Verset à verset Double colonne
Cette histoire commence au moment où Jacob, rentré en Canaan avec sa famille, se trouve, par le fait du départ de son frère, seul représentant de la famille d’Abraham dans la Terre promise (Genèse 37.1). À ce moment, un grave danger menace la famille patriarcale. Les fils de Jacob avaient probablement épousé des femmes cananéennes (cela est dit expressément de Juda, chapitre 38) et avaient subi l’influence du milieu païen et à demi barbare dans lequel ils vivaient. Les rapports de Siméon et Lévi avec les Sichémites (chapitre 34) et surtout l’histoire de Juda et de Thamar (chapitre 38) en sont des preuves évidentes. Ainsi donc la famille élue est près de se fondre avec l’humanité païenne.
Dieu remédie à cet état de choses en la transportant en Égypte, au milieu d’un peuple qui ne s’amalgamait pas, comme les Cananéens, avec les étrangers et avait en particulier horreur des bergers. Ils pourront donc vivre là en dehors de toute influence étrangère. C’est vers cette transplantation de la famille patriarcale en Égypte que tend toute l’histoire dont nous abordons maintenant l’étude. Elle est préparée au chapitre 37 par la vente de Joseph à Potiphar, qui devient le moyen dont Dieu se sert pour sauver la famille patriarcale ; aussi Joseph sera-t-il le personnage principal de toute cette histoire.
Cette portion de la Genèse se divise en deux sections :
Le récit revient à Jacob et à la ligne directe de l’histoire patriarcale.
Dans le pays où… On pourrait traduire aussi : dans la contrée : la partie du pays de Canaan où son père avait séjourné.
Voici la postérité de Jacob. Ces mots sont le titre de toute la dernière partie du livre, jusqu’au chapitre 50.
Jeune garçon. Les plus jeunes des fils de Léa se tenaient sans doute avec leurs aînés ; Joseph avait donc pour compagnons les fils des deux servantes, qui étaient plus rapprochés de son âge.
De mauvais rapports. Ce n’étaient pas les rapports qui étaient mauvais, mais les actes qu’ils racontaient. On a traduit aussi : les mauvais bruits qui couraient sur leur compte ; ou : les mauvais propos qu’ils tenaient.
Israël. Depuis la scène de la lutte avec l’ange, l’auteur emploie indifféremment les deux noms du patriarche.
C’était un fils de sa vieillesse. D’après le chapitre 30, Joseph était le contemporain des derniers des fils de Léa, ce qui fait que plusieurs ont entendu cette expression dans ce sens : un fils de prédilection, comme le sont les enfants qu’on a dans sa vieillesse.
Mais dans ce cas, la fin du verset ne serait qu’une répétition oiseuse du commencement. Il paraît donc plus naturel de l’entendre dans le sens de fils cadet, Benjamin étant encore trop jeune pour être mis sur le même rang que ses frères.
Robe longue. Robe descendant jusqu’à la cheville du pied et pourvue de manches. C’était un vêtement de luxe (comparez 2 Samuel 13.18). L’habit de travail était plus court et sans manches. La traduction ordinaire, robe bigarrée, repose sur une erreur des LXX et de la Vulgate.
En donnant à Joseph ce vêtement, Jacob le distinguait comme fils aîné de la femme préférée.
Il résulte de ce récit que la famille patriarcale, suivant l’exemple d’Isaac (Genèse 26.12), s’occupait aussi d’agriculture à côté de la vie nomade.
Il le raconta à ses frères. Joseph montre un grand empressement à rapporter à ses frères, puis à ses frères et à son père, ces songes qui devaient les humilier et les irriter. Il paraît céder ici à un mouvement de vanité ; c’est le seul trait défavorable que nous connaissions de l’histoire de Joseph et il devra l’expier durement.
Le soleil, la lune et onze étoiles. Toute la famille, père, mère, enfants. Et pourtant Rachel était morte depuis un certain temps (Genèse 35.19). Mais l’élément maternel était encore représenté par trois femmes dans la famille.
Son père retint la chose. Il vit dans ces songes une révélation d’en-haut. Comparez Luc 2.19.
À Sichem. On se demande comment ils osaient y retourner après leur trahison du chapitre 34. Mais nous avons vu que cette scène était probablement racontée par anticipation.
Vallée d’Hébron. Voir Genèse 13.18, note. Après la mort de son père, Jacob, suivant la tradition de la famille, s’était établi dans cette localité.
Dothan ou Dothaïn : les deux puits. Cette localité était située à environ sept heures au nord de Sichem, à l’entrée de la grande vallée de Jizréel. C’était une plaine fertile où les bergers devaient trouver des pâturages forts abondants. La grande route des caravanes qui font le commerce entre la Syrie et l’Égypte passe encore maintenant par là (comparez verset 25). Une colline couverte de ruines qui se trouve en cet endroit et au pied de laquelle sont des puits le plus souvent sans eau, porte encore aujourd’hui le nom de Tell-Dothân.
Une de ces fosses : citernes creusées dans le sol pour recevoir l’eau du ciel.
Ruben. Comme aîné, il se sent une responsabilité plus grande, mais il choisit pour empêcher le crime un moyen détourné.
Ne le frappons pas à mort. Pour le moment, Ruben ne cherche à obtenir qu’une chose, c’est qu’on le descende vivant dans le puits.
Le passage Genèse 42.21 fait comprendre qu’il se passa ici une scène déchirante, sur laquelle l’auteur se tait.
Ces citernes étant plus larges au fond qu’à l’orifice, les frères de Joseph pouvaient être sûrs qu’il ne s’échapperait pas. Sur cet usage des citernes comme prisons, comparez Jérémie 23.6 ; Lamentations 3.53.
Ils s’assirent pour manger. Calme effrayant après un pareil crime.
Caravane d’Ismaélites. Habitant le désert de Syrie, les Ismaélites étaient tout désignés par la position géographique et la stérilité de leur pays pour faire le commerce entre l’Asie occidentale et l’Égypte.
Galaad ; la contrée située à l’est du Jourdain. Comparez Genèse 21.25, note.
Astragale, baume, ladanum. Ces produits sont la résine d’arbres ou d’arbrisseaux abondant tous trois en Palestine, en Syrie et en Arabie. L’astragale (astragalus gummifer), appelé aussi tragacanthe, est un arbrisseau épineux d’un mètre environ. Le second arbre (pistacia lentiscus ou mastix), qui fournit le fameux baume de Galaad, atteint une hauteur de quinze mètres. Le ladanum enfin (ne pas confondre avec laudanum) provient d’un buisson de un à trois mètres de hauteur, le cistus creticus, qui porte de jolies fleurs jaunes ou blanches.
Ces résines odoriférantes étaient employées en grande quantité par les Égyptiens pour l’embaumement des corps, pour les encensements à faire aux dieux, pour la purification de l’air et la préparation des couleurs. C’est un fait intéressant, que les noms des deux premiers de ces parfums ont été retrouvés sur les murs du laboratoire d’un temple égyptien ; l’astragale y est appelé nekpat (hébreu nehoth, arabe nakoath) ; le baume, tara (hébreu tsori) ; tous deux entraient dans la composition du fameux parfum appelé kyphi. Quant au ladanum (hébreu lot, arabe ladan, assyrien ladounou), son nom n’a pas été retrouvé en Égypte, mais on l’a reconnu en grande quantité dans les momies.
Qu’ils allaient porter en Égypte. Aujourd’hui encore, des caravanes composées de ces mêmes habitants du désert transportent de la même manière ces mêmes produits en Égypte.
Juda, en faisant cette proposition, visait au même but que Ruben, dont il ignorait le projet : sauver la vie de Joseph. Mais il semble bien que l’amour du gain soit l’un de ses mobiles.
Marchands madianites. Ces marchands sont appelés dans ce même verset et ailleurs Ismaélites. On a pensé que les chameliers appartenaient à l’une des tribus et les marchands à l’autre. Mais les marchands, ceux qui vendent Joseph, sont appelés indifféremment Madianites et Ismaélites (comparez Genèse 37.36 avec Genèse 29.1). Il faut donc admettre soit que le début du verset 28 et le verset 36 appartiennent à un autre document, soit que le mot Ismaélites désigne d’une manière générale tous les habitants du désert, parmi lesquels étaient les Madianites. Cette seconde explication est confirmée par Juges 8.24 où il est dit des Madianites qu’ils étaient Ismaélites.
Vingt pièces d’argent, probablement sicles. Ce fut plus tard, d’après la loi, le prix d’un esclave de cinq à vingt ans (Lévitique 17.5).
L’emmenèrent en Égypte. Les anciens papyrus et les monuments nous montrent que, dès la plus haute antiquité, on avait des foules d’esclaves en Égypte et que les plus appréciés étaient ceux du pays de Canaan et des contrées voisines. Le mot qui servait à désigner les esclaves au temps de Ramsès II était même un mot sémitique, abata, en hébreu ébed, serviteur. Le commerce, d’esclaves se fait encore aujourd’hui de la même manière dans ces contrées.
Ruben avait probablement quitté ses frères dès le moment où l’on avait descendu Joseph dans la fosse ; il ne savait, par conséquent, rien de ce qui venait de se passer.
Moi, où irai-je ? Comme aîné, il n’ose reparaître devant Jacob sans son frère.
Ils laissent leur père tirer lui-même la conclusion du fait prétendu.
Déchira ses vêtements. Symbole du déchirement du cœur. Cet acte devint plus tard un signe de convention dans les deuils et les Juifs se bornèrent à déchirer leur robe sur la poitrine, sur une longueur d’environ dix centimètres.
Mit un sac sur ses reins. Un vêtement fait du même tissu rude que les sacs, c’est-à-dire de poil de chèvre ou de chameau. C’était le vêtement de deuil ordinaire.
Tous ses fils… C’est le comble de la fourberie.
Toutes ses filles. Il en a donc eu d’autres que Dina (comparez Genèse 30.21, note), à moins que ce ne soient des belles-filles.
Je descendrai en menant deuil. Il veut mener deuil jusqu’à sa mort.
Au sépulcre : en hébreu schéol, le séjour des morts. Voir Ésaïe 5.14, note. Il résulte de notre passage que le schéol, où va l’âme séparée du corps, ne doit pas être confondu avec le tombeau ; le corps de Joseph, en effet, qui a été déchiré, semble-t-il, par une bête féroce, ne sera jamais déposé dans le tombeau de sa famille. Comparez Genèse 15.15, note.
Madianites ; hébreu : Medanim, les fils de Médan, frère de Madian. Les deux familles s’étaient probablement fondues en une seule. Comparez Genèse 25.2, note.
Le vendirent. Voilà Joseph esclave ; c’est absolument l’opposé de ses songes et c’est cependant ce qui conduira à leur réalisation.
Potiphar, dans les LXX : Pétéphrès ; en égyptien, ce serait Pétiphra, c’est-à-dire : consacré à Phra, ou Ra, le dieu du soleil, qu’on adorait surtout à On, ou Héliopolis (comparez Genèse 41.45). On a retrouvé sur les monuments les noms analogues de Pétisis : consacré à Isis et de Pétammon : consacré à Ammon.
Officier de Pharaon, littéralement : eunuque (saris). Il est probable que ce terme, employé encore dans la suite pour désigner le chef des échansons et le chef des panetiers, avait perdu dans l’usage son sens primitif et était devenu synonyme d’officier de la cour.
Chef des gardes ; proprement chef des exécuteurs, de ceux qui étaient chargés d’exécuter toutes les sentences du roi et des tribunaux. On l’appellerait en langage moderne : ministre de la justice et de la police.
Comme tel, il avait la surveillance de la prison d’État (Genèse 40.3). Dans les inscriptions égyptiennes, un dignitaire semblable est appelé : les deux yeux du roi de la Haute-Égypte, les deux oreilles du roi de la Basse-Égypte. Nous savons par les monuments égyptiens que, dès les temps les plus reculés, la police était très bien organisée en Égypte et comptait un grand nombre de fonctionnaires de tous les degrés.