de l’Éternel, littéralement : Vous êtes des fils pour l’Éternel, des êtres que Dieu a aimés et particulièrement choisis et dont il a lui-même voulu faire l’éducation. Il est au-dessous de la dignité de tels êtres de se livrer à une douleur désordonnée ; ils doivent au contraire trouver, dans leur confiance en ce Dieu qui est leur père, la force de dominer leur chagrin.
Entre les yeux. Il faut sans doute entendre ces mots de l’usage de tailler les cheveux sur le front, sans que nous connaissions le sens de ce rite de deuil. Cet usage païen ne doit probablement pas être identifié avec ceux de s’arracher les cheveux ou de se raser la tète qui sont généralement en usage et qui, d’après un grand nombre de passages des prophètes, existaient aussi chez les Juifs (Michée 1.16 ; Jérémie 16.6 ; Ézéchiel 7.8, etc.). Ou bien le législateur aurait-il voulu interdire ceux-ci, comme le suppose notre note sur Jérémie 16.6 ?
Second devoir : Se garder de tout aliment impur (3-21)
Nous ne relèverons que les points où l’on remarque quelque différence entre les données du Deutéronome et celles de la loi Lévitique 11.
Ces dix espèces d’animaux ne sont pas énumérées dans le Lévitique, peut-être parce que le désert ne possède pas plusieurs d’entre elles. Voyez, sur ces dix ruminants, Moïse hygiéniste, du Dr Suchard, dans la Revue chrétienne de 1890.
Le daim et le bouquetin se trouvent encore en Palestine.
La chèvre sauvage. Selon plusieurs la girafe ; mais cet animal est étranger à la Palestine.
Ongle divisé… Voir Lévitique 11.3, note.
Lièvre. Le lièvre ne rumine qu’en apparence. Voir ibidem, versets 5 et 6, note.
Corps morts. Voir Lévitique 11.24 note.
Identique à Lévitique 11.13-19, sauf l’adjonction de l’autour.
Tout oiseau pur (tsippor teora). On attendrait plutôt ôph, oiseau en général. Tsippor, qui désigne les petits oiseaux, est sans doute employé ici parce qu’il s’agit des oiseaux qu’on peut manger, lesquels se trouvent être presque tous des petits oiseaux.
Le milan. Nous traduisons ainsi le mot raâ, que nous pensons être le même que daâ, Lévitique 11.14 ; r et d, qui se ressemblent fort en hébreu sont souvent pris l’un pour l’autre.
Tout insecte ailé. Dans le passage Lévitique 11.20-22, sont mentionnées nommément quatre espèces de sauterelles dont l’usage est autorisé et de plus (versets 29 et 30) huit espèces de reptiles dont on ne doit pas manger. Ces détails sont naturels dans le Lévitique ; ils concordent avec le séjour du désert. S’ils sont omis ici, c’est que dans le pays de Canaan le peuple jouira d’une nourriture abondante et n’aura pas l’occasion ou la tentation de se nourrir de sauterelles ou de reptiles (sauf des cas exceptionnels, comme celui de Jean-Baptiste).
Vous ne mangerez d’aucun corps mort. Dans les quatre passages qui se rapportent à ce même sujet (Exode 22.31 ; Lévitique 11.40 ; Lévitique 17.15-16 et notre
verset), il est interdit aux Israélites de manger des bêtes mortes, sauf certains cas prévus (de nécessité sans doute), dans lesquels une purification sera nécessaire (Lévitique 17.15). Ces cas pouvaient se présenter assez fréquemment dans le désert. Le Deutéronome ne les prévoit plus après l’entrée en Canaan. Quant aux étrangers, aucune défense expresse n’avait été formulée à leur égard dans aucun des passages cités ; il était dit seulement que s’ils avaient mangé d’un tel aliment, ils devaient se purifier comme l’israélite (Lévitique 17.15). Dans notre passage, qui suppose les étrangers, habitants ou simples passants, plus nombreux qu’ils n’étaient dans le camp au désert, il n’est même plus question pour eux de purification. La différence plus accentuée établie par là entre l’Israélite et l’étranger correspond bien à la manière dont la dignité spéciale du premier a été relevée en commençant.
Troisième devoir : Acquitter les dîmes (22-29)
Versets 22 à 25
Le Deutéronome ordonne ici de prélever une dîme sur les productions de la terre après la récolte terminée (verset 22) et aussi de consacrer tous les premiers-nés du bétail (verset 23). Ces produits doivent être consommés par l’israélite lui-même et sa famille dans le sanctuaire central, à moins que ce lieu de culte ne soit trop éloigné. Dans ce cas les produits naturels peuvent être échangés pour de l’argent et la somme provenant de la vente sera consacrée dans le lieu du sanctuaire au but indiqué (versets 24 et 26).
L’israélite devra inviter à ces voyages et à ces repas sacrés le Lévite qui habite dans son voisinage. Cette dernière recommandation ne pouvait s’appliquer qu’aux habitants des villes dans lesquelles devaient être répartis les Lévites et de celles où ils pouvaient avoir émigré (Nombres 35). C’est évidemment la même dîme que celle dont il est question au Deutéronome 12.6-14, Deutéronome 12.17-19. Seulement là cette ordonnance était donnée en rapport avec la fixation du sanctuaire central, ici avec la sainteté des individus israélites.
Au bout de trois ans : c’est-à-dire la quatrième année, après la troisième récolte terminée. Cette dîme doit être prélevée sur les produits de l’année précédente et mangée par l’Israélite et sa famille, non plus au sanctuaire, mais dans la ville même où il habite. Ce qui en distingue encore l’emploi de celui de la précédente, c’est qu’aux repas où elle était consommée, il devait inviter les étrangers et les indigents. On se demande si cette dernière dîme remplaçait pour cette année-là la dîme annuelle dont il vient d’être parlé, ou si c’était une nouvelle dîme à ajouter cette année-là à la précédente. Le texte semble plutôt favorable à cette seconde interprétation, puisque pas un mot n’indique qu’elle doive être substituée à l’autre.
Sur la relation entre ces deux dîmes et celles de Nombres 18, voir l’appendice suivant.
Appendice sur les dîmes
Le Deutéronome institue, comme nous venons de le voir, une dîme annuelle dont le montant doit être employé aux dépenses des voyages de fête et des séjours à Jérusalem, y compris les sacrifices à offrir, puis (probablement) une autre quadrisannuelle, qui doit être consommée en repas de bienfaisance dans le lieu même où habite l’Israélite. Dans Nombres 18.25 et suivants, nous trouvons au contraire l’institution d’une dîme annuelle que les Lévites devront retirer de tous les produits de la terre (aire et cuve, verset 30) et sur laquelle ils doivent prélever à leur tour une dîme pour les sacrificateurs (Le passage Lévitique 27.30 et suivants n’institue pas une dîme, mais donne seulement des règles sur la manière de procéder en certains cas de dîme). La question est maintenant de savoir si, comme le pense une école moderne, ce sont là deux lois contradictoires, de sources et de dates différentes, ou si l’une doit compléter l’autre, la dîme (ou les dîmes), du Deutéronome devant s’ajouter à celle des Nombres.
Pour la première manière de voir, on fait valoir le silence du Deutéronome relativement à la dîme instituée dans les Nombres, ce qui serait étonnant si celle-ci existait déjà. Mais au chapitre 12 nous avons vu qu’à l’occasion de la nouvelle loi relative à la viande de boucherie, l’ancienne loi se trouve abrogée sans qu’elle soit en aucune façon mentionnée. Le silence en cas d’abrogation n’est pas moins frappant qu’en cas d’adjonction. Dans cette première manière de voir, deux cas sont possibles. Ou c’est l’ordonnance des Nombres qui est la plus ancienne et à laquelle le Deutéronome en substitue une nouvelle ; ou bien c’est l’inverse. Mais si c’est la loi des Nombres qui est la plus ancienne, on ne se rend pas compte des motifs qui ont pu la faire abroger pour y substituer celle du Deutéronome ; car il serait peu naturel que l’on fût revenu d’un système de redevance formelle et rigoureuse, comme celui des Nombres, à un mode de faire qui rentre à peu près complètement dans celui de la bienfaisance privée et volontaire, comme celui du Deutéronome. Si c’étaient les Lévites eux-mêmes qui avaient provoqué ce changement, ils auraient travaillé contre leur intérêt ; et si c’était le peuple qui avait agi de la sorte, il n’aurait pu le faire que dans une intention astucieuse et malveillante contre les Lévites. Si, au contraire c’est l’ordonnance du Deutéronome qui est la plus ancienne, le changement s’explique plus facilement : le système moins rigoureux du Deutéronome n’ayant pas suffi aux besoins des Lévites, on aura établi une dîme régulière, celle qui est fixée dans les Nombres. Mais cette manière de voir heurte aussi à une grande difficulté. C’est de savoir comment on aurait jamais pu penser que la dîme établie par le Deutéronome, dîme que l’Israélite se payait proprement à lui-même, puisqu’il devait la mettre à part afin de la consommer avec sa famille en invitant le pauvre et le Lévite, suffirait à l’entretien des Lévites et de leurs familles pendant toute l’année. On ne peut alléguer le territoire accordé aux Lévites dans le voisinage des villes lévitiques, car le Deutéronome motive précisément l’obligation d’inviter le Lévite sur ce qu’il n’a pas de part ni d’héritage en Israël (voir Deutéronome 12.12, note).
Si l’on admet la seconde manière de voir, d’après laquelle les deux dîmes (ou la dîme) du Deutéronome s’ajoutent à celle des Nombres, on objectera que l’Israélite était en ce cas bien chargé. Mais il faut considérer qu’elles ne sont en réalité que des prélèvements que l’Israélite fait sur ses produits, pour son propre usage avant tout, puis pour pourvoir à des œuvres de charité. Il ne doit pas se contenter en effet de payer à ses Lévites la dîme légale annuelle. Il doit encore leur témoigner d’une manière plus libre son amour et sa reconnaissance. En usant de ce qu’il prélève chaque année sur ses produits pour ses voyages de fête et ses banquets joyeux de famille, il doit se souvenir et des nécessiteux qui sont près de lui et du Lévite qui est dans son voisinage. C’est ainsi que l’on pourrait recommander à une paroisse de manifester son amour à son pasteur par certaines offrandes, sans qu’une telle injonction fût un motif de mettre en question le traitement régulier qu’il doit recevoir.
Nous trouvons dans des ouvrages israélites postérieurs deux traces remarquables d’une double et même triple dîme prélevée par l’Israélite sur ses produits.
Dans le livre de Tobie (Deutéronome 1.8-9), on lit :
-
De tous les produits je donnais la dîme aux Lévites qui fonctionnent à Jérusalem. Après le retour de l’exil, le peu de Lévites qui étaient revenus demeuraient sans doute à Jésusalem. Cette dîme répond à celle de Nombres 18.
- Puis Tobie ajoute : La seconde dîme, je la vendais et allais la dépenser annuellement à Jérusalem. Cette seconde dîme correspond à celle de Deutéronome 12 ; Deutéronome 14.22-27.
- Et enfin : Quant à la troisième, je la donnais à qui de droit, comme me l’avait enjoint la mère de mon père, car j’étais resté orphelin. Celle-ci répond à celle de Deutéronome 14.28-29.
Le livre de Tobie paraît avoir été écrit sous les Ptolémées (voir Reuss), dans un temps où les institutions légales étaient encore en vigueur. L’historien Josèphe (Antiquités Judaïques 4.8) paraphrase ainsi l’ordonnance mosaïque : Que le dixième des fruits soit consacré, en sus de la dîme que j’ai instituée en faveur des prêtres et des Lévites. Qu’elle soit vendue à la maison et employée à leurs sacrifices et à des banquets dans la ville sainte. Josèphe distingue donc aussi expressément la dîme du livre des Nombres, de la première des deux dont parle le Deutéronome ; ses expressions ne permettent pas de décider sûrement s’il en trouve de plus une seconde instituée dans ce livre.