Dans l’Ancien Testament, le personnage appelé ha-satan ou Satan (terme que les traducteurs grecs ont rendu par ho-diabolos, « le calomniateur », d’où le français diable) n’apparaît que dans trois passages de la littérature postérieure à l’exil, et l’on peut tirer de ce fait la conclusion que la représentation exprimée par ces mots était inconnue des anciens Israélites et qu’elle a été suggérée à leurs descendants, pendant l’exil, par des croyances étrangères. — Un exemple frappant nous montre, d’ailleurs, que l’idée d’une puissance distincte de Yahvé ne s’imposait nullement à l’esprit des plus anciens écrivains bibliques lorsqu’ils voulaient expliquer l’erreur ou la faute d’un homme par une influence de l’au-delà. Cet exemple se trouve dans l’histoire de David, qui est racontée deux fois dans la Bible : dans 2 Samuel et dans 1 Chroniques. La comparaison des deux récits, à l’épisode du dénombrement et de la peste (2 Samuel 24 et 1 Chroniques 21), fait ressortir bien clairement l’évolution qui s’est produite dans les idées religieuses entre les deux époques qui ont donné naissance à ces écrits. Dans le premier passage, nous lisons ceci : « La colère de Yahvé s’enflamma de nouveau contre Israël, et il excita David contre le peuple en disant : va, fais le dénombrement d’Israël et de Juda. » David obéit à Yahvé (2 Samuel 24.2), comprend qu’il a cependant commis un grand péché en faisant ce dénombrement (2 Samuel 24.10), et Yahvé punit le peuple (2 Samuel 24.15). On voit que, dans la pensée de ce premier narrateur, l’impulsion à l’action coupable est venue de Yahvé lui-même. Quand le Chroniqueur, longtemps après, raconte la même histoire, les idées ont changé : on ne peut plus attribuer à Dieu une influence mauvaise ; et le récit prend la forme suivante : « Satan se leva contre Israël et excita David à faire le dénombrement d’Israël. » Le roi se laisse induire en tentation et cela « déplut à Yahvé qui frappa Israël. » Ici, deux volontés distinctes s’opposent l’une à l’autre. Entre le premier récit et le second, une conception nouvelle, celle de Satan, a pris sa place dans les idées religieuses d’Israël.
Le mot « satan » est un nom commun de la langue hébraïque, signifiant « celui qui s’oppose ; celui qui fait obstacle », et, par suite, « l’adversaire » ou « l’accusateur ». Dans l’histoire de Balaam, nous lisons qu’un ange de Yahvé se place sur le chemin du prophète « pour lui être un obstacle. » (en hébreu : pour lui être un « satan »). Mais le mot, ici, n’indique qu’une mission temporaire confiée au messager de Yahvé. Cet ange n’est pas Satan. Mais il faut remarquer que, quand Satan apparaît comme une personnalité bien définie, son nom reste d’abord un « nom commun », l’accusateur : « Le satan se tenait à sa droite pour l’accuser. » (Zacharie 3.1), « les fils de Dieu vinrent se présenter devant Yahvé et le satan vint aussi au milieu d’eux » (Job 1.6). Dans le troisième et dernier passage, le nom commun est devenu un nom propre : « Satan se leva contre Israël » (1 Chroniques 21.1).
Tels sont les trois seuls passages où Satan soit mentionné dans l’Ancien Testament. Malgré leur petit nombre, ces passages nous permettent de constater que la conception du rôle de Satan n’a pas toujours été la même en Israël. La doctrine a évolué. En premier lieu, on a commencé par présenter Satan comme entièrement subordonné à Yahvé pour arriver graduellement à le considérer comme indépendant de la divinité ; en second lieu, on a commencé à lui prêter uniquement le rôle d’accusateur (pas nécessairement de calomniateur) pour arriver de plus en plus à voir en lui le tentateur et l’ennemi des hommes. Cette évolution de L’idée de Satan est définitivement acquise dans le Nouveau Testament.
1. Le premier texte, Zacharie (Zacharie 3), décrit la vision d’une scène de jugement : le grand-prêtre Josué revêtu de vêtements souillés, est en butte aux accusations du satan devant le tribunal de Yahvé. Celui-ci fait taire l’accusateur et donne l’ordre que Josué soit revêtu d’habits de fête. On reconnaît ici la subordination du satan à la réprimande que lui adresse Yahvé et au rejet de son accusation. Tout semblé indiquer que le satan est un des anges de Yahvé plus spécialement chargé d’accuser les coupables devant son Dieu. Josué l’accusé, n’est pas, en effet, présenté par le récit comme un innocent calomnié ; Yahvé lui dit : « Voici, j’enlève ton iniquité. »
— Le second texte, Job 1 et 2, nous raconte, à deux reprises, comment le satan intervient auprès de Yahvé, dans l’assemblée des « fils de Dieu » (les anges), pour mettre en question l’intégrité et la piété de Job. La subordination du satan est encore ici bien visible : il n’est pas douteux qu’il soit considéré comme appartenant au cercle des « fils de Dieu ». Il suggère l’idée que Job soit mis à l’épreuve ; mais il n’a aucun pouvoir que celui que Yahvé lui confère et il n’agit qu’avec la permission de son Dieu. Déjà, cependant; un commencement d’indépendance se fait sentir dans la manière dont il est présenté et dans sa façon d’agir. On se rend compte que, quoique assimilé aux autres anges, il est distinct d’eux, et cette distinction apparaît dans l’introduction des personnages : « Les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant Yahvé, et le satan vint aussi au milieu d’eux. » On peut remarquer aussi que le satan ne paraît pas être purement et simplement le messager que Dieu envoie accomplir ses missions sur la terre (comme les anges de Zacharie 1.10). Dieu l’interroge sur le lieu d’où il vient, et il répond comme quelqu’un dont les actes sont relativement libres : « Je viens de parcourir la terre et de m’y promener. » Enfin, il faut noter que le satan « excite » Yahvé « à perdre » Job (Job 2.3) : son désir s’oppose au désir de son Maître.
— Le troisième texte, 1Chroniques, raconte comment Satan inspire à David un acte tenu pour impie : le dénombrement du peuple. Ici, l’indépendance de Satan est considérée comme entière : il n’a plus d’autorisation à recevoir de Dieu, il agit de lui-même, contre les hommes et, semble-t-il, contre Dieu.
2. C’est, de même, par une transformation progressive que Satan passe du rôle d’accusateur au rôle de tentateur. Dans l’ancienne conception israélite, nous l’avons dit, il paraissait naturel d’attribuer la tentation à Dieu lui-même (2 Samuel 24.1). Dans le texte de Job c’est bien encore Yahvé qui est le tentateur, mais par l’entremise du satan. Dans le texte des Chroniques; la tentation est attribuée à Satan seul, qui n’a plus à accuser les hommes devant Dieu pour obtenir l’autorisation de les éprouver, mais qui les incite directement au mal. Il est devenu l’Adversaire, l’Ennemi qui combat la volonté de Dieu et cherche à perdre les hommes.
Tel est le rôle partout assigné à Satan, clans le Nouveau Testament. Il est 1e premier instigateur du mal, l’auteur de la Chute (2 Corinthiens 11.3 ; Jean 8.44 ; 1 Jean 3.8,12) ; il est, encore aujourd’hui, celui qui nous induit au mal (1 Thessaloniciens 3.5 ; Matthieu 4.1). Il est cause du mal physique (Matthieu 12.24 ; Luc 13.16) et du mal spirituel (Éphésiens 2.2 ; etc.). Il n’est cependant jamais assimilé à un Dieu du mal. Il est assurément surhumain, mais il n’est pas le plus fort. Jésus a plus de puissance que lui (Matthieu 12.29; Marc 3.27 ; 1 Jean 3.8) et finira par le vaincre (Hébreux 2.14 ; Matthieu 25.41 ; Apocalypse 20.10). Le règne de Satan est déjà sur son déclin (Luc 10.18 ; Colossiens 1.23 ; 1 Jean 4.4 ; Jean 12.31 ; 16.11) et sa ruine sera complète lors du retour du Seigneur (Ro 16.20 ; 1 Corinthiens 15.26 ; 2 Thessaloniciens 2 ; Apocalypse 20.)
Dans le Nouveau Testament, Satan porte aussi les noms de Diable, Tentateur, Béelzébul, Bélial, le Malin; l’Ennemi, le Serpent, le Prince des Démons, le Prince de ce Monde, etc.
Numérisation : Yves Petrakian