Nous employons ce terme après quelques autres auteurs qui ont écrit en français des lois et coutumes des Juifs, pour marquer la loi de Moïse, qui oblige celui dont le frère est mort sans enfants, d’épouser la veuve de ce frère, et de lui susciter des enfants. Comme levir en latin signifie le frère du mai, le beau-frère, on a formé de là le nom de levirat, pour exprimer la loi dont nous venons de parler.
Voici ce que Moïse dit sur ce sujet (Deutéronome 25.5) : Lorsque deux frères demeureront ensemble, et que l’un des deux sera mort sans enfants, la femme du mort n’en épousera point d’autre que le frère de son mari, qui la prendra pour femme, et suscitera des enfants à son frère ; et il donnera le nom de son frère à l’aîné des fils qu’il aura d’elle, afin que le num de son frère ne soit pas éteint dans Israël. Que s’il ne veut pas épouser la femme de son frère, cette femme ira à la porte de la ville, et s’adressant aux anciens, elle leur dira : Le frère de mon mari ne veut pas susciter dans Israël le nom de son frère, ni me prendre pour femme. Aussitôt ils le feront appeler, et l’interrogeront ; et s’il répond : Je ne veux point épouser cette femme-là, la femme s’approchera de lui devant les anciens, et lui ôtera son soulier du pied, et lui crachera au visage, disant : Ainsi sera traité celui qui ne veut pas établir la maison de son frère, et sa maison sera appelée dans Israël, la maison du déchaussé.
Cette loi est une exception de celle qui condamne les mariages entre frères et sœurs, et entre le beau-frère et la belle-sœur (Lévitique 18.16). Il semble que dès avant Moïse cette loi était en usage parmi les Hébreux et les chananéens, puisque Juda donne successivement pour maris à Thamar (Genèse 38.6-8), Her son premier-né, Onan son second fils, et qu’il s’oblige de lui donner encore Sela son troisième fils.
Les termes dont Moïse se sert ici : Si deux frères demeurent ensemble, etc., insinuent que la première intention de la loi ne regarde que les frères qui demeurent ensemble dans la maison de leur père, ou peut-être dans le même lieu ; mais l’usage l’a étendue même aux parents plus éloignés, qui demeuraient dans la Judée, et dans le partage de la tribu de leur frère, en sorte que leurs biens et leurs héritages fussent au même lieu ; car la loi avait deux objets ; le premier, de conserver le nom du défunt dans Israël, par le moyen des enfants qui naissaient de sa femme, et qui portaient son nom ; et le second, de maintenir les héritages dans la même famille et dans la même tribu.
L’exemple de Ruth, qui épousa Booz, parent de son mari, est une preuve de la pratique des Israélites du temps des Juges (Ruth 4.1-3). Booz n’était ni le père, ni même le plus proche parent d’Elimélech, beau-père de Ruth,épouse de Mahalon, et cependant il l’épouse, au refus de celui qui était le plus proche parent. Les rabbins ont apporté de leur chef plusieurs exceptions et limitations à celle loi. Ils croient que l’obligation au frère d’épouser sa belle-sœur ne regarde que les frères nés d’un même père et d’une même mère ; et non pas ceux qui sont nés de divers pères, quoique d’une même mère. De plus elle ne regarde que l’aîné des frères du défunt, et encore supposé qu’il ne fût pas marié ; car s’il était marié il pourrait prendre ou laisser la veuve de son frère, à son choix. Si le frère défunt avait laissé un fils ou une fille adoptifs ou naturels, un petit-fils ou une petite-fille, le frère n’avait nulle obligation d’épouser sa veuve. Si le mort laisse plusieurs femmes, le frère n’en peut épouser qu’une, et il ne peut épouser les autres ; si le mort a plusieurs frères, l’aîné seul jouit du droit à tous les biens du défunt, et touche la dot que la femme lui avait apportée.
Ils ajoutent que le mariage de la veuve avec son beau-frère se faisait sans solennité, parce que la veuve du frère décédé sans enfants passait pour femme de son beau-frère en vertu de la loi, sans qu’il fût besoin d’autre cérémonie. Cependant la coutume voulait que cela se fit en présence de deux témoins, et que le frère donnât à la veuve une pièce d’argent. On y ajouta même la bénédiction nuptiale et un écrit pour l’assurance de la dot de la femme. Il y en a qui croient qu’on ne pratiqua plus cette loi depuis la captivité de Babylone, à cause que depuis ce temps les héritages des tribus ne furent plus distingués. Les Juifs d’aujourd’hui ne pratiquent plus cette loi, ou du moins la pratiquent très-rarement, surtout parmi les Allemands et les Italiens ; ils aiment mieux mettre ces femmes en liberté de se remarier à qui elles jugent à propos. [Voyez Chaussure].
Or voici comment cela se pratique, selon Léon de Modène : « Trois rabbins et deux autres témoins vont choisir la veille un lieu où l’on puisse faire la cérémonie. Le lendemain, au sortir des prières du matin, tout le monde suit les rabbins et les témoins, qui, étant arrivés, s’asseyent et font comparaître devant eux la veuve et son beau-frère, qui disent qu’ils se présentent pour être libres. Le principal rabbin fait plusieurs ques, lions à l’homme, et l’exhorte à épouser la veuve ; puis, voyant qu’il persiste à ne le vouloir pas faire, après quelques autres interrogations, l’homme chausse un certain soulier des rabbins propre à tout pied, et cependant la femme approche de lui, et aidée par le rabbin, elle lui dit en hébreu : Le frère de mon mari ne veut point continuer la postérité de son frère dans Israël, et refuse de m’épouser comme beau-frère. Le beau-frère répond : Il ne me plaît pas de la prendre. Alors la femme se baisse, dénoue et déchausse le soulier, le jette à terre, crache devant loi, et lui dit en hébreu avec le secours du rabbin : Ainsi fait-on à l’homme qui n’édifie point la maison de son frère, et il sera appelé, en la maison du déchaussé. Elle dit ces paroles par trois fois, et les assistants lui répondent autant de fois, Déchaussé. Aussitôt le rabbin lui dit qu’elle peut se remarier, et si elle demande un acte de cela, les rabbins lui en délivrent un.
Voici une formule de cet acte tiré de la Gemarre de Jérusalem, où il est plus court que celui qui se trouve chez les rabbins : Par-devant nous tels et tels N. N. N. une telle N., veuve de tel N., a ôté le soulier à tel N., fils de tel N., elle l’a amené par-devant nous et lui a été le soulier du pied droit, et a craché en notre présence, en sorte que nous avons vu son crachat sur la terre ; et elle lui a dit : C’est ainsi que sera traité celui qui ne rétablit point la maison de son frère.
On voit, par ce qu’on vient de dire, que les rabbins ne prennent pas à la lettre ce que dit Moïse, que la femme crachera au visage de celui qui ne veut pas épouser la veuve de son frère, et qu’ils l’expliquent ainsi : elle crachera en sa présence ; elle crachera à terre devant lui ; mais le texte de la loi est exprès pour le premier sens, et Josèphe l’a pris à la lettre dans l’histoire de Ruth (Joseph. Antiq). Cracher au visage de quelqu’un est une marque de souverain mépris (Nombres 12.14 Isaïe 1.6)
Ce qui est dit dans le texte : Il donnera le nom de son frère à rainé des fils qu’il aura d’elle, peut s’entendre en deux manières : 1° Il portera le nom du frère défunt ; s’il s’appelle Abraham, le fils s’appellera aussi Abraham. 2° Il portera le nom du défunt ; il passera pour son fils, il soutiendra son nom et sa famille. L’Hébreu, à la lettre (Deutéronome 25.6) : Il se lèvera sur le nom de son frère : il sera comme un rejeton qui sortira du nom de son frère.
L’exemple de Ruth, qui donna au fils qu’elle eut de Booz le nom d’Obed, et non celui de Mahalon, son premier mari (Ruth 4.17), prouve qu’il n’était pas nécessaire que l’enfant portât le nom du premier mari de sa mère.
Léon de Modène remarque qu’il arrive quelquefois que les Juifs, par un principe d’avarice, tiennent longtemps leurs belles-sœurs en suspens, sans se déclarer s’ils les épouseront ou s’ils renonceront à leur mariage, afin de lasser leur patience et de tirer d’elles quelque argent. C’est pourquoi il y a des pères qui, mariant leurs filles à un homme qui a des frères, stipulent que si le cas échoit ils affranchiront la veuve pour rien. D’autres obligent le mari, en cas qu’il tombe malade et que le médecin dise qu’il est en danger, de répudier sa femme, afin qu’elle ne vienne point au pouvoir de son beau-frère.
Les Juifs appellent ibum, épouser sa belle-sœur ; et chalixa, déchausser le soulier et mettre une femme en liberté.