Probablement qu’il est le même que l’on surnomme Lebbée (mon cœur), ou Thaddée (ma poitrine), l’un des douze ; il était frère de Jacques, de Joses et de Simon, fils de Cléopas et de Marie. Les Évangiles ne nous rapportent de lui qu’un seul fait, la demande qu’il adressa au Sauveur pendant le dernier souper : « Seigneur, comment se fait-il que tu vas te manifester à nous, et non pas au monde ? » (Jean 14.22). Sa vie et sa carrière apostolique sont peu connues ; les traditions des différentes Églises varient à son sujet. Selon les pères de l’Église grecque, il a prêché l’Évangile dans l’Idumée, l’Arabie, la Syrie et la Mésopotamie, et il est mort tranquillement à Edesse. Les auteurs syriens le font mourir martyr à Bayrouth, en Syrie. Selon les écrivains de l’Église latine, il a pénétré en Perse, où il a succombé aux fureurs des mages. Eusèbe raconte qu’un des soixante-dix disciples, nommé Thaddée, a été envoyé par Thomas à Edesse, et la tradition syriaque parle également d’un Addée ou Thaddée qui aurait évangélisé la Mésopotamie, mais qui ne serait pas un des douze. Enfin, selon Hégésippe, les petits-fils de Jude auraient été dénoncés à Domitien comme sectateurs de Christ, prétendu roi d’Orient et descendant de David ; mais l’empereur, voyant leur pauvreté et leur profonde ignorance politique, les aurait fait relâcher aussitôt.
Épître de Jude. L’auteur lui-même se nomme Jude, serviteur de Jésus-Christ, frère de Jacques. Plusieurs opinions ont été mises en avant ; cependant celle qui regarde Jude l’apôtre comme auteur de l’épître l’emporte de beaucoup sur les autres, soit par l’unanimité de la tradition, soit par l’autorité des théologiens nombreux qui l’ont adoptée, soit enfin, par l’évidence des arguments qui militent en sa faveur.
1° De Wette, et d’autres avec lui, voient l’auteur de l’épître dans Jude frère de Jacques et fils d’Alphée, mais différent de celui qui est surnommé Lebbée ou Thaddée, lequel Jude selon eux devrait être entendu comme fils et non frère de Jacques (Luc 6.16 ; Actes 1.13). Jude Lebbée serait ainsi fils d’un Jacques inconnu. Ils s’appuient, entre autres, sur ce que l’auteur de l’épître ne prend pas le nom d’apôtre. Mais on peut répondre que l’auteur était libre de se désigner comme il l’entendait, et qu’il a omis son titre d’apôtre comme Paul (Philémon 1.1). Il a préféré se faire connaître quant à son autorité par le titre de serviteur de Christ, et quant à son individualité par celui de frère de Jacques.
2° Welker a pris Jude pour Judas Barsabas, et Schott, lisant Judas Bar-Zébed, ferait de ce Jude un troisième fils de Zébédée, opinion qui n’a pas même besoin d’être réfutée.
3° Grotius, qui voudrait voir dans cette épître une allusion à la secte gnostique des carpocratiens, l’attribue à un Jude évêque de Jérusalem sous Adrien, vers 130, et retranche en conséquence les mots « frère de Jacques », contre l’autorité de tous les manuscrits.
4° Enfin, l’opinion à laquelle nous n’hésitons pas à nous ranger, attribue l’épître à l’apôtre Jude surnommé Lebbée et Thaddée, frère de l’apôtre Jacques et fils d’Alphée. Jacques, l’évêque de Jérusalem, si connu et si estimé dans l’antiquité chrétienne, était le seul qui eût assez de célébrité pour que Jude pût se servir de son nom comme d’une recommandation suffisante, et si Jude n’y a pas ajouté le nom de son père, c’est qu’Alphée était peu connu et qu’il n’a servi à distinguer les deux Jacques qu’aussi longtemps que le fils de Zébédée était encore en vie.
On ne sait rien de positif sur l’époque de la composition de cette épître, non plus que sur l’occasion qui lui a donné naissance. Il y a un rapport intime entre cette lettre et la seconde de Pierre, et nous en reparlerons à propos de cette dernière. Il est probable que c’est aux mêmes lecteurs que l’une et l’autre ont été adressées ; elles ont toutes deux le même but, celui qui est indiqué aux versets 3 et 4. Un mal immense s’était glissé dans les Églises, mal semé par les faux chrétiens qui poussèrent les doctrines de l’Évangile, et notamment celles de Paul sur la fin de la loi et sur la liberté, jusqu’à la licence dans la conduite, en propageant des idées qui plus tard se développèrent dans le gnosticisme, et selon lesquelles le Dieu des Juifs, organisateur de l’univers et objet du culte judaïque, aurait été un esprit subordonné et même malin ; c’était en un mot une satire faite sur la doctrine de Paul. Pierre et Jude, qui habitèrent longtemps l’Orient, virent le mal et s’y opposèrent. Jude commença, et Pierre vint plus tard le soutenir de son autorité plus connue sinon plus réelle, en développant la lettre de Jude à laquelle il a emprunté plusieurs détails.
L’authenticité de cette épître n’a jamais été sérieusement contestée ; elle ne fut reçue dans le canon syrien qu’au quatrième siècle, et Eusèbe raconte qu’elle était reçue par les uns et lue dans les Églises, mais que d’autres ne la reconnaissaient point, non plus que celle de Jacques et les deux dernières de Jean. On comprend facilement qu’une si petite lettre, qui de plus n’était pas de la main de Paul, et qui fut adressée à des Églises de l’Asie Mineure, ne soit pas entrée en circulation aussi vite que d’autres. Jérôme nous apprend encore, une raison qui a pu retarder la reconnaissance publique de cette épître ; c’est une de ces raisons dogmatiques que les pères ont souvent préférées aux raisons critiques, le fait de la citation du livre d’Énoch ; mais voir cet article. Au reste, les témoignages en faveur de l’authenticité remontent assez haut, et sont assez nombreux pour l’établir d’une manière complète. Clément d’Alexandrie, Origène et Tertullien la citent en propres termes ; un autre passage d’Origène est douteux.