La loi excluait les lépreux du commerce des hommes. Elle les reléguait à la campagne et dans des lieux inhabités (Lévitique 13.45-46). Souvent plusieurs personnes, attaquées de cette maladie, se mettaient ensemble et composaient une espèce de société. Nous en voyons des exemples dans les quatre lépreux qui étaient hors de Samarie (2 Rois 7.3-8), pendant que Benadad, roi de Syrie, assiègeait cette ville ; et dans les dix lépreux qui vinrent demander leur guérison à Jésus-Christ (Luc 17.12). L’on était si ponctuel sur cet article, que les rois même étaient mis hors de leur palais, exclus de la société, et privés du gouvernement, lorsqu’ils tombaient dans cette maladie ; ainsi qu’il arriva à Osias, ou Azarias, roi de Juda, qui fut frappé de ce mal, pour avoir voulu mettre la main à l’encensoir (2 Rois 15.5 2 Chroniques 26.21d).
Lorsqu’un lépreux était guéri (Lévitique 14.1-4), il se présentait à la porte de la ville, et le prêtre examinait si véritablement il était nettoyé de sa lèpre. Alors cet homme allait au temple, prenait deux oiseaux purs, faisait un bouquet avec une branche de cèdre, et une branche d’hysope, liées avec un ruban de laine couleur d’écarlate ; on remplissait d’eau un vase de terre, on attachait un de ces oiseaux vivant au bouquet dont on vient de parler. Le lépreux guéri tuait l’autre oiseau, et faisait couler le sang dans le vase rempli d’eau. Après cela, le prêtre prenait le bouquet avec l’oiseau vivant, les plongeait dans l’eau teinte du sang d’un des oiseaux, et en arrosait le lépreux. On lâchait ensuite l’oiseau vivant ; et l’homme guéri et purifié, rentrait dans la société des hommes sains, et dans l’usage des choses sacrées.
Les lépreux étaient autrefois fort fréquents dans l’Europe. Il y en a qui croient que le commerce qu’on avait avec les Juifs, qui y étaient communs, contribuait à rendre la lèpre plus fréquente. D’autres soutiennent qu’elle venait des fréquents voyages que l’on fit en Palestine du temps des Croisades. On appela ces lépreux, ladres, et ou bâtit pour eux une infinité de léproseries, consacrées à saint Ladre ou à saint Lazare, frère de Marie et Marthe, ou à saint Job. Voyez ci-devant saint Lazare. [On y verra que saint Ladre ou Lazare n’est pas du tout le même que saint Lazare frère de Marie et de Marthe ; et c’est dom Calmet lui-même qui fera voir cela]. Matthieu Paris dit qu’il y avait en Europe jusqu’à dix-neuf mille ladreries. On séparait les lépreux du commerce des hommes, et on les obligeait de se tenir dans leurs léproseries ; on leur donnait des marques pour se faire connaître. Ils portaient ordinairement des cliquettes ou des barils, afin qu’ils fussent connus et évités du peuple.
Depuis deux cents ans la lèpre a presque entièrement cessé en Europe, du moins elle a changé de nom, et d’incurable qu’on la croyait, on a trouvé des remèdes pour la guérir. Les plus habiles médecins croient qu’elle ne différait que de nom de la maladie vénérienne. M. de Tournefort, qui en a vu dans son voyage du Levant, ne doute point de ce que nous venons de dire. Il y a des lépreux qui sont incurables, à cause que leur maladie est invétérée, et qu’elle a corrompu la masse du sang et des humeurs ; mais il y en a d’autres qu’on pourrait guérir, en les traitant comme on traite ceux qui ont la vérole. Plusieurs croient que la maladie de Job était la lèpre, mais dans un degré de malignité qui, la rendant incurable, faisait que plusieurs autres maladies se trouvaient compliquées avec elle.
Manéthon l’Égyptien, Lysimaque, Melon, Appion le grammairien, Tacite et Justin on avancé sérieusement que les Juifs étaient sortis de l’Égypte à cause de la lèpre. Chacun de ces historiens raconte la chose à sa manière, et y ajoute quelque circonstance de sa façon ; mais ils conviennent tous à dire que les Hébreux qui sortirent de l’Égypte, étaient attaqués de la lèpre. Voici comme Tacite raconte la chose : Plusieurs auteurs conviennent que la maladie de la lèpre s’étant fort répandue dans l’Égypte, le roi Bocchoris consulta l’oracle d’Hammon pour savoir le remède à cette incommodité. L’oracle lui dit qu’il fallait purger son royaume de ces sortes de gens, et les éloigner du pays, comme gens haïs des dieux. Bocchoris ramassa donc tous ceux qui étaient attaqués de cette maladie, et les fit conduire dans une vaste solitude, pour y périr de misère. Ces malheureux réduits en cet état, et ne sachant quel parti prendre, s’abandonnèrent aux larmes et aux plaintes ; mais Moïse, plus résolu et plus avisé que les autres, leur dit qu’il était inutile d’implorer le secours des dieux ni l’assistance des hommes, parce qu’ils étaient en horreur aux uns et aux autres ; mais que s’ils voulaient prendre confiance en lui, et le suivre, comme un guide envoyé du ciel, ils pourraient arriver sous sa conduite en un lieu de repos ; ils le suivirent donc à tout événement. Et comme ils étaient extrêmement fatigués de la soif, et n’attendaient plus que la mort, Moïse aperçut une troupe d’ânes sauvages qui venaient de paître ; il les suivit, et ayant rencontré un endroit couvert d’une herbe verte, il conjectura qu’il y avait par dessous une source d’eau : il fit creuser, et trouva de quoi désaltérer la multitude qui le suivait. Après sept jours de marche, ils arrivèrent dans la Judée, dont ils se rendirent maîtres. Ils observèrent le repos du septième jour, comme le terme de leur voyage, et la fin de leurs maux. Ils honorèrent l’âne, comme celui qui leur avait sauvé la vie, en leur montrant une source d’eau. Ils conservèrent une grande horreur du porc, en mémoire de la lèpre dont ils avaient été frappés, et à laquelle on dit que cet animal est fort sujet.
Il y a presqu’autant de fautes que de mots dans tout ce récit de Tacite. Cependant les autres auteurs qui ont parlé de l’origine des Juifs, en parlent encore d’une manière plus pitoyable. Ce qui nous a engagé à en parler ici, c’est la lèpre, dont on veut qu’il aient été attaqués. Mais s’ils eussent tous été lépreux, d’où leur viendrait ce grand éloignement qu’ils avaient de ceux qui se trouvaient infectés de ce mal ? On peut voir Josèphe contre Appion.