Verset à verset Double colonne
1 Et les cieux et la terre et toute leur armée furent achevés.Ce verset est le pendant de Genèse 1.3, où a commencé le travail d’arrangement. L’expression leur armée comprend l’armée des cieux, c’est-à-dire les astres et l’armée de la terre, c’est-à-dire la plénitude des êtres qui l’habitent.
Le terme d’armée renferme la notion d’une troupe rangée, d’un ordre parfait. Ce mot répond au terme grec kosmos dans les LXX, qui désigne le monde comme réalisation de l’ordre universel.
Et Dieu acheva. Au sixième jour, l’œuvre matérielle était complète (verset 1), mais l’œuvre de Dieu ne s’achève pourtant qu’au septième jour ; c’est la bénédiction divine qui clôt la série des actes créateurs, comme l’amen clôt la prière.
Cet achèvement divin consiste en deux actes : il cesse de travailler : le septième jour luit, aucune créature nouvelle ne surgit (verset 2) ; puis (verset 3) Dieu met le sceau à son œuvre en bénissant et sanctifiant le septième jour.
Le mot que nous traduisons par cesser est schabath, d’où est provenu le mot sabbat. Le sens de ce mot par rapport à Dieu n’est pas l’idée d’un repos à prendre après la fatigue du travail, mais celle de la cessation de l’activité créatrice qui va faire place à l’activité simplement conservatrice. Tous les faits constatés prouvent qu’après l’homme aucune créature nouvelle n’est apparue.
Plusieurs interprètes ont donné au mot achever du verset 2 le même sens qu’à celui du verset 1 : achèvement de l’œuvre matérielle ; et pour éviter la contradiction entre les deux parties du verset, ils ont adopté la leçon des LXX, qui lisent dans le premier membre du verset : sixième jour, au lieu de septième. Cela parait plus rationnel, mais, par là même, cette leçon est suspecte d’être une correction. La vraie suite des idées est celle-ci : Dieu clôt l’œuvre en cessant de créer et en bénissant le septième jour et avec lui toute la création.
Et Dieu bénit le septième jour et le sanctifia. Bénir, quand il s’agit de Dieu, n’est pas seulement prononcer des paroles bienveillantes ; c’est rendre prospère, fort, heureux. Le septième jour apparaît ainsi comme plus particulièrement rempli de forces et de joies célestes. Par là même, il se trouve sanctifié, c’est-à-dire mis à part pour une destination sainte, ce qui naturellement ne s’applique pas seulement à ce sabbat divin, mais aussi à tous les sabbats humains qui se suivront de semaine en semaine : ce sont tous les septièmes jours des hommes qui sont bénis et consacrés dans le septième jour de Dieu.
L’homme aussi, au jour de son sabbat, contemple l’œuvre divine et il participe à la joie de Dieu. Heureux, s’il peut se réjouir aussi en contemplant sa propre œuvre de la semaine, ou si, ne le pouvant, il profite de ce jour pour s’en humilier ! Aussi, dans le quatrième commandement, Moïse rappelle-t-il le devoir fondé sur cette parole de Dieu, de ne pas confondre ce jour avec tous les autres : Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier.
Ce mot souvenir ne peut s’entendre dans le sens qu’on lui donne parfois : N’oublie pas de garder le jour que je consacre aujourd’hui, car le motif indiqué est tiré expressément de notre récit.
La répétition dans ces trois versets des mots : l’œuvre qu’il avait faite, rappelle à l’homme que, pour être béni, le sabbat doit être précédé du travail de la semaine. Le travail de la semaine doit être complet, comme celui de Dieu, pour que l’homme ait le droit de cesser d’agir et de célébrer le sabbat (Exode 20.9).
Ces sabbats périodiques sont autant de jalons destinés à conduire l’homme au repos parfait et éternel en Dieu, dont ils sont comme une anticipation (Hébreux 4.9).
Dans la nouvelle alliance, le sabbat a été transporté du septième au premier jour de la semaine. Ce changement a pu avoir lieu parce qu’une nouvelle création est intervenue en Jésus-Christ ; la proportion d’un jour sur sept a cependant été maintenue, parce que l’ancienne création subsiste encore et dans la nature et chez le chrétien lui-même à côté de la nouvelle, celle-ci étant restreinte pour le moment à l’ordre spirituel.
L’auteur s’est-il représenté ce septième jour comme se terminant ainsi que les précédents ? Il ne dit pas : il y eut un soir, comme pour les autres jours ; il ne parle pas non plus d’un huitième jour ; et comme l’essence de ce jour est que Dieu cesse de créer quelque chose de nouveau et que l’état des choses fondé alors dure encore, nous sommes amenés à penser qu’aux yeux de l’auteur et quant à ce qui concerne l’œuvre de la nature, le repos du septième jour dure encore ; il ne cessera que lorsque Dieu fera paraître de nouveaux cieux et une nouvelle terre.
S’il en est ainsi, il est impossible de ne pas tirer de ce fait une conclusion rétrospective sur le sens qu’il attachait aux six premiers jours.
Créée pour la faire. L’expression hébraïque que nous traduisons ainsi a causé de grands embarras aux interprètes et aux traducteurs qui l’ont rendue chacun à leur manière :
Notre traduction, qui était déjà celle de la Vulgate, est littérale et nous semble préférable à toutes celles que nous venons d’indiquer. L’acte de créer mentionné ici est celui de Genèse 1.1, par lequel Dieu avait posé la matière ; et celui de faire se rapporte à l’arrangement qu’il lui avait donné par le travail des six jours.
En créant la matière, Dieu avait pour but d’en faire un monde. Rien ne montre mieux que cette distinction entre créer et faire, le sens absolu que l’auteur attache au premier de ces termes : faire sortir la matière du néant.
On a contesté l’institution primitive du sabbat par Dieu lui-même, en s’appuyant sur le fait que l’histoire des patriarches ne présente pas de traces du repos du septième jour. Cette objection nous paraît peu décisive ; la Genèse, en effet, ne nous renseigne pas sur tous les détails de la vie des patriarches. Du reste, dans cette histoire même, il nous est parlé à deux reprises de la semaine : à propos de Noé (Genèse 8.10-12) et de Jacob (Genèse 29.27).
Dans l’histoire même de Moïse, toute l’ordonnance relative à la manne, qui repose sur l’institution du sabbat précède la promulgation des dix commandements et comme nous l’avons déjà remarqué le commandement du sabbat suppose une institution antérieure. Du reste, l’institution de la semaine existait aussi chez d’autres peuples que les Hébreux : les Chaldéens, par exemple, dans les inscriptions desquels on a retrouvé le mot Sabattuv. Seulement ce mot ne désigne pas comme en Israël, un jour béni, mais un jour néfaste dans lequel il n’est pas prudent d’accomplir un travail. C’est ainsi que l’institution primitive s’était travestie sous l’influence du paganisme.
Nous croyons devoir rattacher au morceau précédent le verset 4, comme sommaire de tout le récit de la création. Beaucoup d’interprètes en agissent autrement.
Les uns y voient le titre du morceau suivant : Voici ce qui arriva des cieux et de la terre une fois qu’ils eurent été créés, au jour où l’Éternel Dieu eut fait la terre et les cieux.
Cette traduction se heurte d’abord au mot les cieux, car dans ce qui suit, il n’est plus question que de la terre ; il serait bien peu naturel d’expliquer ce mot : les cieux, par l’intervention de Satan au chapitre 3, ou par celle des fils de Dieu au chapitre 6 ; de plus, on est obligé de donner aux deux verbes le sens de parfaits antérieurs : eurent été créés, eut fait, ce qui ne peut se justifier grammaticalement.
Une autre construction consiste à séparer les deux phrases de ce verset en ponctuant après qu’il les eut créés et en rapportant la seconde proposition à ce qui suit : Au jour où l’Éternel Dieu fit une terre et des cieux, toutes les plantes des champs n’étaient pas encore, ce qui exprimerait solennellement une chose qui s’entend d’elle-même, à moins que l’on ne suppose, avec quelques anciens interprètes juifs, qu’il y avait bien quelques plantes, mais non pas toutes, sens qui renferme une absurdité, puisque évidemment avant que Dieu créât il n’existait aucune plante.
Ou bien on pourrait dans cette construction faire aller la proposition subordonnée jusqu’au verset 7, où se trouverait la principale dans ces mots : l’Éternel forma : Au jour où l’Éternel Dieu fit une terre et des cieux et où … car l’Éternel Dieu n’avait pas fait pleuvoir…, toute la face du sol … l’Éternel Dieu forma … Mais il est impossible d’admettre dans un récit dont le style est constamment clair et simple, une construction aussi compliquée.
Un interprète moderne a supposé que cette première proposition était primitivement en tête du chapitre 1 ; ce serait le rédacteur définitif du Pentateuque qui aurait transposé cette formule du commencement du récit à la fin. C’est là une hypothèse arbitraire.
Nous pensons plutôt que l’auteur n’a pas voulu ôter à cette entrée sublime : Au commencement Dieu créa, son caractère unique en y mettant un titre comme au commencement des autres récits et qu’il a préféré le placer comme sommaire à la fin du récit.
Ce qui est procédé, Le mot tholedot littéralement : ce qui est engendré s’applique ici a tous les êtres qui furent tirés, par le travail des six jours, de la matière des cieux et de la terre primitivement créée.
Les mots suivants : au jour où l’Éternel fit une terre et des cieux, résument tout le tableau de la semaine créatrice on affirmant encore une fois, en opposition à toutes les fictions polythéistes, ce fait capital que rien de ce qui existe n’existe en dehors de la volonté et de la puissance divines.
L’Éternel Dieu. Sur le mot Dieu (Elohim) voir à Genèse 1.1, note. L’Éternel, en hébreu Jéhova ou plus exactement Jahvé. Ce mot appartient au verbe hava, ancienne forme de haja, être ; c’est proprement la troisième personne du temps imparfait, qui correspond d’ordinaire en hébreu à notre futur.
Dieu donne lui-même le sens de ce nom quand il s’appelle (Exode 3.14) Ehejé, Je serai, par où il indique qu’il a et aura l’être pour essence. Il se désigne ainsi comme le moi identique avec l’être, c’est-à-dire comme la personnalité absolue.
C’est comme tel qu’il est en rapport particulier avec l’homme, le seul être terrestre qui partage avec lui le caractère de la personnalité, qu’il dirige son développement et qu’il devient dans l’histoire le Dieu du peuple qui sera son agent pour la réalisation de son règne.
Le nom composé l’Éternel Dieu ne se retrouve qu’une fois dans le Pentateuque (Exode 9.30) en dehors des chapitres 2 et 1 de la Genèse et assez rarement dans les autres livres de l’Ancien Testament. Il est destiné à faire ressortir l’identité personnelle du Dieu de la nature, qui vient d’agir comme créateur du monde et du Dieu qui va se manifester désormais comme dirigeant les destinées de l’humanité et spécialement celles du peuple d’Israël.
Il importait à Israël de savoir que Jéhova, son Dieu national, n’était pas seulement l’une d’entre les divinités adorées sur la terre, mais le Dieu unique, créateur et maître de l’univers (Elohim).
Ce n’était qu’à cette condition qu’il pouvait lui vouer une foi absolue et compter sur lui dans toutes ses luttes avec les hommes et avec les choses. C’est dans le même sens que dans le Nouveau Testament Jésus, le chef de l’Église, est présenté en même temps à celle-ci comme le souverain universel : Chef de l’Église qui est son corps, sur toutes choses (Éphésiens 1.22).
Il est manifeste que, par cette union entre les deux noms de Dieu, Elohim et Jéhova, comme en un seul nom, le rédacteur a voulu faire la transition entre le récit qui précède et celui qui suit ; et si, comme cela nous parait vraisemblable. le récit suivant est tiré d’un nouveau document dans lequel Dieu était habituellement. désigné sous le nom de Jéhova, nous comprenons aisément ce qui a porté le rédacteur à joindre dans ce passage, qui est comme le trait d’union entre ses deux sources, ces deux noms de Dieu, de manière à faire bien ressortir qu’il ne s’agit que d’un seul et même être divin.
Une terre et des cieux. Cette forme sert à fermer le récit ouvert par Genèse 1.1 : Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.
Nous commencerons par étudier rapidement les récits des autres peuples anciens qui se rapportent au même sujet que le premier chapitre de la Genèse. Nous rechercherons ensuite quelle a pu être l’origine de ce dernier récit.
D’après le livre des lois de Manou, l’un des monuments les plus anciens de la littérature hindoue, le point de départ de toutes choses est une obscurité sans commencement. Tout à coup l’esprit infini et éternel s’éveille et pénètre cette nuit de ses rayons. Il produit les eaux, dans lesquelles il dépose un germe ; ce germe devient un œuf resplendissant dans lequel naît le dieu Brahma, le premier des êtres. Il y demeure enfermé trois trillions d’années, puis par la puissance de sa pensée, il fend l’œuf en deux moitiés, le ciel et la terre, entre lesquels apparaissent l’atmosphère, les huit sphères célestes et l’intarissable réservoir des eaux. Dès ce moment, il crée incessamment tous les êtres particuliers, dieux, génies, vertus, vices, pêle-mêle avec tous les êtres et objets terrestres.
Dans cette conception, la matière est éternelle aussi bien que l’esprit et Dieu naît de cette matière avant de tirer de soi tous les êtres.
Les Persans, d’après une tradition conservée dans le Bundehesch l’une des parties les plus modernes de leur livre sacré, ne croyaient pas à l’existence d’un chaos primitif. La terre, créée par le dieu bon, Ahura-Mazda, fait d’abord partie du ciel, puis elle tombe dans l’espace. Le dieu bon crée en six périodes le ciel (terrestre), l’eau, la terre, les arbres, le bétail et les hommes. Ces six époques correspondent non aux jours de la semaine, mais aux six saisons de l’année persane. Après chacune de ces œuvres, le dieu bon et ses anges, les Amschaspands, célèbrent un temps de fête et de repos, origine des six fêtes annuelles des Persans. À cette œuvre du dieu bon est mêlée l’œuvre du dieu mauvais. Toute la vie de l’univers doit durer douze mille ans et chacun de ces milliers est sous la domination d’un des douze signes du zodiaque.
On est frappé du rapport entre les six périodes créatrices suivies chacune d’un jour de repos et les six jours de la Genèse aboutissant à un jour de repos final. Mais ce récit diffère de celui de la Bible en ce qu’il oppose l’un à l’autre deux dieux dont les œuvres se contrarient. Cette conception est probablement influencée d’un côté par l’astrologie babylonienne et de l’autre par la tradition sabbatique juive.
La conception grecque nous est présentée sous sa forme la plus ancienne par Hésiode (environ 900 ans avant Jésus-Christ). Le premier des êtres est le Chaos, qui produit la Terre, le Tartare (les profondeurs de la terre) et l’Amour, puis les deux êtres appelés Erèbe et Nuit. Ces deux derniers enfantent à leur tour l’Ether et le Jour. La Terre produit d’elle-même Uranus, le ciel étoilé, demeure des dieux, puis les montagnes et la mer. Fécondée par Uranus, elle enfante le fleuve Océan qui entoure la terre et qui est la source de tous les autres fleuves et les Titans, dont sont procédés Jupiter, les dieux de l’Olympe et les hommes.
Ce récit expose l’origine des dieux en même temps que celle du monde. Nous voyons naître d’abord les forces naturelles divinisées, puis de ces dieux primitifs naissent à leur tour les dieux de l’Olympe adorés par la Grèce. La terre et les hommes ne jouent qu’un rôle secondaire.
Chez les Etrusques, d’après un rapport de Suidas, on pensait que Dieu avait créé le monde en six périodes de mille ans chacune : dans la première, le ciel et la terre ; dans la seconde, le firmament ; dans la troisième, la mer et toutes les eaux de la terre ; dans la quatrième, le soleil, la lune et les étoiles ; dans la cinquième : les animaux de l’air, de l’eau et de la terre ; dans la sixième, les hommes. Les six mille ans que le monde doit subsister encore sont consacrés au développement de la race humaine.
On remarque ici des analogies frappantes avec le premier chapitre de la Genèse ; mais Suidas, qui vivait au dixième siècle après Jésus-Christ, a pu facilement modifier les anciennes traditions étrusques sous une influence juive ou chrétienne.
Des conceptions des peuples aryens, passons à celles des peuples chamitiques.
Les Égyptiens croyaient à l’existence d’une matière éternelle, les eaux primitives, comme principe universel. Le dieu Atum existait seul à côté de ce principe chaotique ; il créa le firmament, réservoir des eaux célestes. Des eaux inférieures sortit un œuf, d’où procéda sous la forme d’un petit enfant le dieu Ra (dieu du soleil). Celui-ci amena dans le monde la lumière et la vie ; c’est de lui que furent formés tous les autres dieux, puis par sa chaleur il fit naître de la terre les animaux de l’air, de la terre et de l’eau.
Nous retrouvons ici, comme chez les Hindous, l’existence éternelle de la matière à côté de l’esprit et l’explication de la naissance des dieux en même temps que de celle du monde. Seulement on est frappé de voir la matière dont ont été formés les astres désignée par le nom d’eaux célestes.
Les traditions des Phéniciens sur le sujet qui nous occupe se sont fixées sous des formes diverses ; l’une des plus anciennes est celle qui nous a été conservée par leur écrivain Sanchoniaton qui, selon toute probabilité, vivait vers le dixième siècle avant Jésus-Christ. D’après cette tradition, les Phéniciens se représentaient deux principes premiers, éternels et illimités, l’esprit ou le souffle et le sombre chaos (Bahou, le Bohou des Hébreux). De leur union naquit la matière animée, une boue renfermant les semences de toutes choses. Celle-ci prit la forme d’un œuf qui se fendit de manière à former le ciel et la terre. Dans le ciel d’abord, la matière première engendra le soleil, la lune, les étoiles et les constellations, qui devinrent bientôt des êtres conscients et prirent le nom de gardiens du ciel. À la suite l’air mis en mouvement et la terre réchauffée par l’action du soleil donnèrent naissance aux vents, aux nuages, aux pluies abondantes d’eaux célestes, au tonnerre et aux éclairs. Les éclats du tonnerre réveillèrent les êtres animés mâles et femelles dont les germes se trouvaient dans le sol et dans la mer.
À côté d’une tendance dualiste et émanatiste bien caractérisée, on reconnaît dans cette conception quelques traits qui rappellent le tableau de la Genèse.
Mais de toutes ces conceptions des peuples anciens, c’est celle des Chaldéens qui a le plus de titres à notre attention ; car les Chaldéens, comme les Israélites, appartenaient à la race sémitique et c’est même de leur sein qu’est sorti le père de la famille élue. Nous en avons une première recension bien imparfaite dans quelques fragments de Bérose, historien chaldéen de la fin du quatrième siècle avant Jésus-Christ. D’après lui, l’univers était primitivement une masse liquide et ténébreuse, habitée par des êtres monstrueux sur lesquels dominait une femme, Homorka, en chaldéen Thalatt, la Thalassa (mer) des Grecs. À un moment donné, Bel, le dieu suprême, intervint et coupa la femme en deux parties, dont il forma le ciel et la terre, tandis que les monstres primitifs disparaissaient devant la lumière, qu’ils ne pouvaient supporter. Il fit ensuite le soleil, la lune et les cinq planètes, puis voyant le sol inhabité et cependant fertile, il se fit couper la tète par les dieux inférieurs qui, de son sang mêlé à la terre, formèrent les hommes et les animaux capables de supporter la lumière.
Pendant longtemps on n’a connu la tradition chaldéenne que sous cette forme, mais des découvertes récentes ont jeté un jour tout nouveau sur ce sujet. Il y a quelques années, on a retrouvé dans les ruines de Ninive toute une bibliothèque ayant appartenu au roi Assurbanipal, le Sardanapale des Grecs (670 environ avant Jésus-Christ). Parmi ces dix mille briques couvertes d’inscriptions cunéiformes se trouvaient quelques tablettes racontant la création ; or ces tablettes ne sont que la copie d’une rédaction plus ancienne faite à Babylone et que les savants croient pouvoir faire remonter à une époque contemporaine d’Abraham. Trois seulement d’entre elles sont assez bien conservées pour qu’on puisse en comprendre le sens : ce sont la première, la cinquième et probablement la septième. Voici les passages essentiels des morceaux qui ont pu être déchiffrés.
Première tablette :
Au temps où en-haut le ciel n’annonçait pas encore et où en-bas la terre ne nommait pas encore un nom, car l’abîme sans limites fut leur premier générateur et la mer agitée celle qui enfanta leur ensemble, alors leurs eaux s’embrassèrent et s’unirent. Mais l’obscurité n’était pas encore enlevée ; aucun rejeton n’avait poussé. Au temps où aucun des dieux n’avait encore surgi, où ils n’étaient pas encore désignés par un nom et n’avaient pas encore fixé les destinées, alors les grands dieux furent formés ; les dieux Lachmou et Lachamou apparurent et grandirent… ; puis furent formés les dieux Sar et Kisar. Les jours s’étendirent…
Cinquième tablette, correspondant au quatrième jour de la Genèse hébraïque :
Il arrangea magnifiquement les demeures des grands dieux (soleil et planètes) ; il fit également apparaître les étoiles. Il régla l’année et institua pour elle les décades ; il assigna trois étoiles à chaque mois (sans doute une pour chaque décade). Il détermina les mansions des planètes… Il fit briller Nannar (la lune) pour régner sur la nuit.
Septième (?) tablette :
Quand les dieux tous ensemble créèrent… ils formèrent excellemment les arbres puissants, ils firent surgir des êtres vivants…, le bétail des champs, les grands animaux des champs et les reptiles des champs… Le dieu à l’œil clairvoyant les associa en un couple… L’ensemble des bêtes rampantes se mit en mouvement.
C’est évidemment ce dernier récit qui présente les analogies les plus frappantes avec le tableau de la Genèse biblique ; chaque lecteur les aura remarquées sans peine. Mais les différences qui les distinguent n’en sont que plus manifestes dans le récit chaldéen, le principe de toutes choses est la matière éternelle ; elle est le principe de l’existence même des dieux, qui en naissent spontanément par paires ; après cela il est naturel que le polythéisme le plus complet domine tout le récit.
Après cette revue, la question qui se pose quant au récit de la Genèse biblique est de savoir s’il est simplement le produit de l’observation et de la réflexion humaines, ou s’il est dû à une révélation divine.
On allègue en faveur de la première explication, d’abord, les erreurs que l’on croit trouver dans ce récit, puis la corrélation réfléchie qui paraît exister entre les deux parties de la semaine créatrice (voir notes sur Genèse 1.14-19). Mais, comme nous l’avons vu, il n’y aurait d’erreur formelle que si l’auteur prétendait nous donner un cours scientifique de géologie et de paléontologie ; au lieu de cela, ce ne sont que les phases saillantes qui ont trouvé place dans ce tableau. À ce point de vue, le récit nous paraît inattaquable. La correspondance entre la première et la seconde moitié de la semaine n’est pas un argument valable contre la vérité historique du récit, puisqu’elle peut être l’expression du plan réellement suivi dans l’œuvre elle-même.
Il nous paraît d’autre part que la grandeur et la fermeté de l’intuition monothéiste qui pénètre tout ce récit lui impriment le caractère d’une révélation divine. Il suffit pour le sentir de le comparer avec les légendes analogues des autres peuples que nous venons d’exposer.
Aucun lecteur moderne ne pourrait prendre au sérieux les fantasmagories mythiques dont elles sont remplies, tandis que le récit de la Genèse laisse chez tout lecteur, laïque ou savant, une impression d’admiration et de respect. Il repose évidemment sur la même révélation monothéiste qui est à la base de toute l’histoire israélite. Aux trois traits particuliers que nous avons déjà fait ressortir (Dieu a tout créé, il a tout créé conformément à sa volonté, il a tout créé en vue de l’homme) nous ajoutons encore l’institution divine du sabbat.
Faut-il en rester là et n’appliquer l’action révélatrice qu’aux vérités religieuses, sans l’étendre au cadre extérieur du récit ? C’est là l’opinion qui parait devenir aujourd’hui de plus en plus dominante.
Cependant nous nous demandons si les vérités religieuses contenues dans ce tableau ont pu être révélées d’une manière purement abstraite et si, pour pénétrer dans la conscience de ceux à qui elles étaient communiquées, elles n’ont pas dû revêtir une forme plastique et saisissable précisément telle que celle que nous trouvons dans ce récit.
Puis nous doutons qu’un auteur animé d’un sentiment d’adoration aussi profond se fût permis d’attribuer à Dieu un rôle de sa propre invention dans une scène de nature historique.
De plus, le ton d’autorité, avec lequel il raconte chaque ordre divin et son résultat, nous parait impliquer une certitude dont nous ne pouvons nous rendre compte si tout ce récit n’est qu’une simple supposition de sa part.
Ajoutons que la supériorité de notre récit sur les légendes des peuples anciens ne porte pas seulement sur le côté religieux, mais aussi sur les détails extérieurs de la narration. Le tableau de la Genèse est le seul qui ait été pris en considération par les hommes de science et qui puisse sérieusement affronter l’examen ; nous rappelons seulement ici l’apparition de la lumière et de la végétation avant celle du soleil, faits auxquels la science rend hommage à cette heure. Ces faits nous paraissent conduire à faire porter la communication divine sur la totalité du tableau.
Si nous nous représentons un père au courant de toutes les découvertes scientifiques actuelles et cherchant à les résumer pour son enfant dans le but de conduire son âme à l’adoration, nous ne nous figurerons pas son récit très différent de celui que nous venons d’étudier.
Quand et comment a pu avoir lieu cette communication d’en-haut ? En cherchant à répondre à cette question, nous déclarons dès l’abord que nous sommes ici en face d’un fait sur lequel nous ne pouvons présenter que des suppositions.
Plusieurs pensent que la révélation contenue dans ce chapitre a été accordée à Adam lorsque Dieu s’approchait de lui et s’entretenait avec lui dans le paradis comme un père avec son enfant. Cette supposition s’accorderait bien avec le caractère simple et sobre du récit. On a objecté qu’Adam, au premier moment de son existence, était trop peu développé pour se poser des questions de ce genre. Nous ne sommes pas en état d’en juger. Quoi qu’il en soit, si l’on nie que Dieu se soit révélé à Adam, il faut nier la réalité du commandement qui a été l’occasion de la chute, ainsi que celle des sentences prononcées à la suite de la désobéissance.
Du reste, lorsque plus tard Dieu se communique à Noé et à Abraham, c’est comme un être déjà connu, ce qui suppose une révélation antérieure et primitive. Si l’on croit qu’une telle révélation ne pouvait répondre qu’aux besoins d’une humanité déjà plus développée rien n’empêche de penser que l’un des patriarches entre Adam et le déluge aurait été jugé digne d’une pareille communication, celui en particulier qui vécut avec Dieu dans une intime communion et qui fut élevé de cette vie dans celle du ciel sans passer par la mort.
Cette révélation, accordée soit à Adam, soit à l’un des patriarches antérieurs au déluge, aura été transmise par les fils de Noé à tous les peuples, chez qui elle s’est conservée partiellement, mais troublée par l’influence du polythéisme.
Telle serait l’origine des éléments de vérité qui se rencontrent dans les récits que nous avons cités. Cette tradition, conservée oralement dans la famille de Sem et d’Abraham, aura pu se charger, en passant de bouche en bouche, d’éléments humains, quoique dans une moindre mesure que chez les peuples polythéistes et Dieu, au moment où il accordait à Moïse la grande révélation du Sinaï, qui devait servir de base à l’histoire de son peuple, lui aura rendu la connaissance de l’œuvre créatrice dans sa pureté. Peut-être aura-t-il employé pour cela le mode de la vision prophétique, qui peut s’appliquer au passé comme à l’avenir.
Une révélation de ce genre se comprend mieux en effet sous la forme de tableaux successifs que sous celle d’une inspiration purement spirituelle. S’il en est ainsi, ce serait Moïse qui le premier aurait mis ce récit par écrit. Dans tous les cas, ce chapitre a un caractère tout spécial et l’on peut aisément penser qu’il existait comme document particulier avant d’être placé en tête d’une histoire plus générale.
Le morceau dont nous abordons maintenant l’étude est l’un des plus importants de l’Écriture sainte. De la manière dont nous le comprenons résulte pour une grande part l’idée que nous nous faisons de plusieurs des points qui sont à la base de la doctrine chrétienne, l’origine et la nature du péché, le degré de sa culpabilité et la rédemption qu’il nécessite.
Bon nombre de philosophes et même de théologiens ont prétendu que le tableau de l’état primitif de l’humanité, tel qu’il ressort de notre récit, est incompatible avec les faits et les lois de l’histoire ; ils n’y ont vu qu’un mythe analogue à ceux des autres peuples anciens, un essai tout humain d’expliquer l’introduction dans le monde du mal physique et moral. Selon eux, le développement de l’humanité suit une marche constamment ascendante de l’état d’animalité au degré le plus élevé de la religion et de la civilisation et ce que la Bible présente comme une chute ne peut avoir été qu’un progrès. Nous aurons à examiner si les faits confirment cette théorie et si l’état barbare et fétichiste des peuples sauvages, que l’on identifie avec l’état primitif de l’humanité, n’est pas réellement, comme le fait comprendre l’Écriture, le résultat d’une décadence, de la perte d’un état primitif tel que celui que décrit le récit que nous allons étudier.
Avec ce morceau nous entrons dans le domaine de la tradition ; car l’homme est dès ce moment témoin et acteur d’une partie des faits racontés. L’histoire commence et se superpose à la nature, maintenant achevée ; voilà pourquoi le récit de la création de l’homme est repris à nouveau.
Au chapitre 1, l’homme avait été considéré comme appartenant à l’ensemble de la nature dont il forme le couronnement ; ici il apparaît comme sujet de l’histoire, dans laquelle sa propre activité se combine incessamment avec l’action divine. Aussi le fait de sa création n’avait-il été raconté que sommairement au chapitre 1, tandis qu’il est maintenant repris en détail, soit quant à la formation de l’homme lui-même, soit quant à celle de la femme ; car c’est de cette distinction des sexes que dépend le développement de la race et par conséquent celui de l’histoire.
Tout semble prouver que le récit qui va suivre a été emprunté à une autre source que le précédent ; le terme d’Elohim pour désigner Dieu fait place à celui de Jéhova (sur l’expression Jéhova-Elohim, voir précédemment) ; le récit prend un caractère moins solennel et plus simplement narratif et les mêmes idées sont exprimées par d’autres expressions et d’autres tournures de phrase.
On peut donc se demander si son contenu n’est point parallèle à celui du chapitre 1, en d’autres termes si nous n’avons pas ici un second récit du fait de la création. S’il en était ainsi, il faudrait reconnaître une contradiction flagrante entre les deux narrations : là, une création graduée qui va des plantes aux animaux et des animaux à l’homme ; ici, absence totale de plantes avant l’homme et la création des végétaux et des animaux succédant à celle de l’homme. Mais si c’est bien là le sens de ces deux récits, comment s’expliquer le procédé du rédacteur de la Genèse, qui les reproduit successivement tous les deux malgré cette contradiction qu’il ne pouvait manquer de discerner aussi bien que nous ?
Si nous ne voulons pas faire une injure gratuite à son intelligence, nous devons supposer qu’il entrevoyait une solution de cette contradiction apparente et nous ne serons que justes en la cherchant.
Elle ne nous parait pas si difficile à trouver : le chapitre 1 avait en vue le monde dans son ensemble ; le chapitre 2 s’occupe spécialement de l’homme et nous place par conséquent dans la contrée particulière où il habita dès le commencement et où se trouvait le jardin appelé paradis. Il nous fait connaître l’état des choses tel qu’il existait au moment et dans le lieu où l’homme ouvrit pour la première fois les yeux à la lumière : c’était une contrée privée de végétation, avec un ciel sans nuages et sans pluie ; seulement une vapeur répandue sur la terre humectait le sol. Le paradis seul, un jardin rempli d’arbres et arrosé par un fleuve, faisait exception.
Tel fut le milieu dans lequel l’homme arriva à l’existence et prit connaissance de lui-même et du monde. C’est le souvenir qu’il a transmis à ses descendants par une tradition dont nous avons ici la rédaction.
S’il en est ainsi, ce récit nous place au sixième jour du chapitre 1, immédiatement avant la création de l’homme ; et nous devons supposer que le document d’où il a été tiré possédait aussi un récit de la création parallèle à celui du chapitre 1, mais que le rédacteur de la Genèse aura supprimé pour ne pas faire double emploi, tout en rappelant dans ce qui suit quelques traits.
Il est bien évident, en effet, que la narration ne pouvait commencer dans ce récit par notre verset 5. Pour la création des animaux, voir au verset 19.
Il résulte de notre explication du verset 4 que le verset 5 commence une phrase nouvelle.
Aucun arbrisseau des champs. Le mot hébreu siach signifie arbrisseau et non plante, comme on l’a quelquefois traduit. Comparez Genèse 21.15 ; Job 30.4 et Job 30.7.
Aucune herbe des champs : légumes, céréales ; le mot hébreu (ésev) est le même qui est employé au chapitre 1. Le récit n’exclut pas le gazon, la verdure du sol (désché), mais seulement les plantes pour lesquelles la main de l’homme est nécessaire et les arbres.
Cette stérilité avait deux causes : le manque de pluie d’une part (l’Éternel Dieu n’avait pas fait pleuvoir) et de l’autre l’absence du travail humain (il n’y avait pas d’homme… ).
On ne comprend bien la liaison de ces deux causes, en apparence complètement hétérogènes, que si l’on rapporte la seconde à l’absence de canaux d’irrigation que l’homme seul peut établir et qui sont indispensables pour remplacer la pluie dans un pays très chaud et habituellement privé de l’eau du ciel. Que serait, par exemple, l’Égypte, le pays le plus fertile du monde, si l’homme n’était pas là pour suppléer par la canalisation du Nil à l’absence complète de pluie ? Son sol deviendrait nu comme celui de la contrée dans laquelle était situé le paradis.
Une vapeur montait. Plusieurs interprètes ont fait dépendre encore cette proposition de la négation renfermée dans la proposition précédente et ont traduit : Une vapeur ne montait pas, trouvant ainsi dans ces mots une nouvelle cause de stérilité. Mais comme chacune des deux propositions précédentes a sa négation spéciale, il nous paraît qu’il devrait en être de même de la troisième, si elle était aussi négative.
Cette vapeur remplaçait jusqu’à un certain point la pluie et donnait déjà au sol une certaine fertilité. Nous n’avons pas le droit de conclure de ce passage qu’il n’ait pas plu jusqu’au déluge ; l’arc-en-ciel, donné pour signe après ce cataclysme, a pu exister auparavant sans que Dieu y ait encore attaché le sens qu’il donne alors à ce phénomène.
Notre récit lui-même suppose l’existence de la pluie en parlant d’un fleuve qui arrosait le paradis ; il devait tomber de l’eau dans la région de ses sources.
Dans ce passage, où il est parlé de la création de l’homme, non dans son rapport avec la nature, mais en vue de lui-même, le récit fait ressortir les traits constitutifs de son être. Il en distingue deux : le corps, poussière du sol et l’âme, souffle de Dieu.
Lors même que ces deux éléments de la nature humaine sont mentionnés successivement, en raison du caractère figuré de la narration il n’est point impossible d’admettre que les deux éléments, corporel et spirituel, ont pu être formés simultanément.
Dieu forma. Cette expression semblerait dire que Dieu a de ses mains formé le corps humain ; ce trait a évidemment aussi un caractère figuré ; la réalité cachée sous ces images est pour nous incompréhensible, comme tout ce qui tient aux actes créateurs.
Mais il faut remarquer la différence établie ici entre l’origine du corps de l’homme et celle du corps des animaux ; à l’égard de ceux-ci, Dieu disait : Que les eaux, l’air, la terre produisent ; ici il agit plus directement, il forme lui-même.
Poussière du sol. Malgré la différence signalée, il y a, au point de vue de la substance, homogénéité entre le corps de l’homme et celui des animaux.
Et il souffla. Les animaux sont aussi animés d’un souffle de vie, mais celui que possède l’homme émane de Dieu lui-même ; c’est là le caractère distinctif de l’âme humaine, qui explique l’expression du chapitre 1 : Il le fit à son image.
Dans ses narines. Image empruntée au fait que la respiration est le signe de la vie.
Un être animé. Ce terme, qui est le même que celui qui a été appliqué aux animaux (Genèse 1.20), est ordinairement traduit par âme vivante. C’est ainsi que l’ont rendu les LXX, d’après lesquels cite saint Paul 1 Corinthiens 15.45.
Il nous a paru que l’idée était mieux rendue par l’expression être animé. C’est l’origine divine de ce souffle de vie dont elle est animée, qui fait que l’âme humaine possède en elle un organe pour remonter à Dieu et communiquer avec lui, comme elle communique avec le monde extérieur par le corps. Cet organe supérieur de l’âme, en tant que distinct de celle-ci, se nomme l’esprit.
Sur l’origine, l’état primitif et l’unité du genre humain, voir l’appendice I, à la fin du chapitre.
La position du premier homme, dénué du secours de parents humains, rendait nécessaire l’existence d’un milieu approprié à sa faiblesse et à son inexpérience. Dieu y pourvoit en plantant un jardin propre à subvenir à ses premiers besoins.
Il en est du terme de planter comme de ceux de former, de souffler, qui expriment sous une forme figurée des actions divines incompréhensibles pour nous.
Un jardin. Le mot hébreu gan désigne un endroit entouré d’une clôture ; il se retrouve dans toutes les langues sémitiques pour désigner les jardins et le parc environnant un palais.
Les LXX l’ont traduit par un mot grec, paradeisos d’où est venu notre mot paradis ; ce mot est la reproduction du mot persan païri-daéza, qui signifie un lieu protégé par un rempart. Ce mot a passé dans la langue hébraïque postérieure sous la forme de pardés.
En Éden. La préposition en prouve qu’Éden désigne toute la contrée au sein de laquelle se trouvait le jardin. Comme nom commun, ce mot signifie délices. Est-ce ce nom commun qui, en raison de son sens, est devenu le nom propre du pays où était situé le paradis, ou bien est-ce le nom propre de ce pays, emprunté primitivement à une langue autre que l’hébreu, qui a pris dans celle-ci le sens de délices ?
On peut invoquer en faveur de cette seconde opinion le fait qu’il existe dans la langue assyro-babylonienne un mot tout semblable, édin ou édinou qui signifie plaine. Le nom d’Éden se retrouve ailleurs, mais avec d’autres voyelles. Comparez Ésaïe 37.12 ; Ézéchiel 27.23 ; Amos 1.5, notes.
À l’orient. On pourrait appliquer cette expression au rapport du jardin à la contrée d’Éden, dans la partie orientale de laquelle il aurait été situé mais il est plus naturel de l’expliquer par le point de vue du rédacteur, pour qui Éden et le jardin étaient situés bien loin à l’orient.
Remarquons que, tandis que la plupart des autres peuples anciens se prétendent autochtones et placent l’origine de la race humaine sur leur propre territoire, les Hébreux se représentent le siège primitif de l’humanité dans une contrée autre que celle qu’ils habitent. Ce fait nous prouve l’ancienneté et la pureté des traditions sur lesquelles repose notre récit.
Il mit là l’homme. Ces mots nous donnent l’idée de la sollicitude paternelle de Dieu envers l’homme, sa créature faible et privilégiée.
Dieu pourvoit aux besoins et même aux jouissances de l’homme encore enfant.
L’arbre de vie. On voit plus tard que c’était l’arbre dont les fruits devaient préserver l’homme de la dissolution à laquelle était naturellement exposé son corps formé de la poussière.
Est-ce là un simple symbole, destiné à représenter la puissance vivifiante de Dieu qui devait transformer le corps terrestre de l’homme en corps spirituel et immortel, ou bien devons-nous supposer que cette action vivifiante était réellement attachée à l’usage du fruit de cet arbre ? Voir à Genèse 3.22.
Au milieu du jardin. Cette position centrale paraît correspondre à l’importance de cet arbre.
La tradition de l’arbre de vie se retrouve chez tous les peuples de l’Orient. Chez les Hindous, il est situé au sommet d’une montagne et produit le soma, fruit dont se nourrissent les dieux et qui donne la vie aux hommes ; c’est comme un intermédiaire entre le ciel et la terre.
Les traditions iraniennes parlent de même d’un arbre dont les rameaux écrasés fournissent le breuvage qu’on offrait en libation aux dieux et que l’on identifiait avec le breuvage céleste de vie et d’immortalité.
Chez les Assyriens et les Babyloniens, l’image de cet arbre se rencontre très fréquemment ; il est probable que c’était primitivement un pin ou un cyprès ; tantôt il est représenté comme gardé par des génies protecteurs (figure 1) ; tantôt des prêtres se tiennent de chaque côté dans l’attitude de l’adoration ; quelquefois, comme sur le sceau du roi Sanchérib (figure 2), ce sont (probablement) le roi et la reine qui se tiennent de chaque côté de l’arbre, prêts à cueillir ses fruits.
Ce qui prouve son identité avec l’arbre de vie, c’est que ce symbole se trouve souvent représenté sur des tombeaux chaldéens.
L’arbre de la connaissance. Il ressort de Genèse 3.3 que cet arbre était voisin du précédent.
Il ne faudrait pas croire que son fruit fût un poison qui devait causer la mort ; car la connaissance du bien était attachée à cet arbre aussi bien que celle du mal, et, dans l’intuition du récit, la mort provient bien plutôt de la privation de l’arbre de vie.
Nous pensons donc que ce nom lui est donné en raison de l’effet qui devait nécessairement résulter de la défense faite à l’égard de son fruit. Si l’homme obéissait, il apprenait à connaître le bien par expérience et le mal par la vue du danger auquel il avait échappé, de même que du haut d’une cime on mesure la profondeur de l’abîme où l’on aurait pu tomber ; s’il désobéissait au contraire, il apprenait à connaître le mal par expérience et le bien comme un bonheur perdu, ainsi que du fond de l’abîme on mesure du regard la hauteur de la cime à laquelle on devait parvenir.
L’arbre de la connaissance ne se retrouve nulle part dans les traditions des peuples anciens, sauf peut-être dans une figure babylonienne qui représente un homme et une femme assis de chaque côté d’un arbre. Ils tendent la main vers ses fruits et un serpent se tient debout sur sa queue derrière la femme. Cependant ce peut n’être là que l’une des nombreuses représentations de l’arbre de vie ; et le serpent pourrait être l’emblème d’une divinité, comme le capricorne qui, sur le sceau de Sanchérib, se tient derrière la reine (figure 3).
Un fleuve sortait d’Éden. Comme il ne pleuvait pas sur la terre où était situé le jardin, une irrigation était nécessaire elle était due à un fleuve qui sortait d’Éden et entrait dans le jardin, pour lequel il était ce que le Nil est pour l’Égypte.
De là il se partageait et devenait… Le sens naturel de ces mots est que le fleuve, après avoir traversé le jardin, se divisait en quatre branches qui allaient arroser les contrées désignées ensuite.
Quatre fleuves, littéralement quatre têtes. Nous croyons que cette expression ne peut désigner que quatre branches dans lesquelles se partageait le fleuve principal. C’est dans ce sens qu’est appliqué le mot tête dans les inscriptions assyriennes, où le mot resch-nari (en hébreu, rosch-nahar, tête du fleuve) désigne le point où un canal se sépare du fleuve qui l’alimente.
On a essayé d’appliquer ce nom à quatre rivières ou affluents qui auraient formé le fleuve avant son entrée dans le paradis et d’entendre l’expression : sortait d’Éden, dans ce sens : sortait de la partie d’Éden située au-dessous du paradis pour entrer dans la mer. C’est faire violence aux termes du texte.
Pischon. Ce nom de fleuve, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, ni dans la Bible, ni chez les peuples anciens, est un mot hébreu signifiant : celui qui coule largement. L’expression : qui entoure le pays, peut signifier simplement : qui embrasse l’un de ses côtés. Comparez Deutéronome 11.4.
Havila. Ce nom, dont la signification étymologique est pays des sables ou des dunes, désigne proprement dans la Bible l’un des fils de Joktan, descendant de Sem (Genèse 10.29). Or, on sait que les Joktanides étaient l’une des trois grandes souches de la race arabe (Kéturiens, Ismaélites et Joktanides). C’est donc en Arabie qu’il faut chercher le pays habité par cette tribu.
Ce résultat est confirmé par Genèse 25.18 et 1 Samuel 15.17, textes d’après lesquels Havila ne peut guère être que la contrée de l’Arabie voisine du golfe Persique et de la Mésopotamie et à laquelle convient le sens étymologique de ce nom.
Il est aussi parlé Genèse 10.7 d’un Havila habité par des Cuschites, descendants de Cham. Comme les tribus cuschites mentionnées dans ce passage se trouvent presque toutes sur la côte arabique du golfe Persique, il est probable que les deux Havila ne sont qu’un seul et même pays où s’étaient mélangées les deux races.
L’or. L’article signifie que c’était de ce pays que les Israélites tiraient ordinairement leur or et cette circonstance confirme l’application du nom de Havila à la contrée d’Arabie voisine du golfe Persique et par conséquent du pays d’Ophir, d’où Salomon tirait ce métal.
Pour le rapprochement de Havila et d’Ophir, voir Genèse 10.29 et pour l’or d’Ophir, 1 Rois 9.28 ; 1 Rois 10.11 ; 1 Rois 22.49, etc.
L’or de cette terre-là est bon. On sait par plusieurs passages que l’or d’Ophir était préféré à tout autre : Job 28.16 ; Psaumes 45.10 ; Ésaïe 13.12.
Le bdellium. L’historien Josèphe entend par là une gomme résineuse, odoriférante et très précieuse, qui est appelée en grec bdolkos et qui se trouvait, d’après Pline, en Arabie, en Inde, en Médie et en Babylonie. C’est le sens aujourd’hui généralement admis.
Cependant comme, d’après Exode 16.14, la manne était de couleur blanche et que, Nombres 11.7 elle est comparée au bdellium qui, d’après Pline, doit avoir été de couleur brune, plusieurs savants ont pensé qu’il s’agissait plutôt des perles, qu’on pêche dans le golfe Persique.
Pierre de schoham. Pierre précieuse ; selon les uns le béryl, de couleur verte ; selon les autres, la pierre d’onyx, espèce d’agate présentant des couches de diverses couleurs. On a retrouvé dans les inscriptions assyriennes un mot analogue, samou ou samtou, qui désigne une pierre précieuse probablement d’un brun clair portée comme ornement par les rois.
C’était sur deux pierres de schoham posées sur les épaules du grand sacrificateur qu’étaient écrits les noms des douze tribus d’Israël.
Guihon. Ce nom, qui vient d’un mot hébreu signifiant jaillir, répond au nom arabe Dschaihoun, que les Arabes et les Persans appliquent à plusieurs fleuves, par exemple au Gange (Inde), à l’Oxus (Turkestan), au Pirame (Cilicie) ; les LXX l’appliquent au Nil dans la traduction de Jérémie 2.18. Une source près de Jérusalem portait aussi ce nom (1 Rois 1.33 ; 2 Chroniques 32.30).
La terre de Cusch. Ce nom s’applique le plus ordinairement dans l’Ancien Testament à l’Abyssinie et à la Nubie, que traverse le Nil avant de descendre en Égypte. Mais il parait qu’originairement le peuple des Cuschites habitait les contrées au nord du golfe Persique.
Nous avons déjà rappelé le fait que les noms de la plupart des fils de Cusch mentionnés Genèse 10.7 se retrouvent sur la côte arabique de ce golfe. Nous savons également que Nemrod, le fondateur de l’empire babylonien, était fils de Cusch (Genèse 10.8).
Ces données scripturaires sont confirmées par les inscriptions babyloniennes, qui donnent le nom de Caschou à l’une des tribus primitives de la Babylonie et finissent par l’étendre à toute la population. C’est bien probablement de ce nom qu’est venu le mot hébreu Casdim (Chaldéens) qui désigne les habitants de la Mésopotamie méridionale.
Hiddékel. Ce nom est le même que le nom assyrien Diglat ou Hidiglat (flèche), qui dans cette langue désigne le Tigre. Il est ainsi nommé à cause de la rapidité de son cours. Ce fleuve est encore mentionné Daniel 10.4. Il prend sa source dans les montagnes d’Arménie, traverse du nord au sud la Mésopotamie septentrionale, se rapproche beaucoup de l’Euphrate au-dessus de Babylone et enfin se confond avec lui peu avant son embouchure dans le golfe Persique ; leur cours commun jusqu’à la mer se nomme Schat-el-Arab.
À l’orient d’Assur. Il semble au premier abord que cette détermination n’est pas exacte, puisque l’Assyrie s’étendait sur les deux rives du Tigre. Mais il est probable que primitivement le pays qui portait ce nom ne s’étendait pas au-delà du Tigre, car la ville d’Assur, l’ancienne capitale, était située sur la rive occidentale du fleuve.
L’Euphrate le plus grand fleuve de l’Asie occidentale, venant, comme le Tigre, de l’Arménie ; il arrose toute la Mésopotamie et se jette, réuni au Tigre, dans le golfe Persique. Son nom est en hébreu Phrath ; en assyrien-babylonien Purat, c’est-à-dire le fleuve ; en persan Ufratu ; de là est venu notre mot Euphrate. Aucun détail n’est donné sur ce dernier fleuve, parce qu’il était suffisamment connu des Hébreux.
Sur la situation du paradis, voir l’appendice II, à la fin du chapitre.
Ce verset se rattache directement au verset 8, dont il développe les derniers mots
L’Éternel Dieu prit l’homme. C’est ici à proprement parler le commencement de l’histoire de l’humanité.
Pour le cultiver. Dès l’abord l’homme est appelé au travail, car le travail est la condition de tout développement et Dieu veut pour l’homme le progrès. Mais ce travail ne devait rien avoir de servile ; c’était celui du jardinier au milieu de ses plantations.
Pour le garder. On a pensé que cela signifiait : pour le préserver des bêtes féroces ; mais quelle arme Adam aurait-il eue contre elles et comment aurait-il gardé le jardin de tous les côtés à la fois ? Il s’agit donc de le garder contre un ennemi d’une toute autre nature, qui aspire à s’en rendre maître et qui ne tardera pas à paraître.
Cette première tâche d’Adam, qui ne se rapportait qu’au jardin, laisse entrevoir celle de l’humanité à l’égard de la terre entière ; faire du monde un Éden et de cet Éden le théâtre du règne de Dieu, voilà la tâche qu’Adam était appelé à inaugurer.
Cet ordre. Ce terme est en relation intime avec la tâche de garder le jardin que Dieu vient de donner à l’homme : à la séduction dont il sera bientôt l’objet, il devra opposer, comme un bouclier, l’ordre divin.
Tu mangeras librement. Nous traduisons ainsi la forme hébraïque qui consiste dans le redoublement de la notion verbale.
Dans le premier récit (Genèse 1.29), Dieu avait déjà assigné à l’homme comme nourriture les légumes, les céréales et les fruits de tous les arbres. S’il répète ici l’autorisation de manger les fruits des arbres, c’est pour préparer la restriction renfermée dans les mots suivants.
Le but de cette parole n’est donc pas d’indiquer à l’homme tout ce qui pourra servir a sa nourriture et c’est à tort qu’on y a vu une contradiction avec Genèse 1.29.
Tu n’en mangeras pas. Cette défense est le premier acte de l’éducation morale de l’humanité. Si l’homme eût été laissé à son instinct comme les animaux, il fût devenu comme eux l’esclave du penchant. Sa volonté ne pouvait être affranchie de la domination des appétits sensuels que par un ordre qui le forçât à se replier sur lui-même et à dominer l’inclination naturelle. C’était donc à la domination de lui-même, c’est-à-dire à la véritable liberté, que Dieu voulait commencer à l’élever en lui intimant cette défense.
Remarquons la nature élémentaire et en quelque sorte enfantine de ce premier commandement ; il était parfaitement approprié à l’état de l’homme en ce moment de son existence. Chacun ne se souvient-il pas que sa première tentation et peut-être son premier péché comme enfant, se sont produits a l’occasion d’une jouissance de cette nature ?
Tu mourras certainement. Sur ce mot certainement, même observation que sur le librement du verset 16 : il y a simplement en hébreu le redoublement de la forme verbale.
L’homme n’avait pas été créé immortel (Genèse 3.19), mais il aurait dû être préservé de la mort par la jouissance des fruits de l’arbre de vie ; il eût par là obtenu la transmutation de son corps terrestre en corps glorifié.
Au lieu de cela, le péché le séparera de Dieu et de ses moyens de grâce et il tombera sous la puissance de dissolution inhérente à sa nature terrienne.
Au jour où. Ce procédé de dissolution commencera au jour même où le péché aura séparé l’homme de son Dieu. Sa vie ne sera plus que celle d’un mourant.
La création de la femme avait été indiquée en Genèse 1.7 par une expression sommaire. Elle est racontée maintenant dans tous ses détails et placée au moment précis où elle a eu lieu.
L’Éternel Dieu dit. Comme la création de la femme est l’achèvement de celle de l’homme, elle est précédée, de même que celle-ci, d’une délibération en Dieu. C’est ici le seul Et Dieu dit, de ce chapitre ; il rappelle les : Et Dieu dit, du chapitre 1.
Il n’est pas bon. Dieu attend, pour donner à l’homme sa compagne, qu’il ait vécu seul un certain temps, sans doute parce que ce don doit répondre à un besoin que le sentiment de la solitude aura fait naître chez lui.
Ainsi l’on peut s’expliquer qu’il arrive un moment où l’état primitif de l’homme, qui avait été déclaré très bon (Genèse 1.31), ne l’est plus absolument. Ce qui était bon pour l’enfant peut ne l’être plus pour le jeune homme.
Plus tard, lorsque le don de Christ aura répondu plus complètement encore aux besoins du cœur de l’homme, saint Paul pourra dire : Il est bon à l’homme d’être seul (1 Corinthiens 7.26).
Je lui ferai une aide. Dieu ne corrige pas son œuvre il la complète au moment où le réclame la loi du progrès qui la domine dès le commencement. Adam a maintenant besoin d’une aide pour sa tâche ; elle lui est donnée.
C’est de ce mot que Paul a tiré cette expression : La femme est la gloire de l’homme. La gloire d’un être est d’être aimé ; il n’y a pas pour l’homme de gloire comparable à celle d’avoir reçu pour compagne et aide dévouée un être aussi parfait que la femme.
Qui soit sa pareille. Littéralement son vis-à-vis, son pendant, un second lui-même.
La mention de la création des animaux est en relation évidente avec le récit de la création de la femme, qu’elle prépare. Le rédacteur ne peut avoir voulu dire que Dieu a créé les animaux après l’homme, car il se mettrait en contradiction flagrante avec le chapitre 1, qu’il a posé à la base de tout son récit.
Comme nous constatons par ce qui précède et par tout ce qui suit que, pour éviter les répétitions, il supprime fréquemment certaines parties de ses documents, nous pouvons admettre qu’il ne relève la création des animaux qu’en vue du récit qui va suivre et que par conséquent elle n’est pas nécessairement ici à sa place chronologique.
Ce qui confirme cette idée, c’est qu’il ne parle pas de tous les animaux, mais seulement de ceux qui joueront un rôle dans le fait suivant, à savoir ceux des champs et des airs.
Nous devons donc admettre que dans sa pensée et rien n’est plus conforme au mode de narration sémitique, le sens du verset 19 est celui-ci : Et tous les animaux des champs… que l’Éternel Dieu avait formés, il les fit venir vers l’homme.
Les fit venir vers l’homme. Il ne ressort pas de ces mots qu’ils habitassent dans le paradis et leur nom d’animaux des champs ne permet même pas de le supposer. Dieu pouvait les faire venir de la contrée environnante.
Pour voir comment il les appellerait. Le but de Dieu en faisant passer devant Adam les animaux était d’éveiller en lui le sentiment de son isolement, afin que l’aide qui allait lui être accordée, commençât par être l’objet de son désir.
En voyant passer devant lui tous ces êtres aux formes diverses, aux allures variées, il devait exprimer par un nom la nature de chacun d’eux et par là les caractériser comme étrangers à sa propre nature ; le résultat de cet examen devait donc être la conscience de son isolement complet au milieu du monde animal.
On a cru souvent, que ce moment était celui de l’origine du langage. Mais ce ne peut être là le sens de ce récit, intercalé, comme il l’est, dans celui de la création de la femme ; puis il semble bien que l’auteur se représente l’homme comme initié au langage des les premiers moments de son apparition sur la terre ; comparez versets 16 et 17.
Ce fût son nom. C’est ici comme un acte de souveraineté qu’exerce Adam : le nom donné demeurera et chaque animal sera d’une manière permanente pour l’homme ce qu’exprime son nom, tout comme le jour et la nuit, les cieux, la terre et la mer devaient demeurer tels que Dieu les avait établis en leur donnant un nom.
Les bestiaux. Il est singulier que le bétail les animaux domestiques, omis au verset 19, soit nommé ici et en première ligne. Cela se comprend si l’on admet que ces animaux étaient déjà les plus rapprochés de l’homme et habitaient avec lui dans le paradis c’est pourquoi ils ne peuvent être rangés parmi les animaux des champs.
Les oiseaux, qui partagent jusqu’à un certain point ce privilège, sont nommés immédiatement après ; enfin viennent en troisième ligne les bêtes sauvages que Dieu fait venir du dehors.
Il ne trouva pour l’homme ; littéralement pour un homme, c’est-à-dire pour un être tel que l’homme ; Adam ne trouva aucun être propre à former le complément de son existence. Dans sa simplicité cette parole est une expression sublime de la supériorité et de la grandeur de l’homme.
Cette lacune une fois constatée, Dieu la comble.
Un profond assoupissement. Cet état n’était pas naturel le mot thardéma, proprement torpeur, n’est appliqué qu’à un assoupissement très profond et qui a quelque chose d’exceptionnel.
Il prit une de ses côtes, littéralement un de ses côtés, un germe de vie renfermé dans l’homme lui-même. Ainsi que l’homme, la femme est le produit d’un acte spécial de Dieu mais comme ce n’est pas une nouvelle catégorie d’êtres qui apparaît, elle est tirée non du sol, comme l’homme et les animaux, mais de l’organisme humain déjà constitué.
Un naturaliste éminent a rapproché ce fait du phénomène de force évolutive que l’on observe dans certains organismes, tels que les méduses, qui, après une phase d’inconscience et d’immobilité, se métamorphosent et arrivent à la différenciation des sexes. Mais ne vaut-il pas mieux avouer franchement notre ignorance sur un fait qui participe au mystère de la création elle-même ?
Nous nous bornerons à reconnaître la divine pensée renfermée dans ce récit, celle de l’intime connexion morale créée entre l’homme et la femme par ce mode d’origine de la seconde. Rappelons ici que l’Arabe appelle son intime ami, son côté.
Mais en même temps que la communauté de vie entre l’homme et la femme est ainsi fondée, ce mode d’origine établit aussi la dépendance de la femme à l’égard de l’homme, comme saint Paul le fait ressortir 1 Corinthiens 11.8 et 1 Timothée 2.13.
Forma une femme, littéralement bâtit en femme la côte qu’il avait prise.
L’amena vers l’homme. Il ne laisse pas à l’homme le soin de la chercher et de la trouver ; il la lui présente et la lui donne lui-même. C’est par cet acte divin que le mariage a été institué.
Adam reconnaît à l’instant l’être qui doit combler le vide que lui a fait sentir la vue des animaux passant devant lui par paires.
Celle-ci, en opposition à tous ces êtres inférieurs.
Cette fois. Ce mot exprime avec vivacité le contraste avec l’expérience qu’il vient de faire.
Os de mes os et chair de ma chair ; comme s’il voulait dire : Cette fois, un autre moi-même ! Il y a là un élan de surprise et de joie qui donne aussitôt naissance au parallélisme rythmique, caractère de la plus antique poésie.
L’émotion se trahit aussi par la triple répétition du mot celle-ci ; car la traduction littérale de la troisième proposition est : Elle a été prise de l’homme, celle-ci.
Celle-ci sera appelée femme : le mot hébreu est ischa, féminin de isch, l’homme. Pour rendre l’assonance de l’hébreu, il nous faudrait le mot hommesse.
Adam fait à l’égard de la femme ce que Dieu lui avait appris à faire à l’égard des animaux. Ce nom exprime l’impression qu’elle produit sur lui, celle d’un être à la fois un avec lui et dépendant de lui.
On ne peut conclure de ce fait que l’hébreu soit la langue primitive de l’homme car cette assonance peut être la reproduction d’une assonance semblable dans la langue primitive.
Il est difficile de croire que cette parole doive être attribuée à Adam, puisque les expressions de père et de mère supposent une expérience qu’il n’avait pas.
Matthieu 19.5 (d’après la traduction exacte), Jésus la met dans la bouche de Dieu même, sans doute en ce sens qu’il l’attribue à l’auteur inspiré du récit. Ce serait donc une réflexion ajoutée par ce dernier, comme il s’en trouve plusieurs dans le cours de là Genèse, adjonctions qui commencent ordinairement, comme celle-ci, par al-ken, c’est pour cela (Genèse 26.33 ; Genèse 32.32).
L’homme laissera… L’expérience a prouvé la sagesse de cette direction divine ; une nouvelle famille doit dès l’abord se détacher du tronc qui l’a portée pour devenir tronc à son tour.
Il s’attachera à sa femme. Le principe de la monogamie est implicitement renfermé dans cette parole. Comparez Matthieu 19.6. C’est ici la fondation de la famille sous sa forme normale.
Une seule chair. Comparez 1 Corinthiens 6.16 les conséquences que saint Paul tire de cette parole contre le crime de l’impureté.
Le sentiment de la pudeur n’est venu que plus tard comme effet du péché. Adam et Ève étaient encore comme des enfants.
1. Dans le passage que nous venons d’étudier est renfermée la conception biblique de l’origine de l’homme. Cette conception, nous l’avons vu, tient compte à la fois des traits par lesquels l’homme appartient au monde animal et de ceux qui l’en distinguent et font de l’humanité, comme on l’a dit, un règne à part.
Mais, d’après une opinion récemment enseignée et à laquelle adhèrent un grand nombre de savants, l’humanité procéderait sans intervention divine particulière de l’animalité qui l’a précédée, et cela, aussi bien quant à ses facultés intellectuelles et morales que quant à son corps. Nous ne pensons pas que cette manière de voir, opposée à la conception biblique réponde à l’ensemble des faits qui peuvent nous éclairer sur la question.
Il y a entre l’homme et l’animal toute une série de différences caractéristiques qui ne permettent pas d’envisager l’apparition de l’homme autrement que comme un commencement nouveau, le produit d’un acte créateur immédiat. Voici quelques-uns de ces traits.
L’homme est une personnalité consciente et disposant d’elle-même, tandis que l’animal n’agit que comme représentant de l’espèce a laquelle il appartient.
L’homme a l’intuition du bien et du mal et par cette conscience il devient responsable de ses actes ; l’animal ne connaît que la sensation agréable ou pénible et ne peut être envisagé comme moralement responsable.
L’homme parle ; l’animal n’a pas le langage, non que les organes lui manquent pour cela, mais parce qu’il n’a que des représentations individuelles et qu’il est incapable d’idées générales comme celles qu’exprime le langage.
L’homme progresse incessamment ; l’animal demeure stationnaire, enfermé qu’il est dans le cercle que lui trace l’instinct.
À ces différences intellectuelles et morales correspondent celles que l’on constate au point de vue physique ; la constitution du cerveau en particulier établit une distance incomparablement plus grande entre l’homme le plus inférieur et l’animal le plus élevé que celle qui sépare l’animal le plus élevé de ceux qui le suivent de plus près.
Les partisans de l’origine animale de l’homme pensent qu’il doit y avoir eu un être intermédiaire, dont l’existence aurait comblé cet intervalle immense. C’est là une pure hypothèse, qui n’est appuyée jusqu’ici par aucun fait.
Ou bien ils pensent qu’à l’origine l’homme était beaucoup plus rapproché de l’animalité qu’il ne l’est actuellement. Mais tous les faits constatés jusqu’ici réfutent cette manière de voir ; les crânes humains les plus anciens qu’on ait retrouvés dans les couches terrestres sont, de l’aveu même des partisans de la théorie que nous combattons, exactement semblables à ceux des hommes de nos jours.
Mais, dût même l’idée que l’homme descend de l’animalité être un jour démontrée par les faits, il n’en resterait pas moins vrai que c’est Dieu qui a, par tout le développement du règne animal, formé son corps et que, quant à son âme, terme de cette longue élaboration, elle se distingue d’une manière si profonde de celle des animaux même les plus rapprochés de lui que l’image biblique d’un esprit soufflé par Dieu dans ses narines doit en tout cas être l’expression symbolique d’un fait divin accompli à l’origine de la race humaine.
De même qu’il a fallu un acte créateur pour poser le commencement de la vie au sein de la matière, il en a fallu un nouveau pour poser l’esprit au sein de la matière animée.
2. L’Écriture pose comme un fait indubitable l’unité d’origine du genre humain. Dans notre chapitre, Dieu ne crée qu’un seul couple d’où la famille humaine tout entière doit procéder. Jésus dit : Ne savez-vous pas que Dieu fit au commencement un homme et une femme ? (Matthieu 19.4). Saint Paul déclare aux Athéniens que Dieu a fait naître d’un seul sang tout le genre humain (Actes 17.26).
Aujourd’hui, les savants sont disposés à reconnaître l’unité attestée par l’Écriture. Elle est confirmée en effet par des faits nombreux qui prouvent que les différences existant entre les hommes ne sont pas celles d’espèces diverses, mais celles de simples variétés. Tandis que les espèces animales différentes en s’unissant ne donnent naissance qu’à des produits stériles ou dont la fécondité ne dépasse pas deux ou trois générations, les races humaines, en se croisant, donnent naissance à des rejetons d’une fécondité permanente. Tous les hommes ont la même conformation du squelette ; la température moyenne du corps et la rapidité des battements du pouls est la même chez tous ; tous sont sujets aux mêmes accidents physiologiques et aux mêmes maladies ; le temps de la grossesse est le même chez toutes les races.
L’unité morale est plus évidente encore si possible ; les lois de la logique et celles de la conscience, ainsi que tout un ensemble de sentiments naturels, étendent leur pouvoir aussi loin que s’étend l’homme ; le travail intellectuel d’une partie de l’humanité réagit tôt ou tard sur la totalité de la race ; enfin l’influence du christianisme s’exerce également chez tous les peuples de la terre.
Ce n’est qu’à la condition de cette unité morale du genre humain que peut être proclamée la grande loi qui domine son existence : aimer son prochain comme soi-même.
3. Relativement à l’état primitif de l’homme, on a souvent exposé une théorie d’après laquelle l’homme aurait passé graduellement d’un état sauvage encore à demi brutal au degré le plus inférieur de la civilisation et se serait élevé progressivement de là à la hauteur à laquelle nous sommes aujourd’hui parvenus. Primitivement dénué de toute pensée religieuse et ne pratiquant aucun culte, il aurait à un degré plus avancé divinisé certains objets qui avaient pour lui une importance particulière : un arbre, une pierre, un fleuve, puis, à un degré supérieur encore, le feu, les astres, en particulier le soleil ; il en serait venu à se représenter les astres comme habités par des puissances divines en grand nombre ; enfin, par la contemplation de l’unité du ciel, il se serait élevé à la pensée d’un Dieu unique. Ainsi serait né graduellement, à travers les phases de l’athéisme, du fétichisme et du polythéisme, notre monothéisme actuel.
Si l’homme veut se mettre à créer l’histoire par un procédé d’imagination, il arrive assez naturellement à la conception que nous venons d’exposer ; mais s’il veut étudier les faits, ce qui est la seule méthode sûre pour arriver à la vérité, il sera conduit à un résultat tout opposé et reconnaîtra que le monothéisme doit avoir été le point de départ de l’humanité, que le polythéisme a été une première dégénérescence et que le fétichisme est une dégradation plus profonde encore et n’a plus au-dessous de lui que l’athéisme matérialiste qui s’empare de nos jours d’un très grand nombre d’individus.
On a étudié les religions de tous les peuples du monde et cette étude a conduit à constater le fait que toutes ont à leur origine une notion monothéiste qui sans doute se confond chez plusieurs d’entre elles avec la notion de l’unité du ciel visible. Le polythéisme qui a suivi n’a été que comme un fractionnement de cette unité primitive et le fétichisme que nous trouvons aujourd’hui aux plus bas degrés de la race humaine, n’est, d’après le témoignage des peuples eux-mêmes qui sont arrivés à ce point, que le reste de notions religieuses plus élevées que possédaient leurs ancêtres. Aussi n’a-t-on jamais vu un peuple fétichiste se relever par lui-même de cet état pour parvenir à une religion plus pure sans le secours des races plus avancées.
Mais, d’autre part, si l’histoire nous conduit à admettre que la connaissance religieuse primitive de l’humanité a surpassé, au point de vue de la pureté, celle des états subséquents, cela ne doit pas nous empêcher d’envisager cet état primitif comme un simple point de départ, d’où l’humanité devait sans tarder commencer à s’élever vers un terme beaucoup plus glorieux.
C’est précisément ce que nous fait comprendre le récit scripturaire en nous montrant le couple primitif dans un état d’enfance, d’innocente ignorance, mais aussi de communication directe avec l’Éternel qui était pour eux ce qu’un père et une mère sont pour leurs enfants et qui veillait à leur progrès intellectuel et moral, non moins qu’à la satisfaction de leurs besoins physiques.
Beaucoup d’interprètes n’attribuent à la notion du paradis qu’une valeur purement idéale. Ce jardin de Dieu, fertilisé par des eaux abondantes et produisant des fruits de toute espèce pour l’entretien de la vie humaine, serait l’emblème de la vie et des biens excellents que Dieu accordait à l’homme dans son état d’innocence primitive.
Mais l’auteur ne l’a certainement pas entendu ainsi ; autrement, à côté des deux noms de Pischon et de Guihon, qui pourraient à la rigueur passer pour symboliques, il n’aurait pas placé ceux de deux fleuves bien connus de ses lecteurs, le Tigre et l’Euphrate.
Et si nous admettons l’unité de la race humaine comme un fait constaté, il faut bien que le premier couple, d’où est provenue toute l’humanité, ait eu quelque part une habitation réelle, où il ait joui de la protection divine et trouvé facilement les moyens de satisfaire à ses besoins.
Où chercher ce berceau primitif de l’humanité ? On a répondu à cette question de bien des manières différentes. Nous nous bornerons à indiquer les principales solutions, celles qui prennent au sérieux les données géographiques du texte et s’attachent à en rendre compte.
Plusieurs interprètes modernes, suivant une opinion émise déjà par l’historien juif Josèphe, à la fin du premier siècle après Jésus-Christ, pensent que l’auteur du récit a voulu faire du paradis le lieu central du monde, d’où sortaient tous les grands fleuves qui arrosent la terre, telle qu’elle était connue de son temps.
Ainsi dans le Pischon ils voient l’un des deux grands fleuves de l’Inde, le Gange ou l’Indus : le pays de Havila désignerait dans ce cas non seulement le désert d’Arabie, mais encore toutes les contrées situées du côté de l’est, jusqu’à l’Inde elle-même. Cette supposition est, prétend-on, confirmée par le fait que c’était probablement de l’Inde que provenaient l’or et les pierres précieuses que les israélites tiraient d’Ophir par leur commerce.
Le Guihon serait le grand fleuve qui arrose l’Afrique, comme le Pischon l’Asie orientale, c’est-à-dire le Nil, que l’on se serait représenté provenant du centre de l’Asie, traversant l’Arabie, puis arrivant en Abyssinie (la terre de Cusch) pour se diriger de là vers le nord et descendre à travers l’Égypte dans la Méditerranée. L’idée que les sources du Nil pourraient se trouver en Asie parait avoir traversé l’esprit d’Alexandre quand, arrivant à l’un des affluents de l’Indus, il vit dans ses eaux des crocodiles et sur ses bords une plante égyptienne ; mais il se convainquit immédiatement de l’impossibilité de ce rapprochement.
Les deux derniers fleuves ne peuvent être, comme nous l’avons vu, que le Tigre et l’Euphrate. D’après cela, le paradis aurait été situé sur un plateau quelconque de l’Asie centrale où se serait trouvée, dans l’imagination des peuples antiques, la source commune des quatre fleuves indiqués.
Mais l’idée d’un jardin qui aurait été arrosé simultanément par les grands fleuves de l’Asie et de l’Afrique est tellement fantastique qu’il est impossible de l’attribuer à l’auteur de la Genèse, dont les connaissances en ethnographie et en géographie sont constatées, comme nous le verrons, par le chapitre 10.
Puis il est impossible d’admettre que l’auteur de notre récit ait étendu le nom de Havila aux contrées de l’Inde, car s’il avait connaissance de ce pays et des fleuves qui l’arrosent, il devait savoir aussi que toute une mer le séparait de la côte orientale de l’Arabie.
Enfin, pour ce qui concerne le Nil, on ne peut attribuer une pareille ignorance à notre auteur, qui écrivait sans doute après le séjour du peuple d’Israël en Égypte. Comment donc supposer qu’il n’ait pas connu la mer Rouge et le détroit qui sépare l’Afrique de l’Arabie et qu’il se soit imaginé que le Nil, qu’il savait couler du sud au nord, avait ses sources dans la même région que l’Euphrate, qui venait du nord ?
Du reste les cours du Tigre et de l’Euphrate sont beaucoup trop rapprochés l’un de l’autre en proportion de l’éloignement immense qui séparerait les deux autres fleuves.
Pour peu qu’on admette la réalité historique du récit, on est obligé de chercher l’emplacement du paradis dans la région des deux fleuves connus, le Tigre et l’Euphrate. Plusieurs croient le trouver dans la contrée où ils prennent leurs sources, sur le plateau arménien, non loin de la ville actuelle d’Erzeroum.
La source orientale de l’Euphrate et la source occidentale du Tigre sont très rapprochées (environ deux mille pas) et dans la même contrée naissent deux autres fleuves, le Kour et l’Araxe, qui coulent vers le nord, puis à l’est et qui se réunissent avant de se jeter dans la mer Caspienne ; ce sont ces derniers fleuves qui dans notre récit porteraient les noms de Pischon et de Guihon.
Le pays de Havila, arrosé par le Pischon (Kour), serait la Colchide des Grecs, dont la frontière orientale était voisine de ce fleuve ; l’on sait que cette contrée était célèbre par l’or qu’on venait y chercher de loin.
Quant au pays de Cusch, ce serait la contrée nommée par les Grecs Cossaia, sur le versant nord du plateau d’Arménie.
D’autres partisans de cette explication voient dans le Pischon le Phasis des anciens, qui, après avoir arrosé la Colchide se jette dans la mer Noire.
Mais plusieurs objections décisives s’élèvent contre cette hypothèse. Malgré leur proximité, les sources de ces fleuves sont distinctes et séparées par des montagnes assez élevées. tandis que, d’après le récit biblique, ils devraient provenir d’un seul fleuve divisé en quatre bras.
On répond et c’était déjà la pensée de Luther, que le déluge a pu changer la configuration de cette contrée. Mais l’auteur ne parle pas d’un passé qui n’existe plus ; il a évidemment la prétention de décrire en ce point ce qui existe encore. Il s’exprime de manière à faire comprendre que dans le temps même où il écrit on va chercher à Havila l’or, le bdellium et la pierre de schoham.
Puis, si la contrée du paradis était privée de pluie, comme le dit le récit, elle ne saurait être l’Arménie d’où sortaient ces immenses cours d’eau.
En troisième lieu, l’identification du Pischon et du Guihon avec le Kour et l’Araxe, puis des pays de Havila et de Cusch avec la Colchide et le pays des Cosséens, est très arbitraire. Havila et Cusch en particulier sont des noms trop usités dans l’Ancien Testament pour qu’il soit possible de les appliquer à des contrées aussi éloignées et aussi peu connues des Hébreux.
Quant au Phasis, il n’est pas possible d’y penser, puisqu’il prend sa source dans le Caucase. Enfin pour les Hébreux l’Arménie était au septentrion et non pas à l’orient.
Une autre opinion essaie de placer le paradis près de l’embouchure des deux fleuves mésopotamiens dans le golfe Persique. Calvin et plusieurs savants après lui ont vu dans le fleuve unique le Schat-el-Arab et dans les quatre bras (têtes) l’Euphrate et le Tigre, qui se réunissent pour le former et deux embouchures par lesquelles il se déverse dans le golfe Persique.
Cette manière de voir a été modifiée par un savant moderne (Histoire et géographie des temps primitifs, par Pressel), qui a supposé que l’expression raschim désignait les quatre affluents du Schat-el-Arah. L’auteur, dans sa description, remonterait le cours du fleuve, au lieu de le descendre. En montant le Schat-el-Arab, après avoir traversé l’endroit où était le paradis, on arriverait successivement aux quatre fleuves qui contribuent à le former : l’Euphrate, le Tigre et deux affluents venant des montagnes d’Elam, à l’est, le Kerkha (Ulaï des anciens) et le Kuran. Peut-être vaudrait-il mieux supposer, dans cette hypothèse, que les deux derniers étaient l’Ulaï venant de l’est et un affluent de l’Euphrate venant de l’Arabie centrale dont le lit desséché a été retrouvé depuis peu.
Mais les terrains d’alluvions que traverse le Schat-el-Arab sont de formation assez récente et jusqu’au temps d’Alexandre le Grand les quatre fleuves avaient encore des embouchures distinctes. Puis le caractère marécageux de ces plaines ne convient guère à l’idée que nous nous faisons du paradis. Enfin il est bien difficile de concilier cette opinion avec le texte biblique, qui suit évidemment le cours du fleuve en le descendant, non en le remontant.
Une autre hypothèse beaucoup plus probable a été récemment présentée et développée par M. Friedrich Delitzsch, dans son ouvrage : Wo lag das Paradies (Où était situé le paradis ?) Ce ne serait pas à la source des deux fleuves, ni à leur embouchure, mais dans leur cours moyen qu’il faudrait placer le paradis. Vers le milieu de la grande plaine qu’ils arrosent du nord-ouest au sud-est, ils se rapprochent à tel point qu’il ne reste plus entre eux qu’un espace de sept à huit lieues.
C’est là qu’est aujourd’hui la ville de Bagdad. Un peu au-dessous se trouvait Babylone. Le pays qui s’étend depuis cette espèce d’isthme jusqu’au sud de Babylone, porte dans les inscriptions assyriennes le nom de Kardounias, jardin du dieu des pays. Les anciens nous en ont laissé des descriptions ravissantes. Des forêts de palmiers bordaient le cours des deux fleuves et les accompagnaient jusqu’à la mer ; le blé y rapportait trois cents pour un ; la vigne et les arbres à fruits de toute nature y foisonnaient.
Un fait digne de remarque, c’est que le nom le plus ancien de Babylone, Tintira, signifie bosquet de la vie. Cette fertilité exceptionnelle était due à tout un système d’irrigation provenant de l’Euphrate, car en cet endroit le lit de ce fleuve est plus élevé que celui du Tigre. Ce serait là qu’aurait été situé le jardin ; et la contrée tout entière (haute et basse Mésopotamie) aurait porté le nom d’Edin, qui en assyrien signifie plaine. Les Hébreux l’auraient changé en Éden, mot qui dans leur langue signifiait délices.
L’Euphrate serait donc le fleuve sortant d’Éden pour arroser le jardin. Quant aux quatre bras, il faudrait les envisager comme étant quatre branches de l’Euphrate lui-même qui se serait divisé en ce point-là, de même que le Nil au commencement du Delta. Le bras le plus considérable est la continuation naturelle du fleuve principal et garde le nom d’Euphrate. D’entre les trois autres deux seraient les principaux d’entre les nombreux canaux provenant de l’Euphrate dont on trouve des traces dans toute la contrée.
L’un était appelé par les anciens Pallakopas ; il se détachait de l’Euphrate sur sa rive droite (occidentale), un peu au-dessus de Babylone ; il longeait le désert d’Arabie, l’ancienne Havila et allait se jeter dans le golfe Persique à l’ouest de l’embouchure du Schat-el-Arab. Il est très vraisemblable que ce canal, qui avait les dimensions d’un fleuve navigable, n’a pas été creusé de main d’homme, mais que c’est un bras naturel de l’Euphrate, qui servait à régler l’élévation des eaux de ce fleuve et à mettre ce pays de plaine à l’abri des inondations.
Par sa position, ce cours d’eau répond donc de tous points au Pischon du texte biblique. Il est à remarquer que le nom hébreu Pischon a une grande analogie avec le mot babylonien pisanou, qui désigne dans les inscriptions un réservoir d’eau et de là un canal. Il serait possible que, de même que le fleuve principal de la Babylonie s’appelait le fleuve (Purat), le canal principal fût nommé tout court le canal (Pisanou).
L’autre canal, qui se détachait de l’Euphrate sur la rive gauche (orientale) et qui devait aussi être un bras naturel de ce fleuve, a reçu des Arabes le nom de Schat-en-Nil. Il arrosait toute la Mésopotamie inférieure (l’ancien Cusch asiatique) et rejoignait l’Euphrate un peu au-dessus des son embouchure. Ce canal aujourd’hui comblé ne peut être que celui qu’on trouve plusieurs fois mentionné dans les inscriptions à côté de l’Euphrate et du Tigre sous le nom de Gouhandi ou Gouhâna, le même mot que l’hébreu Guihon. En effet, la contrée désignée dans les inscriptions comme bassin de ce bras de l’Euphrate est la même que celle que traverse le Schat-en-Nil.
Quant au Tigre, il peut paraître étonnant qu’il soit indiqué comme un bras de l’Euphrate. Mais à un certain point de vue il l’est bien réellement, car il reçoit par des canaux une partie des eaux de l’Euphrate dont le lit, comme nous l’avons vu, est plus élevé que celui du Tigre dans cette région. Depuis ce point le Tigre peut donc être envisagé comme un cours d’eau provenant de l’Euphrate et le Tigre supérieur comme un affluent de ce Tigre inférieur.
Ajoutons que, il y quelques années, un savant de Prague a cru pouvoir affirmer, en se basant sur des mesures trigonométriques faites sur les lieux, que, dans les temps préhistoriques, l’Euphrate et le Tigre devaient se réunir et former un seul fleuve au-dessus de Bagdad, pour se séparer de nouveau plus bas. Si cette supposition est un jour prouvée, elle rendra plus simple encore la solution du problème.