Verset à verset Double colonne
1 Oh ! Que n’es-tu mon frère, allaité des mamelles de ma mère ! Lorsque je te rencontrerais dehors, je pourrais t’embrasser sans qu’on me méprisât.Que n’es-tu mon frère ? littéralement : Qui te donnerait à moi comme un frère ? C’est ici une expression touchante de la pureté de la jeune fille, qui ne conçoit pas de plus grand bonheur que l’intimité des relations fraternelles.
Tu m’instruirais. Il a vu le monde plus qu’elle, et, dans ces entretiens pleins de douceur, il lui révélerait bien des choses qu’elle ignore encore.
À cette pensée, elle se sent comme reposant dans ses bras.
Et elle adjure, comme déjà précédemment, les jeunes filles présentes de ne pas la tirer de cette extase, jusqu’à ce qu’elle en sorte d’elle-même.
Ici commence l’acte final du drame qui en renferme le dénouement. Salomon a déposé les armes en face de la fière et inébranlable résistance de Sulammith et il a renvoyé la jeune fille dans sa demeure. Elle paraît, réunie à son bien-aimé et s’appuyant sur son bras avec confiance ; elle raconte comment elle l’a retrouvé : il dormait dans le jardin de sa mère, sous l’arbre sous lequel elle lui avait donné le jour. Plusieurs choses étonnent dans cette description : on ne met pas un enfant au monde dans un jardin, à l’ordinaire. Et, pourquoi répéter deux fois ce singulier détail : là où ta mère t’a enfanté avec douleur, là où a souffert celle qui t’a donné le jour ? Quel rapport y a-t-il entre le réveil du bien-aimé en ce moment, par Sulammith et les douleurs de sa naissance ? Nous avons déjà trouvé dans le Cantique bien des paroles difficiles à comprendre, qui renfermaient certainement quelque allusion mystérieuse à des faits de l’histoire nationale d’Israël et qui autrement ne présenteraient aucun sens. Ainsi Cantique 1.6, où se trouvent deux paroles qui semblent faire allusion à un changement défavorable qui s’est produit dans la situation de Sulammith et à une faute qu’elle aurait commise. Ainsi encore Cantique 2.15, qui paraît renfermer une allusion à un service pénible auquel elle a été assujettie. Enfin, Cantique 6.11-12, où elle décrit comment, par son imprudence à se rapprocher d’un cortège princier qui passait près de sa demeure, elle a provoqué la situation où elle se trouve actuellement. Peut-être n’en est-il pas autrement du passage auquel nous sommes arrivés. Ici aussi est renfermée une pensée cachée. Le pommier, dans les mythologies orientales, par la beauté incomparable de sa floraison printanière, est l’image du paradis. Le Berger de Sulammith a été enfanté là, au moment où la Sagesse divine a promis le Messie venant comme représentant de Jéhova, le réparateur de la chute. Cet enfantement a eu lieu dans un moment plein de douleur et d’angoisse. Dès lors, il s’est écoulé des siècles sans que, parût le réparateur promis. Il faut que Sulammith elle-même l’appelle et le réveille de ce long sommeil. Ce jour viendra, mais seulement après que toutes les luttes seront achevées, que toutes les tentations seront surmontées. Alors enfin Israël, en possession du Messie, célébrera sa finale et parfaite victoire, comme le fait ici Sulammith à la suite de son épreuve.
Sulammith éclate en un chant de triomphe et célèbre l’indissolubilité du lien qui l’attache à son bien-aimé, le Berger céleste. Elle proclame la puissance du sentiment qui lui a donné la victoire sur les séductions dont l’a entourée Salomon.
Un sceau sur ton cœur. On portait le cachet suspendu au cou par un cordon (Genèse 38.18).
Sur ton bras. On connaît bien l’usage de porter le cachet à l’un des doigts de la main droite (Jérémie 22.24 ; Genèse 41.42) ; mais nulle part il n’est parlé du cachet fixé au bras ; le bras désigne sans doute ici le poignet.
Fort comme la mort, à laquelle rien ne résiste.
La jalousie : elle accompagne inévitablement un amour puissant.
Inflexible. On ne reprend au sépulcre rien de ce qu’il s’est une fois approprié.
Une flamme de Jah. Jah est une forme abrégée du nom de Jéhova. C’est le seul passage du livre où Dieu soit nommé. Le vrai amour est invincible, parce qu’il vient d’En haut.
De grandes eaux… les fleuves… Image de tous les moyens de séduction dont a en vain usé Salomon.
On le repousserait avec mépris. L’amour ne s’achète à aucun prix ; celui qui l’éprouve véritablement ne peut que repousser avec dédain toute offre vénale. C’est là une parole qu’un autre aurait difficilement pu prononcer à l’égard du roi Salomon ; lui seul a pu dire cela de lui-même, à la suite de ce qui venait de lui arriver.
Nous avons une petite sœur… Encore une énigme. Il semble qu’on assiste à un conseil de famille où Sulammith et ses frères s’entretiennent de l’avenir d’une plus jeune sœur qui n’est pas encore en âge de passer par l’épreuve que Sulammith vient de subir victorieusement. On se demande quel motif peut amener une pareille délibération en ce moment et s’il n’y a pas ici aussi quelque pensée cachée qui provoque cet incident. Le sort final d’Israël vient d’être glorieusement annoncé ; il sera à jamais le peuple du Berger céleste dont finalement rien ne le séparera. Mais Israël n’est pas seul au monde ; il y a en dehors de lui toute une humanité idolâtre, qui n’a pas encore reçu la connaissance de Jéhova, de sa loi et du salut promis et pour qui l’épreuve de la fidélité est encore à venir. Elle ne manquera pas d’y être soumise un jour et par là décidera elle-même, comme l’a fait Sulammith, de son sort final. Le poète venait de rappeler l’antique origine de la promesse du salut, il en énonce maintenant la destination universelle.
Si, lorsqu’elle connaîtra Jéhova, elle s’attache à lui et tient ferme pour lui contre les séductions terrestres, elle aura accès à la gloire, comme Israël ; sinon, on lui infligera une humiliante réclusion.
Sulammith, par sa victoire remportée, peut se donner à cette jeune sœur comme modèle ; par sa fermeté elle a été trouvée digne, aux yeux de Salomon, d’obtenir la paix. Il faut maintenir ici au mot hébreu schalom son sens ordinaire de paix en rapport avec les deux noms de Salomon et de Sulammith qui en dérivent. On ne peut imaginer une plus grossière altération du sens du texte biblique que celle des interprètes qui osent donner à cette parole un sens tel que celui-ci : En cédant aux désirs de Salomon j’ai trouvé le bonheur, car il a fait de moi une reine.
À Salomon est advenue une vigne. Une troisième énigme : celle des deux vignes.
En Baal-Hamon. Ce nom ne se retrouvant exactement nulle part, il faut supposer qu’il a, comme celui de Sulammith, un sens symbolique. Il signifie, en effet, maître d’une multitude. Sulammith paraît désigner par cette vigne les vastes territoires que David avait légués à Salomon et qu’il avait conquis au nord, à l’est et au sud de la Palestine. L’expression est advenue à montre qu’il s’agit d’un bien qui est arrivé à Salomon, comme par surcroît, en outre de son royaume héréditaire. Les gardiens de ce grand vignoble sont, comme nous l’avons vu dans l’introduction, les préfets établis sur ces pays conquis en lieu et place de leurs anciens rois nationaux. Les mille pièces d’argent payées à Salomon représentent les tributs que ces préfets faisaient payer annuellement à tous ces peuples soumis (voir l’Introduction).
Ma vigne, à moi. C’est la terre de Canaan, que Dieu a donnée à Israël. Elle est devant moi, sous mes yeux et non pas comme ta vigne à toi, Salomon, dans des contrées lointaines.
À toi, Salomon, les mille : non pas les mille sicles qu’il retire des pays conquis, mais ceux qui lui sont dûs (aussi bien que par les autres pays) comme tribut sur la terre de Canaan. Deux cents aux gardiens de son fruit. Le fruit d’Israël est la fidèle adoration de Jéhova et l’obéissance sainte à la loi. Ceux qui sont appelés à veiller sur sa production et la conservation de ce fruit sont naturellement les ministres du culte, les sacrificateurs et les Lévites. Sur le tribut payé au roi par le peuple qu’elle représente, Sulammith réserve la part afférente à l’entretien de ces serviteurs de Dieu.
Comment Sulammith pourrait-elle parler à Salomon, comme simple jeune villageoise, du revenu de sa propre vigne et de l’obligation qu’elle y attache ? Il est bien évident que c’est Israël tout entier qui est personnifié en elle. Par sa bouche, le peuple fait vœu de soumission à la royauté qu’il vient de se donner, mais réserve en même temps le droit de Dieu, auquel est subordonné celui du roi. Ce passage jette rétroactivement une vive lumière sur le drame à la fin duquel il se trouve.
Il en est de même de l’énigme finale : la fuite du bien-aimé. Sulammith est remontée jusqu’à l’origine de l’œuvre messianique (verset 5) ; puis elle en a fait entrevoir la destination universelle (versets 8 à 10). Elle vient ensuite de jeter un regard sur l’apparition typique, d’un éclat extraordinaire, que Dieu en donne à Israël dans la personne et le règne de Salomon (versets 11 et 12). Et maintenant, semble-t-il, il ne lui reste plus qu’à s’unir à son bien-aimé. Au lieu de cela, le Cantique aboutit à un adieu. Le bien-aimé arrivait, se livrant à la première de ces perspectives. Il paraît, au verset 13, entouré de ses amis de noce et comptant bien que le moment est venu de célébrer enfin leur union. Pour la première fois, il prend la parole dans ce poème tout rempli de lui : Toi, habitante des jardins. Il l’appelle ainsi pour caractériser le contraste entre le séjour actuel de Sulammith et son propre séjour ordinaire qu’il vient de quitter avec ses compagnons pour la rejoindre. Les jardins, en opposition aux pâturages des montagnes, sont l’emblème d’une vie sociale bien réglée. Il désire encore, avant de l’emmener, qu’elle leur fasse entendre, à lui et à ses amis, un de ces chants qui les ont si souvent ravis autrefois.
Fuis, mon bien-aimé ! Au lieu d’un chant d’amour et d’union, c’est un adieu. Quelle douloureuse surprise ! Cette fin du poème serait absolument inexplicable, s’il n’était qu’un roman d’amour, dans le sens où l’a entendu Ewald. Ici aussi, nous sommes poussés à une interprétation plus élevée. Sulammith congédie son bien-aimé en le renvoyant sur les montagnes des aromates, ou il fait son séjour habituel. Il y a ici le sentiment fortement exprimé que le temps n’est point encore arrivé où peut se réaliser l’union figurée plus haut de la jeune fille et de son ami, c’est-à-dire, si nous ne nous trompons, d’Israël avec Jéhova (verset 5). Ce n’est pas encore le moment où l’Éternel peut venir habiter le palais royal en Israël, s’asseoir sur le trône messianique. Un intervalle plus ou moins long doit séparer ce qui n’est encore que l’apparition typique du royaume divin sur la terre, telle qu’on la contemple actuellement en la personne de Salomon, de sa réalisation définitive et véritable. Le vrai Berger doit pour le moment laisser la place au roi terrestre, jusqu’à ce que le terrain soit préparé pour sa propre apparition. En attendant, il doit se retirer dans une demeure supérieure, où Sulammith ne peut le suivre, cette demeure est appelée par Sulammith les montagnes des aromates ; on comprend ce qu’elle entend par là, quand on se rappelle que, près de Jérusalem, à côté du palais de Salomon, se trouvait, sur la colline du temple, le sanctuaire où Israël faisait fumer, chaque matin et chaque soir, sur l’autel d’or, l’encens composé des parfums les plus précieux ; comparez Cantique 6.2. Ce sanctuaire terrestre, résidence visible de Jéhova au milieu de son peuple, n’est naturellement que l’image de la résidence céleste de l’Éternel, d’où il descendra en son temps pour s’unir à Israël et par là même à toute l’humanité.
Ainsi, l’auteur du Cantique, soit un poète de la cour de Salomon, soit Salomon lui-même, termine le poème en faisant pressentir un délai plus ou moins considérable, qui séparera la réalisation typique du règne messianique en la personne de Salomon, de son accomplissement véritable et final, figuré au verset 5. Cette différence de temps en implique naturellement aussi une complète de forme.