Fête idolâtre en Égypte ; dernières censures de Jérémie
En observant dans ce chapitre l’alternance des deux verbes habiter et demeurer (comparez surtout versets 12 et 13), on se convaincra que les Juifs qui figurent ici appartiennent à deux catégories : ceux qui sont désignés comme habitant le pays d’Égypte, sont les émigrants de date récente dont il a été question dans les chapitres précédents ; les autres demeuraient depuis plus longtemps dans cette terre étrangère et s’étaient peu à peu répandus dans toutes ses parties (verset 1). Nous comprenons ainsi plus facilement l’attrait que l’Égypte avait exercé sur les fugitifs de Canaan, qui savaient qu’ils retrouveraient dans ce pays des compatriotes. Mais l’influence des anciens colons ne paraît pas avoir été salutaire aux nouveaux venus, comme le montrera la suite de ce chapitre.
La scène ici racontée n’a pu se passer qu’assez longtemps après l’entrée des fugitifs en Égypte ; car ils sont déjà tourmentés du désir de retourner en Canaan (verset 14), ce qui suppose un séjour de quelques années. Cette circonstance concorde avec le fait que la mort de Pharaon Hophra, qui n’eut lieu qu’en 570 (18 ans après la ruine de Jérusalem), est prédite comme prochaine.
Le chapitre 44 nous transporte au milieu d’une fête idolâtre où les femmes juives jouent le rôle principal. Les discours tenus par Jérémie à cette occasion sont les derniers qui nous aient été conservés ; peut-être faut-il les envisager comme les derniers qu’il ait prononcés. Le prophète devait alors avoir atteint, sinon dépassé l’âge de 70 ans.
1 La parole qui fut adressée à Jérémie pour tous les Juifs demeurant dans le pays d’Égypte, demeurant à Migdol, à Tachpanès, à Noph et au pays de Pathros, en ces mots :
Migdol et Tachpanès, dans la Basse-Égypte ; Noph, ou Memphis, dans l’Égypte Moyenne ; le pays de Pathros, la Haute-Égypte.
2 Ainsi parle l’Éternel des armées, Dieu d’Israël : Vous avez vu tout le mal que j’ai amené sur Jérusalem et sur toutes les villes de Juda ; les voilà aujourd’hui dévastées et sans habitants,
Ce sont les mêmes censures qu’il répète depuis cinquante ans.
3 à cause du mal qu’ils ont fait pour m’irriter en allant offrir de l’encens à d’autres dieux qu’ils n’avaient point connus, ni eux, ni vous, ni vos pères. 4 Et je vous ai envoyé tous mes serviteurs les prophètes, les envoyant dès le matin pour vous dire : Ne commettez donc point cette abomination que je hais. 5 Et ils n’ont point écouté ; ils n’ont point prêté l’oreille en se détournant de leur méchanceté et en n’offrant plus d’encens à d’autres dieux. 6 Aussi mon indignation et ma colère ont fondu sur eux et ont consumé les villes de Juda et les rues de Jérusalem, qui sont devenues un lieu dévasté et désert, comme cela se voit aujourd’hui. 7 Maintenant l’Éternel, Dieu des armées, Dieu d’Israël, parle ainsi : Pourquoi vous faites-vous ce grand mal à vous-mêmes, en vous faisant retrancher du milieu de Juda vos hommes et vos femmes, vos enfants et vos nourrissons, sans vous laisser aucun reste, 8 m’irritant par les œuvres de vos mains, en offrant de l’encens à d’autres dieux dans le pays d’Égypte, où vous êtes entrés pour y habiter, afin de vous faire retrancher et afin de devenir un objet de malédiction et d’outrages parmi tous les peuples de la terre ? 9 Avez-vous oublié les méchancetés de vos pères et les méchancetés des rois de Juda et les méchancetés des femmes de Juda et vos propres méchancetés et les méchancetés que vos femmes ont commises au pays de Juda et dans les rues de Jérusalem ?
Il mentionne spécialement la méchanceté des femmes, parce qu’elles semblent avoir été dans ce qui se passe les principales coupables (verset 19).
10 Ils n’ont point été contrits jusqu’à aujourd’hui et ils n’ont rien craint ; ils n’ont point marché dans ma loi ni dans les statuts que je vous avais donnés ainsi qu’à vos pères. 11 C’est pourquoi l’Éternel des armées, Dieu d’Israël, parle ainsi : Voici, je vais tourner ma face contre vous en mal et pour retrancher tout Juda.
Tout Juda. Ce mot tout ne doit pas se prendre à la lettre (voir verset 14, note).
12 Je prendrai le reste de Juda, ceux qui ont voulu venir au pays d’Égypte pour y habiter ; et ils seront tous consumés ; ils tomberont dans le pays d’Égypte ; ils seront consumés par l’épée et par la famine, petits et grands ; ils mourront par l’épée et par la famine, et ils seront un objet d’exécration, de stupéfaction, de malédiction et d’outrages.
Cette sentence est adressée aux Juifs fugitifs ; celle du verset 13, aux anciens colons. Les premiers sont traités plus sévèrement que les seconds, parce qu’ils ont contrevenu, en venant en Égypte, à un ordre positif de Dieu.
Un objet d’exécration… : comparez Jérémie 42.18.
13 Et je visiterai ceux qui demeurent dans le pays d’Égypte, comme j’ai visité Jérusalem par l’épée, la famine et la peste ; 14 et il n’y aura pas de réchappé ni de survivant parmi les restes de Juda, qui sont venus au pays d’Égypte pour y habiter et pour retourner au pays de Juda, dans lequel ils aspirent à demeurer de nouveau. Car ils n’y retourneront pas, sauf des réchappés.
Les Juifs venus en Égypte avec Jérémie n’avaient sans doute pas eu l’intention de s’établir définitivement ; ils voulaient laisser passer le ressentiment de Nébucadnetsar contre le meurtre de Guédalia. Et maintenant ils soupiraient déjà, mais inutilement, après la patrie.
Les derniers mots de ce verset contrediraient directement les premiers, si on prenait ceux-ci au pied de la lettre.
15 Alors tous les hommes qui savaient que leurs femmes offraient de l’encens à d’autres dieux, toutes les femmes qui tenaient là une grande assemblée et tous ceux qui demeuraient dans le pays d’Égypte, à Pathros, répondirent à Jérémie en ces mots :
Quoique jouant un rôle passif dans cette scène, les hommes n’en sont pas moins responsables de la conduite de leurs femmes, puisqu’ils l’ont approuvée tacitement (verset 19).
Une grande assemblée. C’était sans doute une assemblée de femmes juives convoquées dans toute l’Égypte pour offrir à la Reine des cieux des encensements et accomplir solennellement des vœux faits précédemment.
À Pathros : on pourrait conclure de ce nom que la fête se célébrait dans la Haute-Égypte.
16 Quant à la parole que tu nous as dite au nom de l’Éternel, nous ne t’écouterons point ;
Ce discours témoigne d’une arrogance et d’un fanatisme que nous n’avons pas encore rencontrés jusqu’ici au même degré. Le contact avec l’idolâtrie égyptienne les a profondément corrompus.
17 mais nous ne manquerons pas de faire tout ce qui est sorti de notre bouche, en offrant de l’encens à la Reine des cieux, en lui versant des libations, comme nous avons fait, nous et nos pères, nos rois et nos chefs, dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem, et alors nous avions assez de pain ; nous étions bien, et nous ne voyions pas le malheur.
La Reine des cieux : voir Jérémie 7.18. Ces femmes font allusion aux réformes tentées par Josias. La prospérité avait pris fin avec le règne de ce souverain ; elles en concluent que ces tentatives avaient été la cause de leurs malheurs.
18 Mais depuis que nous avons cessé d’offrir de l’encens à la Reine des cieux et de lui verser des libations, nous avons manqué de tout et nous avons été consumés par l’épée et par la famine. 19 Quand nous offrions de l’encens à la Reine des cieux et que nous lui versions des libations, est-ce à l’insu de nos maris que nous lui avons fait des gâteaux pour la représenter et que nous lui avons versé des libations ?
Elles en appellent à la loi elle-même, qui déclarait nuls les vœux formés par la femme à l’insu de son mari (Nombres 30.4-9).
Pour la représenter : les gâteaux qu’elles offraient rappelaient par leur forme le disque de la lune.
20 Alors Jérémie parla à tout le peuple contre les hommes, contre les femmes et contre tout le peuple qui avait ainsi répondu, et il leur dit : 21 Ne sont-ce pas les encensements que vous avez faits dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem, vous et vos pères, vos rois et vos chefs et le peuple du pays, n’est-ce pas cela que l’Éternel s’est rappelé et qui lui est monté au cœur ?
Jérémie rétorque l’argument du verset 18 : Ce ne sont pas les réformes de Josias qui ont amené tous vos malheurs, mais les résistances que vous avez vous-mêmes opposées à ces réformes et par lesquelles vous les avez fait échouer.
22 Et l’Éternel n’a pu se contenir plus longtemps à cause de la méchanceté de vos actions et des abominations que vous avez commises ; et votre pays est devenu un lieu désert, dévasté et maudit, où personne n’habite, comme cela se voit aujourd’hui ; 23 parce que vous avez offert de l’encens et que vous avez péché contre l’Éternel, que vous n’avez point obéi à la voix de l’Éternel et n’avez point marché dans sa loi, ses statuts et ses témoignages ; aussi ce malheur vous est arrivé, comme cela se voit aujourd’hui. 24 Puis Jérémie dit à tout le peuple et à toutes les femmes : Vous tous de Juda qui êtes dans le pays d’Égypte, écoutez la parole de l’Éternel : 25 Ainsi parle l’Éternel des armées, Dieu d’Israël ; il dit : Vous et vos femmes, car vous, femmes, vous avez parlé, et vous, hommes, avez exécuté, vous dites : Nous ne manquerons pas d’accomplir les vœux que nous avons faits en offrant l’encens à la Reine des cieux et en lui versant des libations. Vous acquitterez vos vœux, vous accomplirez certainement vos vœux !
Ils n’étaient fidèles qu’aux vœux qu’ils faisaient aux fausses divinités. Il y a une ironie bien douloureuse dans ces mots : Vous accomplirez certainement vos vœux !
26 Écoutez donc la parole de l’Éternel, vous tous de Juda qui demeurez dans le pays d’Égypte : Voici, j’ai juré par mon grand nom, dit l’Éternel, que mon nom ne sera plus invoqué nulle part dans tout le pays d’Égypte par aucun homme de Juda qui dise : Le Seigneur, l’Éternel est vivant !
Vous ne jurerez plus par l’Éternel, parce que vous périrez.
27 Voici je veille sur eux pour leur mal et non pour leur bien, et tous les hommes de Juda qui sont dans le pays d’Égypte seront consumés par l’épée et par la famine jusqu’à extermination,
Je veille sur eux : allusion nouvelle au symbole de l’amandier ; voir Jérémie 1.11-12, note.
28 et les réchappés de l’épée retourneront du pays d’Égypte au pays de Juda en petit nombre ; et tous les restes de Juda qui sont venus dans la terre d’Égypte pour y habiter, sauront de qui la parole tiendra, la mienne ou la leur.
On peut s’étonner, en face de cette prophétie, de rencontrer deux siècles plus tard, au temps d’Alexandre-le-Grand, une colonie juive nombreuse et florissante en Égypte ; mais rien ne prouve que ces juifs descendissent des fugitifs auxquels s’adresse ici Jérémie. Cette colonie peut avoir été formée des anciens colons (voyez verset 13) et de nouveaux émigrants arrivés au temps de la domination persane.
29 Et ceci vous sera le signe, dit l’Éternel, que je vous visiterai en ce lieu-ci, afin que vous connaissiez que mes paroles s’accompliront certainement pour votre mal : 30 L’Éternel parle ainsi : Je vais livrer Pharaon Hophra, roi d’Égypte, à ses ennemis et à ceux qui cherchent sa vie, comme j’ai livré Sédécias, roi de Juda, à Nébucadretsar, roi de Babylone, son ennemi, qui cherchait sa vie.
Pharaon Hophra tomba, à son retour d’une expédition malheureuse contre la Cyrénaïque, sous les coups d’Amasis, son sujet révolté et son successeur. Il est probable qu’il était resté vassal de Nébucadnetsar à la suite de la conquête de l’Égypte annoncée dans le chapitre précédent.