Verset à verset Double colonne
Le sacrifice vivant
Par reconnaissance pour la miséricorde que Dieu vous a faite, mettez vos corps à son service, ce sera de votre part un culte raisonnable (1).
Le renouvellement intérieur
Ne vivez pas selon l’esprit du monde, mais laissez-vous transformer en recevant une nouvelle conscience pour discerner ce qui est la volonté de Dieu (2).
L’apôtre présente son exhortation comme la conclusion (donc) de toute la première partie de l’épître, où il a développé les compassions de Dieu pour l’humanité pécheresse et perdue. Il fonde cette exhortation plus spécialement sur ce qu’il vient de dire de la miséricorde divine qui accueille également Juifs et gentils (Romains 11.30-32), sur cet amour de Dieu, dont il a célébré l’infinie profondeur (Romains 11.33-36).
À cet amour dont Dieu les aime, les chrétiens de Rome doivent répondre en se donnant à Dieu. Pour rendre son invitation plus pressante, l’apôtre les interpelle : frères. C’est là le principe de la morale chrétienne : « Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier » (1 Jean 4.7-11).
Les compassions de Dieu, dont l’apôtre a montré toute la richesse, sont le motif qui poussera ses lecteurs à mener une vie sainte et conforme à la volonté de Dieu. Ils prouveront la réalité de leur foi par leurs œuvres. Dans la plupart de ses épîtres l’apôtre fait ainsi suivre d’exhortations pratiques l’exposé de la grâce de Dieu qui nous sauve en Jésus-Christ. Que l’arbre plonge ses racines dans un sol fertile, c’est l’essentiel ; mais, pour atteindre sa destination, il doit en outre pousser des branches, se couvrir de feuilles, de fleurs et porter des fruits.
D’autre part, Paul espère que les admirables tableaux qu’il trace d’une vie toute consacrée à Dieu exciteront en ses lecteurs le saint et ardent désir de réaliser une telle vie, d’autant plus que, par la foi, elle n’est plus un idéal inaccessible, mais la vocation que tout enfant de Dieu peut et doit remplir.
Avant de présenter à ses lecteurs certains devoirs spéciaux concernant leur conduite dans l’Église et dans le monde, l’apôtre leur adresse une exhortation générale à se consacrer à Dieu, qui s’applique à toute la vie du chrétien (versets 1 et 2). Je vous exhorte à offrir vos corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu.
Le verbe offrir, mettre à la disposition, se lisait déjà Romains 6.13 ; Romains 6.16 ; Romains 6.19.Il est habituellement employé dans les Septante pour désigner la présentation des victimes et offrandes du culte lévitique ; on le trouve de même Luc 2.22.
Le corps est nommé spécialement comme l’objet à offrir à Dieu. Ce terme ne signifie pas l’être entier, car Paul aurait dit : « Je vous exhorte à vous offrir vous-mêmes ». On pourrait, il est vrai, traduire le terme grec : vos corps par : « vos personnes ». Mais comme, au verset 2, Paul parle du « renouvellement de l’entendement », il semble bien que, dans cette première exhortation, il ait en vue la partie matérielle de notre être. Le corps avec ses membres divers, est l’organe de toute l’activité de l’homme. Le chrétien doit le consacrer à Dieu, comme témoignage de sa reconnaissance (Romains 6.12 ; Romains 6.13, notes).
Le sacrifice auquel l’apôtre exhorte le chrétien peut être comparé aux sacrifices « d’action de grâces, d’oblation, de consécration » de l’Ancienne Alliance. C’est un tel sacrifice que nous devons offrir à Dieu pour répondre à sa miséricorde en Jésus-Christ. Dieu a réellement couvert et ôté notre péché en nous donnant Celui qu’il a « établi comme moyen de propitiation » (Romains 3.25 ; Romains 3.26). Nous devons nous offrir à lui en retour.
Ce sacrifice est qualifié de vivant, soit par contraste avec les sacrifices de l’Ancienne Alliance, où la victime devait être immolée, soit pour marquer qu’il consiste en une activité au service de Dieu (Romains 6.13) ; il est saint en tant que cette activité n’est plus au service du péché, mais consacrée à Dieu ; et comme il est agréable à Dieu, il est une « oblation d’agréable odeur. » (Philippiens 4.18 ; Exode 29.18 ; Lévitique 1.9 ; Lévitique 1.17).
Cette offrande spirituelle de votre activité à Dieu, dit Paul à ses lecteurs, constituera votre culte raisonnable. Il appelle ce culte raisonnable, parce que ce culte est conforme à ce que, suivant une estimation rationnelle et par une conclusion logique, les chrétiens doivent à Dieu qui les a aimés et sauvés.
Quelques interprètes donnent simplement à ce terme le sens de « spirituel » qu’il a dans 1 Pierre 2.2. Ils méconnaissent la portée de l’expression : votre culte raisonnable (grec), le culte rationnel de vous, d’êtres qui sont comme vous sauvés par grâce.
On a compris de diverses manières le rapport de cette exhortation avec celle du verset 1.
Les uns disent : c’est la sanctification de l’âme après celle du corps. Mais Paul aurait employé le terme « d’esprit » ou « d’âme ; » et il aurait traité ce point le premier. D’ailleurs, verset 1 ne traite pas proprement de la sanctification du corps, mais de sa consécration au service de Dieu.
Suivant d’autres Paul présente les conséquences négatives du devoir positif qu’il prescrit dans le verset 1. Cette dernière explication renferme une part de vérité, mais elle demande à être complétée, car le renouvellement de l’entendement n’est pas une œuvre négative.
L’apôtre envisage les conséquences que la consécration de sa vie à Dieu a pour le chrétien dans ses rapports avec le monde et dans ses dispositions naturelles. Ne vous conformez pas au siècle présent : dans l’activité qu’il se propose d’exercer pour Dieu, le chrétien ne doit pas suivre les règles, les coutumes, les modes qui prévalent dans le siècle présent, obéir aux passions, s’inspirer de l’esprit du monde.
Le siècle présent, c’est le monde dans son état actuel, plongé dans le mal, où règnent les ténèbres et le péché (Galates 1.4 ; 2 Corinthiens 4.4) il est opposé au « siècle à venir », où la volonté de Dieu dominera seule.
Cette exhortation était d’autant plus nécessaire que l’apôtre écrivait à d’anciens païens, longtemps pénétrés de l’esprit du monde et qui avaient de la peine à s’en dégager (comparez 1 Pierre 1.14). Ils avaient besoin d’être transformés par le renouvellement de l’entendement.
L’entendement, c’est la raison pratique, la faculté qui discerne le bien et le mal, la conscience morale (Romains 7.22, notes). Son renouvellement et la transformation de notre être qui en résulte, sont l’œuvre du Saint-Esprit (3.5) ; mais le croyant accepte cette œuvre et y coopère par la foi.
On peut donc se demander si l’on doit traduire : soyez transformés, ou : transformez-vous. Le verbe grec peut être au passif, ou au moyen avec sens réfléchi.
La vraie traduction est probablement : laissez vous transformer.
Cette transformation, commencée par la nouvelle naissance (Jean 3.5), doit se poursuivre incessamment chez le régénéré, car la chair continue à lutter en lui contre l’esprit (Romains 8.4). Le verbe au présent indique un changement qui se continue.
L’entendement de l’homme naturel est obscurci et faussé par suite de la domination du péché dans la chair ; il est devenu un « entendement réprouvé ; » (Romains 1.28) il faut qu’il soit renouvelé, afin que nous discernions, que nous reconnaissions clairement à l’épreuve quelle est la volonté de Dieu, ce que Dieu veut que nous fassions, savoir ce qui est bon et agréable à Dieu et parfait.
C’est ainsi que traduisent la plupart des interprètes modernes ; ils objectent surtout à l’explication qui considère les mots : bon, agréable, parfait comme des qualificatifs de la volonté de Dieu, que le mot agréable a pour complément sous-entendu : à Dieu, comme au verset 1 et dans 2 Corinthiens 5.9.
Le grec exige en tout cas que l’on traduise : quelle est, en quoi consiste, la volonté de Dieu. La traduction : que la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite, ne saurait se justifier.
Quelques majuscules portent, au lieu des impératifs : Ne vous conformez, pas, soyez transformés, des infinitifs qui dépendent du verbe : (verset 1) Je vous exhorte à ne point vous conformer (A, B, etc.), mais à vous laisser transformer (Sin, A, B, etc.).
Le renouvellement de l’entendement est la leçon de B, A, D, etc.
On lit : de votre entendement dans Codex Sinaiticus et quelques autres majuscules.
Son attitude modeste dans le corps de Christ
Il ne doit pas aspirer à un rôle supérieur à sa foi, mais rester à la place qui lui est assignée dans le corps. Nous formons tous un seul corps en Christ et devons nous servir les uns les autres (3-5).
Les divers dons et la manière de les exercer prophétie, ministère, enseignement, exhortation, bienfaisance, présidence, exercice de la miséricorde (6-8).
L’apôtre, voulant exposer aux chrétiens de Rome les devoirs relatifs à leurs rapports mutuels, commence par les inviter à être modestes dans l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes. La modestie seule nous met à notre véritable place devant Dieu et devant les hommes.
Paul introduit cette exhortation à la modestie comme une confirmation (en effet) du principe qu’il a posé au verset 1, de l’obligation qu’il fait aux chrétiens d’offrir leur corps en sacrifice à Dieu.
C’est une première et très importante application de ce principe. S’ils sont disposés à se limiter et à se modérer dans l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes, ils montrent par là qu’ils sont animés d’un véritable esprit de sacrifice et de consécration à Dieu. Ils prouveront aussi qu’il « ne se conforment plus au monde », mais qu’ils sont transformés par le « renouvellement de leur entendement ». Je dis à quiconque se trouve parmi vous (grec) à tout homme étant parmi vous…
On s’est demandé s’il fallait, après cette locution complexe, sousentendre : en fonction, exerçant un ministère, occupait une position en vue. Mais cela n’est pas indiqué.
L’apôtre s’adresse simplement à tout membre de l’Église de Rome, même au plus brillamment doué, même à celui qui a rendu les services les plus éclatants et occupe la position la plus en vue. Il invoque, à l’appui de son exhortation, l’autorité de son apostolat, qu’il appelle la grâce qui m’a été donnée.
Il n’est pas connu personnellement de l’Église de Rome ; c’est pourquoi il sent le besoin de légitimer la liberté qu’il prend de faire à ses membres une recommandation qui touche au point le plus délicat de leur vie individuelle et collective (Romains 15.15 ; 1 Corinthiens 3.10 ; Éphésiens 3.7).
Il dit à chacun (grec) : de ne pas penser avec hauteur, de ne pas s’enorgueillir, de ne pas aspirer à une condition pour laquelle il ne serait point qualifié, en passant à côté et en allant au-delà de ce qu’il doit penser, au-delà de l’activité à laquelle il peut aspirer, mais de penser pour penser sagement (il y a en grec un jeu de mots difficile à rendre en français) ; en d’autres termes, chacun doit borner ses visées à la mesure du don que Dieu lui a accordé et mettre son ambition à être sage, réfléchi, modéré et modeste dans l’estimation de soi-même.
La norme d’après laquelle doit se faire cette estimation, c’est (grec) pour chacun selon que Dieu lui a départi une mesure de foi. Paul dit : une mesure de foi et non de « dons ». C’est que le chrétien reçoit des dons et met en valeur ceux qu’il possède naturellement dans la mesure ou il a la foi, où il a appris à se confier en Dieu. Cette foi exclut tout mérite propre ; elle a conscience que ce que nous recevons de Dieu est une pure grâce ; elle entretient en nous la vraie humilité ; tandis que l’orgueil naît d’une appréciation illusoire de nous même. La fausse humilité, d’autre part, fruit de l’incrédulité, nous fait méconnaître la mesure de la foi que Dieu nous a départie et les dons qui en découlent.
La foi n’est pas simplement la confiance en Christ et en son œuvre rédemptrice, c’est la disposition qui permet à l’homme de s’emparer de la puissance de Dieu la foi qui, « transporte les montagnes » (1 Corinthiens 13.2 ; comp Matthieu 17.20). Cette foi est un don spécial que Paul énumère parmi les autres « charismes » (1 Corinthiens 12.9), et qu’il considère ici comme la condition et la mesure des dons que chaque fidèle possède.
D’autres interprètes, prenant le terme de foi dans le sens plus général où il désigne la piété, la vie chrétienne, pensent que l’apôtre a en vue la nature et les qualités diverses que cette foi prend chez les individus : elle est pratique ou contemplative ; elle se montre par l’action, par la parole par la pensée ; à chacun de connaître le caractère propre de sa foi. Ce sens ne nous paraît pas indiqué dans le contexte.
À l’appui (car) de son exhortation à rester dans le rôle que nous assigne la mesure de foi qui nous est départie, Paul montre l’analogie qu’il y a entre les chrétiens unis dans une communauté et les membres du corps.
La comparaison de l’Église avec le corps humain se retrouve développée et appliquée dans 1 Corinthiens 12, comparez aussi Éphésiens 4. Ici elle sert de transition à l’exhortation suivante qui porte sur la fidélité avec laquelle chacun doit employer le don qu’il a reçu, pour l’utilité commune et en vue de l’unité du corps.
Il faut bien remarquer que nous ne sommes un seul corps qu’en Christ, qui est le Chef, la tête et que c’est par une communion vivante avec lui que les croyants deviennent tous (grec) un à un, chacun individuellement, membres les uns des autres.
La construction de ces versets est difficile à comprendre à cause de la vivacité et de l’extrême concision du langage de l’apôtre. Essayons de donner une idée de la forme dans laquelle il jeté sa pensée. Il omet tout verbe pour énoncer uniquement les dons et la manière de les pratiquer.
La période entière dépend du participe : or, ayant des dons différents (comme les membres du corps ont des onctions diverses).
Plusieurs exégètes et éditeurs rattachent ce participe au verbe précédent : nous sommes un seul corps en Christ, tous membres les uns des autres, mais en ayant des dons différents.
Paul énumérerait dans la suite ces dons différents, en indiquant la sphère dans laquelle chacun s’exerce. On peut objecter :
Il est donc naturel de sousentendre le verbe : exerçons les, après le participe : ayant des dons différents.
Les dons (grec charismes, du mot charis, grâce) sont communiqués par le Saint-Esprit et reçus par la foi ; nous les possédons selon la grâce qui nous a été donnée.
Au verset 3, Paul appelait son apostolat la grâce qui m’a été donnée ; ici il applique cette expression au ministère que tout membre de l’Église exerce dans son sein. Soit l’énumération de ces dons.
Chacun est accompagné d’un complément circonstanciel qui indique la manière ou la sphère de son emploi. Soit la prophétie : si c’est le don de prophétie que nous avons reçu, exerçons-le selon la mesure de la foi.
Le prophète, c’est celui qui « parle, édifie, exhorte, console » (1 Corinthiens 14.3), sous l’inspiration de l’Esprit. Dieu lui accorde des révélations pour qu’il en fasse part à ses frères. Il doit, pour montrer sa modestie et ne pas sortir des limites qui lui, sont assignées, prophétiser (grec) selon l’analogie de la foi. Le mot analogie ne se trouve qu’ici dans le Nouveau Testament ; il signifie proportion, correspondance.
D’anciens interprètes ont entendu par la foi la croyance, la doctrine reçue dans l’Église ; le prophète devrait se conformer à cette doctrine. Mais le mot foi n’a jamais cette signification chez Paul ; il est toujours pris au sens subjectif de confiance, sentiment religieux, conviction. Cette confiance n’est pas sans objet ; elle s’attache à Jésus-Christ et à son œuvre rédemptrice ; néanmoins la foi est, avant tout, un sentiment personnel.
On peut dès lors se demander si la foi qui doit servir de règle au prophète c’est la sienne ou celle de ses auditeurs. Dans ce dernier cas, l’apôtre inviterait le prophète à ne point troubler ceux qui l’écoutent par des révélations ou des exhortations qu’ils ne seraient pas en état de recevoir ou de suivre.
Mais il nous semble plus probable, vu la ressemblance des expressions, qu’il répète, en l’appliquant spécialement à ceux qui ont le don de prophétie, la recommandation du verset 3 : se limiter selon la mesure de la foi que Dieu a départie à « chacun ; » que le prophète se garde de dépasser cette mesure en affichant, par orgueil, une assurance qu’il ne possède pas vraiment !
Soit un ministère : si nous avons un ministère, exerçons-le dans les limites de ce ministère, sans en sortir pour étendre, par vaine ambition, notre activité à d’autres domaines : que l’ancien n’aspire pas à jouer le rôle de prophète, que le diacre n’empiète pas sur les fonctions de l’ancien.
Quelques historiens invoquent cette recommandation pour prouver qu’il y avait déjà dans l’Église de Rome des charges régulièrement instituées. On leur objecte que, dans tout ce passage, il s’agit de dons (verset 6) plutôt que de charges, que l’apôtre a en vue des activités spontanément exercées par des membres de l’Église. Cependant l’énumération de ces multiples fonctions et la recommandation faite à ceux qui les remplissent de se borner chacun à sa tâche nous paraissent supposer une organisation plus ou moins arrêtes.
Le terme de ministère (grec diaconie) peut s’appliquer aux fonctions des anciens et des évêques, aussi bien qu’à celles des diacres. Ceux qui exercent un ministère, ce sont ceux qui servent l’Église dans une activité pratique, tandis que les prophètes la servent par la parole (comparez 1 Pierre 4.11).
Soit celui qui enseigne (la construction change : au lieu de la fonction, celui qui la remplit), qu’il se renferme dans l’enseignement, s’y consacrant tout entier. Le docteur ne reçoit pas de nouvelles révélations, comme le prophète, son rôle est d’exposer les vérités déjà connues.
Soit celui qui exhorte, qu’il se renferme dans l’exhortation. D’après 1 Corinthiens 14.3, on pourrait croire qu’exhorter est la mission du prophète ; il ressort de la distinction faite ici par l’apôtre que l’on peut exhorter sans avoir le don de prophétie.
Que celui qui donne (grec), qui transmet, qui fait part de ses biens aux indigents (Éphésiens 4.28), le fasse avec simplicité, sans que « sa main gauche sache ce que fait sa main droite », sans s’élever dans le sentiment de sa générosité.
Que celui qui préside le fasse avec zèle. Il s’agit de celui qui est à la tête d’une entreprise charitable (3.8), plutôt que de celui qui dirige une Église (1 Thessaloniciens 5.12) ; cela ressort de la place donnée à cette exhortation, entre celle qui concerne la bienfaisance et celle qui a trait à l’exercice de la miséricorde. Celui-ci doit être pratiqué avec joie, avec cet empressement et cette bienveillance qui sont nécessaires pour rendre du courage aux pauvres et aux affligés.
La charité sincère et active
Pour aimer vraiment les autres, il faut haïr en eux le mal et s’attacher au bien. Affection, prévenances, zèle, ferveur d’esprit doivent animer nos relations avec nos frères ; et celles-ci doivent être dominées par le désir de servir le Seigneur. La joie dans l’espérance, la patience dans l’affliction, la persévérance dans la prière distinguent le chrétien ; il fait du bien à ses frères nécessiteux et exerce l’hospitalité (9-13).
Pardon, sympathie, humilité
Le chrétien bénit ses persécuteurs, il s’associe à la joie comme à la douleur de ses semblables. Il poursuit un même but en lui et dans les autres ; il n’a pas de prétentions élevées ; il est humble (14-16).
Dispositions pacifiques
Renoncer à se faire justice, remettre sa cause à Dieu, le juste juge ; profiter des occasions de faire du bien à notre ennemi, d’amasser ainsi des charbons de feu sur sa tête, ce sera le moyen de n’être pas vaincu par le mal, mais de le vaincre par le bien (17-21).
Après avoir montré que le chrétien doit être au sein de l’Église comme membre du corps de Christ et dans l’exercice du don qui lui a été confié (versets 3-8) Paul passe à des préceptes sur les rapports du chrétien avec les hommes pris individuellement, qu’ils soient ses frères ou ses ennemis.
La charité, l’amour chrétien, pour être sans hypocrisie, ne doit pas, comme l’amour mondain, se chercher lui-même dans les autres en les flattant, en aimant et en tolérant chez eux le mal.
Il doit avoir le mal en horreur même dans les êtres les plus chers et s’attacher fortement (grec étant collés) au bien, pour le faire triompher en eux et dans le monde.
De la charité l’apôtre fait découler toutes les exhortations qui suivent et qui, du verset 9 au verset 13, ne forment qu’une seule phrase, ainsi conçue dans l’original : « Abhorrant le mal, étant collés au bien ; quant à l’amour fraternel, pleins d’affection les uns pour les autres… »
Le devoir de faire passer les autres avant soi, de les estimer plus que soi, en toute circonstance, est motivé par l’estime, que chacun doit avoir pour son frère.
Ailleurs, Paul donne ce précepte tout semblable : « Que chacun estime l’autre comme plus excellent que soi-même » (Philippiens 2.3 ; comparez Luc 14.7-10 et surtout 1 Timothée 1.15).
Grec : Quant au zèle, à l’empressement à rendre service, point paresseux.
Un actif dévouement pour les autres est un fruit du véritable amour.
Quant à l’esprit, fervents (grec brûlants, bouillants), comparez Apocalypse 3.15 ; Apocalypse 3.16.
L’esprit, c’est l’être spirituel de l’homme, que l’Esprit de Dieu pénètre pour le rendre vraiment fervent.
D’autres traduisent : soyez brûlants par l’Esprit de Dieu.
Servant le Seigneur. Dans toutes les manifestations de notre amour pour nos frères et spécialement dans l’activité et la vie de l’esprit, c’est le Seigneur que nous devons avoir en vue (Colossiens 3.23 ; Colossiens 3.24) et l’accroissement de notre vie spirituelle dépend de notre fidélité à le servir, à lui obéir en tout.
Une variante de D, etc. qui donne la leçon reçue en Occident jusqu’à Jérôme, porte : servant le temps.
Luther a suivi cette variante dans sa traduction. Meyer, Godet, Zahn et d’autres considèrent cette leçon comme le texte primitif ils estiment que la formule courante : servant le Seigneur, a été substituée à l’expression : servant le temps, qui ne se trouve pas ailleurs.
Temps et Seigneur ne diffèrent en grec que par une lettre.
Si temps, occasion, est le mot employé par l’apôtre, il a voulu dire : saisissez les occasions qui vous sont offertes de vous employer avec ferveur au service de vos frères, ou encore : sachez vous soumettre aux circonstances favorables ou défavorables, quand vous voulez faire du bien au prochain.
Si la vraie foi chrétienne produit l’amour (versets 9-11), elle est inséparable aussi de l’espérance.
Dans notre vie actuelle, il y a plus de sujets de tristesse que de motifs de joie (Jean 16.33) ; mais quant à l’espérance, le chrétien peut toujours être joyeux, car il sait que l’avenir lui appartient, qu’il va au-devant de l’affranchissement de toute souffrance et de l’éternelle félicité (1 Thessaloniciens 5.16 ; 1 Pierre 1.8).
De là aussi pour lui le moyen d’être patient ou persévérant dans l’affliction (Jacques 5.11).
Abandonné à ses propres ressources, il succomberait, mais il puise la vraie force dans la prière, il doit seulement s’y montrer persévérant (Actes 1.14 ; Luc 18.1).
Deux fruits qui procèdent de la même racine, la charité.
Grec : Prendre part aux nécessités, à tous les besoins des saints, de nos frères en Christ. Comparer 1 Jean 3.17.
D et quelques majuscules portent : « Prenant part aux souvenirs des saints ».
Certains interprètes entendent cette exhortation de la contribution à la collecte que Paul faisait en faveur des chrétiens de Jérusalem (Romains 15.25, suivants ; 1 Corinthiens 16.1 ; 2 Corinthiens 8.1-7 ; Actes 24.17).
Mais il n’y a pas d’autre indice que Paul ait associé les chrétiens de Rome à cette manifestation de reconnaissance qu’il provoqua de la part des Églises de Grèce et d’Asie Mineure. C’est restreindre arbitrairement le sens de ce précepte tout général.
Exerçant l’hospitalité (grec poursuivant l’hospitalité). L’accomplissement de ce devoir avait une grande importance dans l’Église primitive, car il n’y avait pas dans les villes de l’antiquité d’hôtelleries où les chrétiens pussent loger sans s’exposer à divers inconvénients. De là les fréquentes recommandations concernant l’exercice de l’hospitalité (Romains 16.2 ; 1 Timothée 3.2 ; 1 Timothée 5.10 ; 1 Timothée 1.8 ; Hébreux 13.2 ; 1 Pierre 4.9 ; comparez Actes 16.15).
Aujourd’hui encore, il faut saisir les occasions, les faire naître au besoin, de remplir ce devoir chrétien ; il faut, en un mot, poursuivre l’hospitalité. Il peut en résulter de grandes bénédictions, ce ne sont pas les patriarches seuls qui « ont logé des anges sans le savoir » (Hébreux 13.2).
Ce précepte, que l’homme naturel ne saurait accomplir, devient un besoin du cœur chez celui en qui l’Esprit de Christ habite (Matthieu 5.44 ; Luc 23.34).
L’apôtre reviendra, dans versets 18-21, sur ce fruit de la charité.
Ce qui donne au chrétien le plus de pouvoir sur les autres pour leur faire du bien, c’est une profonde sympathie, qui le fait vivre en eux, l’associant à leurs joies et à leurs pleurs.
Les multitudes qui se pressaient sur les pas de Jésus étaient attirées à lui parce qu’elles sentaient en lui cette sympathie. « Il était touché de compassion », telle est la remarque que les évangélistes répètent à plus d’une reprise.
Quelqu’un dira : l’apôtre a raison de recommander de pleurer avec ceux qui pleurent, mais pourquoi prescrit-il de se réjouir avec ceux qui sont dans la joie ? Qu’y a-t-il là de si grand ? C’est oublier qu’il y a plus de renoncement dans cette dernière disposition que dans la première. Pleurer avec ceux qui sont dans le malheur, la nature humaine y suffit : où est le cœur de pierre qui en soit incapable ? Mais voir un homme dans le bonheur et non seulement ne pas lui porter envie, mais se réjouit avec lui, c’est un sentiment que Dieu doit nous inspirer. Aussi Paul place-t-il ce précepte avant l’autre.
Rien ne nous unit autant à nos frères dans l’amour que de partager leur douleur et leur joie. C’est pourquoi, si même tu n’es exposé à aucun danger, ne te refuse pas à la sympathie, prends part aux larmes de ton frère, afin d’alléger le fardeau de sa douleur ; prends part à sa joie, afin de la rendre plus grande. Quand il verra que tu ne regardes pas de mauvais œil son bonheur, il t’aimera d’un amour plus fort. L’apôtre ne te demande pas l’impossible. Tu ne peux adoucir le malheur de ton frère ? Porte-lui tes larmes et tu le soulageras. Tu ne peux augmenter son bonheur ? Porte-lui ta joie et tu lui auras beaucoup donné.
Grec : Pensez une même chose les uns envers les autres.
On interprète en général ce précepte : Vivez en bonne intelligence.
C’est l’idée de Romains 15.5 où l’apôtre emploie une autre préposition. Dans notre passage il veut plutôt dire : poursuivez un même but d’amour chacun chez son prochain, soyez préoccupés des intérêts matériels et spirituels les uns des autres. Comparer le précepte de Jésus, Matthieu 7.12.
Pour penser avant tout aux intérêts d’autrui, il faut être humble ; aussi l’apôtre continue-t-il : (grec) « Ne pensez point aux choses hautes, mais laissez-vous emmener avec les humbles », c’est-à-dire consentez à frayer avec ceux qui sont de condition inférieure ; regardez-les comme vos égaux, ne vous arrêtez pas aux distinctions sociales.
Les humbles sont des hommes de situation modeste. On pourrait entendre le mot grec des choses humbles, par opposition aux choses élevées.
Mais l’image renfermée dans le verbe : laissez-nous emmener avec, rend la première interprétation plus naturelle.
L’importance donnée aux différences de castes et l’esprit de coterie sont entretenus par l’orgueil, par la haute opinion que nous avons de nous-mêmes. Le mépris de nos frères plus humbles naît de la fausse idée que nous n’avons pas besoin d’eux, que nous pouvons nous suffire à nous-mêmes.
De là ce dernier précepte : Ne soyez point sages à vos propres yeux, ne présumez pas de vous-mêmes, rappelez-vous que vous avez besoin des plus petits de vos frères, que l’un doit compléter l’autre (Comparer Romains 11.25 ; Proverbes 3.7 ; Ésaïe 5.21).
Dans les préceptes des versets 17-21, l’apôtre montre la charité qui nous fait triompher de l’hostilité de nos ennemis en nous apprenant à les supporter (versets 17-19) et à leur faire du bien (versets 20-21).
Ne rendez à personne le mal pour le mal. Le livre des Proverbes (Proverbes 20.22) donne déjà ce précepte, puis il ajoute : « Espère en l’Éternel et il te délivrera », exprimant la pensée que Paul développe dans les versets 19-21. Comparer 1 Thessaloniciens 5.15.
Recherchez ce qui est bien devant tous les hommes. Le chrétien s’efforce d’avoir une bonne conduite avant tout pour plaire à Dieu ; mais il doit se préoccuper aussi de l’opinion de ses semblables et tâcher d’obtenir leur approbation. Les hommes jugent de la vérité d’après la vie de ceux qui la professent (comparez 2 Corinthiens 8.21 ; Actes 24.16 ; 1 Pierre 2.12 ; 1 Pierre 3.16).
C’est dans la même pensée que l’apôtre ajoute l’exhortation du verset 18.
Comparer Hébreux 12.14.
La tournure hypothétique de ce précepte prouve que son accomplissement n’est pas toujours possible.
Jésus déclarait qu’il était « venu apporter, non la paix, mais l’épée ; » (Matthieu 10.34) et lui qui était « doux et humble de cœur » a déchaîné contre sa personne les haines les plus violentes.
Mais ses disciples doivent, pour autant que cela dépend d’eux, avoir la paix avec tous les hommes, être toujours animés de dispositions pacifiques et s’appliquer à faire régner la paix dans toutes leurs relations avec le prochain (Matthieu 5.9 ; Marc 9.50).
Le chrétien montrera qu’il est vraiment animé de sentiments pacifiques, en renonçant à se faire justice à lui-même.
Ne vous faites point justice à vous-mêmes, mais laissez agir la colère (grec donnez lieu à la colère) il faut suppléer : de Dieu, à qui seul il appartient d’exercer une juste rétribution (Romains 2.5). À l’appui de ce précepte, Paul invoque Deutéronome 32.35, cité librement.
L’hébreu porte : « À moi la vengeance et la rétribution ».
L’attitude qui est prescrite au chrétien n’implique pas chez lui une satisfaction indirecte du désir qu’il pourrait avoir d’être vengé par la punition de celui qui l’a offensé.
L’apôtre ne propose pas à ses frères de faire de Dieu l’exécuteur de leurs vengeances et de se réjouir à la pensée du châtiment terrible qui atteindra leurs ennemis quand ils tomberont sous les coups de la justice divine.
Son exhortation tend au contraire à bannir de leur cœur tout ressentiment toute haine. S’il en appelle à la colère de Dieu, à la justice divine, qui doit avoir le dernier mot, c’est, d’une part, pour donner satisfaction à ce besoin légitime de justice, qui est froissé par l’obligation de toujours céder au méchant, et, d’autre part, pour répondre à l’objection suivante : l’esprit de support, de pardon, de charité, que l’Évangile prêche, n’aura-t-il pas pour effet d’encourager les méchants et d’assurer le triomphe des violents ?
Remets ta cause à l’Éternel, dit l’apôtre au chrétien offensé et lésé : il veille sur toi et ne permettra pas que tu deviennes définitivement la proie du méchant, il rétablira, mieux que toi, l’ordre troublé par les iniques. Son règne, qui est le règne de la justice, doit l’emporter ici bas et dans l’éternité (Psaumes 73.1 ; 2 Pierre 3.13).
Ce n’est pas assez pour le chrétien de ne pas se faire justice à soi-même, il doit rendre le bien pour le mal.
Mais si… est la leçon de Codex Sinaiticus, B. A.
Le sens est : loin de te venger, si l’occasion se présente de faire du bien à ton ennemi, profites-en. Quelques documents, suivis par le texte reçu, portent : si donc… La liaison avec ce qui précède serait, dans ce cas : tu ne dois pas te venger ; par conséquent, saisis l’occasion de faire du bien à ton ennemi ; ce sera le meilleur moyen de montrer que tu es affranchi de toute rancune.
Le passage de l’Ancien Testament dans lequel Paul trouve l’expression de sa pensée et dont il emploie les termes, sans les introduire par une formule spéciale, est Proverbes 25.21 ; Proverbes 25.22, cité d’après les Septante.
L’hébreu porte : « Si ton ennemi a faim, donne-lui du pain à manger ; s’il a soif, donne-lui de l’eau à boire, car tu lui amasses des charbons ardents sur la tête ». Cette énergique image, qui énonce le motif de la conduite prescrite, ne signifie pas : tu attireras ainsi sur lui un jugement d’autant plus sévère de la part de Dieu, ce serait en opposition directe avec la pensée de l’apôtre, aussi bien qu’avec celle des Proverbes ; mais au contraire : la chaleur pénétrante d’un amour si inattendu fera naître dans sa conscience les douleurs salutaires de la repentance et consumera en lui la méchanceté et la haine. L’expérience est d’accord avec cet enseignement.
Tu surmonteras le mal par le bien si, en rendant le bien pour le mal, tu transformes une relation d’hostilité en une relation d’amour. Et si même tu n’obtiens pas ce résultat, tu ne te seras pas laissé surmonter par le mal, ce qui aurait été le cas si tu avais été entraîné, par le mal que tu as souffert, à faire le mal, c’est-à-dire à te venger.
Tandis que, si tu restes ferme dans le bien, qui est le pardon des offenses et l’amour, le bien triomphe du mal en toi ; et tu concours, pour ta part, à son triomphe final dans le monde.
Il est à remarquer, en effet, que l’apôtre ne dit pas : « Ne te laisse point surmonter par le méchant, surmonte le méchant par le bien ». Les deux fois il écrit : le mal.
Ainsi, de toutes manières, le chrétien sort victorieux de la lutte ; car ses armes sont spirituelles et non charnelles ; sa victoire est la victoire de Dieu. Comme son Maître, il triomphe en cédant et même en succombant (Matthieu 5.5).