Verset à verset Double colonne
Le nom que nos Bibles françaises donnent au quatrième livre de Moïse est la traduction de celui qu’ont adopté les Septante et la Vulgate et qu’employaient déjà les Juifs, Misparim : nombres. Ils le désignaient aussi par les noms de Chomesch happekoudim : Livre des dénombrements ou de Vajedabber : et il dit, premiers mots du livre, ou encore de Bammidbar : dans le désert, d’après le quatrième.
Le titre : Les Nombres, rappelle les dénombrements mentionnés chapitres 1 à 4 et chapitre 26 mais il ne donne qu’une idée bien insuffisante du contenu de ce livre qui renferme le récit des principaux événements arrivés depuis le départ du pied du Sinaï jusqu’à l’arrivée aux plaines de Moab, c’est-à-dire pendant une période de trente-huit ans, du premier jour du second mois de l’an 2 après la sortie d’Égypte jusqu’au dixième mois de la quarantième année.
Nous pouvons facilement découper ce récit en trois sections :
Cependant il ne faudrait pas conclure de ces indications chronologiques précises que le livre des Nombres ne contienne qu’une narration historique. Le fil du récit est fréquemment interrompu par des lois et des ordonnances dont quelques-unes sont rapportées à la date de leur promulgation, tandis que pour d’autres nous ne pouvons nous rendre compte de la position qu’elles occupent. Le contenu des Nombres n’est donc ni purement historique, comme celui de la Genèse, ni presque purement législatif, comme celui du Lévitique. Il est à la fois l’un et l’autre, comme celui de l’Exode ; et les éléments divers qui le composent ne sont pas toujours rattachés les uns aux autres par un lien chronologique ou systématique bien visible. Si les détails qu’il donne sur les débuts et sur l’issue du voyage au désert sont assez circonstanciés, il est presque muet sur la majeure partie de ce voyage, les trente-huit ans qui suivirent la révolte de Kadès et pendant lesquels disparut peu à peu toute la génération qui avait assisté à la sortie d’Égypte. C’est une de ces grandes lacunes de l’histoire sainte, analogue à celle qui sépare la fin de la Genèse du commencement, de l’Exode. La Bible se tait en général sui, les périodes qui n’apportent aucun élément nouveau au développement du règne de Dieu. Ajoutons que dans le cas de l’histoire du désert ce silence repose sur un motif plus grave encore : le peuple est en quelque sorte dans un état de réjection ; plus de circoncision, plus de Pâque ; toute la génération adulte sortie de l’Égypte est vouée à la mort. C’est là sans doute le motif du peu de détails qui nous ont été conservés sur cette période.
Cependant ce qui nous est rapporté :
Suffit pour nous donner une idée très nette de ce qu’a été du point de vue moral cette période, l’une des plus tristes, assurément de toute l’histoire du peuple de Dieu.
La narration du livre des Nombres parait être, comme celles de la Genèse et de l’Exode, une fusion des différents documents qui ont concouru à la composition du Pentateuque.
Cette première partie comprend les dernières ordonnances que l’Éternel donna au peuple d’Israël pendant les jours qui précédèrent son départ du mont Sinaï, soit pendant les dix-neuf premiers jours du second mois de la seconde année après la sortie d’Égypte (Nombres 1.1 ; Nombres 10.11). Le lien qui rattache le livre des Nombres aux précédents est manifeste : après avoir fait sortir Israël d’Égypte, l’Éternel a établi et consacré sa Demeure au milieu de son peuple (Exode) ; puis il a institué le culte qui doit lui être rendu et il a promulgué les lois qui régissent tous les domaines de la vie israélite (Lévitique). Maintenant que l’alliance est conclue, le peuple est à même de marcher à la conquête de la terre promise ; dans ce but il doit être organisé militairement, comme la sainte armée dont l’Éternel est le chef et Moïse reçoit l’ordre de procéder au recensement.
Nous diviserons cette première partie en trois sections :
Désert de Sinaï : voir Exode 19.2, note.
Dans la Tente d’assignation : voir Lévitique 1.1, note.
Le premier jour. L’ordre de faire le dénombrement du peuple est donné juste un mois après l’érection du Tabernacle (Exode 40.17) et onze mois après que les israélites furent arrivés dans le désert de Sinaï (Exode 19.1).
Selon leurs familles… Les termes employés pour désigner les divisions et subdivisions du peuple n’ont pas une valeur technique très précise et nous les trouvons tour à tour appliqués à des unités d’ordre différent. Le peuple se divise proprement en tribus, la tribu en familles, la famille en maisons et la maison en individus, c’est la classification normale. Comparez Josué 7, où il y a cependant aussi quelque indécision dans la valeur des dénominations.
Dans notre texte le terme de famille alterne avec celui de maison patriarcale pour désigner un quelconque des trois premiers degrés. Une maison patriarcale est proprement une famille qui tire son nom d’un patriarche, d’un ancêtre commun et l’on comprend que ce terme puisse s’appliquer au même titre à la tribu, à la famille ou à la maison. En français les mots de famille et de maison peuvent également s’employer pour désigner soit un groupe de peuple, soit une nation, soit une tribu, soit le groupe restreint d’individus réunis autour du père (famille aryenne, famille française, maison de France, etc.).
L’organisation du peuple est à la fois militaire et civile ; il s’agit bien de constituer une armée, mais à la base de cette hiérarchie se trouve cependant la famille ; c’est comme membre du peuple de Dieu que l’Israélite est enrôlé dans l’armée de l’Éternel.
Voir Exode 30.14, note.
Les tribus sont rangées d’après l’ordre des femmes de Jacob, d’abord les cinq fils de Léa (Lévi n’est pas nommé, parce qu’il sera dénombré plus tard), puis les deux fils de Rachel, Joseph comptant pour deux tribus et enfin les quatre fils des servantes, Bilha et Zilpa (Comparez Genèse 35.23). Ces douze chefs de tribus sont encore énumérés Nombres 2.3 et suivants, Nombres 7.12 et suivants, Nombres 10.14 et suivants. Sur les vingt-quatre noms que comprend cette liste, quinze paraissent avoir une signification religieuse et sont composés avec le nom de Dieu sous diverses formes ; au temps des Juges, lorsque le peuple se fut mêlé avec les Cananéens, les noms profanes furent de beaucoup les plus nombreux et les noms religieux ne redevinrent fréquents que depuis Samuel.
Princes. Par leur naissance ils étaient princes de leur tribu ; par leur charge, chefs de milliers ; les milliers paraissent désigner ici la plus grande division militaire de la tribu.
Le premier jour. La convocation eut lieu le jour même, mais nous ne savons combien dura le recensement. Il eut lieu probablement dans toutes les tribus simultanément et il fut facilité sans doute par l’organisation que Jéthro avait conseillé à Moïse de donner au peuple (Exode 18.21, note). Nous voyons en effet que les chiffres indiqués pour chaque tribu sont toujours arrondis par centaines, sauf pour la seule tribu de Gad, où l’on descend à la cinquantaine. Il était facile de faire la somme de ces groupes déjà constitués et l’organisation de la tribu patriarcale pouvait être ainsi très facilement transformée en une organisation militaire.
L’ordre des tribus est le même que nous avons trouvé déjà aux versets 5 à 15, si ce n’est que Gad est avancé du onzième au troisième rang, pour prendre, en qualité de fils aîné de Zilpa, servante de Léa, la place de Lévi, troisième fils de celle-ci. Dans le campement aussi (Nombres 2.14), Gad occupera la place de Lévi, à côté de Ruben et de Siméon, les deux premiers fils de Léa.
Six cent trois mille cinq cent cinquante. C’est exactement le même chiffre que nous avons déjà trouvé, Exode 38.26, ce qui ne permet pas de douter qu’il ne s’agisse du même recensement. De là naît sans doute une difficulté puisque le recensement de l’Exode semble avoir eu lieu avant l’érection du Tabernacle (voir Exode 38.26, l’emploi de la capitation d’un demi-sicle qui en résulta, à la confection des chapiteaux et des socles des piliers du Tabernacle). Nous avons cherché dans les notes sur l’Exode à résoudre cette difficulté. Après le recensement terminé, on calcula le rapport entre le chiffre des recensés et le poids de l’argent spontanément offert pour la construction du Tabernacle ; on obtint ainsi une moyenne d’un demi-sicle : 603 550 / 301 775 = 0,5 et cette moyenne fut maintenue comme taux de capitation pour tous les recensements subséquents.
Le chiffre de 600 000 hommes de vingt ans et au-dessus suppose une population totale d’environ deux millions d’âmes. Nous avons peine à nous figurer cette masse énorme de peuple parcourant pendant quarante ans, avec ses troupeaux et ses bagages, la presqu’île du Sinaï, qui pouvait être plus fertile qu’aujourd’hui, mais qui n’en était pas moins un grand et affreux désert (Deutéronome 1.19). Nous devons constater cependant que ce chiffre de six cent mille hommes n’est pas fourni par le seul document élohiste qui nous donne les détails de ce recensement ; nous le retrouvons également dans les traditions historiques ; conservées par le document jéhoviste (Exode 12.37 ; Nombres 11.21).
Le chapitre 26 de notre livre nous donne les résultats d’un nouveau recensement qui eut lieu à la fin du voyage dans le désert ; la somme totale diffère à peine de celle qui nous est indiquée dans le recensement actuel (1820 hommes de moins) ; mais dans ces deux statistiques cette somme se répartit entre les tribus d’une manière très inégale, comme on en jugera par le tableau suivant :
1er recensement | 2e recensement | |
Ruben | 46 500 | 43 730 |
Siméon | 59 300 | 22 200 |
Gad | 45 650 | 40 500 |
Juda | 74 600 | 76 500 |
Issacar | 54 400 | 64 300 |
Zabulon | 57 400 | 60 500 |
Éphraïm | 40 500 | 32 500 |
Manassé | 32 200 | 52 700 |
Benjamin | 35 400 | 45 600 |
Dan | 62 700 | 64 400 |
Asser | 41 500 | 53 400 |
Nephtali | 53 400 | 45 400 |
TOTAL | 603 550 | 601 730 |
Si nous prenons comme moyenne pour une tribu 50 000 hommes (606 000/42), nous remarquons que dans chaque liste il y a six tribus qui dépassent ce chiffre et six qui demeurent au-dessous ; mais la répartition des tribus n’est pas la même : tandis que Manassé et Asser, d’abord inférieurs à la moyenne, la dépassent dans le second recensement, Nephthali et Siméon descendent au nombre des petites tribus ; le recul est surtout sensible pour Siméon qui tombe du troisième au dernier rang parmi les tribus. Juda se maintient à la tête du peuple comme la tribu la plus nombreuse ; parmi les fils de Joseph, Éphraïm diminue d’importance et Manassé s’accroît rapidement. Il est impossible que ces variations ne répondent pas à une réalité historique ; elles ne sauraient provenir du caprice d’un auteur, dont on ne pourrait découvrir l’intention secrète. Et si la proportion entre les diverses tribus doit être envisagée comme historique, il en résulte un fort argument en faveur de la réalité du nombre d’hommes attribué à chacune d’elles, malgré les difficultés qu’il présente.
Tu ne feras pas… Cela ne signifie pas qu’il ne devait point être fait de recensement des Lévites (voyez Nombres 3.14-39 ; Nombres 4.34-49), mais ils ne devaient pas être compris dans le recensement actuel, qui avait en vue l’organisation de l’armée de l’Éternel. Cette exclusion est justifiée par les fonctions spéciales qui leur incombent au sanctuaire ; c’est ce qui explique également la place qu’ils occupent dans le camp autour du Tabernacle.
Les fonctions des Lévites sont ici brièvement résumées ; elles seront détaillées dans les chapitres 3 et 4.
L’étranger… à la tribu de Lévi, le profane, israélite ou non israélite (voir Lévitique 22.10, note) ; personne ne doit s’approcher du Tabernacle sans mandat, et cela, sous peine de mort, pour le coupable et de châtiment pour tout le peuple (verset 53).