Verset à verset Double colonne
Ecclésiaste 8.15-17. En langage moderne, nous parlerions à propos de ces chapitres d’Essais ou de Recherches. Le chapitre 6 est plutôt négatif et indique en quoi ne consiste pas la sagesse. Les chapitres 7 et 8 sont d’un contenu positif.
Il n’est pas sage de demander le bonheur aux seules richesses (versets 4 à 6) ; elles sont incapables de nous satisfaire (versets 7 à 9) et de nous rendre indépendants de la Providence (versets 10 à 12).
Reprise de la pensée déjà énoncée à la fin du chapitre 5, que posséder n’est pas jouir.
Prenez un homme chez lequel la notion de vie semble être arrivée à son plein accomplissement : richesse, honneurs, longévité, nombreuse descendance. À côté de lui, voyez-vous cet enfant mort-né, qui n’a pas même eu assez de vitalité pour arriver à terme ? L’Ecclésiaste se fait fort de prouver que l’embryon a une meilleure part que ce riche qui n’a pas compris le secret de la joie et qui n’a rien su recevoir de Dieu. Telle est l’antithèse frappante qui l’inspire et ce paradoxe va lui permettre de montrer sa virtuosité et de donner un relief nouveau à des pensées déjà touchées.
Il est un mal que j’ai vu sous le soleil. Nous avons cette même formule, absolument pareille, dans Ecclésiaste 10.5 ; presque identique, dans Ecclésiaste 5.12. Ici les mots : et qui pèse lourdement sur l’homme, remplacent l’épithète de fâcheux (il est un mal fâcheux) de Ecclésiaste 5.12.
Voilà un homme… On croit entendre l’Ecclésiaste exposer son thème. On assiste à la reprise de la conversation. Il a commencé gravement au verset 1. Maintenant il s’anime : Tenez, par exemple ! Voilà un homme…
Mais Dieu ne lui permet pas d’en jouir, soit qu’il meure avant le temps, soit qu’une maladie cruelle vienne empoisonner sa vie, Vous voyez bien qu’il faut compter avec Dieu !
C’est un étranger qui en jouit : après lui, ou bien sous ses yeux (Ecclésiaste 2.18-19).
Si son âme ne se rassasie pas de biens : s’il ne pratique pas la règle de conduite indiquée ci-dessus (Ecclésiaste 5.18 : jouir du bien comme d’un don de Dieu).
Et que même il n’ait pas de sépulture. Si par son humeur chagrine il s’est aliéné le cœur de ses proches et que sa mort soit pour eux une délivrance, il sera porté en terre, mais ce ne sera pas réellement une sépulture, un deuil. Comparez Jérémie 22.13-19.
Un avorton. Ici l’Ecclésiaste pense peut-être à Job 3.16.
Naît en vain. Heureusement pour lui sa naissance ne l’introduit pas dans la vie.
Il n’a ni vu, ni connu le soleil. Il a passé des ténèbres aux ténèbres (verset 4) et n’a pas à aller de la lumière aux ténèbres, ce qui répugne toujours aux vivants.
D’autres : Il n’a pas vu toutes les vanités et toutes les injustices qui ont lieu sous le soleil. Mais ici, opposé aux ténèbres, le soleil ne doit-il pas avoir un sens favorable ?
Reprise des versets 4 et 5. Nous avons vu déjà une répétition semblable dans Ecclésiaste 5.16.
Deux fois mille ans. Plus et plus précis que verset 3. Double Méthusélah !
Sans voir le bonheur : parce que cet homme n’est pas entré dans une relation vivante avec l’Auteur de toute joie.
Tout ne va-t-il pas dans un même lieu : dans ce sépulcre (schéol) où ne se présentent plus d’occasions de jouir et où fait absolument défaut tout ce qui constitue la vie.
Il ne faudrait pas conclure de ce verset qu’aux yeux de l’Ecclésiaste la vie présente n’a d’autre but que la jouissance. Il ne parle pas de ce qu’il demande lui-même à la vie ; il se place au point de vue de ce riche. Pour lui, il conseille de jouir dès ici-bas de ce que Dieu donne, mais il croit à un avenir heureux, que la sagesse procure à qui la pratique (Ecclésiaste 7.12).
C’est pourquoi, au lieu de se livrer à des soucis rongeurs et de prétendre se faire son sort à soi-même, il convient de se confier en Dieu. Le moyen d’avoir dans le présent la tranquillité du cœur, c’est de s’en remettre à Dieu pour cet obscur avenir qui lui appartient.
L’homme cherche continuellement à satisfaire ses besoins et ses désirs naturels (début verset 7), mais il n’y parvient jamais : il y a en lui une âme dont le propre est d’aspirer toujours à quelque chose de nouveau (fin verset 7).
Cependant, laisser errer ses désirs, ne pas les réprimer et leur lâcher la bride, est une folie. C’est ce que le sage a compris et tel est l’avantage qu’il a sur l’insensé. Il sait se conduire en présence des vivants (verset 8) : franc d’ambition et ne présumant pas de lui-même, il se contente d’un genre de vie modeste et ne froisse personne par des prétentions exagérées. Imitons-le en cela ; bornons nos besoins ; ce sera autant de vent que nous ne poursuivrons pas.
On voit par cette paraphrase que nous ne prenons point l’âme (verset 7) dans le sens chrétien et religieux de ce mot, mais dans celui d’appétit, de principe de vie qui cherche à s’assimiler pour son bien ce qui l’entoure, sens qu’il a souvent dans l’Ancien Testament (Nombres 21.5 ; Proverbes 6.30 : pour se rassasier, littéralement : pour rassasier son âme ; etc.).
Nouvelle démonstration de la folie qu’il y a de sa part à laisser Dieu en dehors de ses calculs et à vouloir se substituer à la Providence et lui forcer la main.
Ce qui existe a dès longtemps été appelé par son nom. Non pas : s’est déjà souvent produit dans le monde (Ecclésiaste 1.9) ; mais : Ce qui arrive a été déterminé longtemps d’avance et existait aux yeux de Dieu. On donne un nom aux enfants quand ils naissent, aux choses quand elles se produisent. Devant Dieu, ce qui arrive existait et par conséquent avait un nom.
Ce qu’un homme sera est déterminé. Il ne s’agit pas ici de l’attitude morale que l’homme prendra vis-à-vis de Dieu, mais des circonstances extérieures de sa vie. Voir déjà Ecclésiaste 3.14. À quoi bon contester avec un Dieu pareil (Job 39.37-38) ?
Multiplier les paroles, les objections et peut-être les vœux, les prières même, c’est multiplier les vanités, si nombreuses déjà dans la vie.
L’homme serait exaucé et pris au mot par Dieu, qu’il se trouverait peut-être avoir, dans son ignorance de l’avenir (Proverbes 20.24), attiré sur lui de vrais malheurs.