Saint Marc évangéliste était, selon Papias, saint Irénée, et la plupart des anciens et des modernes, le disciple et l’interprète de saint Pierre, et plusieurs anciens croient que c’est lui dont parle saint Pierre dans sa première Épître (1 Pierre :13), et qu’il appelle son fils spirituel, apparemment parce qu’il l’avait converti. On croit qu’il avait été du nombre des septante disciples, avant qu’il s’attachât à la suite du prince des apôtres : mais quelques Pères ajoutent à cela une particularité, qui est que saint Marc fut un de ceux qui se retirèrent de la compagnie du Sauveur, lorsqu’il lui eut ouï dire ces mots (Jean 6.55) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous-même ; mais que saint Pierre l’ayant ramené, il demeura toujours ferme dans la foi, et s’attacha à cet apôtre, qu’il accompagna à Rome, où il écrivit son Évangile.
Quelques-uns l’ont confondu avec Jean-Marc, connu dans les Actes des apôtres et dans les Épîtres de saint Paul : mais ce sentiment est presque entièrement abandonné. D’autres soutiennent que saint Marc était de la race sacerdotale, et qu’il portait le bonnet des prêtres. C’est ce que dit l’auteur anonymede ses Actes. On dit aussi qu’il était neveu de saint Pierre, et fils d’une de ses sœurs. Cet apôtre étant allé à Rome vers l’an de Jésus-Christ 44, saint Marc l’y accompagna et y écrivit son Évangile, à la prière des frères, qui lui demandèrent qu’il leur donnât par écrit ce qu’il avait appris de la bouche de saint Pierre.
Cet apôtre, ayant appris ce que-son disciple avait fait, le loua, l’approuva, et donna son Évangile à lire dans les églises comme un ouvrage authentique. Tertullien attribue cet Évangile a saint Pierre ; et l’auteur de la Synopse attribuée à saint Athanase veut que cet apôtre le lui ait dicté. Eutyche, patriarche d’Alexandrie, avance que saint Pierre l’écrivit ; et quelques-uns, rapportés dans saint Chrysostome croient que saint Marc l’écrivit en Égypte. D’autres veulent qu’il l’ait écrit après la mort de saint Pierre. Toutes ces diversités de sentiments prouvent assez qu’il n’y a rien de bien certain sur le temps ni sur le lieu où saint Marecomposa son Évangile. [Voyez Pierre, addition].
On est aussi fort partagé sur la langue dans laquelle il a été écrit, les uns soutenant qu’il a été composé en grec, et les autres en latin. Les anciens et la plupart des modernes tiennent pour le grec, qui passe encore à présent pour l’original de saint Marc : mais quelques exemplaires grecs manuscrits de cet Évangile portent qu’il fut écrit en latin. Le Syriaque et l’Arabe le portent de mêmeal était convenable qu’écrivant à Borne et pour les Romains, il l’écrivit en leur langue. Baronius et Selden se sont déclarés pour ce sentiment, lequel toutefois n’a que très-peu de sectateurs. On montre à Venise quelques cahiers que l’on prétend être l’original de la main de saint Marc. Si cela était bien sûr, et que l’on pût lire le manuscrit, ce serait une preuve infaillible pour vider cette dispute : mais on doute que ce soit le vrai original de saint Marc ; et il est tellement gâté par la vieillesse, qu’à peine en peut-on discerner une seule lettre. Le dernier auteur, que jesache, qui en ait parlé, est le R. P. Dom Bernard de Montfaucon. Il soutient qu’il est écrit en latin, et il avoue qu’il n’a jamais vu de si ancien manuscrit. Il est écrit sur du papier d’Égypte beaucoup plus mince et plus délicat que celui que l’on voit en différents endroits. Le R. P. de Montfaucon croit qu’on ne hasarde guère en disant qu’il est pour le plus tard du quatrième siècle. Il fut mis, en 1564, dans un caveau dont la voûte même est, dans les marées, plus basse que la mer voisine ; de là vient que l’eau dégoutte perpétuellement sur ceux que la curiosité y amène. On pouvait encore le lire lorsqu’on l’y déposa en 1564. Un auteur qui l’avait vu avant lui croyait y avoir remarqué des caractères grecs. On peut voir notre préface Sur saint Marc.
Plusieurs modernes croient que saint Marc fut envoyé par saint Pierre de Rome à Aquilée, où il demeura deux ans et demi, et y fonda une église : mais ce fait n’est pas fondé dans l’antiquité. On croit que ce fut l’an de Jésus-Christ 49, qui était le neuvième de l’empire de Claude, que les Juifs ayant été chassés de Rome, saint Pierre et saint Marc furent obligés d’en sortir. Saint Pierre envoya saint Marc en Égypte pour y prêcher l’Évangile. Il descendit d’abord à Cyrène, dans la Pentapole, où il fit plusieurs conversions. De là il vint à Alexandrie, où il convertit Anien, qu’il ordonna premier évêque de cette ville. Le nombre des chrétiens s’y multiplia extrêmement, et ils y vécurent d’une manière si parfaite, qu’au sentiment de plusieurs, Philon le Juif en a voulu faire honneur à sa nation en décrivant la manière de vivre des premiers chrétiens sons le nom de Thérapeutes. Voyez ci-après Thérapeutes.
Le nombre des chrétiens croissant tous les jours, les païens se soulevèrent contre saint Marc, qui était venu renverser le culte de leurs dieux. Il crut qu’il était de la prudence de se retirer et de laisser passer cette tempête. Il retourna à Cyrène, où il demeura encore deux ans. Puis il revint à Alexandrie : il y vit avec joie les fidèles augmentés en foi et en grâce aussi bien qu’en nombre, et en sortit de nouveau. Il alla apparemment à Rome, s’il est vrai, comme le dit la Chronique d’Alexandrie, qu’il y assista à la mort de saint Pierre et de saint Paul, l’an 66 de Jésus-Christ. De là il revint à Alexandrie, où les païens, irrités du grand nombre de ses miracles et des railleries que les chrétiens faisaient de leurs idoles, le cherchaient pour le faire mourir. Dieu le cacha pendant quelque temps ; mais ils le trouvèrent qui offrait le saint sacrifice. C’était un dimanche 24 avril de l’an de Jésus-Christ 68. Ils lui mirent une corde au cou et le traînèrent pendant tout le jour, disant qu’il fallait mener ce buffle à Bucoles, qui était un lieu près de la mer, plein de rochers et de précipices. Sur le soir, ils le mirent en prison, où il eut deux visions pendant la nuit, l’une d’un ange, qui l’assura que son nom était écrit au livre de vie ; et l’autre de notrè Sauveur, qui lui donna la paix. Le lendemain, les infidèles recommencèrent à le traîner par tes rues jusqu’à ce qu’il rendit son âme à Dieu, le 25 avril de l’an 68 de Jésus-Christ. Plusieurs (g) ont dit qu’il avait fini sa vie par le feu : apparemment que l’on brûla son corps après sa mort.
Quelques anciens hérétiques, au rapport de saint Irénée, ne recevaient que le seul Évangile de saint Marc. D’autres parmi les catholiques rejetaient les douze derniers versets de son Évangile, depuis le v. 9, jusqu’à la fin du livre, apparemment à cause qu’il paraissait que saint Marc, en un endroit, était trop opposé à saint Matthieu, et qu’il rapportait dans cette dernière partie des circonstances opposées aux autres évangélistes. Les anciens Pères, les anciennes versions orientales et presque tous les anciens exemplaires tant imprimés que manuscrits, grecs et latins, lisent ces douze derniers versets et les reconnaissent pour authentiques, comme tout le reste de l’Évangile de saint Marc.
Autant qu’on en peut juger, en confrontant saint Marc avec saint Matthieu, le premier e abrégé l’ouvrage du second. Saint Marc emploie très-souvent les mêmes termes, rapporte les mêmes histoires et relève les mêmes circonstances. Saint Marc y ajoute quelquefois de nouvelles particularités qui donnent un grand jour au texte de saint Matthieu. Il y a même deux ou trois miracles dans saint Marc (Marc 1.23) qui ne se lisent pas dans saint Matthieu. Ce qu’il y a de fort remarquable dans notre évangéliste, c’est qu’encore qu’il suive saint Matthieu dans presque tout le reste, il abandonne toutefois l’ordre de sa narration, depuis le chapitre 4.5-12, jusqu’au chapitre 14 verset 13 de saint Matthieu. Dans ces endroits, au lieu de suivre saint Matthieu, il s’attache à l’ordre des temps marqué dans saint Luc et dans saint Jean ; ce qui a déterminé les chronotogistes à suivre saint Luc, saint Marc et saint Jean préférablement à saint Matthieu. Dans les commencements de l’Évangile, il commence son récit à la prédication de Jean-Baptiste, et omet plusieurs paraboles qui sont rapportées dans saint Matthieu, chapitre 20, 21 et 25 et plusieurs discours de Jésus-Christ à ses disciples et aux Pharisiens, chapitre 5, 6, 7, 11, 23. On peut voir la Vie de saint Marc dans les Bollandistes et dans M. de Trilemont, et ce que M. Spanhem a écrit sur saint Marc [M. Drach fait bien voir que l’Évangile.de saint Marc est abrégé de celui de saint Matthieu et fut écrit pour les Romains. C’est à l’occasion de l’insidieuse question que les Pharisiens (Matthieu 9.3) adressèrent à Jésus-Christ touchant le divorce : « Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme, pour quelque cause que ce soit, quacumque ex causa? » Saint Marc (Marc 10.2) n’a pas ces mots : quacumque ex causa. Voici donc pourquoi, suivant l’estimable auteur que nous avons nommé « Saint Marc, qui devait viser à la brièveté, puisqu’il ne voulait nous donner que l’abrégé de l’Évangile de saint Matthieu, ne rapporte que la substance de la question des pharisiens, en élaguant le superflu… »
Et en note :
Plusieurs modernes, dont la majorité se compose de protestants, soutiennent que saint Marc ne saurait être l’abréviateur de saint Matthieu, et quelques-uns d’entre eux prétendent même prouver que saint Marc ne connaissait pas l’Évangile de saint Matthieu. Ils se fondent sur la différence qu’on remarque entre les deux Évangiles, différence indiquée dans les préfaces mises à la tête de saint Matthieu et de saint Marc, dans mon édition de la Bible. Voyez aussi la première note de Rosenmüller sur saint Marc.
Si ces critiques hardis ne respectent pas en saint Augustin, un des plus grands Pères de l’Église, ils devraient au moins rendre hommage à la profonde connaissance des divines Écrilures, qu’on admire presque à chaque page de ses œuvres. Comment peut-on supposer un instant que l’auteur du savant livre De Consensu Evangelistarum n’ait pas remarqué ces différences, n’ont pas échappé à MM. Lardner, Michaelis, Hopp, Hum et autres Crompires ?
Je ne puis donc que répéter l’opinion énoncée dans la préface sur saint Marc, que je viens d’indiquer, opinion adoptée aussi par les savants auteurs de la traduction italienne de ma Bible.
Saint Marc, écrivant à Rome et pour les Romains, ne perdait pas de vue pour qui il écrivait. Il avait sous les yeux l’Évangile de saint Matthieu, composé principalement pour les Juifs, et rédigé originairement en syrojérusalémite ; il l’abrégeait autant que cela convenait à ses vues, et en reproduisait quelquefois jusqu’aux expressions. Sa manière de rapporter la dispute touchant le divorce en est une preuve. Cf. S. Marc (Marc 10.3), suivants avec S. Matth. (Matthieu 19.3), suivants Il élaguait ce qu’il ne jugeait pas nécessaire à dire, et ajoutait tout ce qui pouvait compléter son récit. Souvent il explique ce que les Romains n’auraient pas compris aussi bien que les Juifs, auxquels saint Matthieu a effectivement épargné ces explications. Ainsi il les avertit au chapitre 7.2, que manger communibus manibus, veut dire : manger sans se laver les mains. Ch. 12.42, il les prévient que le lepton, petite monnaie de la Judée, valait un quadrans romain. Ch. 15.42, il leur explique ce que les Hébreux entendaient par le mot parasceve : c’est, dit-il, la veille de leur sabbat, etc.
Si l’on ne veut pas regarder saint Marc comme l’abréviateur de saint Matthieu, il restera toujours constant qu’il n’avait pas besoin de répéter ce parasite quacumque ex causa aux Romains, qui n’avaient pas à s’occuper de ce que pensaient et pratiquaient les pharisiens. M. Duach, Du divorce dans la Synagogue, pages 83, et note S, pages 222-224
Jean-Marc, cousin de Barnabé. Voyez Jean-Marc.