Était, au temps de Paul, la plus prospère des cités grecques (7 a 800 000 hab., dont 400 000 esclaves, d’après Athénée, au IIIe siècle après Jésus-Christ) ; la capitale de la province romaine d’Achaïe, qui comprenait Athènes, largement dépassée ; l’une des grandes métropoles du monde. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un village étendu sur la grève, à l’ombre d’une terrasse aride, parsemée de décombres ; un bloc de rocher la surplombe comme un casque au cimier brisé. Sur cette rive du golfe de Corinthe s’étendait autrefois largement le port occidental : Léchée ; sur ce plateau désert se pressaient les maisons et les somptueux monuments de la cité du luxe et du plaisir ; sur le casque rocheux se dressait la puissante citadelle de l’Acrocorinthe ; le cimier, alors haut et brillant, était un temple de marbre, l’un des plus magnifiques et des plus honteusement réputés parmi les sanctuaires d’Aphrodite.
À l’extrémité méridionale de l’isthme de Corinthe, haute falaise rocheuse, large de 10 km, et maintenant coupée, comme au tranchet, par un étroit canal aux énormes murs à pic, la cité s’ouvrait sur deux mers, d’où l’épithète de bimaris (Horace, Odes, I, 7.2). Malgré la barrière de l’isthme, que les travaux de Périandre (vers 600 avant Jésus-Christ) et des Romains n’avaient pas réussi à percer, la situation de Corinthe était magnifique. D’un côté, à une dizaine de km, sur un bras de la mer Égée, le port de Cenchrées était dirigé vers l’Orient. De l’autre, le port de Léchée, au pied de la cité, ouvrait la voie de l’Occident ; dans cette direction, la nappe allongée du golfe corinthiaque, épousant les formes tourmentées des hauts massifs de l’Héli-con, du Parnasse et du Péloponnèse, emportait les navires dans un cadre grandiose, vers la mer Ionienne et vers l’Italie.
Bénéficiant de tels avantages naturels, Corinthe était appelée à un grand avenir. Sa fondation fabuleuse remonte à environ 1 900 ans avant Jésus-Christ ; on l’attribue à une princesse argienne, Éphyre, dont la cité porta longtemps le nom (cf. Ovide, Met., II, 240 ; Virg., Géorg., II, 464). La légende fait régner à Corinthe Jason et Médée, vers 1350. Deux dynasties, celle de Sisyphe et celle des Héraclides, s’y succédèrent, du XIVe au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Un gouvernement aristocratique, dont le chef était nommé Prytane, régit Corinthe de 777 à 658. Après un retour du despotisme, le gouvernement démocratique fut institué, avec de nouveaux prytanes (584). Sous ce régime de liberté, Corinthe jouit d’une grande prospérité. Elle donna son nom à un ordre d’architecture. Athènes seule pouvait se prévaloir d’un nombre aussi grand d’artistes célèbres. L’industrie corinthienne avait découvert un alliage d’or, d’argent et de cuivre, que les statuaires préféraient au marbre et même à l’or, et qui était appelé airain de Corinthe. Servie par tant d’art et de science, enrichie par un commerce de plus en plus actif, la cité se couvrit de merveilles. Cette fastueuse magnificence engendra une corruption qui étonna les païens eux-mêmes. Corinthe devint une capitale du plaisir, et comme la terre promise de tous les débauchés. Mais « ne va pas a Corinthe qui veut » : cette expression, devenue proverbiale, montre que les plaisirs y étaient chers. Avec ses 1 000 prêtresses de Vénus Pandémos, et ses nombreuses courtisanes, Corinthe eut le triste avantage de donner son nom à la déesse même, que l’on appela Corinihie. Pour désigner une manière de vivre particulièrement dissolue et scandaleuse, on inventa le mot : corinthianiser
Détruite par le consul Mummius (146 avant Jésus-Christ), rétablie par César (43 avant Jésus-Christ), avec une colonie romaine, Corinthe retrouva rapidement sa prospérité. Au temps de Paul, elle ne le cédait point à la Corinthe des prytanes pour la splendeur, le luxe et la corruption. Dévastée par les Barbares du IVe au VIIIe siècle, prise par les Français en 1205, cédée aux Vénitiens, perdue, reprise, Corinthe déclina. Le joug turc fit d’elle ce que nul désastre n’avait pu faire. De récentes fouilles archéologiques y ont retrouvé des vestiges intéressants (figure 55).
Paul vint a Corinthe, pour la première fois, vers la fin de 50, après son insuccès d’Athènes. Déçu, et peut-être malade (1 Corinthiens 2.3), il commença péniblement son œuvre (1 Corinthiens 2.3). La tâche lui fut allégée par l’amitié d’Aquilas et Priscille (Actes 18.1 et suivants). Après de graves difficultés avec les Juifs, il se tourna vers les païens, et l’Église naissante prit, dès lors, une rapide extension. Traduit par les Juifs devant le tribunal du proconsul Gallion, il fut acquitté. Il partit de Corinthe quelque temps après (Actes 18.12-18). Il y fit une visite pénible après la Pentecôte de 56, et y séjourna pendant l’hiver 57-58 (cf. article 1 Corinthiens, III, 2e). Il avait composé 1 et 2 Thessaloniciens durant son premier séjour ; il composa Romains pendant le dernier. La connaissance du milieu corinthien, où se trouve l’apôtre, n’est pas sans intérêt pour la compréhension de ces épîtres. Rom, 1, en particulier, fait des allusions non voilées à ceux qui « corintnianisaient ». Dans ce milieu si difficile, où tout lui paraissait contraire, l’Évangile a remporté de beaux triomphes, et Romains en porte la marque. L’Église est forte, purifiée, pacifiée. C’est là, sur le terrain de ses combats les plus durs, que l’apôtre peut écrire la plus sereine, la plus majestueuse et la plus impériale de ses lettres.
H. Cl.
Numérisation : Yves Petrakian