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Pontius Pilatus [procurateur de Judée]. On ignore quelles étaient sa famille et sa patrie ; mais on croit qu’il était de Rome, ou au moins d’Italie. Pierre le Mangeur dit qu’il était du Dauphiné, d’un lieu qui n’est pas loin de Saint-Valier sur le Rhône. Théophylacte, sur S. Matthieu 27 croit qu’il était originaire de Pont, à cause de son nom de Poratus. Il fut envoyé pour gouverner la Judée en la place de Gratus, l’an 26 ou 27 de l’ère vulgaire. Il gouverna cette province pendant dix ans, depuis l’an 12 ou 13 de Tibère jusqu’à la vingt-deuxième ou vingt-troisième année du même empereur. Pilate était un homme d’un naturel violent et opiniâtre, qui troubla le repos de la Judée et donna occasion aux troubles et à la révolte qui suivirent. Ayant envoyé ses troupes de Césarée à Jérusalem pour passer l’hiver, il y fit porter les drapeaux ou étaient les images de l’empereur ; au lieu que les autres gouverneurs [lisez procurateurs] n’avaient pas voulu faire entrer ces drapeaux dans la ville, pour ne pas irriter les Juifs, qui croyaient que toutes images et toutes représentations étaient contraires à leur religion. C’est pourquoi Pilate ne les fit entrer que couvertes et seulement pendant la nuit. Mais le lendemain, la chose ayant été découverte, les Juifs de la campagne accoururent dans la ville, et furent ensuite en grand nombre à Césarée conjurer Pilate de faire ôter ces images. Pilate le refusa, et le peuple persista cinq jours et cinq nuits à le lui demander, sans vouloir se retirer.
Enfin le sixième jour, Pilate, ayant fait dresser son tribunal dans une grande place de Césarée, manda les Juifs comme pour leur faire réponse ; mais il avait fait poster des soldats autour de la place, qui les enveloppèrent lorsqu’ils furent assemblés, et les menacèrent de les faire tous massacrer s’ils ne se retiraient. Alors les Juifs se jetèrent le visage contre terre et présentèrent le cou à découvert, comme prêts à recevoir la mort. Pilate, étonné de leur courage, fit aussitôt reporter les images à Césarée.
Philon rapporte une autre histoire arrivée sous Pilate, laquelle a assez de rapport avec la précédente. Il s’avisa de consacrer à Tibère des boucliers d’or dans le palais d’Hérode. Ces boucliers étaient lisses et sans figures, portant simplement une inscription qui marquait qu’ils étaient consacrés à l’empereur. Cela ne laissa pas d’alarmer la religion des Juifs. Les magistrats de Jérusalem, ayant à leur tête les quatre fils d’Hérode, et suivis de tout le peuple, vinrent trouver Pilate pour le prier de ne pas donner atteinte à leurs lois ; mais Pilate le refusa avec son opiniâtreté ordinaire. Ils insistèrent et le conjurèrent de ne les mettre pas dans la nécessité de députer à l’empereur pour faire changer cet ordre. Pilate ne craignait rien tant que cette députation, de peur que les Juifs ne fissent connaître son insolence, sa cruauté, ses rapines, ses violences. Ils se contentèrent d’écrire à Tibère, et Tibère, le jour même, écrivit à Pilate qu’il était très-mécontent de l’entreprise qu’il avait faite, et lui ordonna d’ôter promptement ces boucliers de Jérusalem.
Saint Luc (Luc 13.1-2) nous apprend que Pilate avait mêlé le sang de quelques Galiléens avec leurs sacrifices, et que la chose ayant été rapportée à Jésus.Christ, il dit : Pensez-vous que ces Galiléens fussent les plus grands pécheurs de tous ceux de la Galilée, parce qu’ils ont ainsi été traités P Non, je vous en assure. Mais si vous ne faites pénitence, vous périrez tous comme eux. On ignore qui étaient ces Galiléens que Pilate fit tuer dans le temple pendant qu’ils sacrifiaient ; car c’est ce que veulent dire ces paroles, dont il mêla le sang avec leurs sacrifices. Quelques-uns croient que c’étaient des disciples de Judas le Gaulonite, qui enseignaient que les Juifs ne devaient point payer de tribut aux princes étrangers ; et que Pilate en avait fait tuer quelques-uns jusque dans le temple ; mais on n’a aucune preuve de ce fait. D’autres, que ces Galiléens étaient des Samaritains que Pilate tailla en pièces dans le village de Tirataba (c), comme ils se disposaient à monter sur le mont Garisim, où un certain imposteur leur avait promis de leur découvrir des trésors. Mais cet événement n’arriva au plus tôt que l’an 35 de l’ère vulgaire, et par conséquent deux ans après la mort de Jésus-Christ.
Pendant la passion de notre Sauveur, Pilate fit quelques tentatives pour le délivrer des mains des Juifs. Il savait qu’ils ne le lui avaient livré, et qu’ils ne poursuivaient sa mort avec tant de chaleur que par haine et par jalousie (Matthieu 27.18). Sa femme, qui avait été tourmentée pendant la nuit par de fâcheux songes, lui envoya dire qu’il ne se mêlât point de l’affaire de cet homme juste (Matthieu 27.19). Il essaya de fléchir la colère des Juifs et de leur donner quelque satisfaction en faisant fouetter Jésus-Christ (Jean 19.1 Matthieu 27.26). Il chercha à le tirer de leurs mains, en proposant au peuple de le délivrer, ou Barabbas, au jour de la fête de Pâques (Matthieu 27.16-26 Jean 18.39-40). Enfin il voulut se décharger de porter jugement contre lui, en le renvoyant à Hérode, roi de Galilée (Jean 23.7-8). Lorsqu’il vit que tout cela n’apaisait point les Juifs, et qu’ils le menaçaient même en quelque sorte, en disant qu’il n’était point ami de l’empereur s’il le renvoyait (Jean 19.12-15), il se fit apporter de l’eau en présence de tout le peuple, lava ses mains et déclara publiquement qu’il était innocent du sang de ce juste (Matthieu 27.23-24). En même temps il le livra à ses soldats pour être crucifié. C’en était assez pour justifier Jésus-Christ et pour faire voir qu’il le tenait pour innocent ; mais c’en était trop peu pour mettre à couvert la conscience et l’honneur d’un juge, dont le devoir est de venger l’innocence opprimée, et de punir le crime et l’injustice.
Il fit mettre sur la croix du Sauveur comme le précis de sa sentence et le motif de sa cdamnation (Jean 19.19) : Jésus de Nazareth, roi des Juifs ; ce qui fut écrit en latin, en grec et en hébreu. Quelques Juifs en ayant murmuré et lui ayant remontré qu’il fallait écrire : Jésus de Nazareth qui se dit roi des Juifs, Pilate ne voulut rien changer à son inscription, et répondit : Ce que j’ai écrit est écrit. Sur le soir, on lui vint demander permission de détacher les corps de la croix, afin qu’ils n’y demeurassent pas le lendemain qui était la pâque et le jour du sabbat ; et il le permit (Jean 19.31). Il accorda aussi à Joseph d’Arimathie le corps de Jésus, pour lui rendre les derniers devoirs (Jean 19.38). Enfin lorsque les prêtres qui avaient sollicité la mort du Sauveur, le vinrent prier de faire mettre des gardes au tombeau, de peur que les disciples ne le vinssent voler pendant la nuit ; il leur répondit qu’ils avaient des troupes, et qu’ils pouvaient y en mettre eux-mêmes (Matthieu 27.65). Voilà à-peu-près ce que l’Évangile nous apprend de Pilate.
Saint Justin le martyr, Tertullien, Eusèbe, et après eux, plusieurs autres, tant anciens que modernes, nous apprennent que c’était autrefois la coutume des magistrats romains de dresser des procès verbaux et des actes des jugements qu’ils rendaient dans les provinces, et de les envoyer à l’empereur ; que pour obéir à cette coutume, Pilate ayant fait savoir à Tibère tout ce qui s’était passé touchant Jésus-Christ, l’empereur en écrivit au sénat d’une manière qui faisait assez juger qu’il approuvait la religion de Jésus-Christ et qui marquait qu’il voulait bien qu’on décernât les honneurs divins à Jésus-Christ ; mais le sénat ne fut pas de son avis, et la chose n’eut point de suite ll paraît par ce que saint Justin dit de ces actes, qu’on y lisait les miracles que Jésus-Christ avait faits, et même que les soldats avaient partagé entre eux ses vétempnts. Eusèbe insinue qu’il y était parlé de la résurrection et de l’ascension du Sauveur. Tertullien et saint Justin renvoient à ces actes avec une confiance qui fait juger qu’ils les avaient en main.
Toutefois ni Eusèbe ni saint Jérôme, qui étaient si curieux et si éclairés, ni aucuns des auteurs qui ont écrit depuis ne paraissent pas les avoir vus ; au moins les actes vrais et originaux ; car ceux que nous avons aujourd’hui en assez grand nombre, ne sont pas authentiques ; ils ne sont ni anciens, ni uniformes. Les païens forgèrent de faux actes de la passion de Jésus-Christ, vers le commencement du quatrième siècle. Ils ne nous étaient pas favorables sans doute, et ils étaient fort différents de ceux que saint Justin et Tertullien avaient cités au second siècle. Les Quartudécimans avaient aussi des actes de Pilate, dont ils s’autorisaient dans leur erreur. Ils étaient encore différents de ceux dont on vient de parler, n’étant pas croyable que les chrétiens voulussent se servir d’une pièce faitepar des païens ; ils variaient entre eux, puisque les uns portaient que Jésus-Christ avait souffert le 18, et les autres le 25 Mars. Enfin ces actes ne sont pas reconnus pour authentiques par ceux qui en ont parlé, comme saint Épiphane.
Saint Grégoire de Tours croyait avoir les vrais actes de Pilate ; mais le fragment qu’il en cite fait voir que c’était apparem ment le faux évangile de Nicodème, qui a été supprimé plus d’une fois et où l’on trouve la substance de ce que dit saint Grégoire de Tours ; savoir, que les prêtres ayant arrêté Nicodème, l’enfermèrent dans une chambre et le gardèrent eux-mêmes ; mais qu’il fut miraculeusement délivré, les murailles de sa prison ayant été élevées en l’air par le ministère des anges, et ayant ensuite été rétablies en leur premier état. Et lorsque les pontifes demandèrent aux soldats qu’ils eussent à représenter le corps de Jésus-Christ, dont le tombeau avait été confié à leur garde, ils répondirent : Rendez vous-mêmes Nicodème que vous avez enfermé ; car pour dire le vrai, ni vous ne sauriez rendre Nicodème bienfaiteur de Dieu, ni nous Jésus, le Fils de Dieu. À ces mots, les prêtres chargés de confusion, renvoyèrent les soldats. Cet échantillon et tout l’Évangile de Nicodème que l’on a en main ne sont certainement pas des pièces que l’on puisse donner pour authentiques.
Nous avons encore une lettre de Pilate à Tibère dans la récapitulation du faux Hégésippe, et dans un écrit attribué à Marcel, disciple de saint Pierre. On la voit imprimée dans la Chronique de Martin Polonois, dans Sixte de Sienne et dans plusieurs autres, quoique avec quelques diversités. La voici traduite du latin : a Ponce Pilate, à Claude, salut. Il est arrivé depuis peu une chose par la jalousie des Juifs, dont j’ai été témoin, qui les enveloppera eux et leurs enfants dans un châtiment terrible ; car leurs pères ayant reçu des assurances que Dieu leur enverrait du ciel son Saint qui serait leur véritable Roi et qui leur naîtrait d’une vierge ; Dieu le leur a en effet envoyé pendant que j’ai été gouverneur de la Judée. Et les Juifs ayant vu qu’il rendait la lumière aux aveugles et la guérison aux paralytiques ; qu’il nettoyait les lépreux, chassait les démons des corps, ressuscitait les morts, commandait aux vents, marchait sur la mer à pieds secs et faisait plusieurs miracles, pendant que tout le peuple le regardait comme le Fils de Dieu, les principaux des Juifs conçurent contre lui une extrême jalousie. Ils l’arrêtèrent et le livrèrent à moi, formant contre lui plusieurs fausses accusations, et disant que c’était un magicien et un violateur de leurs lois.
Pour moi, croyant que ce qu’ils disaient était véritable, je l’ai fait fouetter et l’ai livré à leur volonté. Ils l’ont crucifié et ont mis des gardes à son tombeau. Mais le troisième jour, il est ressuscité, pendant que mes soldats gardaient son sépulcre. La malice des Juifs a été telle, que donnant de l’argent aux gardes, ils leur ont dit : Publiez que ses disciples ont enlevé son corps. Mais les soldats ayant reçu l’argent n’ont pu s’empêcher de dire ce qui était arrivé. Ils ont dit que Jésus-Christ était ressuscité, et que les Juifs leur avaient donné de l’argent pour n’en pas parler. C’est de quoi j’ai cru vous devoir donner avis, afin qu’on n’ajoute point de foi aux mensonges des Juifs.
Il y a encore une autre lettre prétendue de Pilate à Tibère, dans Florentinius, page 113, et une autre dans l’histoire de Jésus-Christ, écrite en Persan par Jérôme Xavier. Les Bollandistes ont donné au quatrième février, page 4,50, une fausse histoire de Notre-Seigneur, envoyée par Pilate à Tibère Enfin M. Fabricius en a donné une en grec qui est tirée d’un manuscrit de M. de Colbert, coté 2493 ; et M. Cottelier en cite une autre qui est aussi en grec dans un manuscrit de la bibliothèque du roi, n° 2431, lesquelles ne sont pas meilleures que celles dont nous venons de parler. Je ne dis rien de la lettre prétendue de Lentulus que l’on prétend avoir gouverné la Judée immédiatement avant Pilate, et qui rend compte au sénat de la personne et des miracles de Jésus-Christ. Il rend témoignage à ses miracles et le dépeint comme un homme d’une taille avantageuse, d’un air majestueux, tempéré de douceur et de sévérité qui le rend à la fois aimable et respectable ; portant de grands cheveux couleur de vin, lesquels sont lisses depuis la racine jusqu’aux oreilles, et plus frisés depuis les oreilles jusqu’au-dessous des épaules ; la barbe grande et partagée en deux, de même que sa chevelure. Son visage est blanc, relevé d’un peu de rouge ; ses yeux bleus, etc. Cette lettre a été aussi imprimée plusieurs fois ; mais on convient qu’elle ne vaut pas mieux que les actes de Pilate, dont nous avons parlé.
Retournons à l’histoire de ce gouverneur [procurateur]. Environ un an après la mort de Jésus-Christ, il entreprit de faire conduire des eaux à Jérusalem par un aqueduc. Ces eaux étaient environ à deux cents stades de la ville, c’est-à-dire, à sept ou huit lieues. Pour exécuter cette entreprise, Pilate prit l’argent du sacré trésor. Le peuple se souleva et s’assembla par troupes de plusieurs mille et commença à crier contre le gouverneur [procurateur]. Il y en eut même qui s’einportèrent jusqu’à dire contre lui des paroles insolentes. Pilate étant venu dans la ville lit cacher plusieurs soldats déguisés parmi le peuple, et ayant assemblé la multitude, aussitôt qu’ils commencèrent à crier et à parler insolemment, il fit signe aux soldats, qui frappèrent indifféremment sur tous ceux qui se trouvèrent autour d’eux, sans distinguer l’innocent du coupable. Par ce moyen violent il arrêta la sédition.
Après cette histoire, Josèphe raconte celle que nous avons touchée ci-devant, des Samaritains, qu’un imposteur assembla en grand nombre, leur protnettant de leur découvrir plusieurs vases précieux qu’il disait avoir été cachés par Moïse dans le mont Garizim. Le peuple s’étant assemblé en armes de toute part, s’arrêta au bourg de Tirataba, afin de monter tous ensemble sur le Garizim. Mais Pilate, s’étant saisi de la hauteur avec de la cavalerie et de l’infanterie, alla attaquer les Samaritains dans Tirataba, les battit, en tua un grand nombre, mit le reste en fuite, et fit mourir les principaux qui tom-lièrent entre ses mains. Alors les Samaritains portèrent leurs plaintes à Vitellius, gouverneur de Syrie, disant que l’assemblée du peuple à Tirataba ne s’était pas faite dans un esprit de révolte, mais dans la vue de se mettre à couvert des vexations de Pilate. Sur cela Vitellius envoya Marcellus, un de ses amis, en Judée, pour prendre soin de cette province, donna ordre en même temps à Pilate d’aller à Rome rendre compte de sa conduite à l’empereur Tibère. Ainsi Pilate quitta le gouvernement de Judée l’an 36 de Jésus-Christ ou de l’ère vulgaire, et l’an 23 de Tibère. Cet empereur mourut avant-que Pilate arrivait à Rome.
On ne sait pas le détail de ce qui arriva à ce gouverneur [procurateurl ; mais on tient par une tradition très-ancienne qu’il fut relégué à Vienne en Dauphiné, où il fut réduit à une telle extrémité, qu’il se tua de sa propre épée par désespoir. Eusèbe cite ce fait tiré des auteurs qui avaient, dit-il, écrit l’histoire romaine par olympiades, et qui semble désigner Phlégon, affranchi d’Adrien. On montre au-dessus de Lucerne, dans la Suisse, un lac nommé le lac de Pilate, où l’on tient que ce gouverneur se précipita étant poursuivi lorsqu’il s’enfuyait du lieu de son exil. Le peuple ajoute qu’en un certain jour de l’an-née on voit un spectre en habit de juge, qui disparatt ensuite en se plongeant dans le lac. Les Lucernois croient que si l’on troublait l’eau de ce lac, ou si l’on y jetait quelque chose, aussitôt il s’élèverait un orage dans le pays. C’est pourquoi on a grand soin d’avertir les curieux qui le vont visiter de n’y jeter aucune chose qui en puisse troubler l’eau. Mais ceux lui en ont donné la description et qui l’ont examiné avec plus de soin, se raillent de ces opinions populaires. Voyez Gesner dans la description qu’il en a faite, et le Dictionnaire de Hofnian sous l’article Pondus Pilalus.
M. Simon, dans son Dictionnaire de la Bible, a ramassé sept ou huit sentences prétendues de Pilate contre Jésus-Christ ou plutôt la sentence de ce juge d’iniquité tournée de huit manières différentes par des auteurs nouveaux, comme saint Anselme dans le livre de la Passion, saint Vincent Ferrier, Lansperg, Guillaume de Paris, l’Évangile de Nicodème, Jean de Carthagène, Sempronianus, Adrichomius. Mais on nous pardonnera aisément si nous les négligeons, puisqu’elles n’ont aucune autorité. L’Évangile ne dit pas même que Pilate ait prononcé une sentence, mais seulement qu’il le livra à la volonté des Juifs (Matthieu 27.26 Marc 15.15 Luc 23.24 Jean 19.16), qui demandaient avec de grands cris qu’il fût crucifié. Et c’était véritablement prononcer sa sentence que de consendir qu’on accomplit ce qu’ils demandaient, et qu’on exécutât la sentence qu’ils avaient par avance prononcée contre lui (1).
Ce gouverneur est dépeint par Philon le Juif comme un juge qui vendait la justice et rendait pour de l’argent quelle sentence on voulait. Il parle de ses rapines, de ses injustices, de ses meurtres, des tourments qu’il avait fait souffrir à des innocents, et des personnes qu’il avait fait exécuter sans aucune forme de procès. Enfin il le décrit comme un homme qui exerça une cruauté excessive durant tout le temps de son gouvernement.
Quant à la lettre de Pilate à Tibère, on la lisait autrefois dans les églises de France ; et je l’ai trouvée dans l’ancien manuscrit de Luxeuil, dont le R. P. Mabillon a tiré ce qu’il a fait imprimer du Cursus Gallicanus.
La tradition populaire de Vienne en Dauphiné est que Pilate fut relégué en cette ville, qui était sa patrie. Encore aujourd’hui il nomme le Prétoire de Pilate, un édifice ancien, qui a la forme d’un temple, et qui est nommé Notre-Dame de la Vie. Les magistrats, sur cette opinion du peuple, avaient fait écrire sur le fronton de cet édifice : C’est ici la pomme du sceptre de Pilate. M. Chorier, dans ses Antiquités de Vienne, a réfuté ces imaginations. Il croit que la mémoire d’un Italien nommé Humbert Pilati a donné sujet au peuple d’appeler une tour qui est à Vienne proche du Rhône, la tour de Pilate ; et une maison de campagne près de Saint Vallier, la maison de Pilate, etc.
(1) Jésus-Christ fut condamné à mort par le grand prétre Caïphe et ses adhérents pour s’étre déclaré le Fils de Dieu (Matthieu 26.65-66 ; Marc 14.61-64 ; Luc 14.66-71). Mais, comme ils ne pouvaient exécuter leur sentence, ils furent obligés de traduire Jésus-Christ devant Pilate ; et comme Pilate ne pouvait le juger sur les faits pour lesquels ils l’avaient condamné, ils l’accusèrent d’être un malfaiteur (Jean 18.30). Cette accusation étant trop vague, Pilate, croyant qu’il s’agissait d’un délit contre leur loi, le renyoya pour qu’ils le jugeassent eux-mêmes selon leur loi. Il ignorait qu’ils l’avaient condamné pour le crime de blasphème. Alors, inventant contre Jésus des crimes civils, ils l’accusèrent de troubler l’ordre, d’empêcher de payer le tribut à César et de se dire le Christ roi (Luc 22.2). Sur quoi Pilate interrogea Jésus, et quoique Jésus eût avoué qu’il était roi, Pilate déclara qu’il ne trouvait dans l’accusé aucun sujet de le condamner (Luc 23.5 ; Jean 18.33-38) ; que leurs accusations étaient fausses, et qu’il allait le renvoyer (Luc 23.13-16). Il le leur répéta plusieurs fois (Luc 23.22 ; Jean 19.6). Il fit de nouveaux efforts pour renvoyer Jésus ; mais les Juifs lui reprochèrent de n’être pas ami de César (Jean 19.12). Enfin il protesta solennellement, en se lavant les mains devant le peuple, de l’innocence de Jésus (Matthieu 27.24) ; après quoi il l’abandonna à la fureur de ses ennemis (Matthieu 27.20 ; Marc 15.15 Luc 23.24-25 ; Jean 19.16). Ainsi donc il ne le condamna pas ; il l’abandonna lâchement, par crainte que.les Juifs ne le compromissent vis-à-vis de César. Cet abandon, si lâche qu’il soit, n’est pas du tout la même chose que si Pilate eût véritablement prononcé la sentence. Une condamnation de la part de Pilate eût été aussi injuste que celle rendue par les Juifs ; mais Pilate jugeant Jésus innocent, loin de le condamner, proclame son innocence ; et ainsi la haine des accusateurs ne put du moins s’abriter sous l’erreur ou la prévarication du juge.
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