L’héritage des filles de Tsélophcad
Cette loi est en rapport direct avec l’ordonnance rendue Nombres 27.1-11. Celle-ci, donnée en réponse à une demande des filles de Tsélophcad, leur avait garanti, en l’absence d’un descendant mâle de leur père, l’héritage de la propriété paternelle, de manière à assurer la perpétuité de la famille en Israël. L’ordonnance actuelle est la réponse à une demande de la tribu elle-même et a pour but d’assurer à celle-ci l’intégrité de son territoire primitif, qui aurait pu subir une atteinte par le fait du mariage d’une de ces filles héritières avec un membre d’une autre tribu. Il est à remarquer que ces deux ordonnances, comme tant d’autres, n’appartiennent point à une codification systématique, mais sont le résultat de circonstances déterminées et que cette origine occasionnelle en garantit le caractère historique.
Notre chapitre, comme Nombres 27.1-11 doit être attribué au document élohiste.
Difficulté (1-4)
Sur Galaad, Makir, Manassé, voir Nombres 26.29, note et Nombres 32.39, note.
Au jubilé, toutes les propriétés retournaient à la famille à laquelle elles avaient été primitivement assignées ; mais dans ce cas-ci, ce retour eût été rendu impossible par le fait du mariage de la fille héritière et ainsi la perturbation fût devenue irréparable.
Solution (5-9)
La tribu des fils de Joseph, pour dire : la portion de cette tribu qui avait réclamé (voir le mot d’entre, verset 1) ; ou bien toute la tribu, si elle s’était jointe aux fils de Galaad pour faire la réclamation.
Les versets 10 à 12 constatent l’exécution de ce point de droit.
Conclusion de tout le livre
Cette formule de clôture correspond à celles de Lévitique 26.46 et Lévitique 27.34 et distingue expressément les lois données au peuple depuis son arrivée dans les plaines de Moab (Nombres 27, 30, 35, 36) de celles qui avaient été données dans la contrée du Sinaï ; ce qui n’exclut ni les lois données occasionnellement, dans l’intervalle entre ces deux actes principaux de législation, ni les explications et les développements qui suivront dans le Deutéronome.
Conclusion sur le livre des Nombres
Tout en reconnaissant, avec la critique moderne, en raison d’un certain nombre d’indices philologiques et historiographiques, la pluralité des sources auxquelles a été puisée l’histoire retracée dans le livre des Nombres, nous estimons, comme le pensait sans doute l’auteur même de ce livre, qu’il n’y a aucun désaccord réel entre les documents réunis dans ce récit. L’auteur aura, il est vrai, supprimé ce qui aurait fait double emploi et conservé certains traits appartenant à un document, qui manquaient dans l’autre ou les autres ; mais même dans les parties que l’on a le plus sévèrement critiquées, telles que le récit de l’envoi des espions, celui de la révolte de Koré et des Rubénites, ou l’épisode de Balaam, nous croyons avoir constaté l’accord foncier des récits dont l’auteur nous a conservé le fond et la forme.
Le fait central du livre, la rébellion du peuple à Kadès, suivie de l’arrêt par lequel toute la génération adulte sortie d’Égypte fut condamnée à un long exil et à une mort ignominieuse dans le désert, ce fait décisif est incontestablement historique. Dans quel intérêt un auteur israélite aurait-il inventé un trait qui infligeait à tout son peuple une flétrissure indélébile ? Le désir de glorifier la justice et la sainteté de l’Éternel pouvait-il l’engager à couvrir de boue son propre peuple, bien plus le peuple élu par Dieu lui-même ? Et, en lui supposant même un rôle aussi invraisemblable, comprendrait-on que la tradition nationale eût accueilli un pareil récit et l’eût reproduit dans deux ou trois rédactions indépendantes, si le fait n’eût été d’une indiscutable notoriété ? Un peuple ne prend pourtant pas plaisir à se stigmatiser lui-même. Nous sommes donc ici sur un terrain historique inébranlable.
Une remarque semblable s’applique à toute une série de traits particuliers de l’histoire du peuple et de ses principaux représentants dans cette période funeste : l’essai du peuple de pénétrer en Canaan par le Négueb, malgré la défense de Dieu et sa honteuse défaite, ses murmures violents à la suite du châtiment infligé aux rebelles dans la révolte de Koré, le péché à l’occasion duquel eut lieu le fléau des serpents, enfin la chute de toute une partie du peuple à Beth-Péor ; puis des faits plus remarquables encore : les fautes graves imputées aux personnages les plus éminents de la théocratie, la jalousie et la révolte de Marie la prophétesse et d’Aaron le souverain sacrificateur contre leur frère Moïse et l’humiliation qu’ils eurent à subir aux yeux du peuple et surtout la faute d’Aaron et de Moïse lui-même et l’exclusion de ces deux chefs du peuple du privilège d’entrer dans la Terre promise. Sans doute la mythologie païenne ne ménage pas toujours ses héros. Mais là le péché est pesé dans une toute autre balance qu’en Israël. À peine passe-t-il pour péché ; les dieux de l’Olympe y participent et en donnent l’exemple aux hommes. En Israël, où règne le sentiment de la sainteté de Dieu, le péché est envisagé comme un acte vraiment coupable et tombe sous le coup de la juste animadversion divine.
Rien donc de plus certainement historique et de plus profondément vrai que le récit du livre des Nombres. La conséquence de ce fait quant à l’histoire précédente et subséquente d’Israël saute aux yeux, car tout se lie et se suppose réciproquement dans cette histoire. La chaîne entière est homogène.
Comme on a cru pouvoir insister tout particulièrement sur les contradictions qui doivent exister entre la série des stations mentionnées dans le récit du voyage et la liste du chapitre 33, attribuée par le texte à la main de Moïse lui-même et qui se trouverait par là même démontrée fausse, nous relevons encore une fois, en terminant, ce point dont l’importance saute aux yeux. Nous croyons avoir donné la preuve que cette contradiction n’existe pas, parce que les trente-huit années de condamnation qu’Israël dut subir au désert laissent un temps pleinement suffisant pour les nombreuses marches et contremarches que le récit et cette liste obligent d’admettre. Autrement l’on ne comprendrait absolument pas de quelle manière un temps si considérable aurait pu être employé. Voici l’itinéraire qui, à nos yeux, concilie et la liste mosaïque et le récit du livre lui-même ; De Sinaï à Rithma (prés de Kadès), de Rithma, expédition des Israélites désobéissants vers le septentrion, jusqu’à Horma et retour à Rithma. De Rithma, marche errante, à la façon des Bédouins, vers le sud jusqu’à Etsion-Guéber (mer Rouge). De Etsion-Guéber, marche de même nature en retour vers Kadès. Ici, demande au roi d’Édom de traverser son pays de l’ouest à l’est, et, sur son refus, essai de pénétrer par le nord, entre l’extrémité septentrionale du pays d’Édom et la mer Morte dans la contrée à l’orient de cette mer et du Jourdain. Après une défaite (Arad), retour au sud, le long des montagnes occidentales d’Édom et passage de l’Araba près d’Etsion-Guéber. Enfin marche dans la direction du nord-est, puis du nord, pour arriver aux plaines de Moab.
Quant à la législation, nous avons constaté, à l’égard d’un certain nombre de lois, qu’elles s’adaptaient à la situation à laquelle le récit les rattache ; mais pour un certain nombre d’autres, nous n’avons pu discerner aucune relation de ce genre. Voir l’introduction au chapitre 15.
Les contradictions que l’on a cru pouvoir signaler entre les lois données dans les Nombres, par exemple Nombres 15.22-31 et les lois correspondantes de l’Exode ou du Lévitique, ne nous ont pas paru insolubles. La principale, Nombres 15.22-31, se trouve dans un morceau qui n’est pas attribué à Moïse et qui est destiné à ajouter une prescription nouvelle pour des cas non primitivement prévus.
On a fait ressortir avec beaucoup d’insistance les nombreuses répétitions des mêmes prescriptions. Mais il n’y a rien d’étonnant à ce que, dans différentes occasions, les mêmes recommandations, comme celle de ne manger ni graisse, ni sang, ou celle de détruire les monuments idolâtres en Canaan, ou celle d’offrir les prémices, en variant les exemples, soient plusieurs fois répétées. La loi israélite ne ressemble point à un code proprement dit où l’on traite les questions chapitre par chapitre, mais plutôt à une série de prescriptions occasionnelles dans laquelle les répétitions sont toutes naturelles.