Éloge et puissance de Mardochée
Mardochée, naguère si méprisé, fut le grand-vizir d’un roi sans égal par ses richesses et l’étendue de son empire. Tout l’argent du monde civilisé passait par les mains de ce Juif ! Notre livre finit comme il a commencé, par la description de la gloire du grand roi perse ; mais ce n’est là, on le sent, que le cadre brillant destiné à mettre en relief deux figures juives.
Formule usuelle des livres des Rois et des Chroniques.
Mèdes : nommés avant les Perses, contrairement à Esther 1.3, etc., parce qu’ici il est question d’un livre antique et considérable qui commençait par l’histoire des Mèdes dont la puissance a précédé celle des Perses. Il a déjà été fait allusion à cet ouvrage Esther 2.23 et Esther 6.1.
Car. Que personne ne s’étonne que Mardochée figure dans ce livre !
Parmi les Juifs et non pas seulement parmi les Perses.
Le bien de son peuple. Il ne se rechercha pas lui-même.
Sa race : non pas sa famille, mais sa nation tout entière.
Conclusion
Arrivés au terme de notre étude du livre d’Esther, étude que nous avons abordée sans parti pris, comme on peut le voir à notre Introduction, résumons les résultats auxquels nous avons été conduits.
Le fait le plus difficile à justifier, à savoir le massacre de 75000 personnes par les Juifs et la manière en laquelle Esther revient à la charge et demande une nouvelle exécution dans la ville de Suze (Esther 9.13), nous a paru perdre tout caractère odieux à mesure que nous avons pesé les expressions du texte. Par ces lettres, lisons-nous (Esther 8.11), le roi accordait aux Juifs…. de se rassembler et de défendre leur vie, d’exterminer, d’égorger et de détruire tous gens armés, de tout peuple et de toute province, qui les attaqueraient
.
Et les autres Juifs, dans les provinces du roi, s’étant assemblés, défendirent leur vie
(Esther 9.16).
Sans doute nous lisons aussi que les Juifs frappèrent tous leurs ennemis à coups d’épées, les égorgeant et les détruisant et qu’ils traitèrent leurs ennemis selon leur bon plaisir (Esther 9.5). Mais pour peu que l’on traite notre narration avec les égards élémentaires auxquels a droit toute composition sérieuse, on doit admettre que le bon plaisir selon lequel les Juifs traitèrent leurs ennemis fut subordonné aux conditions clairement énoncées Esther 8.11 et Esther 9.16. Les Juifs n’attaquèrent pas : ils se défendirent. La récidive du 14 Adar elle-même fut, pensons-nous, un moyen préventif : il s’agissait de réduire à néant les derniers ferments d’hostilité et d’annihiler le premier édit jusque dans ses dernières conséquences.
Quant au chiffre de 75000 personnes tuées, les Septante ne parlent que de 15000, soit qu’ils aient eu sous les yeux un autre texte, soit, ce qui est plus probable, qu’ils aient voulu diminuer la défaveur qui pouvait rejaillir d’un pareil massacre sur les Juifs aux yeux des Gentils. Mais il n’y a rien dans ce total de 75000 personnes qui dépasse les proportions que prennent en Orient des événements analogues. Puis il ne faut pas perdre de vue l’immensité de l’empire.
Mais du moment que les Juifs n’ont couru jusqu’à ceux qui les attaquaient, il a dû, semble-t-il, y avoir un certain nombre d’entre eux tués. Or il n’est point fait mention de Juifs tués, pas même de blessés. C’est là un point sur lequel l’auteur n’a pas cru devoir instruire ses lecteurs, à supposer qu’il fût à même de le faire. Il importe peu au but qu’il se proposait et qui était uniquement de montrer comment son peuple avait échappé en bloc à la mort. La nation a été sauvée ; cela suffit.
Quant à l’art avec lequel est présentée la succession des faits, il suppose un œil ouvert sur la sagesse et les soins de la Providence, mais ne dépasse point ce que nous trouvons sous ce rapport dans maints chapitres de l’Ancien Testament. Un roman d’ailleurs n’aurait pas pu donner naissance, quelque bien composé qu’il fût, à une fête nationale, célébrée à Jérusalem même, dans le centre religieux de la nation et à une date très précise de l’année.
On a supposé que la fête de Purim est une imitation juive des réjouissances que, sous le nom de Fourdi, les Perses célébraient, les derniers jours de chaque année, par des festins et des cadeaux qu’on faisait aux indigents. On cherche à étayer cette hypothèse par la considération que le texte grec de notre livre donne à la fête de Purim le nom de Phrouraï, une fois même celui de Phourdia, qui se rapproche singulièrement du nom de la fête perse. D’autres ont pensé à une fête babylonienne. Mais est-il croyable que les Juifs des siècles qui ont précédé notre ère, les Juifs du temps des Maccabées, si fermés à toute influence étrangère, aient emprunté aux païens une de leurs fêtes ?
Une dernière remarque : Le livre d’Esther présente dans les Septante et la Vulgate un certain nombre de morceaux qui ne se trouvent pas dans le texte hébreu. Plusieurs modernes prétendent qu’ils renferment plus d’éléments religieux que tout le reste du livre. Il nous est impossible de partager cette opinion. Ils nous semblent éminemment propres au contraire à faire sentir par contraste la sobriété de notre récit. Voici, par exemple, comment se trouve paraphrasé dans les Septante le récit de la première entrevue d’Esther et d’Assuérus au verset 2 du chapitre 5 : Esther prit deux de ses suivantes et s’appuyait sur l’une, comme ne pouvant soutenir son corps à cause de son extrême délicatesse ; l’autre suivait sa maîtresse, portant sa robe qui traînait à terre. Et cependant, ayant une couleur vermeille sur le teint et les yeux pleins d’agrément et d’éclat, elle cachait la tristesse de son âme qui était pénétrée de frayeur… Et ayant passé de suite par toutes les portes, elle se présenta devant le roi au lieu où il était assis sur son trône avec une magnificence royale, étant tout brillant d’or et de pierres précieuses. Et il était terrible à voir. Aussitôt qu’il eut levé la tête et qu’il l’eut aperçue, la fureur dont il était saisi paraissant au dehors, par ses yeux étincelants, la reine tomba comme évanouie et la couleur de son teint se changeant en pâleur, elle laissa tomber sa tête sur la fille qui la soutenait. En même temps Dieu changea le cœur du roi et lui inspira de la douceur. Il se leva tout d’un coup de son trône, craignant pour Esther et la soutenant entre ses bras jusqu’à ce qu’elle fût revenue à elle, il la caressait, en lui disant : Qu’avez-vous, Esther ? Je suis votre frère ! Ne craignez point, approchez-vous donc et touchez mon sceptre ! Et voyant qu’elle demeurait toujours dans le silence, il prit son sceptre d’or et le lui mit sur le col et l’embrassa et lui dit : Pourquoi ne me parlez-vous point ? Esther lui répondit : Seigneur, vous m’avez paru comme un ange de Dieu et mon cœur a été troublé, par la crainte de votre gloire. Car, Seigneur, vous êtes admirable et votre visage est plein de grâces. En disant ces paroles elle tomba encore et elle pensa s’évanouir…
Le nom de Dieu figure, il est vrai, dans cette scène de mélodrame. Il suffit cependant d’une faible dose de sens historique pour reconnaître ici une amplification romanesque qui contraste avec cette phrase toute simple : Et quand le roi vit la reine Esther debout dans la cour, elle trouva grâce à ses yeux et le roi tendit à Esther le sceptre d’or qu’il avait à la main ; et Esther s’approcha et toucha le bout du sceptre.
Jusque dans des livres tels que le nôtre, qui font pressentir le prochain silence de la prophétie, il est impossible de ne pas reconnaître la discipline de l’Esprit qui a fait des Israélites et même des Juifs un peuple à part.