Saint Pierre, prince des apôtres, était natif de Bethzaïde, fils de Jean, Jona, ou Jbanna, et frère de saint André (Jean 1.42-43). Son premier nom était Simon ou Siméon. Le Sauveur, en l’appelant à l’apostolat, le lui changea en celui de Cépha, c’est-à-dire, en syriaque, une pierre ou un rocher. Il était marié, et avait sa maison, sa belle-mère et sa femme à Capharnaüm (Marc 1.29 Matthieu 7.14 Luc 4.38), sur le lac de Génézareth. Saint André ayant été le premier appelé par Jésus-Christ, rencontra Simon, son frère, et lui dit (Jean 1.41) : Nous avons trouvé le Messie ; et il l’amena à Jésus. Jésus l’ayant regardé, lui dit : Vous êtes Simon, fils de Jean ; vous serez ci-après appelé Céphas, c’est-à-dire, pierre ou rocher. [Voyez Nom, Imposer le Nom]. Après avoir passé un jour avec le Sauveur, ils s’en retournèrent à leur occupation ordinaire de la pêche. On croit cependant qu’ils assistèrent avec lui aux noces de Cana.
Sur la fin de la même année, Jésus-Christ, étant sur le bord du lac de Génézareth, vit Pierre et André occupés à la pêche, et qui lavaient leurs filets (Luc 5.1-3). Il entra dans leur barque, et dit à Pierre de jeter les filets en mer pour pêcher. Pierre obéit, quoiqu’il eût déjà pêché toute la nuit sans rien prendre. Ils prirent tant de poissons à cette pêche, que leur bateau et celui de Jacques et Jean, fils de Zébédée, en furent remplis. Alors Pierre se jeta aux pieds de Jésus, et lui dit : Eloignez-vous de moi, Seigneur : car je ne suis qu’un pécheur. En même temps Jésus leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai pécheurs d’hommes. Il dit la même chose à Jacques et à Jean, et aussitôt ils quittèrent leursbarques et leurs filets, et suivirent le Sauveur.
Quelque temps après (Luc 4.38), Jésus étant venu à. Capharnaüm, entra dans la maison de saint Pierre, où il trouva la belle-mère de ce disciple qui avait la fièvre. Il la guérit aussitôt, et cette femme commença à les servir. Peu de temps avant la fête de Pâques de l’année suivante, 32 de l’ère vulgaire, Jésus étant de retour en Galilée, fit choix de douze apôtres (Matthieu 10.2 Luc 6.13), à la tête desquels saint Pierre est toujours marqué. Une nuit que Jésus-Christ marchait sur les eaux du lac de Génézareth (Matthieu 14.28-29), saint Pierre lui demanda permission d’aller vers lui : Jésus le lui permit. Mais ayant vu une grosse vague, il eut peur ; et commença à enfoncer. Alors Jésus le retint, et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi craigniez-vous ? Étant ensuite abordé de l’autre côté du lac, et les troupes qu’il avait nourries le jour précédent au delà du lac l’étant venues trouver à Capharnaüm, il leur parla de son corps et de son sang, qu’il devait donner à manger et à boire à ses disciples : ce qui ayant scandalisé les troupes, et plusieurs l’ayant quitté, il demanda à ses apôtres s’ils voulaient aussi s’en aller (Jean 6.53-54). Mais Pierre prenant la parole, lui dit : Seigneur à qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle.
Un jour le Sauveur étant aux environs de Césarée de Philippes (Matthieu 16.13-14), il demanda à ses apôtres qui l’on disait qu’il était. Ils lui répondirent : Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste ; les autres Élie ; les autres Jérémie, ou quelqu’un des anciens prophètes. Et vous, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre lui dit : Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant. Jésus lui répondit : Vous êts heureux, Simon fils de Jean, parce que Ce n’est point la chair et le sang qui vous ont révélé ces choses, mais c’est mon Père qui est dans le ciel. Et moi je vous dis que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église (Matthieu 16.13-14), et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera aussi lié dans le ciel ; et ce que vous aurez délié sur la terre, sera aussi délié dans le ciel. Environ huit jours après, le Sauveur s’étant transfiguré sur une montagne à l’écart (Matthieu 17.1-3 Luc 9.28), il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et leur fit voir un échantillon de sa gloire. Alors saint Pierre, tout hors de lui-même, voyant Moïse et Élie avec Jésus, s’écria : Seigneur, il fait bon ici, faisons-y, s’il vous plaît, trois tentes, une pour vous, une pour Élie, et une pour Moïse.
Comme Jésus s’en retournait de là à Capharnaüm, les apôtres disputaient en chemin qui d’entre eux serait le plus grand dans le royaume de Dieu, qu’ils croyaient être fort proche (Matthieu 17.23-24 Luc 9.46 Marc 9.32). Jésus et saint Pierre arrhèrent les premiers à Capharnaüm, assez longtemps avant les autres disciples ; et ceux qui levaient le demi-sicle par tête pour le temple vinrent demander à Pierre si son maître le voulait payer. Alors Jésus dit à Pierre de jeter sa ligne en la mer, et qu’il trouverait de quoi payer le demi-sicle pour eux deux dans la gueule du premier poisson qu’il prendrait. Pierre obéit, trouva un sicle dans la gueule du poisson, et le donna pour Jésus et pour lui. Alors les apôtres arrivèrent ; et Jésus leur ayant demandé de quoi ils s’entretenaient en chemin, leur donnade belles leçons d’humilité et de modestie, montrant assez qu’il n’ignorait rien de ce qu’ils avaient dit entre eux.
Un jour que Jésus parlait sur le pardon des injures, saint Pierre lui demanda combien de fois il fallait pardonner (Matthieu 18.21-22) ; s’il suffisait de pardonner sept fois. Jésus lui dit : Je ne vous dis pas de pardonner seulement sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois. Dans une autre occasion (Matthieu 19.7-9), comme le Sauveur parlait du danger des richesses, Pierre lui dit : Seigneur, nous avons quitté toutes choses pour vous suivre ; quelle récompense en recevrons-nous ? Jésus lui répondit : Je vous dis en vérité que vous qui avez quitté toutes choses pour me suivre, vous recevrez le centuple dès ce monde, et la vie éternelle dans l’autre ; et au dernier jour lorsque le Fils de l’homme s’assiéra pour juger le monde, vous serez assis sur douze trônes, pour juger tes douze tribus d’Israël.
Le mardi d’avant la passion il montra au Sauveur le figuier qu’il avait maudit la veille, et qui était séché (Marc 9.12-21) ; et le lendemain, étant assis sur la montagne des Oliviers, il demanda à Jésus avec les autres apôtres quand le temple serait détruit (Matthieu 24.1-2 Marc 12.1-2). Le jeudi il fut envoyé avec saint Jean, pour disposer toutes choses pour la Pâque (Luc 22) ; et sur le soir Jésus étant venu dans la ville avec les apôtres, et s’étant mis à table, lorsqu’il parla de celui qui le devait trahir, saint Pierre fit signe à saint Jean de lui demander qui c’était (Jean 13.24). Après la Cène, comme les disciples étaient eu dispute pour savoir qui d’entre eux serait le plus grand, Jésus-Christ quitta ses habits, et ce mit en devoir de leur laver les pieds, pour leur donner en sa personne un exemple d’humilité. Saint Pierre fit d’abord beaucoup de difficulté à se laisser laver les pieds par son Maitre ; mais Jésus lui ayant dit : Si ie ne vous lave les pieds, vous n’aurez point de part avec moi, saint Pierre répdtidit : Seigneur, lavez-moi non-seulement les pieds, mais même les mains et la tête (Jean 13.6-10).
Quelque temps après Jésus lui dit (Luc 22.31-32) : Pierre, Satan vous a demandé pour vous cribler, vous et les autres apôtres, comme on crible le froment. Mais j’ai prié pour vous, afin que votre foi ne de faille point ; et lorsque vous vous serez relevé, confirmez vos frères. Il voulait marquer la chute prochaine de saint Pierre et son renoncement, dont avec le secours de Dieu il devait se relever. [Il voulait surtout annoncer qu’il serait gratifié d’un don, d’un privilége, d’un pouvoir que n’avaient et n’auraient pas ses frères] Saint Pierre lui demanda ensuite où il allait (Luc 22.33), et lui déclara qu’il était prêt de le suivre partout, jusqu’à la prison et à la mort même. Mais Jésus-Christ lui prédit que bien loin de le suivre jusqu’à la mort, il le renoncerait trois fois cette même nuit, avant le chant du coq, ou avant le point du jour. Au sortir de la Cène, étant allé au jardin des Oliviers, il prit Pierre, Jacques et Jean, et alla avec eux à l’écart, afin qu’ils fussent témoins de son agonie. Pierre, qui avait témoigné tant de courage, s’endormit cependant comme les autres, ce qui fut cause que Jésus-Christ lui dit : Simon, vous dormez ? Vous n’avez pus pu veiller une heure avec moi (Marc 14.37 Matthieu 24.40).
Judas étant venu avec des soldats pour arrêter Jésus, Pierre mit la main à l’épée, et coupa l’oreille droite d’un nommé Mak, qui était serviteur du grand, prêtre. Mais Jésus lui dit de remettre son épée dans le fourreau, et que tous ceux qui frapperaient de l’épée, périraient par l’épée ; et en même temps il guérit l’oreille de Mak (Jean 18.9-10). Pierre suivit Jésus-Christ de loin jusqu’à là maison de Caïphe, et il y entra même par le moyen d’un autre disciple, qui était connu dans cette maison. Les soldats et les serviteurs qui avaient arrêté Jésus, ayant allumé du feu au milieu de la cour, Pierre se mêla avec eux pour se chauffer (Jean 16.15-18) ; et une servante l’ayant regardé attentivement, dit : Assurément cet homme. était avec Jésus de Nazareth. Pierre répondit : Je ne sais ce que vous voulez dire ; je ne connais point cet homme-là. Un moment après, il sortit de la cour, et alla dans le vestibule, et aussitôt le coq chanta. Un peu après une autre servante dit à ceux qui étaient présents : Cet homme était avec Jésus de Nazareth. Pierre le nia avec serment. Environ une heure après, un homme de la compagnie assura que Pierre était disciple de Jésus. Les autres insistèrent, et dirent qu’assurément il en était, et que son langage même était une preuve qu’il était Galiléen. Enfin un de ceux-là, qui était parent de Male, que saint Pierre avait blessé, lui dit : Ne vous ai-je pas vu avec lut dans le jardin ? Pierre le nia avec ! serment, protestant qu’il ne connaissait point cet homme. En même temps le coq chanta pour la seconde fois. Alors Jésus qui était dans cette même cour, et assez près de Pierre, le regarda ; et Pierre, se souvenant de ce que Jésus lui avait dit qu’avant que le coq chantât deux fois il le renoncerait trois fois, sortit de la cour de Caïphe, et pleura amèrement (Matthieu 26.67-75).
Il demeura apparemment caché, et dans les pleurs pendant tout le temps de la passion, c’est-à-dire, tout le vendredi et le samedi suivants. Mais le dimanche au matin Jésus étant ressuscité, et Marie étant allée au tombeau, n’y trouva point le corps de Jésus, et vint promptement à la ville pour dire à Pierre et à Jean qu’on avait enlevé son Maître, etqu’elle ne savait pas où on l’avait mis. Pierre et Jean y coururent. Jean arriva le premier, mais n’entra pas dans le sépulcre. Pierre arriva ensuite, se pencha, vit les linges qui avaient enveloppé le corps ; il entra dans le sépulcre, ét Jean avec lui ; après quoi, ils s’en retournèrent à Jérusalem, ne sachant ce que c’était que tout cela. Mais bientôt après, Jésus s’apparut aux saintes femmes qui étaient venues les premières au Sépulcre, et leur dit de donner avis de sa résurrection aux apôtres, et en particulier à Pierre (Jean 20.1-3 Luc 25.12). Et le même jour le Sauveur s’apparut aussi à Pierre (Marc 16.7 Luc 24.24), comme pour le consoler, et l’assurer qu’il avait sa pénitence pour agréable.
Quelques jours après, saint Pierre s’en étant retourné en Galilée, comme Jésus le lui avait dit, et étant allé pécher dans la mer de Galilée, ou dans le lac de Génézareth (Jean 21.1-2), avec quelques autres apôtres, Jésus leur apparut sur le bord, et leur dit de jeter leurs filets au côté droit du bateau. Ils les jetèrent, et ils prirent une telle quantité de poissons, qu’ils ne pouvaient plus retirer leurs filets. Alors saint Jean dit à Pierre : C’est le Seigneur. Aussitôt Pierre se ceignit de sa tunique, car il était nu, et s’étant jeté à la nage, il arriva où était Jésus ; et ayant tiré à bord les filets pleins de poissons, Jésus dîna avec eux. Après le repas, Jésus dit à Pierre : Simon fils de Jean, m’aimez-vous plus que ceux-ci ? Il répondit : Oui Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Paissez mes agneaux ll lui fit une seconde fois la mènedemande : et Pierre ayant répondu de même, Jésus lui dit : Paissez mes agneaux. Enfin le Sauveur lui ayant fait une troisième demande semblable aux premières, saint ierre en fut affligé, et il répondit : Vous savez, Seigneur, que je vous aime. Jésus lui repartit : Paissez mes brebis. Je vous dis en vérité que quand vous étiez jeune, vous vous ceigniez, et alliez où vous vouliez : mais à présent que vous étes vieux, un autre vous ceindra, et vous mènera où vous ne voudriez pas. Ce qu’il disait pour lui prédire le genre de mort qu’il devait souffrir. En même temps Pierre ayant aperçu saint Jean l’Évangéliste, il dit au Sauveur : Seigneur, que deviendra celui-ci ? Jésus lui répondit : Si je veux qu’il demeure ainsi, que vous importe ? Suivez-moi ; ne voulant pas lui dire de quelle sorte saint Jean finirait sa vie.
Après que Jésus-Christ fut monté au ciel, et que les apôtres eurent été témoins de son ascension, ils revinrent à Jérusalem, pour y attendre le Saint-Esprit, que le Sauveur leur avait promis ; et s’étant assemblés dans une maison, ils y demeurèrent dans la prière et dans l’union de la charité, jusqu’au moment que le Saint-Esprit descendit sur eux en forme de langues de feu. Pendant cet intervalle, saint Pierre proposa aux apôtres et à l’assemblée des fidèles de faireremptir la place que le traître Judas avait par sa mort laissée vacante dans l’apostolat. La proposition fut agréée de tout le monde, et on présenta deux personnes, Joseph Barsabas, et Matthias. Tous se mirent en prières, pour demander à Dieu qu’il lui plût déclarer sa volonté sur le choix de l’un de ces deux sujets. On jeta le sort, et le sort tomba sur Matthias, qui dès lors fut compté parmi les douze apôtres. [Voyez Matthias].
Le dixième jour après l’ascension du Sauveur, le Saint-Esprit étant descendu sur les apôtres et sur tous les fidèles qui étaient assemblés avec eux, et les ayant remplis de ses dons surnaturels, et surtout du don des langues, tous ceux qui furent témoins de ce miracle, en témoignèrent leur admiration ; et comme c’était le jour de la Pentecôte, et qu’il y avait alors à Jérusalem des Juifs de toutes les provinces d’Orient, ils ne pouvaient comprendre comment ces gens, qui pour la plupart étaient Galiléens, parlaient les langues de tous ces païens. Quelques-uns disaient que les apôtres étaient remplis de vin (Actes 2.1-3). Mais saint Pierre, prenant la parole, leur dit que ce qu’ils voyaient ne pouvait être l’effet de l’ivresse, mais que c’était l’exécution de la promesse que le Saint-Esprit avait faite par le prophète Joël (Joël 2.28), d’envoyer son Saint-Eiprit sur toute chair, et de donner l’esprit de prophétie aux jeunes et aux vieux, aux hommes et aux femmes. Il leur parla ensuite de Jésus-Christ, et leur dit qu’il était le vrai Messie, et qu’il était ressuscité comme l’Écriture l’avait prédit ; déclarant que lui et les autres apôtres étaient témoins de sa résurrection, qu’il était monté au ciel, et qu’il leur avait envoyé le Saint-Esprit, dont ils voyaient les effets de leurs yeux, par le don des langues dont ils avaient été subitement remplis.
Alors ceux qui l’écoutaient furent touchés de componction, et demandèrent aux apôtres : Mes fières, que ferons-nous ? Pierre leur répondit : Faites pénitence ; que chacun de vous reçoive le baptême, et vous recevrez le Saint-Esprit. Il les instruisit doue, et les baptisa, et il y eut ce jour-là trois mille personnes qui embrassèrent la foi. Quelques jours après, saint Pierre et saint Jean allant au temple (Actes 3.1-3) à l’heure de none, qui était l’heure de la prière, ils trouvèrent à la porte du temple un homme âgé de plus de quarante ans, qui depuis sa naissance était tellement perclus de ses jambes qu’il ne pouvait marcher. Cet homme voyant Pierre et Jean, leur demanda l’aumône. Alors Pierre lui dit : Je n’ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je vous le donne : Au nom de Jésus Christ de Nazareth, levez-vous et marchez. Aussitôt il se leva, marcha, et entra avec eux dans le temple, élevant sa voix, et glorifiant Dieu. Il tenait saint Pierre, et racontait au peuple assemblé ce qui lui était arrivé. Alors Pierre prenant la parole, dit à tout le peuple que ce n’était pas par sa propre vertu qu’il avait fait le miracle qu’ils admiraient ; que c’était par la vertu de Jésus-Christ que cet homme avait reçu la guérison. Il leur représenta ensuite le crime qu’ils avaient commis, en faisant mourir Jésus-Christ, qui était le Sauveur du monde et le Messie ; et après leur avoir montré que selon toutes les prophéties le Christ devait mourir, il les exhorta à la pénitence, et à profiter de la mort du Fils de Dieu.
Il parlait encore au peuple (Actes 4.1-3), lorsque les prêtres et les saducéens étant survenus, se saisirent de lui et de Jean, et les mirent en prison jusqu’au lendemain ; car il était déjà assez tard. Or le nombre de ceux qui furent convertis ce jour-là à cette seconde prédication de saint Pierre fut d’environ cinq mille. Le lendemain les sénateurs, les magistrats, les principaux des prêtres s’étant assemblés, on fit comparaître les deux apôtres devant eux, et on leur demanda au nom de qui ils avaient fait le miracle du boiteux. Saint Pierre leur répondit : C’est au nom de Jésus-Christ de Nazareth, que vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité d’entre les morts. C’est lui qui est la pierre angulaire que vous avez rejetée, mais qui est le seul en qui nous pouvons espérer de trouver le salut. La résolution de Pierre et de Jean les étonna ; et les ayant fait sortir hors de l’assemblée, pour délibérer entre eux sur ce qu’ils avaient à faire, ils résolurent de leur ordonner de ne plus parler au nom de Jésus-Christ ; et les ayant fait rentrer dans la salle, ils leur firent défense de rien dire ou enseigner en son nom. Mais Pierre et Jean leur dirent : Jugez vousmémes s’il est plus juste devant Dieu de vous obéir, que d’obéir à Dieu ; car nous ne pouvons ne pas parler de ce que nous avons vu et oui. Et les sénateurs les renvoyèrent, en leur faisant de grandes menaces, s’ils n’obéissaient pas à leurs ordres.
Les deux apôtres revinrent donc trouver leurs frères, et leur racontèrent ce qui s’était passé (Actes 4.23-24). Ce qu’ayant entendu, ils élevèrent leurs voix, et demandèrent à Dieu qu’il leur donnât la force d’annoncer sa parole avec une entière liberté ; et lorsqu’ils eurent achevé-leurs prières, le lieu où ils étaient assemblés trembla, et ils furent de nouveau remplis du Saint-Esprit.
En ce temps-là plusieurs fidèles vendirent leurs biens, et en apportèrent le prix aux pieds des apôtres (Actes 5.1-3). De ce nombre fut un homme nominé Ananie, et Saphire, sa femme, lesquels de concert retinrent une partie du prix de leur fonds, et apportèrent le reste à saint Pierre. Ananie vint le premier, et saint Pierre lui ayant dit : Ananie, comment Satan a-t-il tenté votre cœur, pour vous porter à mentir au Saint-Esprit, et à détourner une partie de ce fonds de terre ? Ce n’est pas aux hommes que vous avez menti, mais à Dieu.
Aussitôt Ananie tomba mort ; on l’emporta, et on l’enterra. Environ trois heures après, Saphire, sa femme, revint. Saint Pierre lui dit à-peu-près la même chose qu’à son mari ; et sur-le-champ elle tomba à ses pieds, et rendit l’esprit. Cet événement répandit une grande frayeur dans l’Église, et dans tous ceux qui en entendirent parler.
Le nombre de ceux qui croyaient s’augmentait de jour en jour ; de sorte qu’on apportait les malades dans les rues (Actes 5.15-17), afin que lorsque Pierre passerait, son ombre au moins couvrit quelqu’un d’eux, et qu’ils fussent guéris de leurs maladies. Alors le grand prêtre et ceux de sa suite, c’est-à-dire, les saducéens, firent arrêter les apôtres, et les firent mettre en prison. Mais un ange les en retira, et leur dit d’aller dans le temple annoncer toutes les paroles de vie que Dieu leur avait enseignées. Ils obéirent ; et les princes des prêtres les ayant fait venir en leur présence, et leur ayant demandé pourquoi ils n’avaient pas obéi aux ordres qui leur avaient été donnés de ne pas parler davantage au nom de Jésus-Christ, Pierre et les apôtres répondirent : Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Cette réponse les remplit de fureur, et ils étaient sur le point de les faire mourir ; mais Gamaliel leur fit changer de résolution, en leur remontrant que si cette affaire venait de Dieu, il serait inutile de s’y opposer ; que si elle n’en venait pas, elle se dissiperait d’elle-même. Ainsi on renvoya les apôtres, après leur avoir fait donner trente-neuf coups de fouet, avec défense de parler à l’avenir au nom de Jésus-Christ.
Après le martyre de saint Étienne, la persécution s’alluma contre les fidèles à Jérusalem, et ils furent obligés de se retirer en divers endroits. Les apôtres seuls demeurèrent à Jérusalem (Actes 8.1-3). Le diacre saint Philippe étant allé à Samarie, les Samaritains reçurent la parole du Seigneur, et plusieurs furent baptisés. Alors saint Pierre et saint Jean y vinrent, pour leur donner le Saint-Esprit ; ce que saint Philippe, n’étant que diacre, n’avait pu faire. Simon le Magicien, qui avait reçu le baptême avec les autres, admirant la puissance qu’avaient les apôtres de donner le Saint-Esprit, voulut acheter le même pouvoir, et offrit pour cela de l’argent à saint Pierre. Alors Pierre lui dit : Que ton argent périsse avec toi, toi qui as cru que le don de Dieu peut s’acquérir avec de l’argent ! Tu n’as point de part, et tu ne peux rien prétendre à ce ministère ; car ton cœur n’est pas droit devant Dieu. Fais donc pénitence de cette tnéchancelé, et prie Dieu que, s’il est possible, il te pardonne cette mauvaise pensée de ton cœur. Après cela, Pierre et Jean revinrent à Jérusalem.
Lorsque le feu de la persécution fut éteint, saint Pierre sortit de Jérusalem (Actes 9.32-33), et, visitant de ville en ville tous les disciples, vint aussi voir les saints qui habitaient à Lydde. Il y trouva un homme, nommé Enée, qui était paralytique depuis huit ans. Saint Pierre lui dit : Enée, levez-vous ; le Seigneur Jésus-Christ vous guérit. Aussitôt il se leva ; et tous ceux qui demeuraient à Lydde, ayant été témoins du miracle, se convertirent au Seigneur. Il y avait aussi à Joppé une sainte femme, nommée Tabite, qui étant venue à mourir, pendant que saint Pierre était à Lydde, les disciples l’envoyèrent prier de venir jusque chez eux. Saint Pierre y vint aussitôt, et étant entré dans la chambre où était Tabite, il fit sortir tout le monde, se mit en prières ; puis, se tournant vers le corps, il dit : Tabite, levez-vous. Au même instant, elle ouvrit les yeux, et ayant vu Pierre, elle se mit sur son séant. Ce miracle fit grand bruit à Joppé, et fut cause que plusieurs se convertirent. Saint Pierre y demeura plusieurs jours chez un corroyeur, nommé Simon.
Or il y avait à Césarée de Palestine, un centenier, nommé Corneille, homme craignant Dieu (Actes 10.1-3), à qui il fut dit par un ange d’envoyer chercher à Joppé un nommé Pierre, qui lui dirait ce qu’il devait faire. Aussitôt Corneille y envoya deux de ses domestiques, et, pendant qu’ils étaient en chemin, le Seigneur envoya à saint Pierre une vision, pour le disposer à aller sans difficulté chez un homme qui n’était pas Juif ; car jusqu’alors la porte de l’Évangile n’était pas encore ouverte aux gentils. Saint Pierre donc étant sur la terrasse de Simon, son hôte, fut ravi en extase, et vit comme un grand linge qui descendait du ciel, et qui était rempli de toutes sortes d’animaux et de reptiles purs et impurs. Il eut cette vision jusqu’à trois fois, et il ouït une voix qui lui dit : Levez-vous, Pierre ; tuez et mangez. Pierre répondit : Je n’ai garde, Seigneur ; car je n’ai jamais mangé rien d’impur. La voix lui repartit : N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié. Après cela le linge fut retiré Jans le ciel. Dans le même temps arrivèrent les hommes que Corneille avait envoyés ; ils lui racontèrent ce qui était arrivé à leur maître, et le prièrent de venir avec eux à Césarée. Le lendemain saint Pierre partit avec eux, et quelques-uns des frères.de la ville de Joppé l’accompagnèrent
Il trouva Corneille avec ses parents et ses amis qui l’attendaient (Actes 10.14-16). D’abord que Corneille l’eut aperçu, il se jeta à ses pieds, et l’adora. Mais Pierre, le relevant, lui dit : Je ne suis qu’un homme, non plus que vous. Elant entré dans la maison, Pierre dit à ceux qui étaient assemblés : Vous savez combien les Juifs ont d’horreur de ceux qui ne sont pas circoncis, et avec quelle précaution ils évitent de se rencontrer avec eux, et d’aller dans leurs maisons ; mais Dieu m’a fait voir que je ne devais estimer aucun homme impur et souillé ; c’est pourquoi je n’ai fait nulle difficulté de venir. Je vous prie donc de me dire pourquoi vous m’avez mondé. Alors Corneille lui raconta ce qui lui était arrivé, et Pierre, après avoir rendu grâces à Dieu, qui n’a point d’égard aux conditions des personnes, commença à prêcher Jésus-Christ à Corneille et à tous ceux qui étaient présents. Pendant qu’il parlait encore, le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui l’écoutaient et ils parlaient diverses langues. Alors Pierre dit : Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont déjà reçu le Saint-Esprit comme nous ? Et il commanda qu’on les baptisât, au nom du Seigneur Jésus-Christ
Saint Pierre étant de retour à Jérusalem, les fidèles circoncis lui dirent : Pourquoi avez-vous été chez des hommes incireoncis, et pourquoi avez-vous mangé avec eux ? Mais Pierre leur ayant raconté tout ce qui s’était passé, ils s’apaisèrent et glorifièrent Dieu, qui avait donné aux gentils, comme aux Juifs, le don de la pénitence, qui mène à la vie (Actes 11.1-4).
On croit que peu de temps après saint Pierre alla à Antioche, et y fonda l’Église chrétienne, dont il fut le premier évêque. Saint Chrysostorne dit qu’il y demeura longtemps, et on croit qu’il y fut sept ans, non de suite, mais par diverses reprises. Il alla, pendant ce temps-là, à Jérusalem, dans les provinces de l’Asie Mineure, dans la Bithynie, dans la Cappadoce et dans le Pont, comme on l’infère de l’Épître qu’il adressa aux fidèles de ces provinces, quelque temps après. De là il alla à Rome, l’an 42 de l’ère vulgaire, et la deuxième année de l’empire de Claude, environ vingt-cinq ans avant son martyre, qui est le temps que l’Église romaine donne communément à l’épiscopat de saint Pierre. On croit qu’en quittant Antioche, il y établit saint Evode en sa place.
On dit qu’étant à Rome, sous Claude, il y fit amitié avec Philon ; Juif d’Alexandrie, nt qu’il eut des conférences avec lui. Voyez l’article de Philon. On croit aussi que le principal sujet de son voyage était de combattre Simon le Magicien, qui par ses prestiges avait trompé un grand nombre de personnes, et y avait même été honoré comme un dieu. La présence de saint Pierre et les vrais miracles qu’il opposa aux prestiges de Simon ruinèrent ou du moins affaiblirent beaucoup la puissance de cet imposteur. Si saint Pierre ne demeura pas pour cette fois assez longtemps à Rome pour y détromper tous ceux que Simon avait séduits, il y revint dans la suite, et le renversa du milieu des airs, comme nous le verrons ci-après.
Saint Pierre étant venu à Jérusalem à Pâques de l’an frir de l’ère vulgaire, Hérode Agrippa se mit à persécuter l’Église (Actes 12.1-3). Il fit mourir par l’épée saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean ; et voyant que cette mort avait été agréable aux Juifs, il fit encore arrêter Pierre, et le mit en prison dans le dessein de le faire mourir devant le peuple après la fête de Pâques. Cependant l’Église faisait sans cesse des prières à Dieu pour lui ; mais la nuit même qu’Hérode devait le faire mourir, comme Pierre donnait entre deux soldats, chargé de deux chaînes, l’ange du Seigneur l’éveilla, brisa ses chaînes, lui ouvrit les portes de la prison, et le conduisit le long d’une rue. Alors l’ange l’ayant quitté, il dit : Je reconnais maintenant que le Seigneur m’a tiré des mains d’Hérode et de toute l’attente des Juifs. De là il vint à la maison de Marie, mère de Jean, où plusieurs fidèles étaient assemblés en prières. Quand il eut frappé à la porte, une fille, nommée Rhode, étant venue pour lui ouvrir, et ayant ouï sa voix, au lieu de lui ouvrir, elle courut, transportée de joie, dire dans la maison qua c’était Pierre. Ceux qui l’ouïrent, n’en voulurent rien croire ; et ils disaient que c’était son ange, au lieu de lui ; mais enfin, comme il continuait à frapper, on lui ouvrit, et il leur raconta ce qui lui était arrivé.
Il sortit de Jérusalem ; mais on ne nous apprend pas ce qu’il fit jusqu’au concile de Jérusalem, tenu en l’an 51. Avant ce temps, il y a assez d’apparence qu’il alla une seconde fois à Rome, d’où il écrivit sa première Épître, vers l’an 50 de l’ère vulgaire ; elle est datée de Babylone, c’est-à-dire de Rome, comme les anciens l’ont expliqué. On croit que saint Marc, qui était son interprète, lui aida à la composer pour les termes. Elle est adressée aux fidèles de la Bithynie, du Pont, de la Galatie, de l’Asie et de la Cappadoce ; elle regarde principalement les Juifs convertis quoiqu’elle parie aussi aux fidèles venus de la gentilité dans l’Église ; elle fut envoyée par Sylvain, qui est apparemment celui qui est si célèbre dans les Actes, sous le nom de Silas. Elle a été écrite en grec, et on y reconnaît une force et une vigueur dignes du prince des apôtres.
Saint Pierre fut obligé de sortir de Rome par l’ordre que l’empereur Claude donna à tous les Juifs d’en sortir, à cause des tumultes qu’ils y excitaient continuellement, poussés par un nommé Chrest, dit Suétone, entendant apparemment par ce nom Jésus-Christ. Le prince des apôtres revint en Judée, où l’on tint le concile de Jérusalem, dans lequel saint Pierre, après avoir beaucoup examiné avec les apôtres et les prêtres assemblés la matière dont il s’agissait, leur parla avec beaucoup de sagesse (Actes 15.7-8), disant que Dieu ayant donné son Saint-Esprit et le don de sa foi aux gentils comme aux Juifs, sans acception de personne, ils ne devaient point imposer aux nouveaux convertis le joug des cérémonies légales, que ni nous, ni nos pères, dit-il, n’avons pu porter. Mais nous croyons que c’est par la grâce de Jésus-Christ que nous serons sauvés, aussi bien qu’eux. Saint Jacques le Mineur, évêque de Jérusalem, appuya le sentiment de saint Pierre, et le concile conclut que l’on n’imposerait aucune nouvelle obligation aux gentils, mais seulement qu’on leur dirait de s’abstenir de la fornication, de l’usage du sang et des viandes immolées aux idoles. On écrivit la résolution du concile aux fidèles d’Antioche, parce que c’était chez eux que cette dispute avait commencé.
Quelque temps après, saint Pierre, étant venu à Antioche (Galates 2.11), buvait et mangeait avec les gentils, sans s’arrêter à la distinction des viandes marquée par la loi. Mais depuis cela quelques fidèles de Jérusalem, du nombre des Juifs convertis, étant venus à Antioche, saint Pierre, de peur de les blesser, se sépara des gentils convertis et ne voulut plus manger avec eux comme auparavant. Saint Paul, craignant que l’on n’interprétât ce que faisait saint Pierre comme s’il avait voulu obliger les gentils à judaïser et à se soumettre au joug de la loi, et détruire ainsi ce que lui-même avait défini dans le concile de Jérusalem ; saint Paul, dis-je, lui résista en face et le reprit devant tout le monde, lui disant qu’il avait tort de vouloir obliger les gentils, par sa manière d’agir, à vivre comme les Juifs. Saint Pierre reçut cette ré-préhension avec silence et humilité, et ne se prévalut point de sa primauté pour soutenir ce qu’il avait fait ; et toute l’Église, dit le pape Pélage, révère l’humilité avec laquelle il a cédé aux raisons de saint Paul et a changé de sentiment. Tout le monde sait la dispute qui fut autrefois entre saint Augustin et saint Jérôme au sujet de cette répréhension de saint Pierre par saint Paul. Elle n’est point de notre sujet. On peut voir les lettres de ces deux Pères.
On ignore les particularités de la vie de saint Pierre depuis l’an 51 de l’ère vulgaire que se tint le concile de Jérusalem, jusqu’à son dernier voyage de Rome, quelque temps avant sa mort. Alors, ayant appris par révélation que le temps de sa mort était proche, il voulut écrire aux fidèles qu’il avait convertis et les faire souvenir des vérités qu’il leur avait enseignées. Il leur envoya donc sa seconde Épître, par laquelle il les exhorte à persévérer dans la doctrine des apôtres et dans la pratique des bonnes œuvres, sans se laisser séduire par les faux docteurs. On croit qu’il en veut aux disciples de Simon le Magicien. Il parle avec éloge des Épîtres de saint Paul, dont il dit que quelques ignorants abusaient dès lors. On a douté pendant quelque temps de la canonicité de cette lettre (e), où l’on croyait remarquer un style différent de celui de la première Épître : mais cette diversité pouvait venir de la différence des interprètes ; car les anciens nous apprennent qu’outre saint Marc il avait aussi pour interprète Glaucias, que l’hérésiarque Basilide se glorifiait d’avoir eu pour maître. On peut voir notre préface sur cette epître.
Saint Pierre et saint Paul arrivèrent à Rome vers le même temps, c’est-à-dire, vers l’an 65 de Jésus-Christ. Ils y firent plusieurs miracles et plusieurs conversions. Simon le Magicien continuait à tromper le peuple par ses prestiges, voulant se faire reconnaître pour le Messie, et ayant même entrepris de monter au ciel. Mais, comme il s’était fait enlever en l’air par les démons dans un chariot de feu, saint Pierre et saint Paul se mirent en prières ; et cet imposteur, abandonné de ses démons, tomba par terre et mourut de sa chute, non sur-le-champ, ruais, s’étant cassé les jambes, il se fit porter à Brunde, où il se précipita, de douleur et de honte, du haut du logis en bas. Ce lieu de Brunde était peut-être dans Rome ; car plusieurs anciens marquent expressément qu’il mourut à Rome. Saint Ambroise raconte que les païens, irrités contre saint Pierre à cause de ce gui était arrivé à Simon le Magicien, le cherchaient pour le faire mourir, et que les fidèles le pressaient de sortir de Rome pour le soustraire à leur fureur. Il était déjà à la porte de Rome, lorsqu’il vit Jésus-Christ qui entrait par la même porte. Il lui demanda ; Seigneur, où allez-vous ? Jésus-Christ répondit : Je viens à Rome pour y être crucifié de nouveau. Saint Pierre comprit à ces paroles que le Fils de Dieu voulait qu’il le glorifiât par sa mort. Il rentra, raconta aux fidèles ce qui lui était arrivé ; il fut pris et mis en prison, où l’on tient qu’il demeura neuf mois. Enfin il fut crucifié à Rome, sur le chemin d’Ostie, le 29 de juin, le même jour ct au même endroit que saint Paul fut décapité. On assure qu’il fut attaché à la croix ou au poteau, la tête en bas, comme il l’avait lui-même demandé aux exécuteurs. Il le fit par un sentiment d’humilité, de peur qu’on ne crût, dit saint Ambroise, qu’il affectait la gloire de Jésus-Christ, et pour augmenter encore la douleur de ce supplice.
On dit que le corps de saint Pierre fut d’abord enterré aux Catacombes, à deux milles de Rome, et que de là on le transporta au Vatican, où il a été toujours depuis. On fait sa fête avec celle de saint Paul, le 29 de juin. Saint Pierre mourut l’an 66 de l’ère vulgaire, après avoir tenu le siège de Rome pendant environ vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Il pouvait être âgé de soixante-dix ou soixante-quinze ans. On lui donne ordinairement saint Lin pour successeur. Voici le portrait que Nicéphore a fait de saint Pierre, et qu’il a pris apparemment sur les anciens tableaux qu’on conservait de cet apôtre : Il n’était pas gros, mais assez grand et droit, ayant le visage blanc et un peu pâle. Il avait la chevelure et la barbe épaisses, crépues et non longues. Ses yeux étaient noirs et comme arrosés de sang ; ses sourcils éminents et fort en dehors ; son nez assez long, et plutôt camus que pointu,
Quelques païens accusaient autrefois saint Pierre de magie, et disaient qu’il avait fait plusieurs maléfices, qu’il avait même tué et mis en pièces un enfant d’un an, afin d’obtenir que Jésus-Christ fût adoré durant trois cent soixante-cinq ans, et qu’après cela la religion chrétienne devait cesser. Les ébionites lui attribuaient plusieurs de leurs superstitions, entre autres de se baigner tous les jours avant le repas, et de ne manger d’aucun animal, ni tout ce qui en vient ; et ils avaient inséré tous ces mensonges dans un livre intitulé : les Voyages de saint Pierre, qu’ils attribuaient à saint Clément. On l’a fait aussi autour de plusieurs livres, comme étaient ses Actes, son Évangile, son Apocalypse, un ouvrage de la prédication et un autre du jugement. Nous avons encore une grande histoire de saint Pierre intitulée : les Récognitions, et attribuée à saint Clément. Saint Clément d’Alexandrie citait l’Apocalypse de saint Pierre dans ses Hypothyposes. On lisait cette fausse Apocalypse dans quelques églises de la Palestine le jour du vendredi saint, au cinquième siècle. Origène rejette le livre de la prédication de saint Pierre ; mais saint Clément d’Alexandrie le cite souvent. Les hérétiques nazaréens se servaient de l’Évangile de saint Pierre. Origène en rapporte quelque chose. Les Orientaux lui attribuent quelques liturgies ; mais on convient qu’elles ne sont pas de lui. On peut voir ces choses plus au long dans Baronius et dans M. Tillemont, t. I Histoire eccl., saint Pierre, art. 39, 40 ; et dans M. Fabricius, Cod apocryph. Nouveau Testament page 374, 761, 800, 801, 802, 814, 906, 907, etc.
Saint Sérapion, qui était évêque d’Antioche vers l’an 200, permit pour le bien de la paix de lire dans l’Église de Rhosses en Cilicie l’Évangile de saint Pierre ; mais, ayant appris depuis que l’on s’en servait pour appuyer l’hérésie des Docètes, il le lut et reconnut que, quoique la plupart des préceptes de ce livre fussent bons, il y en avait néanmoins de mauvais et de faux. Il en fit donc un extrait et une réfutation, qu’il envoya à l’Église de Rhosses en attendant qu’il y pût aller lui-même.
Nous avons déjà remarqué que saint Pierre était marié. Mais les Pères remarquent que, depuis sa vocation à l’apostolat, il renonça à l’usage du mariage, et ne regarda plus sa femme que comme sa sœur. Il y en a qui prétendent que la femme de saint Pierre, de même que celles des autres apôtres qui étaient mariés, suivaient leurs maris et leur servaient dans la prédication de l’Évangile selon leur pouvoir, visitant et instruisant les personnes de leur sexe.
On assure que la femme de saint Pierre souffrit le martyre, et que ce saint apôtre, la voyant mener à la mort, lui dit d’un ton ferme : Femme, souvenez-vous du Seigneur.
On veut aussi qu’il ait eu une fille nommée Pétronille ou Pétrine, dont le nom se trouve dans quelques martyrologes le 31 de mai. Saint Clément d’Alexandrie et saint Épiphane reconnaissent que saint Pierre a eu des enfants ; et saint Augustin parle d’une fille de cet apôtre. Les actes des saints Nérée et Achillée en racontent plusieurs choses. On peut voir les Bollandistes au 31 mai.
Les Juifs ont travesti l’histoire de saint Pierre comme celle de Jésus-Christ. Voici un précis de ce qu’ils content dans un livre tenu secret parmi eux pendant fort longtemps, et publié en hébreu par Wagenseil dans son ouvrage intitulé : Tela ignea Satanoe. On y verra, outre grande incohérence, que les Juifs attribuent les miracles de saint Pierre à la vertu du nom ineffable dont il se servait, et une mention du séjour de l’apôtre à Rome.
Les nazaréens ou disciples de Jeschu, irrités de la mort ignominieuse que les Juifs avaient fait souffrir à leur maitre, se séparèrent d’eux et en vinrent à ce point d’aversion, que dès qu’un nazaréen trouvait un Juif, il le massacrait. Leur nombre s’étant accru prodigieusement pendant trente ans, ils s’assemblaient en troupes et empêchaient les Juifs de venir à Jérusalem aux grandes solennités. Tandis que les Juifs étaient dans la plus grande consternation à la vue de ces malheurs, la religion des nazaréens prenait chaque jour des accroissements et se répandait au loin. Douze hommes qui se disaient les envoyés du pendu parcouraient les royaumes pour lui faire des disciples. Ils s’attachèrent un grand nombre de Juifs parce qu’ils avaient beaucoup d’autorité et qu’ils confirmaient la religion de Jeschu. Les sages, affligés de ce progrès, recoururent à Dieu et lui dirent : Jusqu’à quand, Seigneur, souffrirez-vous que les nazaréens prévalent contre nous, et qu’ils massacrent un nombre infini de vos serviteurs ? Nous ne sommes plus qu’un très-petit nombre. Pour la gloire de votre nom, suggérez-nous ce que nous devons faire pour nous délivrer de ces méchants. Ayant fini cette prière un des anciens, nommé Sirnon Képha, à qui Dieu s’était fait entendre, se leva et dit aux autres : Mes frères, écoutez-moi. Si vous approuvez mon dessein, j’exterminerai ces scélérats ; mais il faut que vous vous chargiez du péché que je commettrai. Ils lui répondirent tous : Nous nous en chargeons ; effectuez votre promesse. Simon, ainsi rassuré, dans le saint des saints, écrit le nom ineffable sur une bande de parchemin, et il la cache dans une incision qu’il s’était faite dans sa chair. Sorti du temple, il retire son morceau de parchemin, et, ayant appris le nom ineffable, il se transporta dans la ville métropole des nazaréens. Y étant arrivé, il crie à haute voix : Que tous ceux qui croient Jeschu viennent à moi, car je suis envoyé de sa part. Au moment une multitude semblable au sable qui est sur le rivage de la mer courut à lui. Ils lui dirent : Montrez-nous par quelque prodige que vous êtes envoyé par Jeschu ? Quel prodige, répondit-il, souhaitez-vous ? Nous voulons, lui dirent-ils, que vous fassiez les prodiges que Jeschu a faits lorsqu’il était vivant. Simon ordonne qu’on lui amène un lépreux, et, lui ayant imposé les mains, il le guérit. Il commande qu’on lui apporte un cadavre, et il le ressuscite de la même manière. Ces scélérats ayant vu ces merveilles, se prosternèrent devant lui en disant : Vous êtes véritablement envoyé par Jeschu, puisque vous avez fait les mêmes prodiges qu’il a faits lorsqu’il était vivant. Alors Simon Képha leur dit : Jeschu m’a ordonné de venir vers vous ; promettez-moi avec serment de faire tout ce que je vous commanderai. Nous le ferons, s’écrient-ils. Alors Simon leur dit : Il faut que vous sachiez que ce pendu a été l’ennemi des Juifs et de leur loi, et que, suivant la prophétie d’Osée, ils ne sont pas son peuple. Quoiqu’il soit en son pouvoir de les détruire en un moment, il ne veut pas le faire, mais il désire au contraire qu’ils restent sur la terre, pour qu’ils soient un monument éternel de son supplice. Au reste, Jeschu n’a souffert que pour vous racheter de l’enfer, et il vous commande par ma bouche de ne point faire de mal aux Juifs, de leur faire au contraire tout le bien qui dépendra de vous. Il exige encore que vous ne célébriez plus la fête des Azymes ; qu’en place de cette solennité, vous célébriez le jour de sa mort ; que la fête de son ascension au ciel vous tienne lieu de la Pentecôte, que cé :èbrent les Juifs, et le jour de sa naissance, de la fête des Tabernacles. Ils lui répondirent : Nous exécuterons ponctuellement tout ce que vous nous avez ordonné, nous vous demandons seulement de demeurer avec nous. J’y resterai, leur dit-il, si vous voulez me bâtir une tour au milieu de la ville pour me servir de logement. On lui bâtit une tour dans laquelle il s’enferma, vivant de pain et d’eau l’espace de six ans, au bout desquels il mourut et fut enterré dans cette même tour, comme il l’avait ordonné. On voit encore à Rome cette tour qu’on appelle Peter, qui est le nom d’une pierre, parce que Simon était assis sur une pierre jusqu’au jour de sa mort. Après la mort de Simon, un homme sage nommé Élie vint à Rome, et dit publiquement aux disciples de Jeschu : Sachez que Simon Képha vous a trompés ; c’est moi que Jeschu a chargé de ses ordres, en me disant : Va, et dis-leur que personne ne croie que je méprise la loi. Reçois tous ceux qui se feront circoncire ; que ceux qui refuseront la circoncision soient noyés. Jeschu veut encore que ses disciples n’observent plus le sabbat, mais le premier jour de la semaine ; et il ajouta à cela plusieurs autres mauvais règlements. Le peuple lui dit : Montrez-nous par quelque prodige que Jeschu vous a envoyé. Quel prodige, leur dit-il, désirez-vous ? À peine eut-il prononcé ces paroles, qu’une grosse pierre tomba sur sa tête et l’écrasa. Ainsi périssent, Seigneur, tous vos ennemis ; et que ceux qui vous aiment soient comme le soleil lorsqu’il est dans son plus grand éclat. »
L’empereur Julien, surnommé l’Apostat, confesse que saint Pierre, dont les miracles sont renommés dans l’Évangile a fait bien des choses merveilleuses ; et en conséquence il le représente comme un grand magicien, et comme celui que Notre-Seigneur avait rendu dépositaire de ses secrets magiques. Sur cet aveu de Julien relatif aux miracles de saint Pierre, voyez saint Cyrille, lib. 6 et 10 contra Julianum, et Julien, lui-même, dans ses Œuvres, lib. 6 pages 191, édition de Cologne, 1688.
Ce n’était pas seulement Julien qui considérait saint Pierre comme un magicien ; cette opinion était générale parmi les païens, qui disaient que cet apôtre avait fait en sorte, par ses enchantements, que Jésus-Christ serait adoré sur la terre pendant trois cent soixante-cinq ans ; ils ajoutaient qu’au bout de ce temps la religion chrétienne prendrait fin (Voyez saint Augustin, De Civit. Dei, lib. 18. cap. 53). Cette prophétie païenne, récemment renouvelée par M. Cousin, n’a pas eu le même sort que celle du prince des apôtres : car, Phlégon (dans Origène, contre Celse, livre 2 n. 14) assure que les prédictions faites par saint Pierre ont été justifiées par l’événement.
Saint Pierre a été et est, tout comme Jésus-Christ, qui le fit son représentant, son vicaire, un signe de contradiction. Quand je dis Pierre, j’entends aussi le pape ; on le voit bien, puisque ce n’est guère qu’à cause du pape qu’on a dépouillé Pierre des prérogatives que lui donna Jésus-Christ. Pierre et le pape, c’est tout un ; le pape, c’est Pierre toujours vivant. Nier que le pape soit Pierre continue, ou qu’il ait les mêmes pouvoirs qu’avait Pierre, c’est nier que Pierre les ait eus pour toujours comme Jésus-Christ les lui a donnés, c’est-à-dire, pour aussi longtemps que devait durer l’Église, réunion d’hommes où doit régner l’ordre, et qui doit être instruite et gouvernée. Nous ne pouvons entrer dans les discussions que ces paroles supposent, et nous le regrettons. Voyez Apôtres.
Il est un fait qu’on a nié comme tout le reste : le voyage de saint Pierre à Rome. Mais, de bonne foi, quand on prouverait que le chef de l’Église n’est pas venu à Rome, en serait-on plus avancé pour le reste ? Nous ne le pensons pas. Mais les écrits, les monuments de toutes sortes prouvent que saint Pierre fonda l’Église de Rome ; les pierres elles-mêmes le crient.
Les thermes de Novatus, fils du sénateur Pudens, qui avait accueilli saint Pierre arrivant à Rome, recelaient une crypte dédiée à sainte Priscilla, où l’on enterra en secret des martyrs dont la légende élève le nombre à près de trois mille. L’église actuelle de Sainte-Praxède et de Sainte-Pudentienne, les deux filles de Pudens, martyres, quoiqu’elle ait été bâtie beaucoup plus tard sur cette crypte, offre encore une chapelle dite du Bon-Pasteur, encaissée sous le sol, et qu’on présume occuper la place de la chambre du prince des apôtres (M. Cyprien Robert Cours d’histoire monumentale, 6 leçon, dans l’Université catholique, tome 4 pages 107, col. 1).
Un des lieux qui excite à Rome le plus vif intérêt est le souterrain de la petite église de San-Pietro in Carcere, autrefois prison Mamertine, où furent enterrés saint Pierre et saint Paul… On montre encore dans cet humide et froid réduit l’endroit du mur contre lequel s’asseyait saint Pierre, enchaîné, ayant devant lui l’étroite piscine, toujours pleine, dont le vieux pèlerin, avec un vase de fer qui y est attaché, s’empresse de goûter l’eau douce et pour ainsi dire grasse, comme si elle s’était repue de cadavres. Là, prêchant tous les jours les personnes qui descendaient pour l’écouter, l’apôtre en convertit quarante-sept ; là il baptisa ses deux geôliers, Processus et Martinianus. Cette eau a coulé sur leur tête, cette eau a désaltéré le pêcheur de Galilée… » (In., ibid., pages 108, 109).
Il y avait surtout deux cavernes qui, dès l’origine, attirèrent la vénération de toutes les Églises du monde : c’étaient les sépulcres de saint Pierre et de saint Paul, vés sur le lieu de leur martyre, hors des remparts de Route ; car l’usage des Romains fut toujours de supplicier comme d’ensevelir hors de la ville. Saint Pierre avait donc été crucifié sur le Janicule, et son compagnon avait été conduit ad aquas salvias… Ces deux mausolées des deux princes de l’apostolat, entourés de magnificence par Constantin, furent regardés longtemps comme le palladium politique de la ville, comme leurs deux tours inexpugnables, qui protégeaient les remparts de Rome et les mausolées des Césars, placés entre eux et la ville. C’est ainsi que l’époque constantinienne profanait déjà l’Église, comme instrument politique… » (Id., ibid., pages 110).
Sur la voie d’Ardée, une crypte célèbre conservait les os de la vierge martyre sainte Pétronille, la fille probablement adoptive de saint Pierre ; car, quoique marié avant son apostolat, il n’y a aucune preuve qu’il ait amené à Rome sa famille. Cette grotte avait été bâiie par la riche et pieuse Domitella l’une des néophytes de l’apôtre, laquelle y fut elle-même ensevelie, après son martyre, ainsi que ses deux eunuques, les frères Néréo et Achillée, dont saint Grégoire le Grand célèbre le saint triomphe dans une de ses ho ; mélies, lue au peuple, sur leurs tombeaux mêmes, le jour de leurs anniversaires. » (Id., ibid., pages 110, col. 2).
On croit que le pape Pie 1°, dès l’an 164., changea en lieu de prières la maison du citoyen Pudentius, sur l’Esquilin, où avait logé saint Pierre, et qui fut plus tard appelée basilique de Sainte Pudentienne. » (Id., 7 leçon, pages 178).
Voilà des témoignages du séjour de saint Pierre à Rome. Je ne rapporte pas tous ceux que fournit l’histoire monumentale. L’histoire écrite prouve le même fait par saint Clément, Romain, qui connut saint Pierre, et fut un de ses successeurs ; par saint Ignace, évêque d’Antioche, dans son Épître dus Romains, vers l’an 106 par Papias, vers l’an 111 ; par saint Irénée, par Denys de Corinthe, par Tertullien, par Gaïus, par Origène, par Clément d’Alexandrie, par saint Cyprien, el d’autres. Voyez Rome.
Le lecteur catholique ne nous saura pas mauvais gré de placer ici les deux morceaux suivants :
L’effusion de grâces et de lumières dans la société des fidèles au jour de la Pentecôte, dit M. l’abbé Bossey (Cours d’éludes sur les saints Pères, introduction, dans l’Université catholique, tome 12 page 12-14.), persévère tous les jours au cœur de l’Église, et constitue l’infaillibilité du vicaire de Jésus-Christ, comme héritier des promesses faites à saint Pierre. Or, ces promesses sont celles-ci :
1° Infaillibilité pour la foi (Dogme).
2° Autorité pour conduire (Morale).
3° Souveraineté de juridiction (Unité hiérarchique et disciplinaire).
Ainsi le principe de vie, l’unité génératrice dans l’Église, c’est l’Eucharistie ; le second terme de cette unité, l’élément actif et dispensateur, non moins que son lien visible, c’est le Pape.
Pasce oves meas, dit Jésus-Christ à saint Pierre, pour le récompenser de sa primauté d’amour ; pasce oves meas, tous ceux qui portent le nom de chrétien : la juridiction est-universelle ; pasce, nourris-les ; de quoi ? de l’Homme-Dieu, du Verbe et du Christ ; du Verbe, par la parole, par la prédication : Proedica Verbum ; du Christ, par l’Eucharistie : Ego sum panis vitoe.
Ainsi tout se résume dans le pape.
Il s’est trouvé de mauvais papes, me dira-t-on ; les fils spirituels de Jésus-Christ n’ont pas toujours ressemblé à leur père. À cela je réponds : Ce n’est pas la saintetéde l’individu qui fait l’autorité de la personne ; l’infaillibilité et l’impeccabilité ne sont pas choses identiques. Balaam et Caïphe n’ont-ils pas prophétisé ? Qui osera donc fixer à Dieu les règles de convenances qu’il ne doit pas dépasser ? Parmi les ancêtres de Jésus-Christ, selon la chair, combien ont été indignes de l’honneur de lui transmettre l’existence ? Dieu les a-t-il rejetés pour cela ? Non : les premiers, comme les seconds, ont accompli invite et ignorantes ; si l’on veut, les desseins de l’Éternel ; les premiers, comme les seconds, n’ont point fait défection à la fin décrétée par Dieu.
Ici s’élèvent quelques difficultés pour la conciliation historique des deux éléments d’unité, ou, pour mieux dire, des deux formes de l’unité dans l’Église. Nous avons mis en avant l’unité eucharistique comme principe divin, puis l’unité hiérarchique personnifiée dans le pape : l’une et l’autre n’étaient-elles pas une sorte d’arcane au premier siècle ? Comment donc était alors constituée l’unité visible ?
Assurément, on ne doutait pas plus de l’autorité réellement présente aux mains du vicaire de Jésus-Christ que de l’ineffable mystère de l’Eucharistie ; et, toutefois, l’un et l’autre étaient un arcane. Parler librement du chef de l’Église ou du mystère eucharistique, s’eût été livrer l’un et l’autre à la rage des persécuteurs. Et voyez ! L’Eucharistie était, dans les soupçons d’un peuple ignorant, pervers et crédule à l’excès, travestie en un festin de chair humaine les trente premiers papes sont tous martyrs. L’instinct des persécuteurs savait unir sous les coups de sa haine ce qui est, de soi, indivisible comme force morale de l’Église. C’est un levier unique, quoique deux termes y soient compris nécessairement, le point d’appui et l’action qui lui est communiquée avant qu’il mette lui-même en mouvement l’objet à déplacer. Pour le levier dont nous parlons, l’objet à déplacer, c’est le monde.
Si la vie dans Église a sa source dans le mystère eucharistique, c’est à l’Église, c’est au Pape qu’il est donné de la conserver. L’Eucharistie est le centre de tout, tout part d’elle et tout revient à elle ; c’est le cœur de la société chrétienne : une action vigoureuse chasse, tend jusqu’aux extrémités le sang du Christ, puis la source divine se replie sur elle-même chargée des précieuses parcelles que l’or de la charité et des vertus qui procèdent d’elle, y ont déposées. Et comment se fait ce mouvement de retour, sinon par la réaction que l’Église, que le pape opère des extrémités hiérarchiques jusqu’à lui, et de lui jusqu’à Dieu ? N’est-ce pas la réflection des rayons divins tombant sur la Pierre romaine.
Ainsi établie, la position identique de l’arcane eucharistique et de l’arcane hiérarchique dans la société chrétienne des premiers siècles, quel était le lien extérieur de l’unité, et.quel était son fondement divin, son principe d’infaillibilité dans la compréhension générale des fidèles ?
Ce lien était, comme aujourd’hui, dans la communauté de vie chrétienne, c’est-à-dire, dans la possession sentie et comparée d’une même foi, d’un même culte, d’une même morale : Unus Dominus, una fadis, unum baptisma. Unus Dominus, c’est le principe de toute morale, c’est l’unique motif des vertus, c’en est le premier modèle. La morale était un devoir avant même que la foi fût révélée, avant la foi et le baptême, c’est-à-dire, avant la révélation des mystères de la foi, avant l’institution des rites sacramentaux ou appartenant au culte ; la morale était commandée à l’homme au nom de Dieu avant qu’elle ne le fût au nom de Jésus-Christ.
Le baptême est le premier anneau de la chaîne rituelle ; par lui nous entrons dans le sanctuaire du culte.
Le prix que l’on attachait au dépôt de la foi contenait dans un profond respect l’élan de la pensée raisonneuse. On craignait tout terme nouveau dans les objets de la foi : le symbole circonscrivait dès lors toute la matière nécessaire de cette foi, et chaque fidèle le savait par cœur. À mesure ensuite que s’étendait le domaine de la foi, on surveillait plus activement ses premières allures, on comparait les traditions d’une église ou d’une communauté chrétienne à celles d’une autre communauté, surtout à celles qui étaient de fondation apostolique. Quand tous les doutes n’étaient pas encore levés, on recourait au siège de saint Pierre, au successeur de celui à qui mission avait été donnée de confirmer ses frères : on en a un exemple frappant dans la question de la Pâque, dans celle de la pénitence canonique pour les la psi, et dans celle de la source hiérarchique, à l’occasion du schisme de Novat. On trouve déjà dans ces trois jugements la triple question de foi, de morale et de culte, déférée au siège de Rome et cherchant en lui l’unité.
En résumé, le lien extérieur de l’unité chez les premiers fidèles était la communauté de culte ou la participation à l’Eucharistie. On en excluait rigoureusement tous ceux qui étaient hors de l’unité de foi, les hérétiques ; hors de l’unité de morale, les pénitents publics ; hors de l’unité hiérarchique, les schismatiques. Cette participation au même mystère ne composait pas seulement l’unité de foi, de morale et de culte pour une communauté locale, mais elle étendait ce signe divin aux Églises les plus éloignées. De là les eulogies et ces termes si fréquemment employés : admettre à sa communion ou rejeter de sa communion. Or, la communion romaine était le centre de toutes les autres : il y avait donc identité entre l’unité eucharistique et l’unité papale, comme signe extérieur de communion chez les fidèles. Telle était sur ce point leur compréhension générale. Être en communion avec Rome, c’était avoir l’unité de foi, de morale et de culte avec toute l’Église.
Quant au fondement divin de cette unité, tel que les fidèles le comprenaient encore, on le trouve longuement exposé dans l’admirable discours de la Cène où Jésus-Christ donnant son corps à manger à ses disciples, leur donne avec cette nourriture nouvelle le précepte nouveau de s’aimer les uns les autres (Jean 13.34), comme il les avait aimés lui-même, joignant ainsi l’autorité de l’exemple à celle du précepte ; et comme si sa divine parole, accompagnée de tant de miracles, ne suffisait pas dans son propre témoignage, il en invoque un autre qui aura la garantie de sa prophétie : c’est la promesse de l’Esprit-Saint, qui leur donnera le sens de tout ce qu’ils ont vu et entendu ; qui ne les laissera plus dans l’attitude passive de disciples écoutant leur maitre, mais qui les établira à leur tour docteurs des nations. Puis le Verbe incarné demande à son Père qu’il sanctifie ses disciples dans la vérité (Jean 17.17), afin qu’ils soient infaillibles dans leur enseignement, et qu’ils soient un comme le Père et le Fils (Jean 17.11). Le fondement divin est donc la promesse d’être avec ses disciples jusqu’à la consommation des siècles, la volonté du Christ, sa prière au Père (Jean 17.11.) ; enfin le signe destiné à maintenir et à rappeler la fondation de cette unité divine, c’est l’Eucharistie, c’est-à-dire, la présence réelle et persévérante de celui-là même qui a promis, qui a voulu, qui a prié.
Chaque communion sacramentelle rappelait tout cela aux fidèles : ils savaient qu’il n’y avait pour eux de certitude et de garantie de l’unité catholique que dans l’unité de foi, de morale et de culte ; ils savaient que de la pureté du dogme eucharistique et de leur adhésion complète à l’autorité du centre visible de l’unité, dépendait la conservation de la société chrétienne. L’histoire a d’ailleurs bien justifié ce que nous avons avancé : toutes les hérésies qui ont secoué le joug de l’autorité pontificale ont de même altéré le dogme de l’Eucharistie. Il y a une sorte de lien logique entre ces deux vérités.
Enfin le principe et les preuves de cette infaillibilité qui courbait invinciblement tous les fidèles au joug de l’unité, c’était,
1° L’assurance d’une assistance permanente du Saint-Esprit dans l’Église. Ce Paraclet promis était venu avec tous ses admirables dons ; tous les jours on en voyait les effets par les miracles et par les prophéties.
2° L’établissement du corps enseignant (Éphésiens 4.11).
3° La préposition du corps épiscopal au maintien de la foi et de la discipline. La suprématie du siège de Rome, vers qui convergeaient toutes les lumières, et de qui découlaient toutes les juridictions. Je dis que les lumières convergeaient vers le pape, et que de lui découlaient les juridictions : c’est que les lumières sont indistinctement répandues dans l’Église (Jean 3.18) ; mais ces lumières, ces vérités, si l’on veut, ne peuvent constituer des dogmes que pour autant qu’elles reçoivent la sanction du siège de Rome, isolément ou dans les conciles. Mais quant à la juridiction, il ne peut y en avoir qu’une source unique, qui émane du vicaire de Jésus-Christ (Matthieu 5.8).
Voici le second morceau ; ce sont quelques pages de dom Pitra, bénédictin de Solesmes, extraites d’un excellent article publié dans le premier volume de l’Auxiliaire Catholique (pages 151 et suivantes), dirigé par M. l’abbé Sionnet. Ce morceau est intitulé : Saint Pierre et la sainte Bible.
La loi ancienne, dit l’auteur, avait été écrite, au milieu des foudres, par le doigt de Dieu, sur le granit inanimé du Sinaï ; la loi nouvelle fut gravée au cénacle en traits de feu, sur les tablettes vivantes des douze apôtres, non pas avec une encre corruptible, mais avec l’ineffaçable onction de l’Esprit (2 Corinthiens 3.2). Ces ambassadeurs de Dieu s’en vont à leur légation, sans autre lettre de créance que la vertu de Dieu qui les accompagne. Leur chef commence à Jérusalem ce ministère de la parole et du miracle ; le premier il parle, le premier il guérit à la porte du temple ; telle est sa puissance privilégiée, que son ombre seule, en passant, opère des prodiges. « À l’apparition de Pierre et au son de sa voix, dit saint Jean Chrysostome, les ténèbres de l’erreur se dissipent, le diable recule, les démons s’enfuient, les maladies disparaissent des corps, les âmes sont guéries, tout mal se dissipe, toute vertu descend en terre ; par l’ombre seule de son corps il accomplit ces prodiges, il convertit le monde entier. »
Infaillibles et tout-puissants comme lui, les apôtres, ministres de l’esprit et non de la lettre (2 Corinthiens 3.6, messagers de la parole et non de l’Écriture, portent le Verbe de Dieu vivant et efficace qui descend aux plus profondes divisions de l’âme et de l’intelligence. Ils prêchent ce qu’ils ont vu et entendu, ce qu’ils ont touché de leur main, du Verbe de vie qui s’est montré, qui n’a rien écrit ni rien ordonné d’écrire. En quelques années, la voix apostolique va d’un bout du monde à l’autre, l’Église est uniquement fondée sur le Verbe de Dieu qui porté toutes choses. Des peuples entiers demeureront plusieurs siècles sans avoir rien d’écrit ; la première génération chrétienne est d’ailleurs presque tout entière illettrée ; esclaves, artisans, pâtres, barbares, ils ont la foi parce qu’ils ont entendu, et non_ parce qu’ils ont lu. La masse des chrétiens demeurera même toujours semblable à cette génération illettrée, et la partie la plus croyante, la plus fidèle, la plus savante selon Dieu, sera toujours ces petits à qui il u plu au Père de révéler les mystères, et non, les sages et les prudents à qui Dieu les cache (Luc 10.21).
La prédication évangélique est une lumière, un fanal, un éclair qui passe en un clin d’œil sous tous les cieux et court de l’Orient à l’Occident (Matthieu 24.27). Et c’est Pierre, le prince fort et le premier par la vertu entre tous les apôtres, le généreux capitaine, vêtu de l’armure divine, qui porte de l’Orient à l’Occident le précieux trésor visible aux seuls regards de l’esprit, la prédication du royaume céleste, la lumière du monde et la doctrine qui sauve les âmes.
Pierre place le flambeau au-dessus de la montagne, au faite de Rome, afin, dit saint Léon, que la lumière de la vérité, qui éclatait pour le salut des nations, se répandit plus efficacement de la tête du monde sur le corps tout entier. Tous les peuples voient, comparent et s’éclairent. L’enseignement se contrôle et se vérifie par l’accord entre les traditions des Églises fondées par les apôtres. Et pour cet examen, il n’est pas besoin de faire le tour du monde ; il n’est pas même nécessaire d’interroger toutes les Églises d’origine apostolique ; il suffit, il a toujours suffi « de recourir à la plus grande, à la plus ancienne, à la plus connue, à Rome, fondée par les deux frères et très-glorieux apôtres Pierre et Paul. C’est à elle, à cause de sa prééminente principauté, que doit recourir l’Église entière, c’est-à-dire, tous les fidèles répandus partout et qui, de toute part, trouveront là ce qui est la vraie tradition apostolique. »
Telle est l’économie de la religion. Tout l’enseignement repose sur la pierre qui sert de fondement à l’Église. Ainsi Pierre est-il le chef, le centre, la règle suprême de l’Évangile traditionnel, et, comme parle Origène, le chef et la bouche des apôtres, qui conservent d’autant mieux leur privilége d’inerrance et l’étendue exceptionnelle et illimitée de leur ministère.
Cependant il y eut comme un autre évangile qui ne passa point par le cénacle. C’est celui dont la première révélation terrassa saint Paul sur le chemin de Damas et qui acheva de se manifester à lui dans les extases inénarrables et les ravissements du troisième ciel. Or, c’est l’un des plus étonnants spectacles de ces temps de merveilles que la continuelle subordination de saint Paul, le cinquième évangéliste,à saint Pierre. Le docteur des nations, après trois ans de préparation et d’essai de son apostolat, vient a Jérusalem pour lever tout soupçon sur la légitimité de sa mission. Il déclare, dit Tertullien, qu’il vint contempler Pierre, le prince de la nouvelle Jérusalem, comme on va visiter, ajoute saint Jean Chrysostome, de grandes et splendides, cités ; il ne voit que lui seul et l’évêque de Jérusalem, Jacques, frère du Seigneur ; il passe quinze jours avec Pierre, tant il juge important, même après la révélation de son Évangile, de voir et d’étudier ce grand homme ; non pour être instruit, dit Bossuet, lui que Jésus-Christ instruisait par une révélation si expresse, mais afin de donner la forme aux siècles futurs et qu’il demeurât établi à jamais que quelque docte, quelque saint qu’on soit, fût-ou un autre saint Paul, il faut voir Pierre.
Quatorze ans plus tard, rencontrant de nouvelles contradictions, Paul remonte à Jérusalem ; il cède à l’Esprit de Dieu qui le pousse de soumettre encore son Évangile au contrôle apostolique. « Il a de nouveau, dit Tertullien, recours au patronage de Pierre pour conférer sur la règle de son Évangile.
C’est à Pierre encore et aux colonnes de l’Église, à ceux qui résumaient en eux le collége apostolique, qu’il s’adresse d’abord, et à part, en dehors du concile ; au concile, c’est Pierre qui préside, qui ouvre les débats, qui formule le décret d’approbation, qui glorifie Paul et condamne la synagogue. Il est déclaré que Paul prêche aux nations ce que Pierre enseigne aux Juifs, que l’Évangile de la gentilité est semblable à l’Évangile de la circoncision (Galates 5.7). Pierre a parlé, toute la multitude se tait, et les hérauts de Dieu, Pierre, Jacques, Jean, Paul, Barnabé, se donnant tous la main en signe de paix, retournent à la conquête du monde.
Paul savait, dit saint Augustin, que, bien qu’il fût appelé du haut du ciel après l’ascension du Seigneur, l’Église lui eût dit anathème, s’il n’eût vu les apôtres, communiqué avec eux et conféré de son Évangile. Il s’est entendu avec ses maîtres, dit Tertullien, il est convenu avec eux d’une règle de foi… ; le maître de Luc l’évangéliste a réclamé la sanction de ses devanciers pour sa foi et pour sa prédication. Théodoret écrivait à saint Léon, après le faux concile d’Éphèse : « Saint Paul, le héraut de la vérité, la trompette de l’Esprit saint, s’en est allé trouver le grand et divin Pierre, pour rapporter de lui une explication qui levât les incertitudes des fidèles d’Antioche ; combien davantage, nous humbles et petits, devons-nous recourir à votre siège apostolique pour recevoir un remède aux plaies de nos Églises. »
Saint Paul donnera encore occasion de manifester le droit du pontife suprême sur l’Évangile écrit. Les dernières lignes, dictées par saint Pierre, seront, comme nous allons le voir, une approbation des Epltres de saint Paul, de même que la sanction de son Évangile oral fut l’un des premiers actes du pontificat de Pierre. Et quand le moment viendra pour l’un de déposer sa tente, pour l’autre de consommer sa course, tous deux se rencontreront dans la prison Mamertine ; tous deux captifs du Christ, affranchis et couronnés ensemble, scelleront de leur sang le même Évangile ; du Vatican à la voie d’Ostie, Rome montrera leurs trophées, ses plus fermes remparts, et leurs sépulcres, continuant la commune prédication, éclaireront encore le monde.
Nous avons insisté sur l’économie de la prédication, d’autant mieux que l’essentiel est dans l’enseignement oral, l’accessoire dans l’Écriture. Sans prédication, il n’y a ni foi, ni Église, ni apôtre ; sans Écriture aucune, il y a eu la moitié des apôtres, dix ans de christianisme, cinq siècles même jusqu’à l’entière promulgation du canon biblique ; il y a eu tous les peuples barbares, toutes les masses illettrées, qui ont cru sans lire, qui ont reçu et conservé la foi sans la Bible.
Aussi n’y a-t-il pas eu, que nous sachions, ni sous le pontificat de Pierre, ni sous aucun de ses premiers successeurs, pendant plus de quatre siècles, une loi générale, un décret universel et complet sur ie dépôt des livres saints. À mesure que les pages inspirées descendaient du ciel, Dieu los envoyait, tantôt à l’une, tantôt à l’autre des Églises, selon leurs besoins, selon le plan providentiel. L’apparition d’un évangile apocryphe, les témérités d’une secte, les sollicitations d’une Église, une controverse soulevée à Jérusalem, à Rome, à Corinthe, le départ d’un messager pour Thessalonique,Philippes, Colosse, Éphèse, les épanchements d’un apôtre dans le cœur de ses fils, le soin de quelques âmes isolées, la consolation d’.un pauvre esclave, des incidents suffisaient à l’Esprit de Dieu qui souffle où il veut, et qui portait ces divines lettres à leur adresse. Rome les recueillait, les rassemblait en dépôt, les revêtait d’une sanction sacrée, et attendait le moment de les promulguer officiellement au monde entier.
Nous n’avons donc à signaler d’abord que des actes partiels, assez nombreux pour établir l’initiative du droit pontifical, mais trop garicsied.entels pour constituer une loi de l’Église.
Le plus important des actes de saint Pierre sur les livres saints est consigné dans sa deuxième Épître catholique. Il y prononce ouvertement sur l’autorité, l’interprétation et l’application des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament.
L’Ancien Testament était ordinairement compris sous le nom de prophétie. Or, selon le vicaire infaillible du Christ, la prophétie n’est point émanée d’une volonté humaine, mais les saints hommes de Dieu qui ont parlé en son nom étaient inspirés de l’Esprit saint. Et encore : Ce qu’il faut entendre avant tout, c’est que nulle prophétie de l’Écriture ne doit être expliquée par une interprétation privée. Et plus haut : Nous avons la parole prophétique digne de très-grande assurance, c’est d’y bien élever son attention, comme à une lampe qui luit dans un lieu ténébreux, jusqu’à ce que le jour brille et que l’étoile du matin se lève en vos cœurs.
Chacune de ces paroles est d’or. Ainsi, reprennent les commentateurs modernes résumant la tradition sur ce passage, l’Écriture est un flambeau placé sur le candélabre de l’autorité publique et infaillible de l’Église, et non sous le boisseau du sens privé. Les règles de la foi et des mœurs sont contenues dans les livres prophétiques, dans tout le corps de l’Écriture sainte, et dans la parole de Dieu transmise de vive voix par les apôtres, et conservée jusqu’à nous dans l’Église, comme un dépôt confié à la succession ininterrompue des évêques. Mais il n’y a pas de parole de Dieu dans ce que l’Église n’a pas reçu des apôtres, ni les apôtres du Christ… Tant que nous vivons en ce siècle, dans cette région ténébreuse, suivons la lueur des Écritures, cette lampe allumée dans l’Église, qui seule nous montre la voie. Mais tenter présomptueusement d’exposer l’Écriture selon son jugement privé, son esprit particulier, c’est éteindre le flambeau.
L’autre passage développe et confirme ce que nous disions plus haut sur la subordination de l’enseignement de saint Paul à l’autorité de saint Pierre. Des hérétiques judaïsants, qui déjà infestaient l’Église, s’attachaient à un faux évangile selon les Hébreux, persistaient dans les observances légales, et rejetaient toutes les Épîtres de saint Paul ; c’est pour les confondre que saint Pierre préconise la sagesse de Paul, approuve toutes ses Épîtres sans exception, et pose en même temps une règle de sagesse et de discrétion pour diriger dans cette lecture, comme dans celle de toute la Bible. Il y a là, dit-il, des choses difficiles à comprendre, que les ignorants et les esprits vacillants tournent, comme toute l’Écriture, en un sens dépravé pour leur propre perdition.
C’est un immense honneur aux épîtres de Paul que ce témoignage non-seulement d’approbation, mais d’éloge, rendu par celui à qui il a été dit : J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas : à ton tour, confirme tes frères ! C’est de là que découle à tous les successeurs de Pierre le droit d’approuver les Écritures saintes et de les promulguer au monde entier.
Saint Pierre avait donc lu, selon la remarque de saint Grégoire, et par conséquent recueilli toutes les épîtres de saint Paul. La plupart avaient été écrites de Rome ; la collection actuelle porte encore dans son arrangement la preuve de son origine toute romaine ; cette collection, s’ouvre par l’épître qui appartenait nommément à l’Église dont Pierre était le patriarche : les autres sont classées selon la distance entre Rome et les villes ou les peuples qui les reçurent, et en quelque sorte selon le temps qu’il fallut pour qu’elles arrivassent ou revinssent à Rome.
Parmi les Évangiles, celui de saint Matthieu parait avoir été écrit pendant que saint Pierre était encore à Jérusalem, ou au moins à Antioche. Selon l’auteur de la Synopsis, attribuée à saint Athanase, cet évangile aurait été traduit par saint Jacques de Jérusalem, associé à toutes les œuvres les plus importantes de saint Pierre. Saint Marc, son fils et le compagnon de tous ses travaux, écrivit le second Évangile à Rome, sous sa dictée, et même sur son ordre, selon saint Épiphane. L’apôtre, dit Clément d’Alexandrie, d’après Papias et saint Clément de Rome, ayant connu par révélation le dessein de son disciple, s’en réjouit et confirma de son autorité cet Évangile, afin qu’il fût lu dans toutes les églises. Saint Luc écrivit aussi à Rome les Actes des apôtres ; et, s’il en faut croire la Synopsis, saint Pierre en aurait encore dicté le ttxte au compagnon de saint Paul.
Mais ce qui a toujours le plus vivement excité la sollicitude des pontifes romains, c’est moins encore, ce semble, de donner le texte pur et primitif des saints livres, que de les rendre accessibles et très-intelligibles aux simples et aux ignorants. De là, une vigilante et perpétuelle attention de siècle en siècle sur les versions vulgaires de la sainte Bible. De saint Pierre à saint Damase, à saint Grégoire le Grand et aux illustres pontifes du seizième siècle, nous rencontrerons de fréquents témoignages de cette haute sollicitude, et nous les verrons donner aux versions les plus accréditées une sorte d’authenticité qui les élevait presque au rang des textes primitifs.
Ainsi nous trouvons dans les premières lignes du Liber Pontificalis une note infiniment précieuse et que nous nous étonnons de voir si négligée. Saint Pierre, dit cette notice, écrivit deux épîtres qui sont appelées canoniques, et l’Évangile de Marc, qui fut son disciple et son fils par le baptême. Telle fut la source des quatre Évangiles sur laquelle il fut interrogé, et rendit témoignage et qu’il confirma. Tout étant mis d’accord en trois diverses langues, par l’un en latin, par l’autre en grec et par un autre en hébreu, tout fut en outre corroboré de l’autorité de Pierre.
Nous prions nos lecteurs de considérer que ces notices du Liber Pontificalis, comme on l’a établi dans les Origines romaines, sont de la plus respectable antiquité, surtout les parties les plus anciennes, et la notice sur saint Pierre est assurément de ce mombre. Or, il résulterait de ce témoignage, selon le grave et docte Bianchini, que les Évangiles selon saint Matthieu, saint Marc et saint Luc auraient été non-seulement corroborés, mais encore composés sur le témoignage de saint Pierre. Ce n’est pas sans raison, continue-t-il, que les éditeurs du Liber Pontificalis de Paris et de Mayence observent que ces Écritures, bien que divinement inspirées, n’ont pas été toutefois dépourvues du témoignage de Pierre. Soit que saint Matthieu, en un sujet aussi grave que de consigner par écrit la vie et la doctrine du Christ, n’ait pas cru devoir user de son privilége apostolique, sans en référer au prince des Apôtres, soit que l’on ait eu recours au témoignage de Pierre, pour collationner avec l’autographe des Évangiles une version en trois langues, et corroborer d’un sceau irréfragable son exacte conformité avec l’original qu’aurait communiqué l’Église romaine, il est certain que les pontifes romains, successeurs de Pierre, ont toujours eu le pouvoir de constater le fait divin de l’inspiration, de même qu’ils peuvent, par leur primauté d’honneur et de juridiction, confirmer, souscrire et ratifier les décrets des conciles oecuméniques, quoique émanant de l’Église universelle, assistée du même Esprit qui inspira les saints Évangiles. De là, l’usage mentionné dans les plus anciens ordres romains de sceller de nouveau du sceau pontifical le livre des Évangiles, toutes les fois que les sceaux ayant été rompus pour donner l’évangéliaire au diacre et en faire lecture à l’ambon, les sous-diacres régionnaires le rapportaient à l’archive apostolique.
On sait que plusieurs exégètes protestants de premier ordre, tels que Milles et Wallon, n’ont pas hésité à regarder Rome comme le berceau et le centre de cette vénérable version italique, citée par tous les Pères latins jusqu’à saint Grégoire le Grand, et qui l’ait encore le fond de notre Vulgate actuelle. La tradition précieuse, recueillie par le Liber Pontificalis, est confirmée par un témoignage aussi remarquable que la notice elle-même. Rufin, au second livre de ses Invectives ou de son Apologie contre saint Jérôme, obligé, pour tenir tête à son illustre et rude adversaire, de recueillir partout et de bien choisir ses moyens d’attaque et de défense, oppose au nouveau traducteur la tradition romaine qui fait remonter à saint Pierre l’antique vulgate italique. Pierre, dit-il, a gouverné l’Église romaine pendant vingt-quatre ans : il est hors de doute que, dans sa sollicitude, pour tout ce qui tient à l’instruction, il n’ait lui-même livré à l’Église en langage vulgaire les instruments des livres saints, qui » déjà se récitaient publiquement devant lui, assis et enseignant dans sa chaire.
Résumons. Sous le pontificat de saint Pierre, trois recueils de livres saints existent à Rome : les Prophètes ou l’Ancien Testament que les chrétiens lisent presque exclusivement dans leurs premières assemblées ; les Évangiles, dont le quaternaire mystique n’est point encore achevé, la bonne nouvelle n’étant pas encore assez annoncée aux quatre vents du ciel ; les Épîtres apostoliques. Pourquoi, demande un docteur anglican, ne serait-ce pas l’Église romaine qui eût rassemblé ces pièces éparses dans le monde entier ? Ce recueil, ajoute-t-il, dut comprendre d’abord les treize grandes épîtres de Pierre, Paul et Jean, appelées proto-canoniques. Saint Polycarpe ne cite rien des autres, et Eusèbe nous a conservé un vieux canon qui les renferme seules. Ce canon provient de l’Église qui a le plus vénéré les trois apôtres, de l’Église qui a reçu la première épître de ce recueil, de l’Église romaine, fondée par Pierre et Paul, visitée par Jean, honorée de leur triple martyre. Milles, continuant de tracer hardiment l’histoire de la canonicité, représente l’Église romaine envoyant par le monde entier le canon des premiers Évangiles et des épîtres proto-canoniques, correspondant avec les principales Églises pour compléter son recueil, recevant de Jérusalem l’Épître aux Hébreux, celle de saint Jacques, celle de saint Jude, et des Églises asiatiques les petites épîtres de saint Jean, préparant un canon complet, dont les parties les plus récentes exciteront quelques difficultés, tant que les persécutions ne permettront pas de vérifier les témoignages et les monuments des Églises particulières.
Cependant, selon le Liber Pontificalis corroboré du témoignage de saint Grégoire, de Rufin, de saint Jérôme, de saint Ambroise, de saint Épiphane, de saint Clément de Rome, d’Eusèbe, de la Synopsis athanasienne de Clément Alexandrin, de Papias, de sainte lrénée ; selon les épîtres même de saint Pierre, le prince des apôtres préside à ce grand acte de la Providence, qui sépare la lumière des ténèbres et discerne les œuvres de Dieu des inventions des hommes. Pierre déclare, divinement inspirée, toute prophétie légitime ; il dicte à ses notaires ses épîtres, à saint Marc son évangile ; il vérifie les notes de saint Luc ; il signe de l’anneau du pêcheur, et approuve hautement toutes les épîtres de Paul, son bien-aimé frère ; il nourrit son peuple de la parole sortie de la bouche de Dieu ; il en fait pour les plus simples et les plus petits un aliment familier par des versions populaires ; il pose discrètement la lampe des Écritures sur le candélabre de l’Église ; il assiste aux lectures dans l’assemblée des saints, et commente la lettre qui tue par l’esprit qui vivifie. Il nous semble voir le saint patriarche, au pied du mont Esquilin, dans la maison du sénateur Pudens, entouré de Paul son frère, de Marc son fils, de Linus son successeur, de Clément, de Luc, d’Hermas, auteur du Pasteur, de St Clément, de Domitilla, de Praxède, et de toute l’assemblée des saints qui sont en Babylone, enseignant, comme parle Rutin, assis sur sa chaire ; cette chaire que toute la catholicité vénère encore dans la basilique du Vatican. Il nous semble l’entendre lire sa dernière épître, le testament de sa paternelle sollicitude ; il se hâte d’éveiller une dernière fois ses frères ; car il sait que bientôt s’affaissera sa tente, il a reçu l’avertissement du maître qui appelle son serviteur ; il voit apparaître de nouveau devant lui les splendeurs de la transfiguration, et s’ouvrir les profondeurs du temps et de l’éternité ; les cieux passent avec fracas ; les éléments se confondent, la terre s’embrase… Cependant l’Apôtre descend de ces visions sublimes pour juger la prophétie, et flétrir les faux prophètes ; il prononce en maître et formule les règles de l’enseignement biblique ; il n’impose pas la parole de Dieu écrite comme la doctrine unique et complète : il signale les dangers de l’Écriture pour les âmes simples et vacillantes, il proscrit l’interprétation privée. Répétons une fois encore ces admirables paroles qui résument toute l’herméneutique : Nous avons la parole des prophètes, digne de toute assurance ; c’est bien d’y élever son esprit, et de contempler cette lampe qui luit dans un lieu ténébreux, jusqu’à ce que le jour brille et que le Christ, étoile du matin, se lève en nos cœurs. Mais sachez avant toutes choses que toute prophétie s’entend par l’esprit de Dieu et non par l’interprétation privée. Car la prophétie lie mane pas de la volonté de l’homme, mais c’est dans l’inspiration de l’Esprit saint qu’ont parlé les saints hommes de Dieu.