Verset à verset Double colonne
Lorsque… Cette détermination chronologique n’ayant en elle-même rien de précis, on ne sait à quel moment de l’histoire de l’humanité primitive ce fait doit trouver sa place. Tout ce que l’on petit dire, c’est que le rédacteur, en le plaçant ici, y a vu l’une des causes qui ont nécessité la destruction de l’ancienne humanité par le déluge. Comparez verset 3.
Les hommes, littéralement l’homme, mais pris dans un sens collectif, l’humanité. Il est donc bien difficile de voir ici, comme on l’a voulu, seulement une partie de l’humanité, la race caïnite.
Les fils de Dieu. Cette expression a donné lieu dès les temps les plus anciens à de longues discussions. L’interprétation qui se présente le plus naturellement à l’esprit est celle qui applique cette dénomination aux anges, soit à des anges déjà déchus, soit à des anges purs encore, dont cet événement aurait déterminé la chute. Comparez Job 1.6 ; Job 2.1 ; Job 38.7 ; Psaumes 29.1 ; Psaumes 89.7 ; Daniel 3.25.
C’est ainsi que ce texte a été entendu par les plus anciens écrivains juifs (Philon, les auteurs des livres d’Hénoc et des Jubilés, etc.) et par un grand nombre d’auteurs chrétiens, anciens et modernes. Mais de bonne heure aussi des objections furent faites à cette manière de voir. Voici les plus importantes :
D’autres voient dans les fils de Dieu de simples hommes. D’après les uns, ce seraient des fils de familles nobles qui se seraient unis à des filles de familles obscures. Mais comme le nom de fils de Dieu n’a jamais une pareille signification dans l’Écriture, cette explication est aujourd’hui abandonnée.
D’après une interprétation plus plausible, qui est encore aujourd’hui soutenue par un grand nombre de commentateurs, les fils de Dieu seraient les descendants de Seth et les filles des hommes les descendantes de Caïn. En effet, le titre de fils de Dieu n’est pas donné exclusivement aux anges dans l’Ancien Testament ; il s’applique entre autres au peuple d’Israël (Exode 4.22 ; Deutéronome 14.1 ; Osée 2.1) ; puis Dieu lui-même est placé en tête de la généalogie du chapitre 5 et toute la race des Séthites est ainsi présentée comme descendant de lui ; enfin, cette interprétation donne à tout le contexte un plan très logique : nous aurions dans ce qui a précédé la distinction des deux races, dans ce morceau leur mélange et dans le récit suivant leur châtiment commun.
Ces raisons cependant ne sont pas convaincantes. Il n’est dit nulle part que Dieu ait fait élection de la famille de Seth comme il a fait élection du peuple d’Israël. Puis, si Dieu est placé en tête de la généalogie des Séthites, ce n’est, pas comme père de cette race particulière, mais comme créateur de l’humanité tout entière.
Mais surtout deux raisons tirées du contexte nous empêchent absolument de nous rattacher à cette explication :
Nous sommes donc forcément ramenés à l’interprétation qui voit dans les fils de Dieu des anges et pour échapper aux objections qui ont été formulées, nous croyons pouvoir supposer que ces êtres spirituels ne sont pas entrés en relations directes avec les filles des hommes, mais se sont emparés de corps d’hommes pour assouvir par ce moyen leurs convoitises. Nous aurions ici des cas de possession analogues à ceux qui se présentent à nous au temps de Jésus-Christ.
À ces deux époques, c’est une corruption terrible de l’humanité qui a ouvert la porte à ces influences infernales et il est certain que si Jésus n’avait pas paru au temps convenable pour briser la puissance de l’empire des ténèbres, l’humanité corrompue de ce temps serait allée, comme cette humanité primitive, à la rencontre d’un épouvantable jugement de Dieu.
Le récit de la guérison du démoniaque de Gadara fait voir jusqu’à quel degré un pareil état de possession peut pousser le développement physique du corps de l’homme et de ses forces.
On nous demandera peut-être pourquoi, en suite de cette union d’êtres supérieurs avec l’humanité, c’est cette dernière seule qui est punie. Rien ne nous dit que les anges déchus n’aient pas été punis aussi. C’est un fait qui ne concerne pas l’humanité et que Dieu n’avait pas besoin de lui révéler.
Qui leur plurent. Le mariage, que Dieu avait institué, est réduit aux proportions d’un caprice voluptueux. Comparez le propos de Samson, Juges 14.3.
Ce verset établit le lien entre la faute des anges et le déluge. Le développement des forces physiques ayant pris une prépondérance absolue sur celui des instincts moraux, l’Éternel déclare que les hommes ne sont que chair et qu’il renonce à continuer la lutte que son Esprit avait soutenue jusqu’alors contre les progrès de la brutalité.
Il a dû s’écouler un espace de temps considérable entre les premiers mariages monstrueux racontés au verset 2 et cette parole divine : Dieu a laissé le mal se développer et porter ses fruits avant d’intervenir pour le punir.
Mon Esprit ne contestera pas. Quelques-uns ont entendu par mon Esprit le souffle de vie que Dieu a mis dans l’homme ; il faut alors traduire par habiter le verbe que nous avons rendu par contester, ce qui est possible. Dans ce sens, la sentence suivante : Ses jours seront de cent vingt ans, se rapporterait à un raccourcissement de la vie patriarcale par le retrait du souffle vivifiant de Dieu et n’aurait aucun rapport avec le déluge.
Mais ce sens n’est pas possible, puisque, même après le déluge, nous trouvons encore toute une série d’hommes qui vivent jusqu’à un âge dépassant de beaucoup cette limite (Arpacsad 438 ans, Sélah 433, Héber 464, etc.). Pour trouver le temps où les hommes ne dépassent pas 120 ans, il faudrait descendre jusqu’aux fils de Jacob (Joseph, 140 ans).
Cette détermination de temps ne peut donc se rapporter qu’au châtiment du déluge, jusqu’auquel s’écouleront 120 ans. C’est le délai de grâce accordé à l’humanité pour se repentir, comme les quarante jours accordés à Ninive et les quarante ans accordés à Israël après le meurtre du Messie.
Il faut donc prendre le terme d’Esprit de Dieu dans le sens moral et l’appliquer à la lutte de cet Esprit contre les penchants incorrigibles de l’humanité déchue, lutte qui va faire place au châtiment.
Car aussi il n’est que chair. Le mot hébreu beschaggam pourrait être envisagé comme un verbe à l’infinitif avec sa préposition, ce qui se rendrait par : dans leurs égarements : Dans leurs égarements il (l’homme pris au sens collectif, l’humanité) n’est que chair.
Mais le verbe schagag, s’égarer, servant à désigner dans l’Écriture le péché excusable commis sans préméditation, ne peut s’appliquer à un état de choses comme celui dont il est ici parlé. C’est pourquoi nous préférons avec beaucoup d’interprètes une traduction qui fait de ce terme un mot composé : en ce que ils aussi, car aussi ils ne sont que…
Nous trouvons ici l’idée d’un châtiment semblable à celui dont parle saint Paul Romains 1.21 : parce que les hommes ont laissé l’élément matériel dominer en eux Dieu les abandonne et les livre à leurs convoitises charnelles, jugement moral qui doit amener le jugement extérieur.
Les géants étaient sur la terre. Ce verset décrit les conséquences monstrueuses du fait raconté au verset 2 : le prodigieux développement de la nature physique chez les hommes et l’extrême brutalité qui ne pouvait manquer d’en résulter.
Le terme traduit par les géants, nephilim, dérive selon plusieurs du verbe naphal, tomber. On l’a entendu au sens moral : des êtres déchus ; d’autres traduisent : ceux qui se jettent sur quelqu’un, les violents. Il nous paraît plus naturel de le faire dériver du verbe pâld, séparer, distinguer, ce qui donne au mot nephilim le sens de : êtres extraordinaires (par leur taille). Cette opinion, suivie par plusieurs savants, a été confirmée récemment par la découverte d’un fragment assyrien ou se trouve le mot naplou signifiant : unique en grandeur.
C’était une croyance générale chez les anciens, que les hommes des premiers âges avaient été d’une taille gigantesque. Chez les Grecs en particulier, on trouve la fable des Titans, hommes d’une taille colossale qui tentèrent d’escalader le ciel et furent foudroyés par Jupiter et les dieux de l’Olympe. Seulement la fable païenne les faisait naître du sol terrestre.
Et cela après que. On traduit souvent : Et aussi dans la suite parce que les fils de Dieu venaient… Ce sens supposerait que le commerce entre les anges et les filles des hommes continua dans la suite et que cette race de géants se perpétua sur la terre. Mais dans ce cas le fragment que nous expliquons exclurait absolument le fait du déluge ; car comment cette race monstrueuse n’aurait-elle pas été détruite par ce châtiment ?
Le sens que nous avons rendu dans la traduction est plus naturel en soi et il convient au contexte : après avoir dit que les géants étaient à ce moment-là sur la terre, l’auteur ajoute qu’ils y étaient depuis que ce commerce impur avait commencé.
Ce sont là ces héros. C’est ici une allusion évidente à la mythologie héroïque des peuples païens, dont l’auteur hébreu avait connaissance et qu’il ramène à sa vérité historique dans le récit qui nous occupe.
Des hommes célèbres, littéralement des hommes de nom, qui ont un nom dans les récits populaires.
Dans le morceau précédent, le déluge est motivé par un fait particulier, les naissances monstrueuses dont il a été parlé ; dans celui-ci, par la corruption morale de l’humanité tout entière.
Tous les desseins des pensées de son cœur, littéralement : toutes les formations des pensées… Le cœur, en hébreu, désigne le centre générateur de la vie morale ; c’est de lui que partent et les pensées et les volontés.
L’Éternel se repentit. Cette expression, souvent employée dans l’Écriture, ne signifie pas que Dieu s’adresse à lui-même des reproches au sujet de la création de l’humanité. Dans ce sens l’Écriture déclare que Dieu n’est pas homme pour se repentir (1 Samuel 15.29).
Ce mot signifie seulement que l’homme ayant changé et, ne répondant plus à sa destination assignée de Dieu, Dieu change aussi à son égard. Si, une fois que l’homme se corrompt, il ne devenait pas pour Dieu un objet de déplaisir et non plus de satisfaction, ce serait Dieu lui-même qui changerait de caractère.
Dieu va défaire ce qu’il avait fait. Effacer l’homme de dessus la terre, c’est défaire l’œuvre du sixième jour ; détruire le bétail, les reptiles et les oiseaux, c’est défaire l’œuvre des cinquième et sixième ; peut-être le bouleversement atteint-il l’œuvre du quatrième, si la cause du déluge se trouve dans une perturbation astrale ; en tout cas l’œuvre du troisième est détruite aussi par la suppression de la limite entre les terres et les mers ; les eaux d’en-haut et les eaux d’en-bas, séparées au second jour, se confondent de nouveau ; c’est le retour au chaos, à ce premier jour où les eaux de l’abîme couvraient la terre.
Mais entre alors et maintenant il y a cette grande différence que ce n’est plus, l’Esprit de Dieu seulement qui plane sur l’étendue des eaux ; l’arche est là qui vogue, portant dans ses flancs tous les restes du monde ancien destinés à devenir les germes du monde nouveau.
L’Éternel dit. Ce mot dire indique comme toujours une décision divine. L’homme est tellement un avec la nature dont il est le chef, que sa ruine entraîne celle de cette dernière, comme son relèvement entraînera aussi la restauration de toute la création. Comparez Genèse 3.17 ; Romains 8.19-21.
Et Noé. Nous connaissons par Genèse 5.29 la naissance de Noé et nous comprenons maintenant pourquoi c’était jusqu’à lui qu’avait été conduite la généalogie des enfants de Seth. C’est lui qui est appelé à devenir le sauveur de l’humanité.
Trouva grâce aux yeux de l’Éternel : devint l’objet de la faveur et de la bénédiction divines. Nous verrons plus tard ce qui lui fit obtenir ce privilège.
Le passage Genèse 5.5-8 parait avoir été tiré du document jéhoviste ; le suivant (Genèse 5.9-12) appartient plutôt au récit élohiste et c’est là ce qui nous explique la nouvelle considération par laquelle est motivé le châtiment du déluge (verset 11).
Nous retrouvons ici le mot tholedoth, qui est propre au document élohiste. Nous avons vu plus haut (Genèse 2.4 ; Genèse 5.1) qu’il signifie : ce qui a été engendré, ce qui est provenu. Ici le morceau dont ce mot est le titre, comprend non seulement la généalogie des fils de Noé, mais aussi leur histoire tout entière. Ce passage paraît se relier au dernier morceau élohiste (chapitre 5).
Un homme juste, intègre. Les mots suivants, marchait avec Dieu, montrent où il puisait la force de mener une vie si différente de celle de ses contemporains.
La justice indique l’accomplissement consciencieux de tous ses devoirs envers Dieu et envers les hommes et le mot intègre dit qu’il n’y avait pas de lacune volontaire dans cette justice ; mais n’oublions pas le mot trouva grâce (verset 8) qui montre qu’au jugement de Dieu il n’était pour autant pas sans tache. Comparez Luc 1.6.
Marchait avec Dieu. Ce terme n’est appliqué dans l’Écriture qu’à Noé et à Hénoc. Le mot avec montre qu’il y a mieux ici que la soumission ; il y a la communion, l’intimité.
La corruption de l’humanité par laquelle le déluge est motivé, est présentée ici au point de vue des actes de violence par lesquels elle se manifestait. La vie sur la terre était devenue intolérable.
Voilà le résultat auquel avaient abouti les admirables découvertes de Tubal-Caïn et de ses frères. Impureté (versets 1 à 4), dispositions perverses (versets 5 à 8), violence et meurtre (versets 9 à 12), tel est le spectacle que notre terre présentait aux yeux de Dieu. De là la décision annoncée dans le morceau suivant (versets 13 à 22), qui appartient tout entier au document élohiste.
Une arche (théba). Ce mot ne se trouve que dans ce passage et dans Exode 2.3, où il désigne le coffret où était couché, l’enfant Moïse. Il est probablement d’origine égyptienne et signifie une caisse. C’est sans doute de ce mot qu’est venu le nom de la ville de Thèbes, dans la Haute-Égypte, qui était désignée par là comme la ville des tombeaux ou des caisses sépulcrales dans lesquelles on enfermait les momies.
De bois résineux, en hébreu gôpher ; c’est probablement le cyprès. Cet arbre était employé par les Phéniciens comme bois de construction ; il croît abondamment en Babylonie.
Le mot coudée désigne la distance entre le coude et l’extrémité de la main ; la coudée juive ancienne équivalait à 48 cm, la coudée babylonienne, adoptée plus tard chez les Juifs, à 52 cm. Les mesures approximatives de l’arche sont donc 150 mètres de longueur, 25 de largeur et 15 de hauteur.
Un bâtiment construit d’après ces proportions n’est pas propre à avancer rapidement, mais des essais ont prouvé qu’il peut supporter une charge plus considérable qu’un vaisseau construit suivant les proportions ordinaires. C’est tout ce qu’il fallait pour le but que Dieu se proposait.
Une ouverture à l’arche. Cette ouverture doit être distinguée de la fenêtre mentionnée Genèse 8.6. Elle régnait tout autour de l’arche au-dessous du toit et avait la hauteur d’une coudée. Elle était sans doute destinée à aérer le bâtiment.
Et moi… : Voilà ce que tu feras, car moi, voici ce que je vais faire.
Le déluge : en hébreu mabboul, de jabal, couler, ce mot ne se trouve que dans ce récit et dans Psaumes 29.10, où il est fait allusion à notre passage. Cette expression était sans doute vieillie et devenue une sorte de nom propre ; car l’auteur trouve nécessaire de l’expliquer : une inondation de la terre.
J’établirai mon alliance. Cette promesse est non seulement celle de la conservation de Noé, mais d’une conservation rattachée à une alliance de Dieu avec l’homme qui sera conclue à la suite du déluge.
Après que Dieu a ordonné à Noé de faire entrer les animaux dans l’arche (verset 19), il lui fait entendre comment cela se pourra faire : il leur donnera lui-même l’impulsion qui les conduira auprès de Noé. On connaît l’instinct qui fait pressentir aux animaux la proximité d’une grande catastrophe.
C’est de ce passage que s’est inspiré l’auteur de l’épître aux Hébreux (Hébreux 10.7) : C’est par la foi que Noé construisit l’arche.