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Sacrifice
Dictionnaire Biblique Lelievre Calmet

Dans son acception la plus générale, le terme sacrifice peut désigner n’importe quel rite religieux constituant une offrande à Dieu : les Israélites offraient à Yahvé des animaux, des végétaux, du pain, de l’huile, du vin, etc. — Dans un sens plus restreint et plus commun, le terme de sacrifice désigne plus particulièrement l’offrande sanglante. — C’est dans son acception la plus large que nous emploierons ici le mot de sacrifice.

Au temps de Jésus, le culte quotidien du matin, dans le Temple de Jérusalem, consistait en un sacrifice, le sacrifice de l’agneau, — puis en un service où un prêtre priait devant le peuple et lui lisait la loi, — enfin en une offrande de parfums sur l’autel d’or. Un second culte analogue avait lieu avant le coucher du soleil. Le reste de la journée était consacré aux sacrifices des particuliers par exemple l’offrande des mères après leur délivrance (une paire de tourterelles). Les sacrifices particuliers étaient extrêmement nombreux pendant les fêtes, spécialement à la Pâque.

Mais, à l’époque de Jésus, le rite du sacrifice avait eu une très longue histoire et subi des modifications profondes dans sa forme et dans son inspiration. — Depuis la réforme deutéronomique de l’an 622 avant J.-C., on ne sacrifiait plus que dans le Temple de Jérusalem, tandis qu’auparavant, et depuis l’entrée du peuple en Canaan, les sacrifices s’accomplissaient dans tous les sanctuaires du pays. — L’idée même du sacrifice avait évolué à travers les âges. A l’origine, il semble que cette idée ait été avant tout celle d’une communion avec la divinité par le partage d’une même nourriture. Quand deux hommes de tribus différentes voulaient conclure une alliance (voir ce mot), ils ne se contentaient pas d’établir entre eux un pacte d’amitié, ils créaient le lien du sang et ainsi devenaient frères. Pour cela, il fallait ou bien boire un peu du sang l’un de l’autre, ou bien boire tous deux le sang d’un même animal, ou bien, enfin, plus simplement manger d’une même nourriture (Génèse 31.54) qui devenait en eux, pensait-on le même sang. Ainsi s’explique le fait que l’hospitalité créait, dans l’antiquité, de tels liens entre les hommes : avoir mangé à la même table, c’était être devenus parents et alliés ; tout repas en commun était une communion. Cette coutume fut transposée naïvement du domaine des relations humaines au domaine des rapports de la tribu, ou du village, ou de l’individu avec son Dieu. Pour faire alliance avec la divinité, on célébrait, dans le sanctuaire, un repas sacré où la nourriture était partagée entre Yahvé et ses adorateurs : ceux-ci étaient les invités de leur Dieu qui leur accordait la grâce de son alliance. Le récit d’un sacrifice de ce genre nous est donné avec assez de détails dans l’histoire de la première rencontre de Saül et de Samuel (1 Samuel 9.11-24). Yahvé était censé prendre part au repas ; il recevait le sang et la graisse de la victime, et le repas était ainsi une communion avec la divinité. — De cette idée du repas en commun avec Dieu, on arriva tout naturellement, puisque Dieu absorbait de la nourriture, à l’idée qu’il fallait lui en offrir d’une façon régulière. Le sacrifice devint de plus en plus le repas de la divinité. Et la signification du rite pour l’adorateur était, de ce fait, transformée du tout au tout, puisque ce n’était plus Dieu qui accordait une grâce à l’homme, mais l’homme qui donnait à Dieu. Nous avons, dans l’Ancien Testament, bien des pages où cette conception du sacrifice est évidente. L’autel est appelé par Malachie « La table de Yahvé » (Mal 1.7,12). Sur cette « table » étaient renouvelés continuellement (No 4.7) les pains de proposition (1 Samuel 21.5). Les prêtres « offrent à Yahvé les sacrifices consumés par le feu, qui sont la viande de leur Dieu » (Lévitique 21.6). — Cette nourriture de la divinité était un présent de ses adorateurs. On conçoit donc que cette idée d’un don à Dieu soit devenue, par la suite, prépondérante dans la conception du sacrifice. Pour être agréable à Yahvé, pour obtenir quelque chose de lui, ou pour se le rendre généralement favorable, on lui offrira le meilleur de ce que l’on possède, les prémices de sa récolte, les premiers-nés de son bétail. Mais parce qu’il ne s’agit plus simplement d’un repas à offrir à son Dieu, mais d’un don à lui faire, on pourra lui offrir autre chose que de la nourriture. Il acceptera d’autres présents, et les plus précieux, sans doute, seront les plus efficaces. Et c’est ainsi que les Israélites, adoptant les coutumes du pays de Canaan, en vinrent à pratiquer les sacrifices d’enfants, comme en témoignent l’histoire de Jephté immolant sa fille (Juges 11.39), d’Achab et de Manassé faisant « passer leurs fils par le feu » (2 Rois 16.2 ; 21.6). Aucun don, pensait-on, ne pouvait mieux prouver à Dieu l’absolu dévouement de ses enfants, aucun ne serait plus puissant pour obtenir sa faveur (cf. Génèse 22.1,12 ; Michée 6.7). Et pendant longtemps les prophètes protesteront en vain contre cette religion barbare (Jérémie 7.31; Ézéchiel 20.25-26). — Donner à Dieu, en tous temps, ce qu’il aime fut donc une idée dominante du sacrifice ; mais il était d’autant plus urgent de lui offrir des présents lorsqu’on l’avait irrité, pour apaiser sa colère. Le sacrifice pour le péché, le sacrifice expiatoire, était donc un développement logique de l’idée précédente. Mais ce développement du sacrifice en acte d’expiation finit par effacer presque complètement les idées primitives de communion et de repas et, dans une certaine mesure, l’idée même d’un don fait à Dieu. Après l’exil, tout le culte d’Israël est en fonction du besoin d’expiation, qui est devenu le sentiment dominant de la religion. Mais, en même temps, l’exagération du ritualisme fut telle que la valeur religieuse du sacrifice fut gravement compromise. En théorie, les sacrifices ne pouvaient expier que des péchés commis par inadvertance ou ignorance. En pratique, on y recourait pour effacer quantité d’autres manquements. La loi, d’autre part, donnait si exactement la ligne de conduite à suivre pour l’expiation des péchés que le fidèle pouvait se croire assuré d’obtenir le pardon de ses fautes par la simple ponctualité à observer les rites prescrits. Tout était prévu : même les péchés ignorés du pécheur. Pour que ces fautes involontaires, dont on n’a pas connaissance, et qui n’ont pas été expiées par des sacrifices particuliers, ne risquent pas de souiller le sanctuaire et de rendre inefficace le culte entier, il fut institué un grand jour des expiations, une sorte de fête du grand pardon (Lévitique 16 ; voir Fêtes). L’expiation n’est pas seulement devenue mécanique, elle est devenue certaine; assurée, infaillible, couvrant tout péché pour le peuple entier, à une seule condition, c’est que le rite ait été observé.

Voilà le terme de l’histoire du sacrifice en Israël. On n’en connaît cependant pas toute l’histoire si l’on néglige de rappeler que quelques hommes, au VIIIe siècle avant J.-C., en particulier Amos et Osée, ont dénoncé toute la religion sacrificielle comme contraire à la volonté de Dieu et ont prêché la religion du plus pur spiritualisme. « M’avez-vous fait des sacrifices et présenté des offrandes au désert pendant quarante années, maison d’Israël ?... Je hais, je méprise vos fêtes, je ne puis sentir vos assemblées... Mais que la droiture soit comme un courant d’eau et la justice comme un torrent qui ne tarit jamais ! » (Amos 5.21-25).

S’il a fallu un intervalle de sept siècles avant que le même idéal reparaisse dans le monde avec l’Evangile de Jésus-Christ, c’est que d’autres prophètes, moins absolus dans leur condamnation de la religion traditionnelle et plus frappés, en tous cas, par la nécessité pratique de donner au peuple un culte extérieur, ont essayé de réformer la religion que leurs prédécesseurs reniaient. Jérémie, Ezéchiel et ceux qui ont suivi ces inspirateurs étaient assurément d’ardents spiritualistes, mais ils ont concédé une large part au ritualisme qui, plus tard, dans le judaïsme, a tout envahi.


Numérisation : Yves Petrakian