Verset à verset Double colonne
Parmi les psaumes relatifs à la royauté israélite, il en est plusieurs dont l’application au Messie futur, tout en se laissant entrevoir, n’apparaît cependant que d’une manière assez indirecte. Tels sont les Psaumes 20, 21, 45, 72. Leurs auteurs ont eu en vue avant tout le monarque vivant à leur époque. Cependant l’idée même de la royauté, telle qu’elle se présente à eux, à la lumière des promesses divines, dépasse la personne du roi qu’ils ont sous les yeux et donne ainsi à leurs écrits une portée messianique. Le Psaume 110, comparable en ceci au Psaume 2, se distingue de ceux dont nous venons de parler en ce que tout entier et non seulement par quelques-uns de ses traits les plus frappants, il s’élève infiniment au-dessus des événements et des hommes contemporains du psalmiste.
L’application messianique n’est pas indirecte ; elle est au contraire celle qui se présente en premier lieu, qui même se présente seule au lecteur. Sans doute, les couleurs du tableau sont empruntées au milieu dans lequel vivait le psalmiste, aux idées et aux mœurs de son temps. Quand il parle de lutte et de victoire, il fait voir une plaine couverte de corps morts, il montre un chef buvant à la hâte de l’eau du torrent, sans se laisser détourner de la poursuite des fuyards. Mais il n’en est pas moins vrai que ce qui donne au psaume son caractère propre n’est applicable ni à David, ni même à la royauté israélite dans son ensemble. C’est le cas en particulier de l’oracle du verset 4, déclarant que le roi auquel Dieu soumet le monde est en même temps sacrificateur, et cela, à perpétuité. On sait avec quel soin jaloux la sacrificature israélite a constamment fait respecter les droits exclusifs que la loi divine lui attribuait, droits entièrement distincts de ceux de la royauté et comment furent rigoureusement punis les chefs politiques qui tentèrent à cet égard quelque empiétement. Rappelons l’exemple d’Ozias, qui fut frappé de la lèpre pour avoir osé prendre l’encensoir et offrir le parfum dans le Lieu saint (2 Chroniques 26.16-21 ; comparez Juges 8.27). Or, voici un psaume qui parle d’un monarque revêtu par l’Éternel de la double charge de roi et de sacrificateur, et cela, non à titre temporaire, mais d’une manière permanente et définitive. Et cette union, cette fusion des deux pouvoirs est présentée comme une chose si réellement nouvelle, si étrange même, au point de vue de la tradition israélite, que le décret divin en vertu duquel elle se produit est scellé d’un serment de l’Éternel ! Il faudrait descendre jusqu’à l’époque des rois asmonéens, pour trouver, dans les événements historiques, une analogie, bien lointaine et plus apparente que réelle, avec la royauté sacerdotale dont parle notre psaume. Les Maccabées, en effet, desquels descendaient ces rois, appartenaient à une famille de prêtres. Mais quelle distance entre cette prétendue royauté, sans sanction divine et la position unique donnée dans notre psaume à celui que le psalmiste appelle son Seigneur ! Là, ce sont des descendants de sacrificateurs qui, en des temps de trouble, parviennent pour un moment aux honneurs politiques, après quoi leur dynastie s’effondre dans des crimes de toute nature ; ici, c’est un roi légitime que l’Éternel associe à son propre pouvoir, pour lui conférer en outre une sacrificature éternelle !
La prophétie de notre psaume n’a d’analogue, dans l’Ancien Testament, que la vision de Zacharie (Zacharie 6.9-13), qui parla en termes très clairs d’un roi élevé à la charge de sacrificateur.
Parmi les théologiens qui reconnaissent le caractère messianique du psaume, il en est beaucoup qui se refusent à admettre la donnée traditionnelle d’après laquelle il aurait David pour auteur. Il y a, pensent-ils, une réelle impossibilité psychologique à ce que David, même éclairé à un très haut degré par l’esprit prophétique, ait pu sortir en quelque sorte de son époque, pour imaginer une royauté aussi distincte de la sienne propre que celle dont parle notre psaume. Il n’a pas pu se dédoubler, pour être en même temps le roi qu’il était réellement et, en la personne du fils promis, un être tout différent. L’auteur, pensent ces théologiens, ne peut être qu’un prophète de l’entourage de David, décrivant en termes élevés, la position privilégiée de son souverain, annonçant ses victoires et celles de ses successeurs sur tous les rois d’alentour et comparant même d’une manière hyperbolique sa position à celle de Melchisédek. Par le terme mon Seigneur, du verset 1, le psalmiste désignerait tout simplement David lui-même. L’application messianique serait par conséquent indirecte, comme celle des psaumes dont nous avons parlé plus haut.
Nous ne saurions admettre cette explication, qui enlève aux expressions du psalmiste leur sens naturel. Loin de trouver impossible que David ait pu concevoir, pour l’avenir, un règne tel que celui que décrit ce psaume, nous estimons que nul, mieux que lui, ne pouvait le pressentir. Il ne se peut faire qu’il n’ait pas ressenti vivement ce qu’il y avait d’incomplet dans sa propre royauté, par le fait que la loi lui interdisait d’accomplir l’acte le plus important de la vie nationale israélite, celui d’intercéder pour le peuple, comme sacrificateur et de se présenter devant Dieu avec le sang expiatoire. Jadis Melchisédek avait exercé ces hautes fonctions, dans cette même Jérusalem, où régnait David. Enfin des promesses formelles étaient là, qui annonçaient que le fils de David accomplirait, spécialement dans le domaine religieux, des choses auxquelles lui-même devait renoncer (2 Samuel 7.1 et suivants). De tels souvenirs, de telles promesses, le sentiment d’une telle lacune dans sa propre souveraineté, n’étaient-ils pas de nature à préparer David à recevoir la vision qui forme le contenu de notre psaume, celle du Roi-Sacrificateur, régnant sur un peuple de bonne volonté et vainqueur de tous les ennemis de l’Éternel ?
Nous ne prétendons pas, il est vrai, que David lui-même ait donné à tous les détails du psaume la portée que nous leur donnons nous-mêmes. Le mystère de piété n’était pas encore dévoilé. Nous comprenons la prophétie à la lumière que jette sur elle son accomplissement en la personne du Sauveur, manifesté en chair, justifié en esprit, vu des anges, élevé dans la gloire (1 Timothée 3.16). Une telle lumière manquait aux prophètes eux-mêmes. Comme les Psaumes 2 et 22 et comme les prophéties en général, notre psaume nous laisse l’impression d’une communication divine dépassant, dans une mesure que nous ne saurions préciser, les conceptions les plus hardies des hommes de Dieu qui nous les ont transmises.
En dehors de la prétendue impossibilité historique et psychologique dont nous avons parlé, nous ne connaissons pas de raisons qui empêchent d’attribuer le psaume à David. Le langage énergique, coloré, riche en images, d’une concision souvent étonnante, la pensée s’élevant d’emblée à la plus grande hauteur, le ton royal, en même temps que prophétique, tous ces traits, propres aux psaumes dont David est l’auteur, se retrouvent au plus haut degré dans celui-ci.
Jésus a cité le premier verset de notre psaume, en l’attribuant à David (Matthieu 22.43-44). Son intention n’était évidemment pas de se prononcer dans une question de critique qui ne se posait pas alors et n’a surgi que dans les temps très modernes. Mais ses paroles nous montrent qu’il n’a point trouvé inadmissible que David eût reçu la révélation d’une souveraineté supérieure à la sienne propre et en nature et en étendue. Qui pourtant, mieux que lui, connaissait les lois du monde spirituel ? Les apôtres Pierre et Paul, ainsi que l’auteur de l’épître aux Hébreux, ont cité fréquemment comme prophétiques les paroles de ce psaume (voir les notes explicatives). Quant aux rabbins, ils ont attribué au Psaume 110, comme au Psaume 2, une valeur messianique, jusqu’à ce que la polémique avec les chrétiens les ait mis dans l’embarras. Alors ils ont imaginé toute espèce d’interprétations, parmi lesquelles nous nous bornons à mentionner celle qui fait d’Abraham le héros du psaume. Quant à sa forme littéraire, le psaume, qui s’annonce lui-même, dès les premiers mots, comme un oracle (verset 1, note), a en effet le langage bref d’un décret divin. Il commence sans introduction, il se termine de même d’une manière subite et inattendue. Pourtant, un soin scrupuleux a présidé à sa division en trois strophes, de sept lignes chacune, qui lui imprime, même à ce point de vue tout extérieur, le caractère sacré attaché à ces nombres. Le nom de l’Éternel s’y trouve trois fois.
Les strophes peuvent se résumer comme suit :
L’Éternel dit… On pourrait traduire aussi : Oracle de l’Éternel.
À mon Seigneur. Le terme hébreu adoni est employé par des sujets parlant à leur roi (1 Samuel 22.12 ; 1 Samuel 24.9) et en général par des inférieurs parlant à un supérieur (Genèse 23.6). Il ne doit pas être confondu avec le titre d’Adonaï, qui n’est donné qu’à Dieu. Ici David prend la position de sujet vis-à-vis d’un roi dont la dignité surpasse de beaucoup la sienne.
À ma droite : la place d’honneur par excellence (1 Rois 2.19), assignée dans toute l’antiquité à celui qui occupe le second rang après le roi ; cette position implique la participation au règne, le pouvoir de gouverner au nom du roi, comme autrefois Joseph à la cour d’Égypte (Genèse 41.40, Genèse 41.44). Ici c’est l’Éternel qui associe le Seigneur de David à son pouvoir universel. Jésus fait allusion à cette parole, non seulement dans la question qu’il pose aux Pharisiens, concernant le Christ (Matthieu 22.41), mais quand il déclare à ses juges du Sanhédrin qu’ils le verront assis à la droite de la puissance de Dieu (Matthieu 26.64. Comparez Daniel 7.13-14 ; Actes 7.56). Il en signale en quelque sorte le plein accomplissement, lorsqu’il dit à ses disciples : Toute puissance m’est donnée au ciel et sur la terre (Matthieu 28.18).
Jusqu’à ce que j’aie fait… : ce qui ne veut pas dire qu’une fois ce but atteint le pouvoir du Fils cessera ; seulement il changera de nature (comparez 1 Corinthiens 15.24-28). Ce même jusqu’à ce que est employé dans un sens analogue, à propos de l’assurance du fidèle, pour indiquer, non pas le terme de l’assurance, mais celui de la lutte qui pourrait la troubler (Psaumes 112.8).
Le marche-pied de tes pieds : image d’une soumission complète. Comparez Josué 10.24, où l’on voit les vainqueurs mettre le pied sur la nuque des rois vaincus.
L’Éternel étendra… C’est le psalmiste qui parle ici, développant la pensée renfermée dans l’oracle du verset 1.
De Sion : le point de départ d’une domination dont les limites ne sont pas indiquées, parce qu’il n’y en a point. Comparez Psaumes 2.6 ; Michée 4.2-3, etc.
Le sceptre, littéralement : le bâton, insigne et symbole du commandement, comme la verge de Moïse (comparez Nombres 24.17).
Domine. Le pouvoir vient d’être donné au Seigneur ; il est appelé à le conquérir et à l’exercer.
Ton peuple… Jusqu’ici on n’a vu encore, en face du Seigneur, que les ennemis sur lesquels il va dominer (versets 1 et 2). Voici maintenant son armée. C’est un peuple qui n’obéit ni par intérêt, ni par contrainte, mais par libre adhésion ; littéralement : Ton peuple, franche volonté ; il est tout dévouement, don libre et joyeux de soi-même, offrande spontanée ; par conséquent entièrement à la disposition du roi, une seule âme, un seul cœur avec lui. Comparez Apocalypse 14.4.
Dans une sainte magnificence, ou : avec des ornements sacrés, expression qui désigne proprement les vêtements sacerdotaux des jours de grandes fêtes (Psaumes 29.2, note ; Psaumes 96.9 ; 2 Chroniques 20.21). Cette armée est un peuple de sacrificateurs et d’adorateurs, pensée qui fraie la voie à la déclaration du verset 4. L’Apocalypse appelle les rachetés rois et sacrificateurs, comme leur chef (Apocalypse 1.6) ; elle représente les armées qui accompagnent le Seigneur, à son retour, comme vêtues de fin lin, blanc et pur (Apocalypse 19.14). Le fin lin était l’étoffe de la tunique sacerdotale.
Du sein de l’aurore… Ce sont des enfants de lumière.
La rosée de ta jeune milice, littéralement : de ta jeunesse. Admirable image, représentant, un peuple innombrable, formé dans le silence, par le travail secret de l’action divine et apparaissant tout à coup dans sa fraîcheur et sa pureté, au matin d’un jour nouveau. Comparez Michée 5.6.
L’Éternel l’a juré… Ces mots solennels introduisent un nouvel oracle, qui complète celui du verset 1, comme la sacrificature complète la royauté dans la souveraineté normale. Le serment fait ressortir l’importance extraordinaire du décret arrêté, désormais d’une manière irrévocable, dans la pensée de Dieu (Hébreux 6.17 ; Hébreux 7.21, Hébreux 7.28).
À la manière de Melchisédek. Comme ce roi, auquel Abraham rendit hommage (Genèse 14.18-20), l’élu de l’Éternel réunira en sa personne la dignité de roi et celle de sacrificateur Zacharie 6.9-16). De plus, ce sacerdoce ne sera pas temporaire et symbolique, mais définitif, réel, éternel (à toujours). L’épître aux Hébreux développe la grande vérité contenue en germe dan cette parole (Hébreux 5.6 ; Hébreux 7.1, Hébreux 7.11, Hébreux 7.15).
Cette strophe contraste fort avec la précédente. Elle est cependant la conclusion indispensable du psaume. L’armée dont parle le verset 3 est là pour quelque chose et la promesse de la première strophe doit s’accomplir. De plus, l’humanité ne peut être réconciliée avec Dieu, sans que tout ce qui est mal soit voué à la malédiction et à la destruction et la crise finale de l’histoire sera un jugement terrible exercé sur ceux qui auront méprisé la seule intercession vraiment efficace, celle du Roi-Sacrificateur.
De nouveau le psalmiste s’adresse au Messie.
Le Seigneur (l’Éternel) est à la droite de son élu. Au verset 1, c’était, le Messie qui était assis sur le trône à la droite de l’Éternel. Ici, c’est l’Éternel qui se tient à la droite de son Oint, lui communiquant toute sa puissance pour renverser ce qui lui fait obstacle.
Met en pièces des rois. Dieu l’avait fait pour David, dans ses grandes guerres (2 Samuel chapitres, 5, 8, 10). C’est sous là forme d’une victoire analogue et plus grande encore que David se représente le triomphe du Messie, dont l’Esprit prophétique lui donne l’assurance. Les Psaumes annoncent du reste souvent le jugement des peuples par l’Éternel (Psaumes 7.9 ; Psaumes 9.9 ; Psaumes 75.3, etc.). Saint Paul parle de dominations, d’autorités, de puissances que Christ détruira à la fin de l’économie actuelle (1 Corinthiens 15.24).
Au jour de sa colère : au jour des derniers jugements. Comparez Psaumes 2.9.
Ce ne sont que corps morts, littéralement : C’est rempli de corps morts (comparez Apocalypse 19.17-18, Apocalypse 19.21). La victoire de l’élu de Dieu est complète.
Il met en pièces le chef… Cette traduction est conforme à l’hébreu, qui emploie ici le mot rosch, tête, au singulier. Plusieurs cependant, prenant ce singulier comme un collectif, traduisent : Il brise des têtes sur une vaste étendue de pays. Ce serait une répétition oiseuse de l’idée exprimée verset 5. Notre traduction achève au contraire le tableau de la victoire, en mentionnant la destruction du principal ennemi à vaincre. Comparez Habakuk 3.13-14 ; Apocalypse 19.13-21).
D’un grand pays, hébreu : al érets rabba. Plusieurs voient dans le dernier mot rabba (grand, vaste) une allusion à Rabba ou Rabbath-Ammon, la capitale des Ammonites, que David avait prise et qui représenterait, à ses yeux, le siège le plus redoutable de la puissance ennemie de Dieu. Une détermination aussi précise ne nous semble pas s’accorder avec le ton général du psaume. Il s’agit ici de la victoire finale et universelle.
Il boit au torrent. Au commencement de la strophe, il était parlé de l’Éternel, combattant à côté de son Oint. L’action du Roi s’unit si complètement à celle de Dieu que le sujet passe de l’un à l’autre, sans transition apparente. Ici c’est évidemment le héros vainqueur qui, comme Gédéon et sa troupe (Juges 7.6), puise en passant dans sa main de l’eau du torrent et s’en rafraîchit les lèvres. Cette image indique l’ardeur et l’intensité du combat pendant lequel le guerrier ne s’accorde pas de loisir, avant d’avoir entièrement défait l’ennemi. C’est là ce qui explique le aussi, dans le sens de : c’est pourquoi, de la ligne suivante. Après une lutte pareille, lève-t-il haut la tête en éternel triomphateur.
Ce psaume nous élève au faîte des révélations de l’ancienne alliance, comme 1 Corinthiens chapitre 15 au faîte de celles de la nouvelle.