1 Et Moïse monta des plaines de Moab sur le mont Nébo, au sommet du Pisga, qui est en face de Jéricho. Et l’Éternel lui fit voir tout le pays : Galaad jusqu’à Dan,
Moïse monte sur le Nébo (1-4)
Le voyageur Tristram décrit ainsi la vue qui se déroula devant ses yeux depuis le sommet d’une montagne qu’il avait tout lieu de prendre pour le Pisga : Le jour était clair. Au sud s’étendaient la chaîne des Abarim et de lointains horizons ; à l’est la fertile Belka, océan de blé et de prairies allant se perdre jusque dans l’Arabie ; à l’ouest la mer Morte, miroir de métal, au-delà de laquelle se dressait le plateau de Juda, avec Hébron, les collines de Bethléem, le mont des Oliviers et l’église qui le surmonte ; plus près, la plaine de Jéricho, avec le cours sinueux du Jourdain. Au-delà, ce sommet arrondi, c’était le Garizim ; plus loin encore, l’ouverture de la plaine d’Esdraélon, le Carmel et quelque chose comme la mer… ; au nord-ouest le Thabor, aisément reconnaissable et le mont Guilboa. Le Hermon aux neiges éternelles avait son sommet couvert d’un nuage qui voilait aussi le Liban ; mais directement au nord les sombres forêts de Galaad étendaient leurs grandes vagues au-dessus desquelles se dressaient ici et là de hardis sommets.
Galaad jusqu’à… L’énumération suivante est celle des pays que contempla Moïse d’un regard circulaire allant d’abord droit au nord par Galaad jusqu’à Dan, puis tournant à l’ouest par les montagnes de Nephthali, revenant au sud par Éphraïm et arrivant à Juda et au Négueb, l’extrémité sud de Canaan ; après quoi son regard se porte sur le premier plan, immédiatement au pied du Nébo, l’Araba et la mer Morte, du nord (Jéricho) au sud (Tsoar). Tous les noms employés dans cette énumération appartiennent à un temps postérieur à la conquête et celui de Dan, qui ne peut désigner que l’ancienne Laïs, au pied du Hermon, doit même être postérieur au temps des Juges (Genèse 14.14) ; voir au verset 10.
2 et tout Nephthali et le pays d’Éphraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu’à la mer occidentale ; 3 puis le Midi et le district [du Jourdain], la vallée de Jéricho, qui est la ville des palmiers, jusqu’à Tsoar. 4 Et l’Éternel lui dit : C’est là le pays au sujet duquel j’ai fait serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, disant : Je le donnerai à ta postérité ; je te l’ai fait voir de tes yeux, mais tu n’y entreras point. 5 Et Moïse, serviteur de l’Éternel, mourut là, dans le pays de Moab, sur l’ordre de l’Éternel.
Mort, ensevelissement et deuil de Moïse (5-8)
Sur l’ordre de l’Éternel. Cette indication ne porte pas seulement sur le lieu de la mort, mais sur le fait lui-même, car Moïse aurait pu vivre longtemps encore d’après le verset 7. Il en est de même d’Aaron, qui meurt après avoir gravi lui-même la montagne de Hor. Comme l’expression sur l’ordre pourrait se traduire littéralement par : sur la bouche, les rabbins ont tiré de là cette belle pensée que ces deux hommes étaient morts du baiser de l’Éternel.
Dans le pays de Moab : ainsi sans avoir mis le pied en Canaan.
6 Et il l’ensevelit dans la vallée, dans le pays de Moab, vis-à-vis de Beth-Péor, et personne n’a connu son sépulcre jusqu’à ce jour.
Et il l’ensevelit. On a traduit aussi : On l’ensevelit, mais notre traduction est plus naturelle ; voir la fin du verset. Aaron avait été enseveli par Moïse et Eléazar (Nombres 20.28) ; Moïse l’est par l’Éternel sans doute par le ministère des anges. C’est là un honneur qui compense en quelque manière l’humiliation infligée à ce serviteur de Dieu par son exclusion de la Terre promise.
Dans la vallée : non dans la vallée du Jourdain, où Dieu aurait transporté son corps, mais dans la vallée dont il a été parlé Nombres 21.20, qui se trouvait sur la hauteur du Pisga, par conséquent près du Nébo, dans la campagne de Moab. Les Juifs ont pensé que Dieu avait accompli cet acte par le moyen de l’archange Michel ; de là sans doute la tradition à laquelle fait allusion Jude, verset 9. Il nous paraît probable que l’intention divine a été de soustraire le corps de Moïse à une vénération exagérée et superstitieuse.
7 Et Moïse était âgé de cent vingt ans quand il mourut ; ses yeux n’étaient point affaiblis et sa vigueur n’était point passée. 8 Et les fils d’Israël pleurèrent Moïse dans les plaines de Moab pendant trente jours, et les jours des pleurs, le deuil de Moïse, furent accomplis.
Trente jours, comme pour Aaron (Nombres 20.29).
9 Et Josué, fils de Nun, était rempli de l’esprit de sagesse, parce que Moïse lui avait imposé les mains. Et les fils d’Israël lui obéirent et firent selon que l’Éternel l’avait ordonné à Moïse.
Conclusion (9-12)
10 Et il ne s’est plus élevé en Israël un prophète comme Moïse, avec lequel l’Éternel communiquait face à face,
Ce verset suppose, dans tous les cas, un certain nombre de siècles écoulés entre la mort de Moïse et la rédaction de ce morceau. La critique croit reconnaître dans ce chapitre une compilation des récits renfermés dans les différents documents qui racontaient la mort de Moïse.
L’auteur fait remarquer deux traits qui ont surtout distingué Moïse : l’intimité de sa relation avec l’Éternel (Nombres 12.8) et la puissance des signes qu’il lui a été donné d’accomplir.
Conclusion sur le Deutéronome
Ce livre se compose de deux parties bien distinctes : l’une narrative, comprenant le préambule, Deutéronome 1.1 à 5 et la conclusion, chapitres 31 à 34 ; l’autre, qui renferme tout le reste du livre et contient les trois derniers discours de Moïse.
Il n’est pas douteux que la partie narrative a été composée après la mort de Moïse : d’abord parce qu’elle contient le récit de cet événement ainsi que des circonstances qui l’ont immédiatement précédé. Les réflexions renfermées dans les trois derniers versets : Il ne s’est jamais élevé en Israël de prophète comme Moïse… supposent des siècles écoutés entre la mort du législateur et la rédaction de ces lignes. Enfin, l’on trouve dans cette partie au moins un document qui paraît rédigé postérieurement au temps de Moïse, la bénédiction du chapitre 33.
Quant à la partie centrale, celle des discours, il existe aujourd’hui deux manières de l’envisager. La plus répandue est celle qui y voit l’œuvre d’un auteur postérieur à l’époque de Moïse qui aurait eu le désir bien intentionné de faire pénétrer dans le cœur et dans les mœurs du peuple une législation qui n’était guère connue encore que des sacrificateurs et des juges. L’auteur ne se serait fait aucun scrupule de mettre ces discours composés par lui dans la bouche de Moïse, parce qu’il était assuré de parler dans l’esprit de ce serviteur de Dieu et de ne dire au peuple que ce que Moïse lui aurait dit lui-même dans les circonstances dans lesquelles il écrivait.
Les partisans de cette opinion diffèrent beaucoup entre eux lorsqu’il s’agit de fixer l’époque où a eu lieu cette composition. Ceux qui la rapprochent le plus du temps de Moïse la placent à l’époque de Samuel, trois siècles et demi après Moïse ; d’autres la placent deux siècles plus tard, sous Josaphat, des troisièmes plus tard encore, sous Ézéchias ou son fils Manassé, sept siècles et plus après Moïse ; les derniers, dont la manière de voir s’affirme avec le plus d’assurance, indiquent comme date le règne de Josias, huit siècles et demi après Moïse.
La seconde opinion attribue, conformément aux données du livre, les discours et leur rédaction à Moïse lui-même.
Il ne faudrait pas croire que les partisans de la première manière de voir appartiennent tous au parti rationaliste. Un grand nombre de savants qui croient fermement à la révélation, s’y sont rangés. Voici les motifs qu’on fait valoir en sa faveur :
Le ton des exhortations édifiantes renfermées dans ces discours est absolument celui des prophètes postérieurs. Il y a en particulier des rapports d’expression très étroits entre certains passages et le livre de Jérémie.
On remarque des contradictions entre certaines prescriptions législatives du Deutéronome et les dispositions correspondantes des livres précédents, de sorte que l’on est conduit à envisager la législation de ce livre comme une phase différente de celle de ces derniers. De plus, des contradictions analogues se retrouvent entre les faits historiques cités dans le Deutéronome et l’histoire racontée dans les livres précédents.
L’auteur du Deutéronome emploie fréquemment les documents postérieurs à Moïse qui ont servi à composer le Pentateuque.
Voici les réponses que l’on peut faire à ces objections.
Rien n’empêche que le ton prophétique et édifiant des discours du Deutéronome n’ait pu se trouver dans la bouche de Moïse lui-même, car il était prophète non moins que Marie, sa sœur (Deutéronome 18.15-18 ; Deutéronome 34.10). Au moment de quitter ce peuple qui allait entrer dans la Terre promise, il lui parle non plus en législateur, mais comme un père qui adresse ses dernières paroles à sa famille. À cette génération qui formait un peuple nouveau dont les membres pour la plupart n’avaient point assisté aux grandes scènes du Sinaï, il veut répéter lui-même cette loi que Dieu lui avait donnée, lui faire comprendre que c’est de son observation que dépend son bonheur ou son malheur et il la reproduit dans ce but non en se collant à la lettre des commandements, mais en s’efforçant d’en faire pénétrer l’esprit dans le cœur et la vie de la nation, en insistant surtout sur les dispositions fondamentales qui sont l’âme de toute vraie obéissance, la reconnaissance et l’amour pour Dieu, l’équité et la miséricorde envers le prochain. Et n’est-ce pas là le vrai esprit prophétique ? Comme l’a dit un critique éminent, qui ne partage pourtant pas notre manière de voir sur ce livre : Le Deutéronome renferme l’esprit le plus pur du mosaïsme lui-même appliqué à la vie.
Les contradictions législatives que l’on allègue nous ont paru se résoudre sans beaucoup de difficultés ; celle sur les dîmes (Deutéronome 12.6 ; Deutéronome 14.22 ; comparez avec Nombres 18.20 et suivants), par le fait que les prescriptions du Deutéronome prises à elles seules sans y ajouter celles des Nombres, auraient été absolument insuffisantes pour pourvoir à l’entretien des sacrificateurs et des Lévites, celles dans lesquelles paraît disparaître la distinction entre sacrificateurs et Lévites, par le fait que cette distinction est selon nous nettement indiquée dans ces passages mêmes (Deutéronome 18.1-8). Pour celles relatives à la libération des esclaves et à l’usage des bêtes mortes et déchirées, voir à Deutéronome 15.14 et Deutéronome 14.21. Quant à celle qui concerne les pièces des victimes allouées aux sacrificateurs (Deutéronome 18.3 ; comparez Lévitique 7.32 et suivants), ce point est obscur et nous ne pouvons ni affirmer, ni nier une différence entre les deux prescriptions. Mais il est incontestable que dans beaucoup de cas les prescriptions du Deutéronome supposent des lois antérieures qu’elles sont destinées à élargir ou à compléter et que nous trouvons ces lois dans les livres précédents ; comparez celle sur la viande de boucherie (Deutéronome 12.15) avec la loi du Lévitique (Exode 17.3, note) ; celle sur les lépreux (Deutéronome 24.8) avec celle du Lévitique (chapitres 13 et 14), de même celles sur la Pâque et sur les fêtes en général avec les lois plus complètes dans l’Exode. De ce rapport il résulte que l’auteur de ce livre se sentait en harmonie avec les lois déjà existantes oralement ou par écrit. Les contradictions historiques ont été également résolues ; comparez pour la liste des stations dans le désert Nombres 33.1 et Deutéronome 10.11 ; spécialement pour l’interversion des deux stations Moséra et Bené-Jaakan (Nombres 33.30-35 et Deutéronome 10.6-7) ; pour la conduite de Moab, voir à Deutéronome 23.5.
L’emploi de documents postérieurs au temps de Moïse ne peut être positivement constaté que dans la partie narrative chapitres 31 à 34, particulièrement au chapitre 34 ; mais personne ne songe à dater ces passages du temps de Moïse. C’est avec le Décalogue et le Livre de l’alliance (Exode 21-23) que le Deutéronome soutient certainement, au point de vue législatif, les rapports les plus étroits. Or, ces documents existaient déjà rédigés au moment de la mort de Moïse ; comparez Exode 24.4-8. En général, si nous admettons que c’est Moïse qui parle dans ces discours, ni ses références historiques, ni ses répétitions législatives, libres ou littérales, ne peuvent étonner de sa part. Il se mouvait dans un domaine qui lui était familier. Voici les raisons qui nous portent à attribuer ces discours à Moïse lui-même :
Ces discours renferment toute une série de passages dont l’intention ne se comprend plus dès qu’on les place à une époque postérieure à celle que suppose le livre lui-même. Ainsi, les recommandations touchant les relations de paix à entretenir avec Moab et Ésaü, comme parents des israélites. Quel sens auraient ces instructions données au peuple, après que la conduite de ces voisins hostiles avait contraint les rois de Juda et d’Israël d’assujettir ces peuples et de s’emparer de leur territoire ? Or, c’est ce qui eut lieu pour Édom et pour Moab dès le temps de David. Voir les notes sur Ésaü, Genèse 27, sur Moab, Ésaïe 15. Pourquoi encore rappeler avec beaucoup d’insistance et avec cette formule : Souviens-toi… et la sentence d’extermination que l’Éternel avait prononcée au désert contre les Amalékites (Exode 17.14-16), une fois que cette sentence avait été exécutée par le roi Saül (Deutéronome 25.17 ; 1 Samuel 15.8) ? Peut-on réellement se tranquilliser à cet égard en alléguant la circonstance insignifiante rapportée 1 Chroniques 4.43 ? À quoi bon donner des directions précises en vue de l’élection éventuelle d’un roi, Deutéronome 17.1 et suivants, une fois que la royauté héréditaire dans la famille de David était établie et assurée par la promesse divine aux descendants de ce roi à perpétuité ? Comprendrait-on qu’après qu’un certain nombre de grands prophètes auraient déjà exercé leur ministère en Israël et en Juda, il pût être parle du prophétisme sous une forme aussi élémentaire que celle que nous trouvons dans la promesse du chapitre 18, verset 15 et suivants ; tandis qu’au moment où Israël s’établissait au milieu de nations possédant toutes sortes de moyens de divination, cette manière d’annoncer le prophétisme paraît toute naturelle. L’ordre de compléter les institutions judiciaires de la nation par des développements nouveaux dépassant les formes rudimentaires qui avaient suffi au peuple réuni dans le camp (Deutéronome 16.18), ne s’explique-t-il pas tout naturellement au moment où le peuple va se disperser pour prendre possession d’un vaste territoire, tandis qu’on ne saurait comprendre comment les juges établis au désert sur le conseil de Jéthro auraient pu suffire au peuple établi en Canaan jusqu’au règne de Josaphat ou d’Ézéchias ou de Josias, sous lesquels on prétend placer le Deutéronome ? En général, il est un fait qui nous paraît exclure toutes les hypothèses plaçant la composition au temps des rois : c’est l’absence dans ce livre de toute trace non seulement du schisme, mais de la possibilité d’un schisme quelconque ; l’unité complète et permanente du peuple est partout supposée soit dans le Cantique (chapitre 32), soit dans la Bénédiction (chapitre 33), soit dans la loi des rois (chapitre 17).
L’hypothèse qui place la composition de ce livre sous Samuel échappe à une partie de ces objections ; mais elle se heurte à la loi des rois chapitre 17. Car d’un côté cette loi autorise nettement l’institution de la royauté, et cela, avec une libéralité qui ne s’accorde pas aisément avec la vive résistance de Samuel et d’autre part les dangers de la royauté sont prévus et signalés dans cette même loi avec une énergie qui n’est point en rapport avec les espérances de ceux qui réclamaient à grands cris cette institution. Cette loi sur la royauté n’a donc pu provenir ni de Samuel, ni du peuple. Elle est antérieure à cette situation ; elle la domine et chacun, au temps de Samuel, a cherché à la tirer de son côté. Ajoutons que si l’on veut faire du style prophétique du Deutéronome une objection contre sa composition par Moïse, cette raison parle également contre sa composition à l’époque de Samuel, qui a précédé de beaucoup celle des prophètes dont nous connaissons les écrits.
La supposition la plus généralement admise à cette heure, celle de la composition sous Josias, se rattache au fait remarquable raconté 2 Rois 22 et 2 Chroniques 34. Le grand sacrificateur Hilkija, chargé par le roi de surveiller les réparations du temple, retrouve tout à coup le livre de la loi écrit, dit le récit des Chroniques, de la main de Moïse, ou, comme dit le livre des Rois, le livre de la loi de Moïse. Le roi en prend connaissance et la frayeur qu’il éprouve, ainsi que les Anciens et tout le peuple, en lisant les menaces renfermées dans ce livre, devient le point de départ du relèvement spirituel qui signala cette époque. Il est bien probable que le livre ainsi retrouvé était notre Deutéronome, puisque, à l’exception de Lévitique 26, le Pentateuque ne contient guère des discours de menaces propres à produire un pareil effet. Et c’est là ce qui a fait supposer que le Deutéronome avait été composé à ce moment soit par Hilkija lui-même, soit par Jérémie, soit par quelqu’autre personnage, qui avait voulu agir fortement par ce moyen sur l’esprit du roi pour l’engager à réaliser enfin l’unité du lieu de culte qui avait jusqu’alors laissé beaucoup à désirer. Mais le rôle que l’on fait jouer par là soit au grand sacrificateur, soit à Jérémie est bien invraisemblable. Le premier n’avait point manifesté un zèle tellement grand que l’on puisse supposer que ce sentiment l’ait entraîné à l’emploi d’un si étrange moyen. Et s’il eût été l’auteur de ce renouvellement de la loi, il eût certainement mis en saillie la position et les droits des sacrificateurs tandis qu’il n’en est à peu près pas question dans ce livre. On affirme même que la différence entre ceux-ci et les Lévites y est niée. Quant à Jérémie, il devait être peu disposé à composer un livre destiné à rééditer l’ancienne loi ou à composer une nouveau code, lui qui déclare, Jérémie 31.31 et suivants, que la loi donnée à Sinaï ayant été enfreinte par le peuple, Dieu la retirera pour en donner une autre qui ne sera pas écrite sur la pierre, mais dans les cœurs par le Saint-Esprit. Le rôle de Jérémie en cette circonstance est difficile à deviner. Il ne pouvait être défavorable à un mouvement partant certainement d’un principe de piété ; mais, d’autre part, cet essai de restauration de l’ancien Code ne répondait pas sans doute à la manière dont il comprenait la situation. Le silence gardé sur son rôle à cette occasion tend à prouver qu’il demeura en dehors de ce qui eut lieu, ne voulant pas empêcher et ne pouvant encourager. Mais dans tous les cas s’il y avait eu fraude, il n’aurait pu manquer, lui sacrificateur, de discerner le fait et de le démasquer. Il est difficile de croire également que le secrétaire Saphan et le roi Josias eussent pris si facilement un livre tout récemment composé, pour un vieux rouleau mosaïque. Josias s’écrie : La colère de l’Éternel sur nous est grande parce que nos pères n’ont point gardé la parole de l’Éternel pour faire ce qui était écrit dans ce livre (2 Chroniques 34.21). Il reconnaît donc que ce livre a été témoin contre ses prédécesseurs aussi bien que contre lui-même et rend ainsi hommage à son antiquité bien constatée. On a demandé comment un écrit aussi vénérable aurait pu tomber dans l’oubli. Mais quand on pense au demi-siècle qui avait précédé le règne de Josias et durant lequel Manassé et Amon, son grand-père et son père, avaient fait tout ce qu’ils avaient pu pour anéantir le culte de l’Éternel, répandu comme de l’eau le sang des justes dans les rues de Jérusalem, rebâti les hauts lieux consacrés à Baal dans tout le pays de Juda, rempli d’autels idolâtres le temple même de Jérusalem, on comprend qu’au moment où la nation sortait à peine de cette crise longue et terrible, les livres sacrés n’eussent pas immédiatement repris leur action. Il y avait longtemps sans doute que l’usage de lire tous les sept ans la loi du Deutéronome (Deutéronome 31.10-11) était tombé en désuétude.
Il n’est aucun livre de l’Ancien Testament qui soit rempli comme celui-ci des souvenirs de la vie et des coutumes égyptiennes, ainsi que des grands faits de la sortie d’Égypte, du séjour au désert et de la conquête des pays au-delà du Jourdain. Il faudrait citer en preuve le livre entier. Relevons seulement les allusions aux maladies infectieuses d’Égypte (Deutéronome 7.15 ; Deutéronome 28.27 ; Deutéronome 28.35 ; Deutéronome 28.60), à la manière d’arroser les jardins dans ce pays (Deutéronome 11.10), aux mascarades égyptiennes (Deutéronome 22.5), au travail servile auquel avait été assujetti le peuple en Égypte (Deutéronome 5.15 ; Deutéronome 15.5 etc.), à la destruction de l’armée égyptienne dans la mer Rouge (Deutéronome 11.4), au péché du peuple et d’Aaron dans l’affaire du veau d’or (Deutéronome 9.20), au péché du peuple à Kadès (Deutéronome 9.23), à celui de Moïse à Mériba (Deutéronome 33.8), à la mort d’Aaron (Deutéronome 32.50), à la conduite d’Israël à l’égard d’Ésaü et de Moab (Deutéronome 2.2 et 9), au rôle de Gad dans la marche contre Canaan (Deutéronome 33.20-21), etc., etc. N’est-il pas plus simple et plus conforme à l’esprit de ce livre de voir dans cette multitude de réminiscences dont il est saturé le souvenir naturel et tout frais d’événements récents, qu’un pastiche destiné à donner le change au lecteur ?
On assure que la bonne foi de l’auteur n’est nullement compromise par la liberté qu’il prend de mettre ses propres exhortations dans la bouche de Moïse afin de leur donner plus de poids auprès de ses contemporains. Admettons qu’il en soit ainsi. Mais l’auteur du Deutéronome va plus loin ; il affirme que Moïse écrivit cette loi après l’avoir fait entendre au peuple (Deutéronome 31.9), puis qu’il la donna aux Lévites qui portaient l’arche, en leur ordonnant de déposer le rouleau dans son voisinage (versets 25 et 26). Et ce serait cet auteur, lui-même qui inventerait ces actes qu’il met sur le compte de Moïse ! Une telle manière de faire ne dépasse-t-elle pas la limite du procédé dont on essayait tout à l’heure la justification et peut-on nier encore qu’elle ne tombe dans le domaine de la fraude ? Assurément, nous ne pouvons empêcher personne de croire à la fraude. Mais accepter une supposition si peu conforme à l’esprit du livre admirable dont il s’agit, et cela, malgré toutes les raisons contraires que nous avons alléguées, nul n’a le droit de l’exiger de nous ni de personne.
Mais si nous estimons naturel qu’avant de mourir Moïse ait voulu adapter aux besoins de l’intelligence et de la conscience du peuple nouveau qu’il avait devant lui, la législation qu’il avait donnée au désert et qui avait surtout été recueillie et consignée jusques-là en vue des sacrificateurs et des juges et si cette reproduction, qui se rattachait surtout au Livre de l’alliance et aux souvenirs personnels du législateur, répond entièrement au caractère général des discours du Deutéronome, nous ne soutenons point cependant que le livre lui-même soit sorti des mains de Moïse tel que nous le possédons. Nous avons reconnu que la partie narrative porte les marques d’un temps postérieur. Nous avons constaté, touchant les bénédictions du chapitre 33, qu’elles doivent avoir été rédigées, sous la forme où elles sont là devant nous, dans les temps qui suivirent là conquête. Dans les discours mêmes nous avons trouvé des passages qui ne peuvent être que des additions archéologiques postérieures (Deutéronome 2.10-12 ; Deutéronome 2.20-23 ; Deutéronome 3.9 ; Deutéronome 3.11 ; Deutéronome 3.14). Il n’est donc pas impossible que dans ces mêmes discours soient entrés avec le temps des amplifications édifiantes qui dans ce cas seraient sans doute les parties dans lesquelles on reconnaît de la manière la plus frappante le style des prophètes postérieurs. Comme les discours du Deutéronome devaient être lus tous les sept ans devant le peuple, il y avait là pour de telles applications édifiantes, des occasions toutes naturelles. Néanmoins nous nous croyons autorisés et même obligés par toutes les considérations que nous avons fait valoir à maintenir l’origine vraiment mosaïque du contenu essentiel des discours qui sont mis ici dans la bouche de Moïse et dont la rédaction lui est attribuée.
Moïse se trouve être ainsi le point de départ des différentes branches de la littérature hébraïque. Il en est de lui comme de Luther, qui n’a pas seulement ramené au jour la vraie formule de l’enseignement évangélique, mais qui a été en même temps le créateur de la langue allemande moderne et le fondateur de la poésie et de la musique religieuses dans l’Église protestante d’Allemagne. De même Moïse nous a laissé, avec la plus ancienne législation les plus anciens morceaux prophétiques et le psaume le plus antique. Une haute supériorité littéraire a été souvent la condition de succès des grandes œuvres historiques.
11 ni quant aux signes et aux prodiges que l’Éternel le chargea de faire au pays d’Égypte, sur Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays ; 12 ni quant à cette main puissante et quant à toutes les choses redoutables que Moïse exécuta aux yeux de tout Israël.