Verset à verset Double colonne
Le pardon de ses péchés
De retour à Capernaüm, Jésus voit déposer à ses pieds un paralytique couché sur un lit. Il lui adresse des paroles d’encouragement et prononce le pardon de ses péchés (1-2).
L’accusation des scribes
Des scribes l’accusent de blasphème. Mais Jésus, les censurant de leurs mauvaises pensées, leur fournit la preuve que le fils de l’homme a l’autorité de pardonner les péchés : il ordonne au paralytique de se lever, de prendre son lit et de s’en aller dans sa maison, ce qu’il fait aussitôt (3-7).
La réaction du peuple
Le peuple glorifie Dieu.
Comparer Marc 2.1-12, Luc 5.17-26.
Sa ville, Capernaüm, où il s’était établi (Matthieu 4.13 ; Marc 2.1).
Marc et Luc assignent une autre place au trait qui va suivre et le rapportent avec plus de détails (voir les notes).
Avant tout, la foi du paralytique, mais aussi la foi de ceux qui le lui apportaient et qui montraient ainsi que déjà cette foi était « opérante par la charité ». C’était là la préparation nécessaire à la guérison et au pardon.
D’abord des paroles pleines de compassion et d’encouragement : Prends courage, mon enfant (comparer Matthieu 9.22, Marc 10.49). Puis, un bienfait infiniment plus grand pour le malade que la guérison qu’il venait demander : Tes péchés sont pardonnés (grec remis). Le texte reçu porte : « te sont pardonnés », ce qui s’entend de soi-même.
Mais ce qu’il faut remarquer c’est le verbe au présent, selon le vrai texte, qui montre le pardon accordé actuellement par Jésus-Christ et sans condition aucune. Pour que ce pardon absolu fut moralement possible et vrai, il fallait que Jésus vit dans cet homme la repentance aussi bien que la foi. Cependant cette parole de Grâce, adressée à un malade qui venait chercher la guérison, surprend au premier abord. On a conclu de là que le malade avait lui-même causé son mal par ses péchés, ou que Jésus s’accommodait à l’idée juive de son temps que toute souffrance est le châtiment de péchés personnels (voir le contraire dans Jean 9.2-3).
Il est possible que ce paralytique se fût attiré sa maladie par ses égarements, mais rien dans le récit ne l’indique. Seulement il est certain, selon l’Écriture, que tout mal dans le monde émane du péché (Romains 5.12) et Jésus, en accordant d’abord le pardon, guérit la cause, le péché, avant d’ôter l’effet, la maladie.
D’après les autres synoptiques, il n’y avait pas là uniquement, comme adversaires, les scribes, mais aussi des pharisiens (voir sur les premiers Matthieu 23.2, note et sur les derniers Matthieu 3.7, note), venus ensemble de divers lieux pour épier Jésus (Luc 5.17).
C’est donc ici proprement que commence dans le récit de Matthieu cette opposition hostile qui ira toujours croissant jusqu’au dénouement.
Comment ces adversaires pouvaient-ils voir, dans le pardon prononcé par Jésus, un blasphème ? Il leur paraissait que Jésus usurpait un attribut divin.
Dans Marc et Luc les contradicteurs complètent ainsi leur pensée : « Qui peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul » ? Et dans l’ignorance où ils étaient de la personne de Jésus, ils avaient raison. Quand plus tard le Maître autorise ses disciples à pardonner les péchés, il leur délègue un pouvoir qu’il exerce, lui, directement et ils ne pourront, eux, qu’annoncer le pardon au nom de Dieu et du Sauveur (Matthieu 16.19 ; Matthieu 18.18 ; Jean 20.23 ; notes).
B et quelques versions ont : « connaissant leurs pensées ». L’idée est la même. Jésus est le seul homme qui ait jamais eu le pouvoir de connaître ou de voir les pensées des autres. Ce n’était pas seulement l’effet d’une pénétration naturelle de son esprit, mais un pouvoir divin semblable à celui par lequel il faisait des miracles (Jean 2.24-25).
Grec : Pourquoi vous, pensez-vous… vous, tandis que ce pauvre paralytique et ses amis viennent à moi pleins de confiance.
C’étaient là précisément les mauvaises choses que les adversaires avaient dans leurs cœurs, des pensées d’incrédulité et d’inimitié qui leur faisaient voir un blasphème dans la plus émouvante manifestation de la miséricorde de Dieu. C’étaient donc eux-mêmes qui blasphémaient.
Lévitique 5.5 doit motiver (car) le verset 4 et cette dernière question, Jésus la tire des pensées mêmes des adversaires.
Au fond, pardonner ou guérir sont également impossibles à l’homme et aisés pour le Seigneur car l’un et l’autre exigent la puissance divine. Mais les scribes pensaient : Voilà un paralytique qui vient chercher la guérison et on lui dit : Tes péchés te sont pardonnés ; cela est bien facile, en même temps que blasphématoire ; mais le guérir ! Or, afin que vous sachiez, est donc la solennelle réponse à cette pensée et la guérison du paralytique par la parole de Jésus devient ainsi une démonstration sans réplique de l’autorité qu’il a pour pardonner les péchés.
Sur l’expression le fils de l’homme, voir Matthieu 8.20, note.
Les mots : sur la terre sont là par opposition à dans le ciel. Même sur la terre, avant le jugement éternel, même sous sa forme de serviteur, le fils de l’homme a le pouvoir de pardonner ; car « toute puissance lui est donnée au ciel et sur la terre » (Matthieu 28.18).
Cette parole respire l’origine céleste de celui qui la prononce
La profonde impression que la foule reçoit de ce miracle est rendue, dans le texte reçu, par ce mot fut dans l’admiration ou l’étonnement. La variante admise donne à peu prés le même sens mais avec plus d’énergie encore.
Aux hommes n’est pas une expression générique pour à un homme (Jésus) ; mais la foule regarde avec raison tous les pouvoirs de Jésus comme conférés, en lui à l’humanité entière.
Appel de Matthieu
Jésus passant devant le bureau des péages, appelle Matthieu à le suivre, ce qu’il fait aussitôt. Il invite Jésus pour un repas, et, avec lui, beaucoup de péagers et de gens mal famés (9-10).
Les pharisiens accusent Jésus de frayer avec des pécheurs
Des pharisiens voyant cela, demandent aux disciples comment il se fait que leur Maître mange avec de telles gens. Jésus répond : Ce sont précisément les malades qui ont besoin de médecin. Ils pourraient le savoir, car l’Écriture dit : Dieu prend plaisir à la miséricorde, non au sacrifice : le Sauveur vient appeler des pécheurs, non des justes (11-13).
Question des disciples de Jean-Baptiste sur le jeûne
En ce moment des disciples de Jean-Baptiste demandent à Jésus pourquoi ceux qui le suivent ne pratiquent point la loi du jeûne. Il leur répond que ses disciples ne peuvent être dans le deuil ou la tristesse tant que l’époux est avec eux, mais que les jours viendront où ils jeûneront (14-15).
Similitudes sur les habits et les outres
Puis il s’applique à leur faire comprendre, par deux comparaisons frappantes, que la vie nouvelle qu’il apporte au monde est incompatible avec les vieilles institutions légales et même qu’elle exige l’entier renouvellement de l’homme intérieur (16-17).
Marc 2.13-22 et Luc 8.27-39 racontent aussi cette vocation d’un disciple avec les mêmes détails de lieu, de temps, de circonstances, il s’agit évidemment d’un fait identique dans les trois récits.
Mais tandis que notre évangéliste appelle ce disciple Matthieu, les deux autres le nomment Lévi. Or il suffit d’observer que le nom de Matthieu se retrouve dans tous les catalogues des apôtres, tandis que celui de Lévi n’y paraît jamais, pour être convaincu que le disciple appelé en cette circonstance à l’apostolat changea dès ce moment son nom de Lévi en celui de Matthieu, qui signifie don de Dieu. Ainsi Simon prend le nom de Pierre Saul celui de Paul (voir l’introduction).
Bureau des péages Lieu où l’on percevait les impôts sur les marchandises en transit, etc. Comme ces contributions étaient prélevées pour le compte des Romains, les Juifs qui exerçaient ces fonctions de percepteurs étaient généralement haïs et méprisés (Matthieu 5.46, note). Et c’est parmi ces péagers (comparez Matthieu 9.11 ; Matthieu 11.19 ; Matthieu 18.17) que Jésus choisit l’un de ses apôtres !
Voulait-il seulement faire voir combien il se mettait au-dessus des préjugés juifs ? Ou désirait-il aussi posséder parmi ses disciples un homme habitué à manier la plume ? Tout cela est possible ; mais il y a quelque chose de si brusque, de si spontané et de si étrange dans cet appel, qu’on ne peut, en tout cas, douter que Jésus ne l’ait adressé par une impulsion directe d’en haut. Ce caractère divin de l’appel ressort aussi de la décision et de la promptitude avec lesquelles il est accepté. Entre Jésus et cet homme, il doit y avoir eu comme un coup de divine sympathie
Tout dans l’histoire évangélique est une révélation de la miséricorde de Dieu.
Il est très probable que Matthieu connaissait déjà Jésus, qui habitait cette même ville de Capernaüm qu’il avait entendu et reçu sa parole et que cet appel à le suivre fut une vocation décisive à l’apostolat. Mais l’autorité de cet appel du Maître et la prompte obéissance du disciple n’en sont pas moins admirables.
Matthieu ne nous dit pas dans quelle maison, il garde là-dessus un silence plein de modestie, mais Luc 5.29 nous apprend que c’était la maison de Matthieu Lévi, dans laquelle celui-ci fit « un grand banquet ». Il voulut ainsi, dans le zèle de son premier amour, offrir à tous ces péagers et ces pécheurs qu’il invita, une occasion de voir et d’entendre Celui à qui il venait de consacrer sa vie.
Quelques interprètes ont prétendu que, selon Matthieu comme selon Marc, ce repas avait lieu dans la maison de Jésus et ils voient une contradiction entre les deux premiers évangélistes et Luc. Mais par quelle raison cette foule de péagers aurait-elle tout à coup envahi la maison de Jésus ? N’est-il pas plus naturel de nous les représenter dans la demeure de leur collègue Lévi ? Qui nous dit même que Jésus eut une maison à Capernaüm ? Le passage Matthieu 4.13, sur lequel on prétend fonder cette opinion, n’implique rien de tel.
Matthieu, péager lui-même, avait donc invité plusieurs de ses amis ayant la même vocation méprisée et, en outre, d’autres personnes dont la réputation n’était pas meilleure et qui sont spécialement désignées dans les évangiles comme des pécheurs, terme que nos versions ordinaires rendent par Gens de mauvaise vie. Ce mot se trouve souvent uni à celui de péagers parce que ces derniers avaient généralement le même caractère moral. Matthieu 11.19 ; Luc 7.34 ; Luc 15.1.
Les pharisiens (voir sur cette secte Matthieu 3.7, note), dans leur orgueilleuse propre justice, se croyaient en santé ou justes (verset 13) ; ils n’avaient donc pas besoin d’un médecin, de ce Sauveur qui venait guérir les âmes de leurs maladies morales. Mais ceux qui se portent mal, les malades, ces pécheurs qui se sentaient tels et qui l’entouraient en ce moment, eux avaient besoin de lui et c’est pourquoi ils l’écoutaient avec bonheur leur parler de pardon et de réconciliation avec Dieu.
Jésus faisait ainsi aux pharisiens une certaine concession, admettant une différence morale extérieure entre eux et les péagers, mais c’était une
« concession ironique », comme dit Calvin, car au fond leur orgueil et leur dureté de cœur envers ces pauvres pécheurs que Jésus recevait, les rendaient, malgré leurs lumières, plus coupables qu’eux devant Dieu (comparer Matthieu 9.13 ; Luc 7.36 et suivants ; Luc 15.1 et suivants).
Il y a une sévère désapprobation dans ces mots : allez et apprenez ! Pour d’autres, Jésus aurait dit : « Venez et apprenez de moi » (Matthieu 11.28-29).
Osée 6.6, d’après les Septante, conformes à l’hébreu, qui porte : « Je prends plaisir à la miséricorde, non au sacrifice ».
Cette belle parole de l’écriture se retrouve citée en Matthieu 12.7. Quel en est le sens ?
Selon la plupart des interprètes, Jésus l’applique aux pharisiens qui, sans miséricorde pour les péagers et les pécheurs, mettaient toute leur confiance pour leur salut dans les sacrifices qu’ils offraient et dans les dehors cérémonials de la religion ; précisément l’inverse de ce que Dieu veut.
Selon d’autres, Jésus s’appliquerait à lui-même cette déclarations et justifierait ainsi par une parole divine la miséricorde dont il usait envers les pécheurs. Ces deux interprétations sont loin de s’exclure mutuellement. Si quelque chose au monde avait du apprendre aux pharisiens que la miséricorde est plus agréable à Dieu que le sacrifice, n’est-ce pas la tendre compassion du Sauveur ?
La particule car qui motive les paroles suivantes ne se rapporte pas à la citation qui précède, mais à ces mots : « allez, apprenez », car pour moi je suis venu …
Les justes et les pécheurs sont les gens en santé et les malades (verset 13) et cette nouvelle comparaison des pharisiens avec les péagers renferme la même ironie. Jésus, sans exclure ces propres justes de son royaume, ne pouvait pas les y appeler, tant qu’ils persistaient dans leur orgueil. Car bien que le mot du texte reçu : appeler à la repentance, ne soit pas authentique ici (il l’est dans Luc) il est sûr que le sentiment douloureux du péché est la porte de ce royaume céleste auquel Jésus appelait.
Dans le récit de Luc (Luc 5.33 et suivants), l’entretien avec les pharisiens continue ici et ce sont eux, semble-t-il, qui adressent à Jésus cette question. Selon Marc (Marc 2.18 et suivants, note), ce seraient les pharisiens et les disciples de Jean réunis.
Quoi qu’il en soit, ces derniers y eurent part et Matthieu les nomme seuls, parce que c’est à eux, sans doute, que la réponse de Jésus importait le plus. Les disciples de Jean n’avaient pas tous suivi les conseils de leur maître, qui les exhortait à s’attacher à Jésus. Ceux qui ne l’avaient pas fait s’astreignaient aux prescriptions rigoureuses de la piété des pharisiens, qu’ils pratiquaient sans doute avec plus de sincérité que ces derniers. Ils menaient, à l’exemple de leur maître, une vie de repentance et d’austérité dans laquelle le jeûne tenait une grande place. Leur question montre qu’ils étaient scandalisés de la liberté que Jésus laissait à ses disciples à cet égard.
Les amis de l’époux, ou amis de noce (grec les fils de la chambre nuptiale, hébraïsme), étaient les jeunes gens qui accompagnaient l’époux quand il venait prendre sa fiancée pour l’emmener, entourée de ses amies, dans sa maison (Matthieu 25.1 et suivants). Ils figurent les disciples de Jésus, qui se présente lui-même comme l’époux de l’Église.
Les disciples de Jean durent comprendre cette belle image que leur maître avait employée. Jean 3.29. Ces amis ne devaient ni ne pouvaient (verset 15) être dans le deuil, s’attrister par le jeûne, tandis que Jésus était avec eux.
En se désignant comme l’époux Jésus affirme que, dans sa personne, c’est Dieu lui-même qui visite son peuple, car, dans le langage de l’Ancien Testament, cette comparaison est exclusivement réservée aux rapports de Jéhovah et d’Israël. Après avoir rappelé sa suprême dignité, Jésus, comme toujours, reporte sa pensée sur son abaissement suprême (Matthieu 16.21).
Quand l’époux leur sera ôté (grec enlevé brusquement), alors ils jeûneront, au sein de leurs souffrances, de leurs tristesses, non parce que la loi l’ordonne, mais avec une sainte liberté, afin de se livrer tout entiers à la prière et à leurs rudes travaux (comparer Matthieu 17.21 ; Actes 13.2 ; Actes 13.3 ; Actes 14.23).
C’est ici, dans notre évangile, la première fois que Jésus annonce sa mort, dont il eut, dès le commencement de son ministère, la plus claire prévision (Jean 2.19 ; Jean 3.14 ; comparez Jean 1.29). Quel jour ce fait jette sur toute sa vie !
Cette image explique et prouve la déclaration qui précède. Nul ne s’avise d’appliquer une pièce de drap neuf (grec d’étoffe écrue, non foulée) à un vieil habit déchiré, afin de le raccommoder ; car (grec) ce remplissage emporte (une partie) de l’habit et il se produit une déchirure pire, plus grande qu’auparavant. D’autres traduisent : « (la pièce) emporte sa plénitude (l’espace qu’elle remplit) de l’habit ».
Sens de cette image : La vie nouvelle dont Jésus est la source ne se concilie pas avec les institutions vieillies de la loi mosaïque, jeûnes, cérémonies, etc., pour cette vie nouvelle, il faut de nouvelles formes qu’elle saura bien se créer. La servitude légale et la liberté évangélique ne sauraient subsister ensemble. Le prétendre n’est pas seulement une vaine tentative, mais c’est chose nuisible : la déchirure est pire, le vin et les outres se perdent (verset 17).
On a la preuve historique de cette vérité dans les systèmes judéo-chrétiens des premiers siècles, qui tentaient précisément d’ajouter des lambeaux du christianisme aux traditions légales du mosaïsme. La vérité et la vie nouvelle y périrent également.
Jésus n’est pas venu pour raccommoder ce qui était vieilli et usé (Hébreux 8.13), mais pour créer à nouveau un monde religieux et moral (comparer Romains 7.6, voir la note suivante). Luc présente cette parabole sous une forme un peu différente (Luc 5.36 note).
L’interprétation qu’on vient de lire est peut-être la plus simple et la plus naturelle. Les exégètes modernes ont trouvé qu’elle ne serrait pas d’assez près les termes de la comparaison et ont objecté :
que si l’on rattache très étroitement cette parabole au sujet précédent, celui du jeûne, Jésus aurait dû dire : On n’ajoute pas un morceau de vieux drap (le jeûne légal) à un habit neuf (la nouvelle manière de vivre de mes disciples) tandis qu’il dit précisément le contraire On ne prend pas du neuf pour compléter le vieux.
On a donc proposé plusieurs autres explications. Nous n’en mentionnerons que deux : MM. Beyschlag et B. Weiss pensent que Jésus, répondant aux disciples de Jean (verset 14) veut montrer qu’ils ont raison, à leur point de vue ; que tant qu’ils restent sur le terrain du judaïsme ils font bien de conserver fidèlement les prescriptions légales, que la moindre introduction d’un principe de liberté dans leur vie religieuse (comme l’exemption du jeûne que Jésus octroie à ses disciples) ferait voler en éclats tout leur système d’observances rituelles. M. Godet (dans la troisième édition de son Commentaire sur saint Luc), pense que Jésus a en vue, non les disciples de Jean-Baptiste, dont il lui importait peu de justifier les pratiques, mais ses propres disciples.
La question (verset 14) à laquelle Jésus répond, peut en effet, se traduire : « Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas, tandis que nous et les pharisiens nous jeûnons ». Ils ne jeûnent pas, répond Jésus (verset 15) parce que l’époux est avec eux, mais quand l’époux leur sera ôté, alors ils jeûneront. Et c’est ce jeûne nouveau auquel ils se livreront alors que Jésus veut caractériser dans la comparaison du verset 16. On ne peut, dit-il, détacher celui-ci de toute cette vie et de cette sainteté nouvelles auxquelles il appartiendra, pour l’appliquer à des hommes qui sont encore dans l’état légal. Il faut suspendre la solution de la question du jeûne et de toutes les pratiques religieuses jusqu’à ce qu’un état de choses nouveau puisse être substitué tout d’une pièce à l’état présent.
L’une et l’autre explication sont quelque peu subtiles. Les auditeurs de Jésus auraient dû être doués d’une rare pénétration pour découvrir cette signification spécieuse de l’image qu’il employait. Aussi est-il plus prudent, peut-être, de s’en tenir au sens général indiqué d’abord. Bien des paraboles du Sauveur nous montrent qu’il convient de n’en pas presser les termes ni appliquer les détails (parabole de l’économe infidèle, du trésor dans un champ, Lazare à la porte du riche, etc.).
Aujourd’hui encore, en Orient, on conserve et transporte les liquides, l’eau, l’huile, le vin, dans des outres faites en peau de chèvre. Si ces outres sont vieilles, usées, le vin nouveau qu’on y mettrait les romprait par la force de la fermentation et contenant et contenu seraient perdus.
Quel est le sens de cette seconde parabole ? Quant au vin nouveau, il ne saurait y avoir doute. Il représente, comme dans la précédente image, l’esprit nouveau, la vie nouvelle que Jésus apportait au monde. Mais les outres, les vieilles, les nouvelles ? Trois interprétations diverses se présentent ici, soutenues par des exégètes également éminents.
« Ils ne peuvent s’attrister et jeûner, avait dit le Maître, tant que l’époux est avec eux ». C’est un temps de préparation et d’attente pendant lequel, étant encore dans leur vieille nature d’hommes pécheurs, ils ne sauraient ni pratiquer la loi avec ses exigences infinies ni contenir la vie de l’esprit dans sa plénitude. Ils en seraient brisés, comme Paul nous apprend que la seule découverte de la spiritualité de la loi le tua (Romains 7.9-10).
« Mais les jours viendront » où, renouvelés en tout leur être par l’Esprit de Dieu, ils recevront la plénitude de la vie nouvelle et verront accomplie dans leur vie toute « la justice de la loi » (Romains 8.2-4). Cette application de la seconde parabole à l’homme intérieur, soutenue par Calvin, Néander (qui explique aussi la première de la même manière) et d’autres, était une leçon sérieuse pour les disciples de Jean, une réponse directe à leur question au sujet de ces jeûnes légaux qui n’étaient que le rapiéçage d’un vieil habit et qui les rendaient incapables de recevoir la vie nouvelle. Et cet enseignement profond est d’une application universelle à l’éducation religieuse et à l’expérience chrétienne. Il montre enfin combien le Seigneur avait dès lors la conscience claire de l’œuvre absolument nouvelle qu’il venait accomplir : il sait qu’il est, non un réformateur seulement, mais le créateur d’un monde nouveau.
Jésus appelé par un chef de la synagogue
Comme Jésus parle encore, un chef entre et, se prosternant devant lui, le prie de venir imposer les mains à sa fille qui venait de mourir. Aussitôt Jésus le suit (18-19).
Guérison en chemin de la femme malade depuis douze ans
Pendant qu’il est en chemin, une femme qui avait une perte de sang s’approche timidement par derrière et touche le bord de son vêtement, convaincue que cela lui suffira pour être guérie. Jésus, se retournant, lui déclare que sa foi l’a sauvée (20-22).
Retour à la vie de la jeune fille
Arrivé à la maison du chef, Jésus voyant des gens qui faisaient de bruyantes lamentations, leur ordonne de se retirer, ajoutant : La jeune fille n’est pas morte, elle dort. Puis il prend la jeune fille par la main et elle se lève (23-26).
Comparer Marc 5.22-43, Luc 8.40-56.
Ces mots : Comme il leur disait ces choses, un chef étant entré et (verset 19) Jésus s’étant levé (de table) montrent que, d’après notre évangéliste, cet homme s’approcha de Jésus immédiatement après le discours précédent et encore dans la maison de Matthieu (verset 10).
Marc et Luc assignent à cette histoire une tout autre place et pour le temps et pour le lieu (voir Marc 5.21, note).
B et quelques majuscules ont : s’étant approché au lieu de étant entré.
Ce chef était, selon Marc 5.22 (et suivants) et Luc 8.41 (et suivants) qui racontent avec plus de détails, président de la synagogue de Capernaüm c’est-à-dire qu’il était chargé de surveiller et de diriger le culte. Il s’appelait Jaïrus et la jeune fille âgée de douze ans pour laquelle il implore le secours du Seigneur était son unique enfant. D’ordinaire les hommes de cette classe n’étaient pas prosternés aux pieds de Jésus ; mais ici, l’épreuve avait déjà produit son fruit.
La parole de Jaïrus : Ma fille est morte (grec a fini) il y a un instant diffère dans le récit de Marc, où il dit : « est à l’extrémité » et de Luc, où il s’exprime ainsi : elle « se meurt ». Il l’avait donc quittée encore vivante ; et en effet, selon ces deux derniers évangiles, Jaïrus n’apprend la mort de son enfant que lorsque Jésus s’était mis en chemin avec lui pour se rendre dans sa maison. Peut-être supposait-il que l’enfant qu’il avait laissée à l’extrémité, était morte maintenant, ou bien Matthieu raconte, selon son habitude, seulement les faits de la mort et de la résurrection, en omettant les circonstances secondaires.
Dans les trois synoptiques, l’histoire touchante de cette guérison trouve place comme épisode, dans le récit de la résurrection de la jeune fille. Ici encore Matthieu résume, tandis que Marc et Luc peignent la scène avec des détails nouveaux qui lui donnent un caractère assez différent (voir Marc 5.30, note). Cette pauvre femme, depuis si longtemps malade, s’approche de Jésus « par derrière », en se cachant, parce que sa maladie la rendait souillée selon la loi (Lévitique 15.19 et suivants), ce qui ajoutait encore à son affliction.
Elle paraît avoir eu une confiance illimitée, même un peu superstitieuse, en la puissance de Jésus. C’est ce qui ressort de sa pensée que le contact seul du bord (ou de la frange) de son vêtement (Luc 8.44, note) pourrait la guérir. Sa foi obscure, mais sincère, la conduit pourtant à son but (verset 22). Seulement Jésus insiste pour la faire parler, l’éclairer (voir Marc et Luc, note), la convaincre que ce n’était pas l’attouchement d’un vêtement qui l’avait guérie, mais la parole puissante et miséricordieuse du Sauveur répondant à sa foi.
Jésus, voyant cette pauvre femme intimidée, « tremblante » (Luc), « effrayée » (Marc), lui adresse d’abord de touchantes paroles d’encouragement (comparez verset 2), puis il attribue sa délivrance à sa foi, pour bien lui faire comprendre que ce n’est pas le vêtement touché qui, par une action magique, a opéré la guérison.
Bien plus, cette grande parole : ta foi t’a sauvée (ici se trouve le parfait, exprimant l’action déjà accomplie et permanente dans ses résultats), va plus loin que la guérison du corps. Cette délivrance et la tendre charité de Jésus formèrent entre lui et cette femme un lien qui eut pour effet le salut de son âme.
On sait que chez les peuples de l’antiquité, dès que quelqu’un avait expiré on appelait des joueurs de divers instruments et des femmes qu’on nommait des « pleureuses », afin de faire entendre des airs lugubres et de grandes lamentations sur le mort.
La foule que Jésus trouve là, se composait de tous ces gens et des amis et voisins accourus pour faire leurs condoléances.
Jésus fait retirer tout ce monde il veut agir dans le calme et le silence. De sa parole, comprise trop littéralement, des exégètes très sérieux (Olshausen, Néander et d’autres) ont conclu que la jeune fille n’était réellement pas morte mais endormie d’un sommeil léthargique.
Les évangélistes ont évidemment une conviction opposée (voir Luc 8.53 note) ; une autre parole semblable du Sauveur, Jean 11.11-14 désignait aussi une mort réelle. Là où est Jésus, la mort n’est plus la mort, mais un sommeil toujours suivi du réveil, le repos après les fatigues de la vie.
Fin du verset : Ce qui montre combien ils étaient convaincus que la jeune fille était réellement morte.
Grec : elle fut relevée, ou réveillée, ou ressuscitée.
Le verbe a ces trois acceptation dans le Nouveau Testament.
Selon Matthieu, qui abrège, ce miracle se serait accompli sans parole. C’est la main du Sauveur prenant la main de la jeune fille qui aurait rendu la vie à celle-ci. Mais voir Marc et Luc.
Guérison de deux aveugles
Comme Jésus s’en retournait, deux aveugles le suivent dans la maison en implorant son secours. Après leur avoir demandé s’ils croient à sa puissance, il les guérit en touchant leurs yeux. Il leur défend sévèrement de divulguer ce miracle, mais eux en répandent le bruit dans toute cette contrée (27-31).
Guérison d’un démoniaque muet
Comme les aveugles guéris sortaient, on présente à Jésus un démoniaque muet. Le démon chassé, le muet parle. Et tandis que le peuple est dans l’admiration, les pharisiens attribuent ce miracle à la puissance de Satan (32-34).
Résumé du tableau précédent
Jésus, parcourant les villes et les bourgades, enseignant et guérissant. En voyant les foules, il est ému de compassion, parce qu’elles étaient semblables à des brebis qui n’ont point de berger. Il y avait là une grande moisson à recueillir, mais peu d’ouvriers. Jésus exhorte ses disciples à prier pour que Dieu envoie des ouvriers dans sa moisson (38-38).
Ce nom de fils de David désignait le Messie dans le langage du peuple, qui croyait aux prophéties de l’Ancien Testament annonçant là naissance de ce libérateur dans la famille du grand roi d’Israël (Matthieu 15.22 et ailleurs). Ces aveugles, ayant sans doute eu connaissance de Jésus et de ses œuvres, l’invoquent comme le Sauveur promis à leur peuple. Jésus ne se donne jamais ce nom, mais il l’approuve (Matthieu 22.42).
Dans la maison où demeurait Jésus. Il veut leur parler et les guérir en particulier afin de ne pas attirer l’attention (verset 30).
C’est pourquoi il ne répond pas à leurs cris de détresse tant qu’il est en chemin, mais quand, malgré cet accueil peu encourageant, ils l’ont suivi jusque dans la maison alors il leur accorde la guérison.
Partout et toujours c’est la foi qui ouvre le cœur de l’homme à l’action divine (Matthieu 8.13).
C’est-à-dire qu’ils recouvrèrent la vue par la puissance créatrice de cette parole (verset 29).
Voir sur le but de ces défenses, Matthieu 8.4. Cette fois, Jésus accentue sa défense, par des raisons qui nous sont inconnues. Le verbe que nous traduisons par parler avec menace exprime un violent mouvement de l’âme ; le même terme désigne ailleurs une émotion produite par des causes différentes. Marc 1.43 ; Jean 11.33.
Désobéissance répréhensible, mais excusable par son motif :
Le sentiment d’une telle grâce ne leur permet pas d’en taire le bienfait.
Comparer à Marc 1.45
Le récit de ce miracle et du suivant ne se trouve que dans Matthieu
Voir sur les démoniaques, Matthieu 8.28, note.
Il n’est pas dit, dans le cas présent, si le mutisme de cet homme venait de l’influence d’un démon ou s’il avait cette infirmité dès sa naissance ; mais il est sûr que sa guérison coïncida avec l’expulsion du démon.
Ces pharisiens ne nient point les miracles de Jésus ; mais, dans leur incrédulité haineuse, ils préfèrent les attribuer au diable plutôt qu’à Dieu. Voir la même accusation à l’occasion d’une guérison semblable et la réponse de Jésus dans Luc 11.14-23.
Matthieu rapporte ce discours à propos de la guérison d’un démoniaque aveugle et muet, qui fut pour les pharisiens l’occasion de répéter leur propos (Matthieu 12.22-37).
Jésus parcourt en vrai missionnaire les divers lieux du pays ; il n’attend pas que les hommes viennent à lui, il va à eux.
Enseigner, prêcher la bonne nouvelle du royaume et guérir le corps et l’âme, telle est son œuvre de Sauveur (voir sur le royaume qu’il fondait, Matthieu 3.2, note).
Le texte reçu avec les majuscules plus récents ajoute à ces mots : toute maladie et toute langueur, ceux-ci : « parmi le peuple ».
Par ce résumé de l’activité du Sauveur, répétition textuelle de Matthieu 4.23, l’évangéliste termine le tableau général du ministère de Jésus.
Ce mot que nous traduisons par être ému de compassion et qui se retrouve souvent dans les évangiles appliqué à Jésus, signifie proprement être ému dans ses entrailles et exprime cette douloureuse sympathie avec laquelle il partageait les maux et les souffrances de notre pauvre humanité.
Ici, ce sentiment de tendre charité est excité par la vue de ces foules semblables à des brebis sans berger, lesquelles sont, non pas seulement « dispersées et errantes », selon nos anciennes versions, mais, d’après le vrai texte, fatiguées et gisantes (grec jetées).
Cet état d’épuisement et de souffrance est nécessairement celui de brebis privées de direction, de protection et de nourriture parce qu’elles n’ont point de berger. Image juste et frappante de l’état d’âmes sans lumière, sans paix, sans Dieu. Quel motif pour l’exhortation qui suit (verset 38) !
C’est précisément dans le lamentable état moral des hommes de son temps que Jésus voit les indices d’une grande moisson d’âmes, prête à être recueillie dans le royaume de Dieu (comparer Luc 10.2 ; Jean 4.35).
Plus l’homme sent sa misère et en souffre, plus ses besoins profonds le jettent dans les bras du Sauveur. Mais, pour la moisson, il faut des ouvriers pour conduire les âmes à la source de là vie, il faut des serviteurs de Dieu qui la leur montrent avec amour ; et alors il y en avait si peu, que le Sauveur demande à ses disciples de prier pour que le nombre en soit accru (verset 38).
Grec : afin qu’il lance des ouvriers. Expression énergique dictée par un besoin impérieux. C’est Dieu qui seul suscite forme, envoie de bons ouvriers dans son règne, mais il faut que l’Église en prière les lui demande.
C’est par cette mention de la profonde misère du peuple et de l’ardent désir de Jésus qu’un prompt secours lui soit envoyé, que Matthieu prépare le récit qui va suivre de la première mission des apôtres (chapitre 10).