Verset à verset Double colonne
1 C’est moi qui suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.Les interprètes se sont demandé quelle circonstance extérieure pouvait bien avoir amené Jésus à se présenter à ses disciples sous l’image d’un cep de vigne.
Les uns pensent que ce fut la vue de la coupe avec laquelle il venait d’instituer la cène, en prononçant cette parole : « Je ne boirai plus de ce produit de la vigne… ; » (Matthieu 26.29) d’autres qu’une treille ornait les parois extérieures de la chambre haute et que ses rejetons entraient par les fenêtres.
Les exégètes qui admettent que ce discours fut prononcé en plein air, sur les pentes du Cédron (Jean 14.31, note), se représentent Jésus passant le long d’une vigne. Mais puisque l’évangéliste a gardé le silence sur ce détail, nous pouvons nous résigner à l’ignorer et nous ajouterons, avec R. Strier, qu’il y a quelque chose de mesquin à penser que Jésus devait nécessairement avoir sous les yeux l’objet matériel dont il fait une image.
Mais ce qui est digne de toute notre attention, c’est l’admirable parabole par laquelle il figure son union avec les siens, cette union dont il venait de leur parler (Jean 14.18-23), cette union qui devait être aussi vivante, aussi intime, aussi organique que l’est celle des sarments avec le cep dont ils tirent la sève, la vie, la fertilité.
Il est le vrai cep, le véritable, celui qui, dans la sphère spirituelle et morale et dans ses rapports avec les âmes, réalise pleinement l’idée du cep dans la nature.
Le mot cep, remarque M. Godet, comprend ici le tronc et les branches, comme le terme le Christ, 1 Corinthiens 12.12, désigne Christ et L’Église.
Le cep de vigne est une plante sans apparence (Ésaïe 53.2) et sans beauté (Jésus ne prend pas pour image le cèdre du Liban), mais elle est vivace et produit des fruits exquis un vin généreux. Une telle plante donne lieu à une comparaison pleine de vérité de richesse et de beauté.
Mon Père est le vigneron, grec le cultivateur, ajoute Jésus. C’est Dieu, en effet, qui a planté ce cep au sein de notre humanité, en envoyant son Fils au monde et qui, par l’effusion de l’Esprit, provoquera sa croissance ; c’est Dieu qui amène les âmes à la communion avec le Sauveur (Jean 6.37-64) ; c’est Dieu enfin qui, par le travail incessant de sa grâce, purifie et sanctifie ceux qu’il a attirés au Sauveur (verset 2).
On peut traduire : tout sarment qui est en moi, relié en apparence au cep et qui ne porte pas de fruit ; ou bien : tout sarment qui ne porte pas de fruit en moi par son union organique avec moi.
Il y a, dans les ceps de vigne, des rejetons sauvages qui ne portent jamais de fruit ; le vigneron les retranche, afin qu’ils n’absorbent pas inutilement la sève. Un homme peut, de diverses manières, appartenir extérieurement à Jésus-Christ en se rattachant à son Église, en professant la foi chrétienne sans avoir part à la vie sanctifiante du Christ.
Tôt ou tard, il se verra retranché, exclu de cette communion apparente avec le Sauveur. Mais les vrais sarments portent du fruit. Ceux-ci, Dieu les nettoie, les purifie, ou selon la plupart de nos versions, il les émonde.
Nous adoptons le premier de ces termes pour faire ressortir, comme dans le grec, la relation de cet acte avec les mots qui suivent : Déjà vous êtes nets (verset 3).
Jésus veut dire que ces sarments fertiles doivent être débarrassés de tout jet inutile et même d’une partie de leur feuillage qui empêcherait le fruit de mûrir. C’est Dieu encore qui poursuit, dans ses enfants, cette œuvre de purification et de sanctification continue, il l’accomplit par sa Parole (verset 3), par son Esprit, par tous les moyens de sa grâce. Et si cela ne suffit pas, le céleste cultivateur emploie l’instrument tranchant et douloureux des épreuves, de la souffrance et des renoncements qu’il impose à ses enfants. Car ce qu’il veut à tout prix, c’est qu’ils portent plus de fruit.
Jésus, se tournant vers ses disciples, les rassure au sujet de ce mot sévère : il nettoie tout sarment qui porte du fruit.
Déjà ils sont nets, purs, dans le sens indiqué au verset 2, c’est-à-dire qu’au moyen de la parole divine que Jésus leur a annoncée, un principe impérissable de vie nouvelle a été déposé dans leur cœur et s’y développera peu à peu jusqu’à la perfection.
Jésus exprime ailleurs cette idée profonde et consolante (Jean 13.10 ; Jean 17.8 ; comparez Jacques 1.18 ; 1 Pierre 1.23).
Des paroles précédentes qui dépeignent leur position de sarments unis au cep (en moi), découle pour les disciples un devoir absolu que Jésus formule ainsi : demeurez en moi, en renonçant constamment à tout mérite propre, à toute sagesse propre, à toute volonté et à toute force propres, ce qui est la condition d’une communion vivante avec moi. Si vous le faites, je demeurerai en vous, comme la source intarissable de votre vie spirituelle. Sinon, vous vous condamneriez à la stérilité du sarment séparé du cep.
Cette conséquence résulte avec évidence de l’image même employée par Jésus. Jésus établit ainsi clairement la distinction entre la nature et la grâce.
Afin de rendre plus frappante encore la conséquence négative qui précède, Jésus déclare solennellement que c’est bien lui qui est le cep et que ses disciples sont les sarments ; mais c’est pour conclure encore une fois qu’en lui, ils porteront beaucoup de fruit, mais que, hors de lui, ils n’en porteraient aucun, pas plus que le sarment séparé du cep.
Cette seconde idée, introduite par le mot car, parce que, semble donnée comme une preuve de la première affirmation, cela ne parait pas d’abord très logique le fait que hors de Christ ils ne peuvent rien faire ne prouve pas que, en Christ, ils porteront beaucoup de fruit.
Mais ce fruit, qui le porte ? Celui-là seul qui demeure en moi, dit Jésus ; d’où il résulte que c’est l’Esprit de Christ, qui, comme la sève du cep dans le sarment, fait seul porter du fruit à l’homme ; c’est ce que confirme (car) le fait d’expérience que l’homme hors de Christ, comme le sarment détaché du cep, ne peut rien produire, rien de véritablement bon, rien qui supporte le regard du Dieu saint et qui lui soit agréable.
Saint Augustin concluait de ce passage l’entière incapacité morale de l’homme pour le bien. À quoi M. Godet répond, avec Meyer et les exégètes modernes :
Le thème ici formulé n’est pas celui de l’impuissance morale de l’homme naturel pour tout bien ; c’est celui de l’infécondité du croyant laissé à sa force propre, quand il s’agit de produire ou d’avancer la vie spirituelle, la vie de Dieu, en lui ou chez les autres.
Non seulement celui qui ne demeure pas en Jésus, dans une communion vivante avec lui, ne peut rien faire (verset 5), mais il va au-devant d’une succession de jugements terribles.
Le sarment séparé du cep est d’abord jeté dehors, hors de la vigne qui représente le royaume de Dieu et il sèche nécessairement, puisqu’il ne reçoit plus la sève du cep. Qu’on pense à Judas, par exemple dont Jésus venait d’annoncer la ruine (Jean 13.21 et suivants).
Mais ce jugement, moralement accompli dès maintenant, aura au dernier jour son issue tragique que décrivent les paroles suivantes : puis on ramasse ces sarments et on les jette au feu et ils brûlent (grec ils ramassent, ils jettent) ; quel est le sujet de ces verbes ?
Dans la parabole, ce sont les serviteurs du vigneron ; dans la réalité, ce sont les anges de Dieu (Matthieu 13.40-42).
Tous ces verbes sont au présent et ils rendent la scène d’autant plus actuelle et vivante. La pensée reste avec effroi sur ce dernier mot : ils brûlent (comparer Matthieu 3.10).
D, quelques majuscules et versions portent : ce sarment, on le jette au feu. Tischendorf adopte cette leçon.
Après avoir prononcé ces redoutables paroles, Jésus revient avec tendresse à ses disciples qui demeurent en lui (le mot si n’exprime pas un doute) et il leur promet les grâces les plus précieuses : toutes leurs prières seront exaucées (Jean 15.16 ; Jean 14.13-14 ; Jean 16.23) et ils auront le bonheur de glorifier Dieu par des fruits abondants (verset 8).
La communion des disciples avec Jésus est ici exprimée par ces deux termes : Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous et non pas, comme le feraient entendre les verset 4 et 5 : et que je demeure en vous.
Les paroles de Jésus, qui sont esprit et vie et qu’ils gardent dans leur cœur, sont le lien vivant de communion avec lui. Inspirés par elles, ils sont à la source de toutes les grâces divines et leurs prières, qui ne seront plus que les paroles de Jésus transformées en requêtes, obtiendront toujours un exaucement certain.
Deux choses corrélatives : les paroles de Jésus auxquelles ils obéissent et leurs prières qui sont exaucées.
En ceci, ne se rapporte pas à ce qui précède, comme le veut Meyer, mais à ce qui suit : En ce que vous portiez beaucoup de fruits, le Père est glorifié.
Dieu, dans ses perfections, sa puissance, sa sainteté, son amour, se glorifie en reproduisant, dans le moindre de ses enfants, ces divers traits de sa ressemblance, plus que par toute la magnificence des œuvres de la création.
Portez beaucoup de fruit à la gloire de Dieu, ce sera la preuve certaine que vous êtes mes disciples et le moyen de le devenir toujours de nouveau.
Le grec porte : et vous deviendrez (B, D et que vous deveniez) disciples à moi, véritablement disciples et véritablement à moi.
Il faut toujours devenir disciple ; on n’est pas tel une fois pour toutes.
Dans l’instruction qu’il a tirée jusqu’ici de la parabole du cep et des sarments, Jésus n’a pas parlé expressément de son amour pour ses disciples ; mais chaque trait de cette belle image respire cet amour.
Que prouve l’insistance avec laquelle il leur recommande de demeurer en lui et que signifie sa promesse répétée : Je demeurerai en vous, si ce n’est qu’il les aime ?
Maintenant, il le leur dit avec effusion. L’amour ineffable de son Père pour lui est la mesure de son amour pour eux. Quel motif touchant de demeurer en son amour !
L’amour dont il parle n’est pas leur amour pour lui, mais son amour pour eux, qu’il leur ouvre comme une atmosphère de lumière, de vie, de paix, dans laquelle ils pourront respirer, penser, aimer, agir.
Pourquoi ces verbes au passé : mon Père m’a aimé, je vous ai aimés ? Parce que Jésus, qui touche à la fin de sa vie, jette un regard en arrière et constate avec émotion que jamais l’amour de son Père ne lui a fait défaut (Jean 5.20 ; Jean 8.29 ; Jean 10.17) et que lui-même a toujours tendrement aimé les siens (Jean 13.1-34).
Mais ce double amour est, de sa nature, permanent, éternel. Luther, avec ce génie pratique qui devait faire de sa version un livre populaire, traduit hardiment par le présent : « Comme mon Père m’aime, moi aussi je vous aime ».
Tout croyant sincère et humble peut, en ce sens, s’appliquer l’admirable déclaration du Sauveur.
Jésus n’est demeuré dans l’amour de son Père, il n’a joui de cet amour que par sa parfaite obéissance ; les disciples, non plus, ne peuvent se sentir heureux dans l’amour du Sauveur qu’à cette condition. Mais ce sera là leur joie (verset 11).
Ces choses, c’est tout ce discours (versets 1-10) concernant la communion intime où il les invite à vivre avec lui, en particulier le devoir de demeurer en son amour et de le suivre dans la voie de l’obéissance (verset 10). Il leur a dit tout cela afin de pouvoir leur faire part de sa joie qui sera en eux.
Il ne faut entendre par là ni la joie qu’il produira en eux, ni la joie dont il leur ouvre la source, ni la joie qu’il éprouve à leur sujet, ni la joie qu’ils ont en lui, mais bien sa joie (grec la mienne), la joie intime et profonde qu’il goûte lui-même dans l’amour de son Père et que ne peut lui ôter l’approche des souffrances et de la mort, parce qu’il sait que son sacrifice sera la rédemption du monde.
Cette joie, il veut leur en faire part comme de son amour (verset 10), comme de sa paix (Jean 14.27). Cette joie, elle sera en eux et elle grandira jusqu’à devenir une joie accomplie (comparer Jean 17.13).
L’apôtre Paul connaissait bien cette joie qui subsistait pour lui au milieu de ses souffrances et qu’il recommandait si souvent à ses frères (2 Corinthiens 13.11 ; Philippiens 2.17 ; Philippiens 4.4).
C’est l’amour de Jésus vivant dans le cœur de ses disciples qui est la source de leur amour mutuel.
Il insiste sur ce commandement, dont l’observation est l’âme de la vie chrétienne (versets 10 et 17 ; comparez Jean 13.34).
La mesure de l’amour qu’ils doivent avoir les uns pour les autres est dans ce mot : comme je vous ai aimés. Et Jésus va dire comment il les a aimés (verset 13).
Donner sa vie pour ses amis, c’est la plus grande preuve d’amour qu’on puisse leur donner. Aussi, contempler Jésus mourant sur la croix sera toujours le meilleur moyen de se pénétrer de la grandeur de son amour. Cette parole du Maître resta profondément gravée dans le cœur de notre évangéliste ; il la répétait, plus tard, en prenant à la lettre le devoir qui en résulte pour les disciples de Jésus, celui de donner aussi leur vie pour leurs frères (1 Jean 3.16).
On pourrait dire que, d’après l’apôtre Paul, Jésus a montré un amour plus grand encore, quand il voulut mourir, non seulement pour ses amis, mais « pour des pécheurs » (Romains 5.8).
De Wette réfute cette objection, en disant :
Jésus vient de dire qu’il donne sa vie pour ses amis. Puis, se tournant avec amour vers ses disciples, il ajoute : Vous êtes mes amis !
C’était leur dire en même temps : Vous le prouverez, de votre côté, par l’obéissance de l’amour (comparer verset 10, note).
Jésus voudrait leur faire apprécier hautement ce beau titre d’ami qu’il vient de leur donner. Et, pour cela, il leur en explique le sens profond.
Je ne vous appelle plus serviteurs (grec esclaves), parce que le serviteur reste étranger aux pensées et aux projets de son maître, mais je vous ai prouvé que vous êtes mes amis, parce que je vous ai fait connaître tous les desseins de miséricorde et d’amour que mon Père m’a chargé d’accomplir pour le salut du monde.
C’est là ce que Jésus exprime par ces termes familiers : toutes les choses que j’ai entendues de mon Père.
Ces mots : Je ne vous appelle plus serviteurs ne sont en opposition ni avec le verset 20, qui énonce un principe général, ni avec le fait que les disciples continuèrent toujours à s’appeler « serviteurs de Jésus-Christ » (Actes 4.29 ; Romains 1.1 ; Galates 1.10, etc.) ; car, malgré tout leur amour pour leur Maître, ils ne purent jamais oublier qu’il était le Seigneur et plus il les élevait jusqu’à lui plus ils éprouvaient le besoin de s’abaisser en sa présence (verset 16, note).
Bien que Jésus ait élevé ses disciples jusqu’à ce rapport intime d’amour avec lui, ils ne doivent pas oublier qu’ici toute l’initiative est venue de lui. C’est lui qui les a choisis pour leur apostolat (Luc 6.13 ; Jean 6.70 ; Jean 13.18).
Le verbe grec est composé d’une particule qui signifie « choisir du milieu de ». Il les a choisis du milieu du monde (verset 19), où ils seraient restés sans la libre grâce du Sauveur.
C’est lui encore qui les a établis dans leur apostolat et qui les a qualifiés, par ses dons, pour cette grande et sainte vocation.
Tout cela, ajoute Jésus, je l’ai fait, afin que vous alliez (Matthieu 28.19) librement, joyeusement, à votre œuvre et que vous puissiez porter du fruit, un fruit qui sera permanent pour la vie éternelle.
De ces mots : Je vous ai choisis et établis, dépend encore le second afin que ; ils sont, de ce fait, dans une position qui les assure que tout ce qu’ils demanderont au Père au nom du Sauveur, il le leur donnera (Jean 14.13 ; Jean 16.23).
C’est ici la conclusion de cette partie du discours, depuis le verset 9.
Ces choses, ces paroles et ces instructions du Sauveur dans lesquelles tout est amour de sa part, il les a prodiguées aux siens, afin qu’à leur tour ils s’aiment les uns les autres.
Il leur en fait une douce obligation, sur laquelle il insiste (Jean 13.34 ; Jean 15.12), aussi les apôtres ont-ils compris l’immense importance de cet amour mutuel qui est l’âme de L’Église dans sa communion avec le Sauveur (1 Jean 2.7 et suivants ; Jean 3.11 ; Jean 4.20-21 ; Romains 13.8 et suivants).
Quel douloureux contraste ! À tant d’amour de la part du Sauveur, le monde répond par la haine qu’il nourrit contre lui et contre ses disciples. Jésus le constate avec tristesse, à diverses reprises (Jean 7.7 ; Jean 15.24 ; Jean 17.14).
Et il veut que ses disciples le sachent, afin que, quand ils auront à souffrir de cette haine du monde, ils se rappellent qu’elle a été le partage de Celui dont la charité égalait la sainteté et qu’ainsi ils soient préservés du découragement et du doute (comparer 1 Jean 3.13 ; Jean 4.5-6).
Jésus indique ici à ses disciples la raison toute naturelle de cet étrange phénomène dont il leur parle.
Si vous étiez du monde, si vous en aviez les principes et l’esprit, il vous aimerait, parce que vous seriez à lui, mais, parce que (grec) je vous ai choisis hors du monde, tirés de son sein et soustraits à sa domination, pour vous attirer à moi et faire de vous ma propriété, il vous hait.
C’était, pour les disciples, une consolation de savoir qu’ils n’appartenaient plus à ce monde qui allait crucifier le Saint et le Juste, mais tout entiers à ce Sauveur bien-aimé.
Ce mot de monde, répété cinq fois dans ce seul verset, a quelque chose de très solennel et le tableau que Jésus retrace ici (jusqu’au verset 25) de l’opposition et de l’inimitié du monde, fait de ces versets une peinture classique du caractère que toute l’Écriture attribue aux adversaires de la vérité divine.
Il leur avait dit cette parole (Jean 13.16) pour les exhorter à l’humilité ; il la leur rappelle ici pour les encourager à souffrir avec patience (comparer Matthieu 10.24).
Puisque le serviteur n’est pas plus grand que son seigneur, les disciples ne doivent pas s’attendre à éviter les persécutions que leur Maître a endurées, il les en prévient, afin qu’ils ne soient pas découragés quand elles se produiront (Jean 16.1-4).
Mais quel est le sens de ces derniers mots : s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre ?
Au premier abord, il paraît tout simple de considérer comme sujet de la proposition les individus bien disposés qui se sont séparés de la masse hostile : si, même au milieu de son peuple qui le rejetait, Jésus eut le bonheur de voir un petit nombre d’âmes recevoir sa parole et s’attacher à lui, il en sera de même pour les disciples. Telle est l’interprétation d’Olshausen, Lange, M. Godet.
Mais on objecte à cette interprétation que le sujet de la seconde partie du verset 20 doit être le même que celui de la première partie à savoir les Juifs persécuteurs, auxquels se rapportent du reste tous les verbes de ce discours (versets 20, 21 et 22 et jusqu’au verset 25).
Il ne faut pas avec Grotius et Stier voir dans la seconde proposition une douloureuse ironie : ils ne garderont pas plus votre parole qu’ils n’ont gardé la mienne ! L’ironie ne convient pas au sérieux et à la sérénité de ce discours ; et cette déclaration amère ne serait pas exacte, car l’insuccès de Jésus n’avait pas été complet.
Il faut laisser à la parole de Jésus son sens général. L’accueil qu’il a reçu de la part du monde présage aux disciples l’accueil auquel ils doivent s’attendre eux-mêmes : les uns les persécuteront, d’autres garderont leur parole ; des troisièmes, comme Saul de Tarse, passeront des rangs des persécuteurs à ceux des fidèles.
Le monde ennemi de Dieu n’est jamais toute notre humanité ; son opposition violente contre l’Évangile ne se manifeste pas partout de la même manière absolue. Il reste toujours un vaste champ où les disciples peuvent répandre la parole de vie avec la certitude de rencontrer des âmes qui la garderont. Telle est l’interprétation de Wette, Meyer, Luthardt, Weiss, Keil, Astié.
Cette inimitié du monde que Jésus annonce aux disciples pourra les étonner et les amener à se demander s’ils ne font pas fausse route.
Mais, ajoute Jésus, ne vous laissez point arrêter, cela est dans la nature des choses. Et il leur en donne deux raisons qui expliquent tout.
Ils vous feront tout cela à cause de mon nom, ce nom qu’ils haïssent, quoiqu’il soit l’expression de la vérité et de la sainteté de Dieu (comparer Actes 4.17 ; Actes 9.14 ; Actes 26.9 ; Matthieu 24.9).
Et cette haine, ils l’éprouveront parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé. S’ils le connaissaient, ils recevraient avec empressement son envoyé (Jean 16.3).
Cette explication que Jésus donne à ses disciples devait être et fut en effet pour eux, dans la suite, une puissante consolation ; ils seront heureux de souffrir pour le nom de Jésus (Actes 5.41 ; Actes 21.13), ils se glorifieront de ces souffrances pour lui (Romains 5.3 ; 2 Corinthiens 12.10), parce qu’ils verront en elles un trait de leur ressemblance avec lui, un moyen de lui témoigner leur amour.
En quoi consiste proprement le péché des Israélites, pour lequel ils n’ont point d’excuses ?
Dans le fait qu’ils n’ont pas reconnu en Jésus le Messie. L’incrédulité et les innombrables révoltes dont ils s’étaient rendus coupables au cours de leur histoire ne leur eussent pas été imputés comme péché, s’ils avaient fini par accueillir le Sauveur. Sans doute, ils en étaient responsables ; mais cette responsabilité disparaît, pour ainsi dire, devant le crime que Jésus leur reproche ici.
Il était venu à eux, ils avaient été témoins de sa vie sainte, de ses œuvres (verset 24) ; il leur avait parlé de toute la miséricorde et de tout l’amour de son Père, et, en présence de cette manifestation divine, ils s’étaient endurcis dans une incrédulité qui allait jusqu’à la haine.
Or cette haine contre le Fils de Dieu remontait jusqu’à son Père et elle allait s’assouvir par le meurtre du Saint et du Juste. Là était le péché pour lequel ils n’avaient point d’excuse (grec point de prétexte).
La parole : Celui qui me hait, hait aussi mon Père, ne se justifie que si Jésus est le Fils de Dieu (comparer Jean 5.23 ; Jean 12.44 ; Jean 14.9).
À ses paroles qu’ils ont entendues (verset 22), Jésus a ajouté, et cela, augmente leur culpabilité, des œuvres qu’ils ont vues.
C’étaient des œuvres qu’aucun autre n’a faites, car elles portaient le cachet de la divinité (Jean 5.36 ; Jean 9.3-4 ; Jean 10.37-38 ; Jean 14.10).
Même les moins intelligents, qui auraient pu ne pas comprendre ses paroles, avaient au moins des yeux pour voir ses œuvres. Et qu’est il arrivé ?
Grec : mais maintenant et ils ont vu et ils ont haï et moi et mon Père. Là est le péché sans excuse et la cause de la condamnation.
Mais,… ce fait si étrange et si propre à scandaliser les disciples n’était point imprévu. Tout ce qui arrivait à Jésus était prédit dans les Écritures. Leur loi, dit-il, comme ailleurs votre loi (Jean 8.17-18 ; Jean 10.34, note), cette loi sur laquelle ils s’appuyaient et dont ils se vantaient, c’est elle qui les accusait.
Le mot loi est pris ici dans un sens général, où il désigne tout l’Ancien Testament, car la citation est tirée du Psaumes 69.5 (comparer Psaumes 35.19).
Là, le juste, exposé à la haine gratuite de ses ennemis, est bien le type de Celui qui s’est chargé de nos douleurs ; car de tout temps a existé l’inimitié du monde contre Dieu et contre ses serviteurs.
Plus Jésus fait pressentir à ses disciples les difficultés et les luttes qu’ils auront à soutenir au milieu du monde plus il insiste sur la promesse de ce puissant aide, l’Esprit de vérité, dont ils auront un si pressant besoin (Jean 14.16-17 ; Jean 14.26 ; Luc 24.49).
Ici, il interrompt sa description de l’hostilité du monde pour leur renouveler cette promesse, à laquelle il reviendra plus au long (Jean 16.7-15).
Le mais, par lequel est introduite cette proposition (verset 26), manque dans Codex Sinaiticus, B. L’œuvre que Jésus attribue à l’Esprit de vérité (Jean 14.17, note) est celle d’un témoignage : C’est lui qui rendra témoignage de moi. Comment ? Par la parole des apôtres : Et vous aussi, vous rendrez témoignage.
Il y a en grec le présent : vous rendez et non le futur.
Jésus les considère comme transportés au moment où l’Esprit rendra témoignage. On pourrait aussi envisager ce verbe comme un impératif : Et vous aussi témoignez !
Le témoignage de l’Esprit et celui des apôtres sont-ils un seul et même témoignage ? Non, Jésus les distingue d’abord par ces mots : et vous aussi, puis, surtout par ceux-ci : parce que vous êtes dès le commencement avec moi.
Le Sauveur a établi ses disciples pour être des témoins de son ministère tout entier (Actes 1.8) ; ils devaient en être parfaitement instruits (Actes 1.21) afin de constater les faits, que le Saint-Esprit n’enseigne pas directement, mais dont il révèle le sens et la portée. En un mot, les disciples rendent témoignage au Christ historique en racontant sa vie, tandis que le Saint-Esprit, fécondant leurs récits et créant la foi dans les âmes, rend témoignage au Christ vivant. L’apôtre Pierre, dans un de ses discours, fait très nettement cette distinction (Actes 5.32 ; comparez Romains 8.16).
Le verset 26 (ainsi que Jean 14.16-17) a toujours été considéré dans l’Église chrétienne comme une révélation complète de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Mais cette doctrine est mise dans un rapport direct avec la vie pratique, le salut des âmes.
Ainsi elle répond aux profonds besoins de l’homme pécheur, auquel il faut un Père céleste qui l’assure de sa miséricorde, un Sauveur qui le rachète du péché et de la mort et l’Esprit-Saint qui l’éclaire, le régénère et le sanctifie (comparer Matthieu 28.19 ; 2 Corinthiens 13.13 ; 1 Pierre 1.2, note). Mais, dès que l’esprit humain se jette, à ce sujet, dans des spéculations métaphysiques, il tombe dans l’incompréhensible et l’insondable.
On sait, par exemple, à quelles luttes acerbes et prolongées a donné lieu, entre L’Église grecque et L’Église latine, cette simple parole : Je vous enverrai l’Esprit qui procède du Père : la première soutenant que l’Esprit ne procède que du Père, la seconde ajoutant ce mot devenu si célèbre : et du Fils.
Ainsi une parole qui devait nous révéler la puissance divine et lumineuse du témoignage du Saint-Esprit est devenue l’objet de polémiques aussi irritantes que stériles !
La plupart des interprètes modernes estiment que les mots qui procède du Père se rapportent à l’envoi du Saint-Esprit aux disciples et qu’il faut par conséquent les traduire, comme le fait Rilliet : qui sort d’auprès du Père. Il y a en grec la même préposition que dans la phrase : Je vous l’enverrai de la part du Père.
Mais M. Godet pense qu’ainsi comprise la proposition : qui procède du Père ne serait qu’une répétition oiseuse de la précédente et il l’applique, comme les anciens interprètes de L’Église grecque, aux relations éternelles et essentielles du Père et de l’Esprit.