Ou Laise ou Lesen, nom de lieu près de Bérée ou plutôt Béroth, ville de la tribu de Benjamin, qui n’est connu dans l’Écriture que par la bataille qui s’y donna entre Judas Machabée d’une part, et Bacchides et AIcime, grand prêtre des Juifs, de l’autre part. Démétrius Soter ayant appris la mort de Nicanor, et la défaite de son armée, envoya de nouveau en Judée Bacchides et Alcime, avec l’aile droite de son armée, c’est-à-dire, l’élite de ses troupes, au nombre de vingt-deux mille hommes d’infanterie, et de deux mille de cavalerie. Ils vinrent d’abord à Jérusalem, croyant y rencontrer Judas ; mais ayant appris qu’il était campé à Laïse avec trois mille hommes choisis, ils y allèrent et se campèrent à Bérée, qui n’en était pas éloignée. Les troupes de Judas, voyant une si grande multitude d’ennemis, furent tellement saisies de crainte, que la plupart désertèrent, en sorte qu’il ne lui resta que huit cents soldats.
Judas se voyant ainsi abandonné dans la nécessité où il se trouvait de combattre, son cœur en fut tout abattu, et d’autant plus qu’il n’avait pas le temps de rassembler d’autres soldats ; cependant il ne laissa pas d’encourager ceux qui étaient restés avec lui, et de les animer au combat ; mais ils lui représentèrent qu’ils étaient en si petit nombre, qu’il fallait plutôt différer la bataille et attendre quelque nouveau renfort. Judas leur répondit : Dieu nous garde d’en user ainsi, et de fuir devant nos ennemis : si notre heure est venue, mourons courageusement pour nos frères, et ne souillons point notre gloire par une action si lâche. Les ennemis étant sortis de leur camp, vinrent au-devant d’eux, ayant mis la cavalerie sur les deux ailes ; les frondeurs et les archers marchaient devant l’armée, et le premier rang était composé des plus vaillants soldats, et Bacchides était à l’aile droite. Les trompettes des deux partis commencèrent à sonner, les montagnes d’alentour retentirent de leur bruit, et Judas ayant remarqué que l’aile droite où commandait Bacchides était la plus forte, il l’assaillit, la rompit, et la poursuivit jusqu’à la montagne d’Azot ; mais l’aile gauche ayant enveloppé Judas et ses gens par derrière, le combat fut longtemps opiniâtre et Judas enfin, accablé par la multitude des ennemis, tomba mort, et ses gens prirent la fuite.
Observations sur la bataille de Laise entre Judas Machabée et Bacchides (1 Machabées 9.1) et suivants
Cette action de Judas Machabée, qui se résout avec huit cents hommes d’attaquer une armée de vingt mille hommes d’infanterie et de deux mille chevaux ; cette action, dis-je, surprend beaucoup ceux qui ignorent que l’histoire est remplie de ces sortes de faits extraordinaires ; mais on revient de cette surprise, lorsque l’on considère qu’un chef habile et entreprenant, qui connaît la valeur et l’audace déterminée de ses troupes, ne désespère jamais dans un coup de nécessité, où la retraite étant inséparable de la mort, il faut vaincre ou périr.
Judas, après la désertion de la plus grande partie de ses troupes, se trouva dans cette triste nécessité ; il employa la puissante batterie de la religion pour relever le courage de ceux qui lui étaient demeurés fidèles ; c’était tout ce que les généraux pouvaient imaginer de plus efficace dans les grands dangers. Les miracles étaient rares du temps des Machabées : on ne les voyait que de loin en loin ; cependant il en paraissait toujours quelqu’un, et Dieu ne s’était pas entièrement retiré de son peuple il compatissait encore à ses maux, quoiqu’il se fût rendu indigne de ses faveurs. La vertu, la piété et les admirables qualités de Judas Machabée, que dom Calmet compare à Jésus-Christ, retint longtemps la colère du Seigneur contre un peuple ingrat et infidèle ; mais enfin ce grand homme périt dans cette action, et ceux qui ne voulurent pas l’abandonner, furent plutôt accablés que vaincus.
Judas s’était campé à Laise avec trois mille hommes choisis (1 Machabées 9.5). Je ne sais pourquoi l’auteur sacré ajoute l’épithète choisis, que l’on explique ordinairement par braves, vaillants, courageux ; car quoiqu’ils fussent en état de faire tête et même de défaire cette armée formidable de Bacchides, la plupart n’étaient que des lâches, puisque plus des deux tiers n’eurent pas le courage de combattre, et qu’ils abandonnèrent indignement un chef si vaillant, et qui devait leur être si cher. Ses gens, dit (1 Machabées 9.6) l’auteur sacré, voyant une si grande armée, furent saisis de frayeur, et plusieurs se retirèrent du camp, en sorte qu’il n’en demeura que huit cents. Si tous les lâches, officiers et soldats, étaient expulsés d’une armée au moment d’une action décisive, il en resterait peu ; mais ce peu ! délivré de cette canaille, ferait infiniment plus d’effet que si les poltrons demeuraient pêle-mêle avec les vaillants.
Judas eut le cœur abattu, et se sentit comme défaillir, en voyant la lâcheté de ceux qui l’abandonnaient ; cependant ce grand héros, ranimant son courage, dit à ses gens qui voulaient le détourner de combattre (1mac 9.10) : Quoi, voudriez-vous fuir devant nos ennemis ? Si notre heure est arrivée, mourons courageusement pour nos frères, plutôt que de souiller notre gloire par une action si honteuse. Il se trouva apparemment engagé si avant et si près de l’ennemi qu’il risquait plus de se retirer que de combattre ; parce qu’en combattant du moins il mettait son honneur et sa gloire à couvert ; de plus il avait éprouvé plusieurs fois que la victoire est entre les mains du Seigneur, qui la donne à qui il lui plaît, sans avoir égard au nombre.
L’année ennemie étant sortie de son camp (1 Machabées 9.11-12), vint au-devant d’eux ; et la cavalerie fut divisée en deux corps partagés aux ailes ; les frondeurs et les archers marchaient devant l’armée, et le premier rang était formé des plus forts et des plus vaillants. Bacchides était à l’aile droite, et les deux bataillons marchèrent des deux côtés, et firent retentir le bruit des trompettes. Dom Calmet traduit ce passage : proximavit legio ex duabus partibus, par ces mots : les bataillons marchèrent des deux côtés. Cela ne me paraît pas exact : car le terme de legio au singulier dans l’Écriture ne doit pas signifier plusieurs bataillons, puisque la méthode de se ranger chez les peuples de l’Asie était différente de celle des Romains, et qu’ils combattaient en phalange et sur une seule ligne, et non pas par bataillons, ou cohortes. Ainsi je crois qu’il faudrait traduire, la phalange s’approcha des deux côtés, ou des deux ailes. On comprend bien que les deux ailes de Bacchides s’avancèrent pour envelopper les troupes de Judas, cela ne peut s’entendre autrement : car comment pourrait-on dire que les bataillons marchèrent des deux côtés, puisque Judas n’a qu’une poignée de gens, et qu’en traduisant ainsi, l’on croirait qu’il serait à la tête de plusieurs bataillons ?
Les gens de Judas sonnèrent aussi des trompettes, et la terre retentit du bruit des armes. Si l’on n’a que les gens de Judas en vue, cette hyperbole est un peu outrée : et le combat dura depuis le matin jusqu’au soir. J’ai de la peine à comprendre que huit cents hommes aient pu résister si longtemps contre une armée si extraordinairement supérieure, et qui les environnait de toutes parts ; je concois aisément que des soldats si braves et si déterminés, ayant à leur tête un général tel que Judas illachabée, aient pu enfoncer et mettre en fuite l’aile droite des ennemis ; mais je ne puis concevoir qu’un si grand capitaine ait pu se mettre aux trousses des fuyards, et les poursuivre jusqu’à la montagne d’Azot, pendant qu’il laissait derrière lui tout le reste de l’armée de Bacchides en état de réparer cette disgrâce, en le suivant et tombant sur ses derrières, comme cela arriva, ce qui fut cause de son malheur encore une fois je ne puis attribuer une telle imprudence, et une faute si grossière à un guerrier aussi habile que Judas : car on voit dans tout ce qu’il a fait qu’il est peut-être le seul des grands capitaines qui ait été sans reproche dans l’exécution de ses desseins. Il faut que ses gens se soient laissés emporter à l’ardeur de la victoire, et qu’il se soit vu malgré lui dans la triste nécessité de les suivre ; car autrement, si après la défaite (le cette aile, il eût tourné sur les flancs de l’ennemi, étonné de la déroute de sa droite, cela aurait été dans les règles, et la victoire était certaine.
Mais ceux qui étaient à l’aile gauche, dit (1 Machabées 9.16) l’auteur sacré, voyant que l’aile droite avait été défaite, suivirent par derrière Judas et ses gens. Ceux-ci se voyant suivis par le corps de l’armée de Bacchides, furent obligés de laisser aller les fuyards, et de faire volte-face pour soutenir un autre combat. Il est difficile de bien démêler certaines circonstances que l’auteur sacré rapporte, il y a des mouvements qui embarrassent extrêmement, et dont on ne saurait sortir que par la voie des conjectures. Ainsi je présume que les ennemis s’étaient mis d’abord en bataille, mais la droite de leur cavalerie ayant été rompue et mise en fuite, et malheureusement pour Judas poursuivie trop loin, l’armée de Bacchides tourna pour suivre le victorieux, et l’arrêter dans sa retraite ; cette conjecture nie paraît très-probable. L’auteur sacré donne la disposition et la distribution des troupes de Bacchides, et ne dit tien de celle des Juifs, mais je les suppose rangés en deux corps sur une grande profondeur, selon leur méthode ordinaire de combattre.
Le combat fut longtemps opiniâtre (1 Machabées 10.17-18) et plusieurs de part et d’autre furent blessés et tués, Judas lui-même tomba mort, et tous les autres s’enfuirent. Le reste de l’armée de Bacchides ayant suivi Judas, qui combattait comme un lion, et qui renversait par terre tout ce qui se présentait devant lui, l’assaillit par derrière. Il se trouva entre deux armées, où il fit des prodiges de valeur ; mais enfin, accablé par la foule, il fut blessé, et tomba sur un tas de morts qu’il avait renversés autour de lui : ainsi mourut ce grand héros. On peut voir l’éloge magnifique que le savant commentateur en a fait, et les rapports admirables qu’il trouve entre Jésus-Christ et lui.