Général de l’armée de Jabin, roi d’Asor (Juges 4.2), fut envoyé par son maître contre Barac et Débora, qui avaient assemblé une armée de dix mille hommes sur le moni Thabor. Sisara marcha contre eux avec neuf cents chariots armés de faux, et un grand nombre de gens de pied. Barac avec sa petite armée, fondit avec tant d’impétuosité sui celle de Sisara, qu’il la mit en déroute et en tua un grand nombre. Sisara prit la fuite ; et comme si ses chevaux n’eussent pas couru assez vile à sa fantaisie, il descendit de son chariot et se mit à fuir vers Harozelh des Gentils. Il arriva près de la tente de Haber le Cinéen, et Jahel, femme d’Haber, le pria d’entrer, le couvrit d’un manteau, et lui donna à boire du lait, pour le désaltérer. Alors Sisara lui dit : Tenez-vous à la porte de votre tente ; et si quelqu’un vous demande s’il y a quelqu’un ici, vous direz qu’il n’y a personne. Jahel sortit donc sur la porte de sa tente ; mais voyant Sisara profondément endormi, elle lui enfonça un de ces gros clous qui servaient à soutenir sa tente, dans la tempe, avec un marteau, contre la terre. En même temps Barac arriva, et elle lui fit voir Sisara nageant dans son sang et sans vie.
Voici quelques remarques sur la défaite de Sisara.
Observations [de Folard] sur la défaite de l’armée de Sisara, sur le torrent de Cison, au pied du mont Thabor (Juges 4.3) et suivants Les terreurs paniques arrivent plus communément dans les grandes que dans les petites armées celles-ci en sont beaucoup moins susceptibles. Ce qui est arrivé à Sisara est arrivé à mille autres généraux, et il serait difficile de bien comprendre la cause de certaines terreurs paniques. Une imagination, un fantôme, un rien peut les produire, et ce rien nous est pourtant inconnu, comme s’il venait d’une impulsion céleste ; car cela prend tout d’un coup, comme si une grande armée n’était composée que d’une seule tête : Une prévention, un saisissement, une crainte sourde dont on ignore la cause, gagnent en un instant, et enveloppent des armées de cent et de deux cent mille hommes. Tous fuient, tous se sauvent en tumulte, et souvent plusieurs lieues ne sont pas capables d’arrêter leur course ; chacun s’entre-demande et s’informe de la cause d’un accident si étrange, et personne n’en sait la raison ; ceux de la queue accélèrent la fuite de ceux qui sont à la tête ; ils craignent plus, parce qu’ils se croient plus en danger ; et s’ils ne voient, ni n’entendent rien derrière eux, ils se l’imaginent par cela seul que la confusion est générale, et que l’on ne doit pas fuir sans cause. On voit dans l’histoire une infinité d’exemples de ces sortes d’événements ; ainsi il n’y a rien de surnaturel en cela, sans pourtant que je veuille conclure que la terreur dont Sisara et son armée furent frappés ne fût causée par la toute-puissance divine ; mais venons à l’affaire dont il s’agit.
La prophétesse Débora eut bien de la peine par son discours à persuader à Barac de se mettre à la tête des Israélites pour les délivrer du joug du roi d’Asor il semble douter de son inspiration ; car les prophétesses étaient rares dans Israël ; cependant l’ordre du Seigneur qu’elle lui annonce ne lui permet pas de différer : Ainsi Barac lui répondit (Juges 4.8) : Si vous venez avec moi, j’irai : si vous ne voulez point venir avec moi, je n’irai point. Il appréhendait avec raison que le peuple ne voulût point l’écouter, ni le suivre dans une entreprise qui paraissait si téméraire et si périlleuse ; c’est pourquoi, comme le peuple avait beaucoup de confiance en ce qu’elle disait, il voulut l’obliger à l’accompagner ; elle y consentit, et Barac ayant rassemblé dix mille hommes des tribus de Zabulon et de Nephtali, ils se mirent en campagne. En même temps, Sisara fut averti que Barac, fils d’Ahinoem, s’était posté sur le mont Thabor, et il fit assembler neuf cents chariots armés de faux, et fit marcher toute son armée de Haroseth des Gentils, vers le torrent de Cison. L’Écriture ne marque point le nombre des troupes de l’armée de Sisara ; mais on voit qu’elle était des plus nombreuses et infiniment supérieure à celle des Israélites, par ce que la prophétesse dit à Barac de la part du Seigneur (Juges 4.7) : Je vous amènerai sur le torrent de Cison, Stsara, général de l’armée de Jabin, avec ses chariots et toute la multitude de ses troupes, et je vous les livrerai entre les mains. Josèphe lui donne trois cent mille hommes-d’infanterie, dix mille de cavalerie et trois mille chariots.
Sisara vint donc dans la plaine au pied du mont Thabor, sur le bord du Cison, étaler toutes, ses troupes, et faire parade de ses chariots. Alors la prophétesse exhorte Barac à ne rien craindre, elle anime son courage : Allons, dit-elle, c’est en ce jour que le Seigneur doit livrer Sisara entre vos mains : voilà le Seigneur qui vous conduit lui-même. Ce discours était bref, mais d’un grand poids dans la bouche d’une femme inspirée du ciel, et qui assure la victoire ; joint à cela le désir de se délivrer de la tyrannie d’un vainqueur insolent, la haine que l’on a naturellement pour les ennemis de sa religion, la nécessité de vaincre ou mourir : tout ceia réveille et anime extraordinairement les esprits, et remplit de courage et d’espérance le capitaine et les soldats.
Il y a toute apparence que la grande opinion que Sisara avait de ses forces lui fit croire que les Israélites, qui s’étaient campés sur le haut du Thabor, ne l’auraient pas fait, s’ils n’avaient appréhendé un engagement dans la plaine ou dans un lieu moins avantageux ; car cela suppose qu’on craint beaucoup et que, loin d’avoir envie d’attaquer, on se croit trop heureux, si l’on peut se sauver par une vigoureuse résistance. Dans cette opinion, Sisara avait rangé son armée en bataille le long du torrent, sur un grand front, autant pour faire montre de ses forces et épouvanter l’ennemi, que pour gagner ensuite le haut de la montagne où les Juifs étaient postés, et les attaquer par différents endroits. Cette disposition paraît d’abord bien imaginée et fort prudente, et elle l’eût été en effet contre d’autres gens que des Israélites, qui étaient las de vivre dans l’oppression, qui voulaient se mettre en liberté à quelque prix que ce fût, et qui plus est, qui étaient persuadés que le ciel combattrait pour eux.
Lorsqu’on a affaire à de telles troupes, si l’on n’agit avec beaucoup de prudence et de précaution, il n’y a pas trop à se fier au grand nombre des siennes. Si Barac fût resté dans son poste sur la défensive, Sisara l’eût fait attaquer de tous côtés, et n’eût pas manqué de le forcer. Il comptait que cela ne pouvait être autrement, et que son ennemi n’aurait jamais la hardiesse de descendre avec si peu de troupes. Il se trompa, et cette belle disposition de son armée se tourna bientôt en confusion.
Barac descendit donc de la montagne du Thabor, avec ses dix mille combattants, à travers des rochers et des précipices, et tomba sur l’armée de Sisara, qui était rangée en bataille sur le bord du torrent. Sisara prit d’abord ce mouvement pour une rodomontade, et ne crut pas sans doute qu’il eût envie d’abandonner l’avantage de la hauteur pour descendre jusqu’en bas, ce qui fit qu’il ne tira rien de ses ailes pour se fortifier au centre.
Les Israélites, arrivés au pied de la montà gne, se forment en plusieurs corps sur le bord du torrent, en face de Sisara, qui admire l’audace et la hardiesse déterminée de Barac. De l’admiration d’une résolution si peu commune, il passe à l’étonnement de l’étonnement à un trouble secret qui précède ordinairement la crainte. Enfin les dix mille hommes, résolus à tout événement et rangés sur une grande profondeur, selon la méthode des Juifs, passèrent le torrent et tombèrent si impétueusement sur le centre de cette formidable armée, qu’ils la séparèrent de ses ailes, et passèrent sur le corps de tout ce qui osa leur résister. C’est le plus grand malheur qui puisse arriver à une armée, que d’être ouverte et percée au centre ; c’est un rien en apparence dans une armée aussi prodigieusement forte qu’était celle de Sisara, mais ce rien augmente en un instant et devient très-sérieux dans une bataille : les ailes, séparées du corps, ne font plus qu’une faible résistance et prennent bientôt la fuite.
En même temps, le Seigneur frappa de terreur Sisara, défit tous ses chariots et toute l’armée par le tranchant de l’épée, devant Barac, en sorte que Sisara, sautant de son chariot en bas, s’enfuit à pied. De la manière dont l’auteur sacré s’explique ici, on dirait que toute l’armée de Sisara ne fit aucune résistance et prit la fuite à la vue des Israélites. Cependant, malgré la tempête que Josèphe produit, il fait assez entendre que les ennemis se défendirent, mais qu’ils furent enfoncés. Il y a des généraux qui ont été frappés de crainte pour de bien moindres sujets. Si c’était ici le lieu de citer des exemples, il n’y en aurait pas pour un.
On est surpris de voir que Sisara saule à bas de son chariot pour s’enfuir à pied, comme s’il eût eu les jambes d’un cerf, et que ses chevaux ne fussent pas aussi légers que lui à la course. Le savant commentateur remarque « qu’il faut que ce général ait eu l’esprit terriblement troublé pour sauter à bas de son chariot afin de mieux fuir. C’est ainsi, dit-il, que dans Homère un soldat troyen, effrayé, se jette à bas de son char pour fuir devant Diomède, et qu’un autre fait la même chose devant Achille ; leurs chevaux n’allaient pas assez vite à leur gré. » Tant il est vrai de dire qu’il n’est rien qui nous précipite plutôt dans le danger que le désir inconsidéré que nous avens d’en être délivré.
Il faut, dit-on, du courage pour craindre : lette maxime est vraie ; mais c’est lorsque la peur ne nous prive point du jugement, qu’elle ne nous trouble point le cerveau, et que l’on sait choisir de deux dangers le moindre sans préjudicier à son honneur. On a vu de nos jours un homme à cheval se précipiter dans un fleuve très-large et très-profond après une bataille perdue ; il n’était guère possible qu’il le pût traverser à la nage sans une espèce de miracle. La peur l’avait si fort troublé, qu’il prit le fleuve pour un ruisseau, et se noyant malheureusement, il perdit la vie et son honneur ; car il pouvait se tirer d’affaire s’il n’eût pas abandonné son poste, et faire une retraite honorable ou se rendre prisonnier de guerre ; mais il avait perdu la tramontane, et il était hors d’état de prendre le parti le plus sage et le moins dangereux.
Chef de famille nathinéenne (Esdras 2.53 ; Néhémie 7.55).